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à cette histoire politique tortueuse. De 1945 à 1992, les langues offi- cielles de la République étaient le serbo-croate (parfois appelé croa- to-serbe), le macédonien et le slo- vène. Les linguistes distinguaient dans cet ensemble « serbo-croate » entre différents dialectes, selon la façon de dire quoi : le kajkavien (parlé dans la région de Zagreb, où quoi se dit kaj), le tchakavien (parlé sur la côte adriatique, où quoi se dit tcha) et le chtokavien (parlé dans une partie de la Croatie, en Serbie, au Monténégro et en Bosnie-Herzé- govine, où quoi se dit chto). Mais ces différences ne correspondaient à aucune division politique ou natio- nale, à aucune frontière, il s’agissait simplement d’une variation géo- graphique. Ajoutons à cela que les Croates, catholiques, écrivaient le « serbo-croate » en caractères latins tandis que les Serbes et les Monté- négrins, orthodoxes, l’écrivaient en caractères cyrilliques, et que pour le vocabulaire de la modernité les Serbes empruntaient plutôt aux lan- gues slaves et les Croates créaient plutôt des néologismes. Mais tout cela n’empêchait pas les gens de se comprendre. Aujourd’hui, après les différentes sécessions et indépen- dances, chacun des nouveaux pays appelle sa ou ses langues officielles d’un nom différent, serbe en Serbie, croate en Croatie, serbo-croate au Monténégro, etc. Les Serbes et les Croates se com- prennent parfaitement et savent vous indiquer quelles sont les quelques dizaines de mots qui les distinguent. Mais les violences guer- rières sont passées par là et à force de vouloir être différents ils finiront sans doute, en quelques généra- tions, à ne pas se comprendre. Nous pouvons donc dire ici que la volonté des locuteurs, leurs pratiques in vivo, sont au premier rang, et que les déci- deurs, in vitro, entérinent. Dans nos trois exemples, des lan- gues se séparent, divorcent, devant le tribunal de l’histoire mais sans faire appel à aucune loi. Ce qui est sûr, c’est que la partie in vivo de la gestion du plurilinguisme nous montre, une fois de plus, que les langues appartiennent à ceux qui les parlent, et qu’ils en font ce qu’ils veulent. Les décideurs politiques suivent ensuite, in vitro. Q Le livre se dit en hindi pustak, tandis qu’on utilise en ourdou le mot arabe kitab. Un stylo est en hindi lekhanee et en ourdou kalam, mot également arabe, comme wazir qui désigne en ourdou un ministre alors que l’on dit en hindi mantree. Mais, dans les deux langues, on a emprunté à l’anglais pour désigner la voiture : kaar en hindi, kar en ourdou. ENCADRÉ 2 © W ik im ed ia Le Mahatma Gandhi avait voulu faire de l’hindoustani une langue d’unification indienne. Recto et verso d’un billet de banque yougoslave émis en 1978 et rédigé dans les langues oicielles du pays. Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 LANGUE | 22 ÉVÈNEMENT DU PALAIS LA LANGUE AU BONHEUR E mmanuel Macron a dé- cidé de s’exprimer sous la coupole de l’Acadé- mie française, et non au palais de l’Élysée, pour exposer les nouveaux statuts présents et à venir de la langue française dans le monde. Depuis l’Institut de France, en la Journée internationale de la Francophonie le 20 mars 2018, le président fran- çais a tenu un discours inspiré et lyrique, émaillé de références lit- téraires mais aussi d’annonces po- litiques de premier ordre. Depuis les grands travaux sur la politique culturelle extérieure de la France du général de Gaulle en 1959, de mémoire de Français dans le monde (né justement en 1961), on n’a pas entendu discours aussi visionnaire et ambitieux au sujet de la portée internationale de la langue dite de Molière. Le pivot central de ces propos a été de… décentrer notre langue : celle-ci n’appartient pas, plus, à la France, mais à tous ceux qui la parlent dans le monde. Si elle n’est pas neuve d’un point de vue socio- linguistique, démographique ou même institutionnel, cette affir- mation marque fortement dans la bouche d’un président de la Répu- blique française : « Nous passons de l’idée ancienne d’une francophonie qui serait la marge de la France à cette conviction que la francophonie est une sphère dont la France avec sa responsabilité propre et son rôle his- torique n’est qu’une partie agissante, volontaire mais consciente de ne pas porter seule le destin du français. » 33 mesures phares Emmanuel Macron a ensuite dé- voilé 33 mesures phares, organisées en trois grands secteurs d’activité. En tête, « Apprendre » – « le premier enjeu d’une politique francophone est celui de la transmission » –, suivi de « Communiquer » et de « Créer ». L’État français entend ainsi en tout premier lieu « mobiliser des moyens inédits pour l’éducation dans les pays francophones, notamment pour la formation des millions de professeurs qui transmettent le français aux nou- velles générations », en particulier en s’engageant financièrement auprès des systèmes éducatifs d’Afrique francophone, par l’intermédiaire de Pour affirmer son « Ambition pour la langue française et le plurilinguisme » dans le monde, Emmanuel Macron a tenu un discours fort lors de la Journée internationale de la Francophonie, le 20 mars 2018. Devant les Immortels de l’Académie française et un parterre d’enfants, le président français a ainsi dévoilé de nombreuses mesures volontaristes et stratégiques. PAR SÉBASTIEN LANGEVIN © S. La ng ev in Le président Emmanuelle Macron et son épouse, Brigitte, ancienne professeure de français, encadrent Xavier Darcos, chancelier de l’Institut de France, et Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française, sur le tapis rouge de l’Institut de France, le 20 mars 2018. Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 23 LEÏLA SLIMANI : « UN RAPPORT LIBRE, JOYEUX ET PLURIEL AUX LANGUES » Lauréate du prix Goncourt 2016 pour son deuxième roman, Chanson douce, vendu à 600 000 exemplaires et traduit en 40 langues, l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani a été nommée, en novembre 2017, représen- tante personnelle d’Em- manuel Macron pour la Francophonie. « Je viens d’un pays pluri- lingue et cette diversité est une chance qui devrait être préservée. Mais certains font semblant de l’ignorer, ce qui m’exaspère. Bref, ce rapport idéologique à la langue me paraît à la fois dépassé et inquiétant. C’est nourrir le discours des islamistes qui répètent que nous n’avons qu’une langue, qu’un livre, qu’un horizon possible. Moi je crois qu’il faut défendre, pour les générations futures, un rapport libre, joyeux et pluriel aux lan- gues et les désidéologiser. » POUR EN SAVOIR PLUS retrouver l’intégralité du discours d’Emmanuel Macron sur www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-dis- cours-du-president-de-la-republique-a-l-institut-de-france- pour-la-strategie-sur-la-langue-francaise/ l’Agence universitaire de la Franco- phonie (AUF) et de l’Agence fran- çaise pour le développement (AFD). Soutien à l’introduction des langues africaines pour les premiers appren- tissages, impulsion nouvelle à l’en- seignement bilingue francophone, meilleures conditions d’accueil des étudiants étrangers en France… Les propositions sont concrètes et étayées. L’une d’elles a retenu l’at- tention : « Valoriser le métier de pro- fesseur de français dans le monde. » Où il est question de la pénurie d’enseignants et de plusieurs ac- tions pour y remédier, comme la création d’un Volontariat interna- tional pour le français, d’une forma- tion en FLE pour les 4 500 assistants de langue qui viennent en France chaque année, de la création en 2019 d’une Journée internationale du professeur de français. Et du doublement de l’aide