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« beau devant ! ». 260 millions de photos postées sur Instagram avec le mot-clé #food et 150 millions avec #foodporn : la cuisine est devenue, après le voyage, le domaine qui donne lieu au plus grand nombre d’images. Il suffit désormais d’un clic pour ali- menter le plaisir gustatif de tous vos followers ou abonnés qui viendront s’extasier sur le cadrage avec vue imprenable sur l’assiette, désormais objet de tous les regards. Madame Figaro y va même de ses « conseils de pro pour réussir ses photos de plats sur Instagram » : c’est Virginie Robichon, « styliste et photographe culinaire » qui donne la recette pour une photo #gastronomie réussie. Comme si les ingrédients de la re- cette étaient d’abord dans la photo avant d’être dans le plat. L’œil déguste Le jargon gastronomique n’échappe d’ailleurs pas à cette école du re- gard : on parle désormais du « de- sign » d’un plat et on peut lui repro- cher son « manque de couleurs ». Comme le reconnaît d’ailleurs le chef étoilé Thierry Marx, « le beau a toujours fait partie de la cuisine ». Et ce dès le xviiie siècle où les pâ- tisseries architecturales d’Antonin Carême faisaient le bonheur des gastronomes, avant la cuisine dé- corative de Jules Gouffé un siècle plus tard. Aujourd’hui, la photogé- nie d’un plat ou le côté haute cou- ture de la pâtisserie sont en passe de devenir les vrais marqueurs du goût. Sans doute un héritage des Lumières, si l’on en croit Lawrence Gasquet, auteure d’un article sur « Gastronomie et maniérisme : l’art de manger avec les yeux en France à partir du xviiie siècle », selon la- quelle « la vue s’impose comme le sens auquel on donne la prééminence ». Force est de constater, à l’instar de la Sopexa, agence spécialisée dans l’aide à l’exportation des produc- tions agricoles françaises, que « les réseaux sociaux révolutionnent notre attitude vis-à-vis de l’assiette ». Et de conseiller aux restaurants et cuisi- niers de « miser sur cette tendance ». D’où, désormais, des cartes avec de plus en plus de plats à « liker » : des pâtes à la truffe jusqu’au poulet à la coriandre et au citron vert, du buddha bowl (quinoa et légumes) au pain de courge… Et c’est ainsi que s’établit aujourd’hui une échelle du goût à coup de « j’aime ». Au Top 10 du mets préféré sur Instagram, selon une enquête de la Radio télé- vision belge francophone : pizzas, sushis, poulets, salades (forcément veggie), burgers, pâtes, soupes… Voilà de quoi se faire une petite idée du goût mondialisé. Un numérique viral qui a de quoi laisser le gastro- nome sur sa faim. Q À VOIR Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 ÉPOQUE | 16 © Co ur te sy N at io na l G al le ry o f A rt, W as hi ng to n © B ai lly UNE AMÉRICAINE À PARIS MARY CASSATT Célébrée aux États- Unis, méconnue en France, elle fut proche de Degas et l’une des grandes dames de l’impressionnisme avec Berthe Morisot. Cela méritait bien la rétrospective que lui consacre le musée Jacquemart-André jusqu’au 23 juillet. PAR CÉCILE JOSSELIN C onsidérée comme la plus grande artiste améri- caine de son temps, Mary Cassatt (1844-1926) est presque inconnue en France, malgré une œuvre profondément attachée à sa terre d’élection. « Cette femme au caractère bien trempé, très consciente de son talent et amie proche de Degas, avait des origines françaises par son père et avait grandi auprès d’une mère parlant couramment le français », rappelle Pierre Curie, conserva- teur en chef du musée Jacquemart- André et commissaire de l’exposi- tion, qui présente une cinquantaine de ses œuvres, huiles, pastels, dessins et gravures. Mary parcourt très jeune l’Europe au gré des voyages que font ses parents, d’aisés banquiers de Pittsburgh, avant de passer l’essentiel de son existence en France. Se décla- rant « définitivement américaine » lors d’une interview donnée à la fin de sa vie, elle n’a cependant jamais demandé la nationalité française. La première salle révèle ses œuvres réalisées lors de son installation à Paris. C’est Degas qui, après l’avoir découverte en 1874, lui fait rejoindre le groupe des impressionnistes. Comme lui, Mary Cassatt se sent pro- fondément indépendante et, malgré une certaine aisance financière, elle entend travailler et vivre de son art en France. Contrairement à Monet, Pissarro ou Cézanne qui se spécia- lisent dans les paysages, c’est l’hu- main qui l’intéresse. Aussi peint-elle, comme on le voit dans la deuxième salle, les membres de sa famille dans leur vie quotidienne, notamment sa sœur, la très chic Lydia Cassatt, et son frère, le très fortuné président de la Pennsylvania Railroad. Sa spécialité�: la mère à l’enfant Une autre salle explore le thème cen- tral de son œuvre à partir des années 1880 : la représentation de la mère à l’enfant, moins comme Madone que comme l’exaltation de la ma- ternité à une époque où les femmes de la bourgeoisie n’élèvent pas elles- mêmes leur progéniture, préférant la confier à des nurses. Elle qui ne s’est jamais mariée et n’a pas eu d’en- fants, montre là une vision profondé- ment américaine, engagée, de l’idéal féminin. Elle joua également un vrai rôle d’ambassadrice de l’impression- nisme français aux États-Unis. « C’est grâce à elle que le premier tableau de Degas a été vendu outre-Atlantique, raconte Pierre Curie. Elle a influencé beaucoup de collectionneurs améri- cains, à commencer par son frère et son amie Louisine Havemeyer. C’est elle aussi qui a convaincu Paul Durand- Ruel d’ouvrir une galerie à New York, avec le succès que l’on sait. » Dernier aspect mis en valeur, ses gra- vures, qui montrent son goût pour les expérimentations artistiques, peut- être la part la plus moderne de son œuvre. Dans les années 1890, inspi- rée comme Degas par les estampes japonaises, elle réalise ainsi une série de pointes-sèches et surtout d’aqua- tintes en couleur qui démontre une maîtrise très sûre de cette technique d’une infime précision. Une expo- sition qui convainc de la reconnais- sance que mérite cette artiste po- lyvalente et femme indépendante, américaine à la palette si française. Q Petite fille dans un fauteuil bleu, 1878. Une mère et son enfant, vers 1909. POUR EN SAVOIR PLUS www.musee-jacquemart- andre.com/fr/mary-cassatt Le français dans le monde | n° 417 | mai-juin 2018 17 ÉPOQUE | EXPOSITION Dans votre récit à la fois poétique et autobiographique L’Appartement (Inculte, 2018), vous parlez de vous comme de « ce jeune homme qui voulait traduire tous les livres du monde ». Comment est née cette ambition�? Je pense que j’ai toujours vécu entre deux langues, le russe et le français. Le besoin de traduire est venu très vite, et, quand j’ai commencé à écrire, comme tous les adolescents, à mes « poèmes » (évidemment inexistants) se sont ajoutées des traductions de poèmes russes. Et puis, à 16 ans, j’ai rencontré Efim Etkind, qui était l’un des grands traducteurs et théoriciens de la traduction en langue russe. Il avait été expulsé d’URSS et vivait en France. C’est avec lui que j’ai com- mencé à travailler vraiment. Ensuite, je me suis rendu compte que tout ce que j’aimais de la littérature étran- gère, j’avais envie, ou besoin, de le traduire. Que traduire était pour moi une façon de lire beaucoup plus en profondeur. La formulation que vous citez est évidemment ironique, mais il y avait quand même quelque chose de ça. Et je me suis restreint… Récemment est paru le second volume des chroniques que vous livrez sur Facebook�(1), Partages. Quel lien avec l’œuvre traduite révèle-t-il, et donc avec les auteurs que vous avez choisi de traduire�? Le lien, c’est que la traduction est,