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I 
I 
MAX NACHMANSOHN 
LIBIDO CHEZ FREUD et rEROS CHEZ PLATON 
UNE COMPARAISON 
Cet article est paru dans I'Internationale Zeitschrift fur arztliche 
Psychoanalyse - III - 1915. Freud y fait reference dans sa preface a la 
quatrieme edition des Trois Essais sur la .Theorie de la Sexualite en 
1920, ainsi qu'au chapitre Suggestion et libido de la Psychologie des 
foules et analyse du MoL en 1921. ' 
La documentation psychanalytique 
MAX NACHMANSOHN 
LA LIBIDO H Z FREUD et I'EROS CHEZ PLATON 
UNE COMPARAISON 
Cet article est paru dans I'Internationale Zeitschrift fur arztliche 
Psychoanalyse - III - 1915. Freud y fait reference dans sa preface a la 
quatrieme edition des Trois Essais sur la .Theorie de la Sexualite en 
1920, ainsi qu'au chapitre Suggestion et libido de la Psychologie des 
foules et analyse du MoL en 1921. 
La documentation psycnanalytique 
1 
Les r~sultats de la psychanalyse exig~rent de son fon-
dateur une extension importante de la notion de libido. 
Freud s'est vu forc~ d'entendre par libido tout ce que 
l'on en tend en allemand par desir amoureux dans Ie sens 
Ie plus large et par activite sexuelle dans un sens 
plus restreint. Essayons d I elucider ce qui a pousse 
Freud ~ elargir aussi ampiement cette notion (Freud est 
en effet un savant qui ne redo ute aucunement d'utiliser 
de vieilles notions dans un sens qui s'ecarte du sens 
communement admis; encore Ie fai t-il seulement quand 
des raisons de poids l'y obligent). 
Avec un etonnement croissant, il a reconnu que deja 
chez l'enfant tout bonnement normal existe une vie 
fortement erotique, et qu I un conte est tenu pr~t par 
les adultes chaque fois que lion contester a a cet en-
fant une vie erotique propre (d'ailleurs, d'apres mon 
experience, cela se produit davantage parmi ceux qui 
ont fait des etudes universitaires que parmi ceux qui 
n I en ont pas fai t). De nos jours encore, les opinions 
des Rsychanalystes ne concordent pas, ne serait-ce que 
sur Ie debut d'une vie erotique. Freud voit deja dans 
l' enfant qui sut;ote au qui prend Ie sein avec ravis-
sement(l) une activite sexuelle dont il resulte une 
jouissance(2) . Mals on ne peut pas entierement refuter 
Ie fait que Jung n'y voie qu'un plaisir de la nutrition 
(3). Nous ne pouvons pas questionner Ie nourrisson, et 
1 
2 
3 
Nous traduisons ludeln par 
Wonnesaugen par enfant 
ravissement (N.d.T.) 
Lustergebnis (N.d.T.) 
enfant qui sU90te et 
qui prend Ie sein avec 
Jung - Essai d'une presentation 
chanalytique, 1912. 
de la theorie psy-
2 
Ie fait de tirer des deductions a partir de manifes-
tations pathologiques plus tardives peut, souvent et 
dans la pratique, etre de la plus grande importance, 
mais quand il s'agit dlun eapace psychique dont to~tes 
les dimensions ne nous seront jamais totalement con-
nues, il ne peut avoir valeur de preuve theorique irre-· 
futable. La recusation de l' hypothese freudienne par 
Jung est tout de meme curieuse! ee dernier admet certes 
qu i : 
"il apparalt chez l'enfant grandissant 
des habitudes dites mauvaiaes, qui se 
rattachent etroitement au sU90tement 
infantile primaire, comme celles de met-
tre les doigts dans la bouche, ranger les 
ongles, explorer Ie nez, les oreil1es 
etcoo.". 
II a lui-mema observe que CBS manipulations (qui pro-
curent aux enfants un p1aisir singulier, n'ayant pas la 
moindre ana10gie avec la satisfaction de la faim) me-
nent souvent a la masturbation qui, bien qui elle se 
presente plus tard dans l' enfance, dans Ie temps qui 
precede la maturite, n'est rien d'autre : 
"qu' une continuation des habi tudes in-
fantiles"(4). 
II admet egalement qu' une ligne semble mener d' une 
activite sexuelle evidente au sU90tement du nourrisson, 
4 Souligne par nous. 
3 
abstraction faite de l'impression subjective que l'a8-
pect de l' enfant 1a1sse a I' observateur. II ne veut 
pourtant pas attribuer au ravissement de l'enfant au 
sein un caract~re ~rotique. Pour quai? Paree qu'il esti-
me demontre que chez Ie nourrisson, les fonctions se-
xuelles ne se manifestent pas: 
"pas m~me aous forme d'indice" (5). 
Mais ce n I est toutefois que sur une affirmation que 
Jung suppose prouv~e sans trace d'aucun fondement, donc 
sur une petititon de principe tout a fait ~vidente, 
et cela aurait dO donner a penseI' a un analyste qui 
connaitrait quelque chose de la projection - que Jung 
fait donc des reproches a Freud sur ce point particu-
lieI'. Jung admet lui-meme que la sexuali te commence a 
se mani fester entre 3 et 5 ans; pourquoi ne devrai t-
elle pas Ie faire des la premiere annee, surtout si 
l' on considere que meme pour Jung, bien des activites 
sexuelles precoces trouveraient la une explication 
claire et pertinente. Chez Ie nourrisson no us ne con-
naitrions que la fonction de 
les faits prouvent que c' est 
nourriture qui est Ie premier 
non pas la fonction sexuelle! 
1 a nut I' i ti 0 n ! Al 0 I' s que 
l' acte de prendre de la 
porteur de plaisir, et 
Quels faits? On aurait 
aussi pu dire la meme chose de l'enfant jusqu'a l'epo-
que de la puberte - et d'ailleurs on l'a dit - ; pour-
quai Jung reconnait-il alors une sexuali te aI' enfant 
de 3 ans, rna is pas au nourrisson, bien qui il insiste 
5 Souligne par nous 
precisement 
d'admettre 
hypotheses 
4 
sur des faits qui rendent 
une sexualite du nourrisson? 
sont stab lies pour expliquer 
necessaire 
Theories et 
les faits; 
ainsi en est-il de la theorie freudienne, qui n' est 
aucunement en contradiction avec d'autres faits de 
quelqu'ordre qu'ils soient. Personnellement, je ne 
peux pas me fermer aux arguments freudiens : de preuve 
absolue, aucune theorie n'en apporte. Une autre raison 
qui a determine l'extension de la notion de libido fut 
independamment des deductions tirees des psychana-
lyses d' adul tes - l' observation de mouvements sexuels 
preciS d~s la 3ame annee, mouvements auxquels on pou-
vait deja attribuer une expression verbale. la, Freud 
reconnaissait que l'erotisme chez l'enfant n'a pas 
encore de frayages etablis; au contraire, il peut etre 
mis en eveil par la plupart des parties du corps et se 
manifester sous les modes les plus divers. Les zones 
buccale et anale etant celles qui sont Ie plus stimu-
lees chez Ie nourrisson, ces regions sont de ce fait 
particulierement feceptives a l'excitation erotique. 
Quoique presque toute la surface du corps y so it apte, 
certaines regions sent privilegiees par suite d'"exer-
eice" plus grand. Ce sont alors les zones erog~nes. 
Pour ma part, je ne comprends pas que Jung puisse 
affirmer 
" d' apres cette maniere de voir (celIe 
de Freud), la sexualite ulterieure, 
normale et monomorphe, est done eons-
tituee de composantes differentes. Elle 
se divise 
homo- et 
5 
d'abord en une composante 
heterosexuelle, a laquelle 
s'ajoutent ensuite une composante autoe-
rotique et enfin les differentes zones 
erogenes". 
II n'est jallH3.is venu a l'esprit de Freud de voir, 
dans les zones erogenes, des composantes de la sexuali-
te; cette idee est deja contraire au sens litteral du 
mot. 
L'observation de l'enfant lui-m~me et les VUBS qui se 
degagent des psychanalyses d'adultes ont amene Freud a 
parler d'une sexualite polymorphe-perverse de l'enfant; 
cette notion lui permettait de rendre compte du fait 
que la sexuali te de I' enfant comprenai t en 191119 tous 
les traits distinctifs que nous qualifions de pervers 
chez l'adulte. Comme a l'epoque infantile ni centres ni 
frayages defini ti fs ne sont encore formes, l' erotisme 
peut se manifester dans presque n'importe quelle direc-
tion. Mais apres qu'il ait ete excite dans une certaine 
direction pendant un temps plus ou moins long, des 
dispositions definies se forment selon les expres-
sions bien connues de Hering -, qui facilitent a nou-
veau l' exci tation dans la m@me direction. L' erotisme, 
pour certaines activites, est "fixe". Ainsi se for-
ment deja tres tOt descomposantes de la pulsion se-
xuelle qui est, en soi, homogene. Maia il est incon-
testable que les composantes sont, j usqu I a un certain 
point, deja preformees par l' hlhedi te. Freud semble 
avoir fait I' erreur d I accorder une premiere place aux 
6 
compos antes comprises dans la pulsion - avant m@me que 
celle-ci ne vienne a excitation - et qui s'en detachent 
ensuite sous forme de perversion. Ainsi dit- il : 
"Nous pouvons y voir l'indice que, 
peut-@tre, la pulsion sexuelle en soi 
n'est pas un element simple, mais qui 
elle est constituee de composantes qui 
s'en detachent une nouvelle fois dans 
les perversions" (6). 
Cette conception a rencontre, essentiellement chez 
Jung, une violente contradiction; or, cette opposition 
repose sur une totale meprise des intentions de Freud. 
Freud n' a jamais songe a considerer les composantes 
homosexuelles comme stant pour ainsi dire congenitales 
interpretation qu'il qualifie de particulierement 
sommaire - : 
lien ce sens qu' une personne porte con-
genitalement en elle la liaison de la 
pulsion sexuelle avec un objet sexuel 
particulier,,(7). 
II part plutOt du point de vue d'une bisexualite, au-
trement di t, il estime que la sexuali te, a I' etat de 
non-developpement, peut se tourner egalement vers les 
deux sexes de telle sorte que, tout a fait par hasard, 
6 Freud - Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie. 2eme edition. 
leipzig und Wien, F. Deuticke, 1910, p. 25. 
7 Pour plus de details, voir Freud, Ope cit., p. 7. 
;;g 
7 
la l~bido peut rester fixee au meme sexe(B). Pourtant, 
Freud semble nous dire que, des Ie debut, une part 
determinee de I' energie sexuelle n' est reservee qu' a 
eette aetivite-ci, et une autre part de cette energie a 
cette activite-la. II nix a pas lieu de refuter cette 
idee. 5i Jung la tient comme allant de soi, etant donne 
que la libido sexuelle primitive est soli dement orga-
nisee dans la fonction de la nidi fieation I et qu 1 13 1113 
se montre inapte a tout autre utilisation(9), adopt ant 
ainsi, de fat;on tout a fait evidente une "eomposante" 
de la libido et, qui plus est, une composante invaria-
ble, je ne saurais quelles reserves sur Ie plan de la 
theorie de la connaissanee pourraient etre emises con-
tre eeux qui affirment qulune certaine quantite de la 
libido est organisee de tel Ie sorte qu' elle ne peut 
agir que d' une maniere determinee, et ee en raison de 
nombreux faits qui forcent a admettre cette hypothese. 
Or, dans aucune de ses oeuvres, Freud n' a soutenu une 
theorie figee des composantes, comme Pfister Ie lui 
impute dans sa Methode psychanalytique. Nous extrayons, 
parmi les nomb.reuses references qui vont contre l'in-
terpretation de Jung et de Pfister, celles-ci : 
ilLes differentes voles que la libido 
emprunte se 
autres des 
comportent les unes et les 
Ie debut comme des vases 
communicants, et il faut tenir compte du 
phenomene de courants collateraux ll (Drei 
Abhandlungen, Ope cit., p. 16, note 1) 
8 Pour plus de details, voir Freud, Ope cit., p. 7. 
9 Jung - Transformations et symboles de la libido. 
8 
et encore 
" Dans les deux cas, la libido se com-
porte comme un fleuve dont Ie bras prin-
cipal se deplace, elle comble les voies 
collaterales qui jusqu'ici etaient peut-
etre restees vides. Ainsi, un aussi 
grand penchant apparent ~ la perversion 
chez Ie psychonevrotique peut etre con-
ditionne par una voie col1aterale; de 
toute facon, il sera accru par cells-
ci" (Drei Abhandlungen, Ope cit., p. 
31)(10). 
Que signi fient ces passages? Je pense qu' ils sont ab-
solument sans equivoque. l'energie erotique, qui en soi 
ne varie pas, se manifeste d'une part d'une manHne 
determinee par suite de dispositions innees; mais 
d' autre part I' energie de I' un des modes de mani fes-
tation peut aussi s'exprimer sous une autre forme. 
C' est par consequent un vulgaire et presqu' impardon-
nable malentendu quand Jung dit dlun ton superieur 
"cette conception (celIe de freud) res-
semble a l'etat de la physique avant 
Robert Mayer ou il n'y avait qu'un en-
semble de manifestations regroupees par 
domaines separes et coexistants, aux-
quelles on attribuait une signification 
elementaire, mais d~nt les interactions 
n' etaient pas vraiment reconnues. Seule 
10 Souligne par nous. 
9 
la loi de la conservation de I' energie 
apporta un ordre dans 
forces entre elles et 
la relation des 
apporta en m@me 
temps une conception retirant aux forces 
leur signification elementaire absolue 
pour en faire des formes de manifesta-
tions de la meme en~rgie. Clest de cette 
maniere aussi que doit etre consideree 
la fragmentation de la sexualite poly-
morphe-perverse de l'enfant" (Jung 
Theorie). 
Je crois que les 
encore multiplier, 
tion de Jung. 
passages 
refutent 
cites, que lion pourrait 
d I eux-memes l' interpreta-
Jusqu'a present, nous no us sommes contentes de pren-
dre connaissance des raisons qui ont pousse Freud a 
elargir la notion de libido en I' appliquant aussi a 
l'enfance. Mais nous ne pouvons pas encore saisir paur-
quai toute aspiration amoureuse entre dans cette no-
tion. Voici les elements qui ont conduit Freud a cette 
formulation; d'abord, et ceci me parait etre la raison 
essentielle: l'intuition que la pulsion amoureuse est 
psychologiquement la meme, que 1 que sa it l'objet auquel 
elle s'adresse; il fit aussi l'observation que souvent, 
quand l' amour physique est entrave, toute autre mani-
festation amoureuse s I en ressent egalement, et il lui 
fallut en canclure que toutes ces mani festations pro-
viennent, pour ainsi dire, de la meme source; de plus, 
10 
les faits lui enseignerent qu'une activite amoureuse 
fortement socialisee, un fort devouement aux taches 
scientifiques et artistiques, ont pour consequence une 
limitation des manifestations de l'amour physique, de 
sorte qui iei aussi, il lui fut possible de conclul'e 
que, dan s 1 e s p u 1 s ion s qui con d u i sen t a -c e t tea c t i v i t e , 
les memes energies psychiques sont a I' oeuvre. II ap-
pliqua aussi la notion de libido, qui a l'origine a un 
sens exclusivement sexuel, a la totalite des aspira-
tions amoureusesj il se demands meme s'il ne- devait pas 
appliquer cette notion a tous les interets quels qu'ils 
fussent (dans Ie cas Schreber). 
Ses observations Ie menerent a la decouverte peut-
etl'e la plus importante de la psychanalyse : la theorie 
des "supplements libidinaux" ou faculte de sublimation 
de la libido. II ressort clairement de cette theorie 
que Freud nla defendu a aucun moment une doctrine ri-
gide des composantes de la libido, car il dit en effet 
que les forces psychiques qui visent a empecher une 
acti v i te illimi tee de la libido sont d I une importance 
considerable pour l'epanouissement futur de la per-
sonne. Ces forces se constituent : 
"vraisemblablement au detriment des 
mouvements sexuels infantiles eux-memes, 
dont llafflux nla sans doute jamais 
cesse meme pendant cette periode de 1a-
tence, mais dont l'energie - totalement 
ou pour sa plus grande part a ete 
11 
tournee de son ilisation sexuelle et 
a ete dirigee vers d'autres buts" CDrei 
Abhandlungen, Ope cit. p. 39)(11). 
Freud nomme ce processus sublimation, processus qui, de 
son point de vue, dure la vie entiere. l'energie sup-
plementaire ainsi obtenue, qui sera consommee dans Ie 
travail intellectuel gr~ce a des aptitudes naturelles 
heritees, est un mobile encore trop sous-estime quant a 
l'ensemble des realisations d'ordre eleve. Mais ceci ne 
doit pas @tre entendu comme si I' energie "sexuelle" 
s'etait transformee tout simplement en energie "intel-
leetuelle". l'utilisation de la libido pour Ie travail 
intelleetuel n'est possible que si l'individu porte en 
lui des dispositions ou des aptitudes a eela. lea sup-
plements libidinaux n' aceomplissent pas, a proprement 
parler, Ie travail intelleetuel, mais ils servent 
plutot de force motricepour developper les aptitudes 
apres les avoir mises en action. Nous suivons Jung, 
quand i1 dit que 1'energie d'origine sexuelle apparait 
au cours du developpement comme: 
"solidement organisee dans la fonction 
de la nidification et qu'elle est alors 
inapte a toute autre utilisation", 
sans que lion renonce par cette affirmation a l'unite 
de l' energie psychique. Je pense exactement la m~me 
chose quand je parle d I energie "intellectuelle", a la 
11 Souligne par nous. 
12 
difference, il est vrai, que je n'affirme pas que toute 
e n erg i e non - sex u e 11 e eta ita 1 'or i gin e , po u r sap 1 u-s 
grande part, de nature sexuel1e. Mais toutefois, il est 
tras probable qu'au cours du developpement, des forces 
venant de la psyche, qui a I' origine avai.ent ete re-
servees a une activite sexuelle, s'ajoutent a l'ensem-
ble des fonctions mentales etablies et solidement or-
ganisees de l'energie psychique. Pour cela, un detour-
nement de l ' afflux d'excitation est necessaire, souvent 
lie a de tras grands troubles psychiques. ee "detour-
nement" est, si lion s'aide de la 10i des associations 
telle qu'elle est formulee dans la psychologie moderne 
des associations, tout a fait concevable; elle dit, 
dans la version de Max Offner : 
"l'ensemble des processus psychiques se 
deroulant en m~me temps a un moment 
donne forme un tout, qui laisse derriere 
lui un complexe coherent de dispositions 
(Loi de la formation des associations; 
c f. Semons - Loi de l' Eugraphie). Dans 
Ie cas d I une nouvelle exci tation d' une 
partie de ce complexe, la tendance a 
associer ill cet etat d I exci tat ion les 
autres dispositions appartenant a ce 
complexe apparait - ceci est la preuve 
de cette coherence psychique supposee, 
ou plus exactement condui t' a I' accep-
tation de cette notion auxiliaire de 
I' association (cf. Semons - Principe de 
l'Ekphorie)"C I2 ) • 
.......... _---_ .......... ----_ ..... 
12 Max ~ffner - La memoire, 3ame edition, 1913. 
13 
Cette formulation, dont la psychologie des associations 
reconnalt assurement Ie caractere problematique, mais 
qui a brillament fait ses preuves comme hypothese de 
travail, m~me si elle ne se suff! t pas a elle-m~me, 
nous explique la possibilite d'une sublimation. Si une 
excitation intellectuelle et une excitation arotique 
ont lieu en meme temps, il se forme une association 
entre les deux centres excites. Si maintenant un cen-
tre d' energie ne trouve pas d' acoulement moteur "na-
turel"~ llexcitation peut affluer vers ce centre par la 
voie nouvellement formee de l'association qui slest 
fixee progressivement, pour 8tre datournee de fa~on 
matI' ice sur ce centre. Naturellement, par ce moyen, sa 
force en est nettement accrue. Ainsi, par une juste et 
prudente utilisation de l'energie sexuelle, on obtient 
une incitation extraordinaire au travail intellectuel, 
tout comme, a I' inverse, une vie dereglee monopolise 
l'anergie intellectuelle. A vrai dire, c'est la un fait 
bienconnu et depuis bien longtemps deja. Freud a ap-
porte eeci de nouveau a cette theorie, que la faculte 
de sublimation se modi fie selon chaque individu et que 
seule une petite minorita d'hommes peut acceder a une 
pleine sublimation de I' energie sexuelle. Cela aussi 
s' explique facilement a la lumiere de ee que j' ai dit 
plus haut a propos des aptitudes intellectuelles innees 
(13). Cette decouverte est plus significative qu'il n'y 
para!t peut-8tre a premiere vue. II s'ensuit pour Ie 
pedagogue l' exigence de reperer, cas par cas, jusqu I a 
quel point la libido est capable de sublimer sans de-
13 Je sais bien que la "Psychologie des aptitudes" est re-
prouvee par beaueoup. 
14 
gat, c'est-a-dire jusqu'a quel point les aptitudes 
intellectuelles peuvent supporter les supplements li-
bidinaux. On peut rendre ceci plus clair par une image 
- qui n'est justement qu'une image: 8i lion surchauffe 
une machine, elle est deterioree d I une facon ou d I una 
autre. Avec I' arrivee d I un supplement libidinal trop 
grand, il peut facilement s'ensuivre un surmenage, par 
manque de capacites intellectuelles. Dans certaines 
circonstances, il se produit aussi un tres fort reflux 
de la libido et cela peut, si elle ne trouve pas d'e-
coulement moteur, entra!ner de graves perturbations 
psychiques. On doit examiner avant tout deux facteurs 
dans Is psyche de l'eleve : Ie facteur erotique et Ie 
facteur intellectuel. Jusqu'ici, l'attention s'est 
portee de maniere preponderante sur ce dernier et I' 
absence de prise en compte du premier a cause un degat 
enorme qui n' est 
son ampleur. La 
pas Ie moins du monde pres senti dans 
faculte de sublimation de la libido 
sera peut-@tre Ie maitre pilier sur lequel devra s'ap-
puyer la pedagogie; pour Platon, elle l'etait deja, 
comme nous allons Ie voir. 
Freud a commis I' erreur d' identi fier theoriquement 
libido et sexualite. En realite, elles ne sont nulle-
ment synonymes pour lui. Des deux, la libido est, de 
loin pour Freud, la notion la plus large. Toujours 
est-il qui on a pu affirmer, a juste titre, que Freud 
voit dans tout devouement a une activite sociale, a un 
art, a une science, l'equivalent d'un acte sexuel; 
15 
cette conception est absurde si lion entend par sexua-
lite ees sensations et cas sentiments conditionnes par 
l' excitation des organes genitaux au qui menent a une 
telle excitation; elle est tout 8 fait pert1nente s1 
lion entend par 18 Ie don erotique au sens platonicien, 
dont je traite au chapitre suivant. La notion freu-
dienne de libido est done plus large que celIe de se-
xualite dans Ie sens habituel, mais elle est plus e-
troite que la notion de libido chez Jung, que nous 
allons brievement exposer et cr1tiquer. 
Jung voit 
"La valeur authentique de la notion de 
libido, non dans sa definition sexuelle, 
mais dans sa conception energetique"; 
autant dire qu' il fut oblige, au cours de ses expe-
riences analytiques, de faire coincider la notion de 
libido avec celle d'energie psychique. Pourquoi une 
telle extension? 
"Un coup d'oeil rapide sur l'histoire de 
l' evolution suffit pour nous apprendre 
que de nombreuses fonctions compliquees, 
dont Ie caractere sexuel(14) est encore 
aujourd'hui conteste 8 juste titre, ne 
sont a l'origine 
ramifications de 
14 Souligne par nous. 
r i e n 'd' aut r e que des 
la pulsion de propa-
16 
gation. Comme nous Ie savons, il y eu 
deja! en remontant dans I' echel1e du 
regne animal, un important deplacement 
des principes de propagation. La masse 
des gametes, avec Ie principe de hasard 
pour 1a fecondation qui lui est associe, 
fut de plus en plus redui te, au profit 
d'une fecondation sOre et d'une protec-
tion efficace de la nichee. Par la, l'e-
nergie product rice d' ovules. et de sper-
matozoides s'est convertie en production 
de mecanismes de parade et de protection 
de la nichee ••• Le caractere d'origine 
sexuel1e de ces institutions biologiques 
se perd avec sa fixation organique en 
accedant a l'autonomie fonctionnelle. 
M~me s'i1 ne peut regner Ie moindre 
doute sur I' origine sexuelle de la mu-
sique, ce serait une generalisation sans 
valeur et ·sans goOt de vouloir inclure 
la musique dans la categorie de la se-
xualite. Une semblable terminologie 
conduirait a traiter de la cathedrale de 
Cologne sous la rubrique mineralogie 
parce que ses constituants sont egale-
ment des pierres". (Jung -[ssais ••• ). 
(Nous avons cite ce texts de maniere aussi detaillee 
car nous devrons y revenir encore dans Ie critique). 
17 
Jung croit pouvoir identifier energie psychique et 
libido, parce qulelle avait un caractare dlorigine 
sexuelle, qui elle a cependant dO abandonner partiel-
lement par la suite. Ainsi dit-il, pour justifier sa 
terminologie : 
"Dans Ie domaine de la sexualite la 
libido prend cette forme, d~nt 11 enorme 
signification nous autorise justement a 
utilissr Ie terms ambigu de libido.Ici 
(dans Ie domaine de la sexuali te, sans 
doute), la libido se presente en premier 
lieu aoua la forme d' une libido primi-
tive indifferenciee qui, telle une ener-
gie favorisant la croissance, amane a la 
division et a la proliferation etc ••• 
chez les individus. De cette libido 
sexuelle primitive(15), qui produisait 
ces millions d' ovules et de spermato-
zoIdes a partir d i une peti te creature, 
des ramifications se sont developpees en 
m~me temps qu'une limitation conside-
rable de la fecondite ••• ". 
D I apras ce qu I il expose, Jung identi fie donc libido 
et energie psychique parce qu I il veut y voir, tout au 
debut, une "libido" qui etait "sexuelle" et, a cause de 
la sexualite originelle, il se voit amene a utiliser Ie 
"terme ambigu". Mais nous devons tout de m~me dire 
15 Souligne par nous. 
18 
quand quelqu' un trouve "sans valeur et sans goOt" Ie 
fait de ranger la musique dans la catdgorie de la se-
xualit~, sous pretexte qu'elle provient de la sexua-
lite, il est tout autant sans valeur et sans gotH de 
ranger l' energie psychique tout enti~re - done egale-
ment celIe qui se mani feste dans I' acti v i te intel1ec-
tuelle - dans la categorie de la libido, parce qu'elle 
provient de la libido sexuelle primitive et, plus en-
core, parce qu'elle a r~9u cette signification de poids 
dans Ie domaine de la sexuali te. •• Nous ne tiendrons 
pas compte ici du fait que Jung presuppose que proces-
sus vegetatifs et processus psychiques sont confondus. 
Le Dr. M. Weissfeld en a deja fait la remarque dans la 
Revue Internationale de Psychanalyse Medicale, 2~me 
annee, p. 420. Limitons-nous a une critique intrin-
seque. Jung presume - comme on peut en conclure des 
passages ci tes - que l' energie psychique ne s I est ma-
ni festee a I' origine que sur Ie plan sexuel, et on 
pourrait concevoir, avec un peu de bonne volante, qu l il 
lui applique un terme emprunte au domaine de la sexua-
lite, compte tenu de son mode d'apparition originel. Si 
au moins il avait essaye de soutenir son point de vue 
de facon coherente; mais non, il ne Ie fai t pas et de 
to utes fa90ns il ne Ie peut pas! Dix-hui t lignes plus 
loin environ, il en convient 
"Sur ee point i1 n'est naturel1ement pas 
dit que la fonetion de la realite delve 
exelusivement son existence a la dif-
fereneiation de Is propagation. Je sais 
19 
bien l'importance non-quantifiable de la 
fonction de la nutrition... Il serait 
absolument faux 
force motrice 
I' etai t, dans une 
de pretendre 
est sexuelle; 
que sa 
el1e 
grande mesure, mais 
non pas exclusivement". 
-
Nous venons juste d' entendre dire que 113 libido pri-
mitive avait ete sexuelle; voila pourquoi on en avait 
fait un equivalent de l'energie psychique; et mainte-
nant nous lison5 que l'energie psychique a toujours dO 
se manifester, jusqu'a un certain degre, egalement 
comme pulsion d'auto-conservation. Mais avec cela, 
toute illusion m~me d'un bien-fonde a identifier ener-
gie psychique et libido, tombe. Formulation qui heurte 
de front l'usage de toute la terminologie scientifique. 
MArne 5i nous mettons a niveau egal libido et "volonte" 
selon Schopenhauer - ce que Jung fait volontiers - Ie 
terme est inadequat. Car Schopenhauer con<;oi t la vo-
lonte d' un point de vue purement metaphysique; ilIa 
distingue fondamentalement de la volonte phenomenolo-
gique. Or Jung parle d' un point de vue phenomenolo-
gique. Et Is Schopenhauer connatt, on Ie sait, volante 
et representation, dont la janction constitue Ie monde. 
Pour rendre plausible, entre autres, qu'il faille 
identifier libido et energie psychique et concevoir la 
libido selon la loi de la conservation de l'energie de 
Robert Mayer, qui veut qu' el1e ne change que dans ses 
modes d I appari tion et non quanti tati vement, Jung di t 
litteralement : 
20 
"Ces indications peuvent nous donner a 
penser que peut-@tre, 113 somme de libido 
serait toujours Is meme et qu'elle n' 
augmentersit pss considerablement au 
seul moment de la maturation. Cette 
hypothese quelque peu audacieuse s I ap-
puie mani festement sur Ie modele de la 
10i de la conservation de l'energie, 
selon laquelle la somme d'energie reste 
touj ours la meme. lIne serai t pas im-
pensable que Ie point culminant absolu 
de la maturation ne puisse etre atteint 
que si les utilisations auxiliaires 
infantiles de la libido debouchent petit 
a petit sur Ie canal unique de la se-
xualite definitive et sly eteignent". 
Ainsi Jung affirme donc qulil est possible que l'homme 
adulte ait garde autant d'energie que lorsqu'il etait 
nourrisson, parce qu I en effet, la somme d I energie ne 
peut varier. Je ne trouve pas ce point de vue ilauda-
cieux"; il n'y a meme pas lieu de s'y arreter. Cette 
comparaison que Jung fait avec la loi de 113 conserva-
tion de I' energie revele simplement qu' il n I a appa-
remment rien compris au sens de cette loi. 
0' apres ces explications, il nous faut refuser avec 
force l'extension de 113 notion de libido chez Jung et 
voir - avec Freud - dans la libido, la manifestation de 
21 
l' energie psychique qui se presente sous la forme de 
poussee, energie qui sert au maintien et a un deve1op-
pement progressif, tant de l'espece que de 1 'individu. 
Clest sous la forme de la capacite a une sublimation 
toujours plus elevee de la sexualite que no us appre-
hendons la tendance a l'epanouisse~ent. 11 ne faut 
certes pas entendre par 18 que l'energie libidinale se 
trans forme en energie intellectuelle, rna is au con-
traire, quia l'activite intellectuelle s'ajoute une 
force pulsionnelle erotique qui stimule, so us la forme 
d'aspirations, l'activite intellectuelle, mais qui 
n I est cependant pas encore la forme de mani festation 
intellectuelle telle que Jung, apparemment, la concoit. 
Ceci aussi est possible, a condi tion de parler d I une 
translation de la libido, et non d I une sublimation. 
Freud exprime tres pertinemment notre pen see avec ces 
"supplements libidinaux", et i1 a reconnu tres juste-
ment, comme Platon avant lui, que de ces supplements 
libidinsux depend tout notre effort pour instaurer la 
culture. 5i Is stimulation erotique, qui se manifeste 
dans Ie devouement sans partage a une cause, venait a 
manquer, tout Ie travail intellectuel s I en trouverai t 
paralyse. L I homme serai tune machine 8 penser dont Ie 
foyer est eteint. Cette force de la pulsion est per-
manente chez I' homme. Elle sert a favoriser les rela-
tions sexuelles qui, naturellement, sont egalement 
reglees par des facteurs organiques, comme elle sert ~ 
pousser I' homme vers la realisation intellectuelle 1a 
plus haute. II semble tout simplement evident quia des 
22 
degres inferieurs du developpement, la vie pulsionnelle 
sert principalement la sexuali te, mais -qu' au cours du 
developpement philogenetique et ontogenetique 131113 
devient egalement feconde pour des activites nouvelles. 
Cependant, pour parler comme Freud, la pulsion reste 
toujours cet etat de tension specifique dont la masse 
se fai t lourdement sentir; ce trai t de la pulsion en 
est la marque premi~re et peut-!tre unique. Platon 
nomme cette pulsion Eros et Freud, partant de la tra-
duction latine, la nomme (helas!) libido. Je dis helas, 
car - a ce qu'il me semble -, il a change tout de m!me 
sans necessite la terminologie traditionnelle. La pul-
sion ne s I appelle en effet libido que quand 131113 se 
presente en liaison avec la vie sexuelle, mais non en 
tant qu'elle favorise les autres facettes de notre 
aetivite intellectuelle. Or Ie nom d'une chose et 
nous devons cette eonnaissance au biologiste Uexkuell 
(16) - est determine par sa fonetion. Une chose peut 
recevoir un nom different quand 131113 sert d'autres 
fins. La phrase.: ee wagon de chemin de fer est ma 
maison d'habitation illustre en quelque sorte la pensee 
d'Uexkuell. En revanche, Ie mot Eros signifie pour 
Platon la pulsion dans son sensIe plus large; certes, 
cette signification a subi des modifications au cours 
du developpement - et aous l'influence d'une interpre-
tation un peu prude de Platon - et Ie mot Eros est 
davantage limi te a la "pulsion philosophiqe". Malgre 
cela, je crois que 1'emploi du terme Eros est plus 
adapte a la terminologie que Ie terme libido. Mais ce 
16 Elements pour una vision biologique du monde, 
1913. 
23 
n I est qu' une question de vocabulaire completement in-
signifiante. Sur Ie fond, je suis totalement dlaccord 
avec Freud. 
II 
Nous croyons que nous sommes parvenu ~ exposer la 
theorie freudienne de la libido et sa genese dans leurs 
grandes lignes, telles qu' elles servent nos fins. Et 
maintenant, nous pas sons a la presentation de la theo-
rie de l'Amour chez Platon, qui offre une ressemblance 
frappante avec la theorie psychanalytique de la libido. 
Nous sommes pleinement conscient des dangers qulil y a 
a comparer une theorie contemporaine, nee dans de tout 
autres conditions, a une theorie de l'Antiquite; noue 
savons combien no us sommes facilement portes a adapter 
la theorie de I' Antiqui te a la theorie contemporaine, 
afin d i en souligner les concordances. Eduard Zeller a 
mis en evidence, dans un bel essai, Ie contresens qu'il 
y a a voir, par exemple, dans les representations my-
thologiques d'Empedocle, une anticipation du darwi-
nisme. Sans doute sont-elles comparables en bien des 
points, mais on ne peut pas veritablement parler d'une 
anticipation de la pensee darwinienne. lorsqu'a la 
lecture de Platon, la similitude entre sa theorie de 
24 
I' Amour et 18 theorie de la libido chez Freud s I est 
imposee a moi, je me suis vu, au souvenir de-l'essai de 
Zeller, dans I I obligation de proceder a de nouvelles 
confrontations. 5i, malgre tout, je suis personnelle-
ment convaincu qu'il y a effectivement chez Platon una 
extraordinaire anticipation de certaines idees freu-
diennes, c' est parce que les fai ts m' y ant cantraint. 
Pour creer les conditions d I une confrontation comple-
tement inattaquable, je donne dans ce chapitre une 
description p~rement philalogique de la theorie de 
I' Amour chez Platon; mais avant tout, je laisserai la 
parole a ce dernier. 
L'Eros, au sens large, n'est pas, d'apres Platon, 
l'apanage de quelques privilegies, mais il est propre a 
tout ce qui il y a de vivant dans Ie nature. II est 
pulsion d' immortali te, qui se mani feste non seulement 
chez les hommes, mais chez tous les ~tres vivants. Nous 
disons aussi, tout a fait dans Ie sens de notre phi-
losophe l' Eros est pulsion de conservation de I' es-
pece, et, comme nous Ie verrons egalement, pulsion de 
developpement progressi f, telle que nous l' observans 
dans la nature. Cette pensee est traduite sans ambi-
guite par les paroles suivantea : 
"5i tu crois donc que l' amour (e p 0«;) de 
nature, tende vel'S ce sur quoi nous nous 
sammes deja mis d'accard, ne t'en etanne 
pas. Car ici, comme la-bas, la nature 
mortelle cherche, autant qu I el1e Ie 
25 
peut, a exister sans cesse et a 
immortelle. Mais elle ne Ie peut que 
la procreation, dont Ie resultat est 
toujours un autre jeune demeure a 
place d'un vieux". 
etre 
par 
que 
Ia 
lci, Platon· identifie tout simplement Eros et pul-
sion de propagation et il y voi t, pour autant qu' elle 
se manifeste comme sentiment amoureux, Ie versant psy-
chique de la pulsion de conservation de l'espece. Mais 
il ne borne pas la pulsion au seul domaine du corps. 
Tout comme . il existe dans la nature la tendance a 
maintenir l'etre vivant par une procreation renouvelee 
aI' infini, de ··.la meme maniere, ce qui releve de I' 
esprit est sans cesse soumis au changement dans Ie 
monde sensible; mais justement, par cela-meme, il est 
immortel. L'~me elle aussi aspire a produire, et elle 
Ie fait sans cesse. Ainsi Platon concoit l'Eros comme 
pulsion de procreation et comme pulsion de creation au 
sens Ie plus large; peut-@tre ml3me Ie concoi t-il, pour 
s'exprimer avec plus de justesse encore, comme la pul-
sion de vie de toute la nature. Tout vouloir procreer 
et creer, soi t que la pulsion se mani feste par Ie rut 
des animaux, soi t qu' elle se mani feste par la poussee 
creatrice de l' artiste, entre chez Platon dans la no-
tion d'Eros : 
"Quel est donc ton avis, Socrate, sur ce 
que serai t la cause de· cet amour et de 
ce desir? Et ne t'apercois-tu pas de 
26 
l'tHat violent dans lequel se trouvent 
pris tous les animaux, lorsqu' ils sont 
avides de s'accoupler, qulils soient 
ailes ou non ailes; combien aussi pa-
raissent-ils tous malades et amoureux, 
dlabord quand ils s'unissent l'un a 
l' autre et puis, plus tard, a propos de 
I' education de la progeni ture; combien 
egalement les plus faibles sont pr~ts a 
defendre celle-ci contre les plus forts 
et prets a mourir pour 9a ••. Car des 
hommes, on pourrai t dire qu' ils Ie fe-
raient avec reflexion; mais quelle peut 
etre la raison pour laquelle les animaux 
se montrent 8i amoureux, peux-tu me Ie 
dire?". 
Ces extraits nous montrent que Platon identifie com-
pletement Eros et pulsion sexuelle. Mais l'activite de 
reproduction nlest qu'un des modes de manifestation de 
l'Eros. Chez l'homme, l'Eros apparait differemment : 
"Maintenant, ceux qui - continua Diotime 
- trouvent plaisant de procreer selon Ie 
corps se tournent plutOt vers les femmes 
et c' est de cette maniere qu' ils sont 
amoureux, en se procurant - pensent-ils 
par la generation d I enfants, immor-
talite, place dans la memoire des autres 
et bonheur beat, pour to us les temps a 
27 
venir. Mais ceux qui trouvent plaisant 
de procr~er selon I'Ame - carce~tes, il 
en existe qui ant aussi 113 force d'en-
fantement dans I' Ame beau coup plus que 
dans Ie corps - se tournent vers ce qui 
est Ie rOle de I' Ame, 8 savoir d I etre 
par 18 f~cond~ et enfant~". 
On pourrait alaI's interpr~ter Platon comme s'il con-
siderait 113 poussee cr~atrice de nature essentiellement 
differente, selon qu'il s'agit de l'Ame au du sexe, ce 
qui peut eventuellement se justifier par Ie fait que 
Platon tient Ie spirituel pour, de loin, plus ~leve. 
Mais il souligne clairement, a plusieurs reprises, que 
l' Eros, comme pulsion, n' est pas du domaine de I' eva-
luation, car nul predicat de valeur d' aucune sorte ne 
peut lui etre attribu~ en tant que tel. II n'est ni 
beau ni bon ni laid, ni sage ni d~raisonnable. II ne 
porte pas sa valeur en soi, mais il Is tire bien plus 
du but vers lequel il tend et des oeuvres nees de son 
aspiration(17). Pour Platon, il est franchement absurde 
de parler d' une pulsion laide ou belle; on peut seu-
lement dire de la pulsion qu'elle tend vers Ie beau ou 
vers 113 laid. La pulsion en soi est invariable; elle 
s'adresse tantOt au monde du corps, tantOt au monde de 
l'esprit. 
Par cela, Platon a reconnu l'aptitude de l'Eros a la 
sublimation. 
17 S.C. Botticher - Eros et connaissance chez Platon, Berlin, 
1894. 
28 
II distingue trois sortes de sublimations qulil qua-
lifie de "degr~s" d'~panouissement. Mais cette grada-
tion de valeur ne porte que sur les objets vers 1es-
quels se tourne l'Eros, et non sur l'Eros lui-m~me. 
Au stade de pre-sublimation, l' Eros humain 5e dis-
tingue peu de celui des animaux. Le desir est eveille 
par Ie stimulus externe; il met l'homme dans un etat de 
trouble particulier et dans un emoi incontrolable qui 
ne s I apaise que quand l' homme a reussi a accomplir 
l'acte de procreation. A ce stade, l'homme,dans sa vie 
sexuelle, se distingue encore peu de l'animal : 
"Mais qui nla pas encore de souvenir 
recent, ou qui n'est pas deja corrompu, 
celui-la ne s'elance pas vite, ici-la-
bas, vers la beaute elle-meme quand il 
se rend compte de ce qui, ici-bas, en 
porte Ie nom; c I est la raison pour la-
que lIe il n' eprouve aucun respect pour 
ce spectacle, mais, adonne au plaisir, 
il voudrait engendrer comme un animal".Alors que, selon son ethique, Plat on , dans Ie Phedre, 
condamne donc ce comportement, c I est en vain que nous 
cherchons, dans Le Banquet, un semblable jugement pe-
joratif. La, au contraire, toute procreation reI eve du 
divin : 
-
$ 
29 
"L'union de l'homme et de Ie femme est 
l'enfantement. Et clest quelque chose de 
divin, at c'est ce qui est immortel dans 
les @tres mortels; Ie desir de creer et 
la creation". 
Dans l'oeuvre entiere, toute tendance moralisatrice 
cede Ie pas a 11 eloge de l' art, tandis que dans Ie 
hedon, au contraire, toute sensuali te est per~ue com-
me une tare. 
Quand et comment slengage pour Platon, Ie processus de 
sublimation? Qu'est-ce qui pousse donc l'Eros a ne plus 
se satisfaire de la procreation physique? Platon ex-
plique ce fait par Ie developpement progressif de l'es-
pri t humain qui, dans un premier temps, apprend degre 
apres degre a percevoir les choses de l'ftme en tant que 
choses tangibles qulil proposera comme but a l'Eros. 
Au degre Ie plus bas du developpement, Ie savoir de 
l'homme ne differe pas encore du savoir animal; c'est 
pourquoi 1 I Eros humain ne peut tendre a autre chose 
quia ce savoir la. Ainsi est-il dit ans Ie Theetete : 
liNe pas ressentir ce fait comme vrai, 
cela est deja, de nature, Ie propre des 
hommes et des animaux des qu' ils sont 
nes, 
qui 
que lIes que soient les impressions 
parviennent a l'~me a travers Ie 
corps". 
30 
La ou la cannaissance n' a pas depasse Ie stade de la 
perception passive, l'Eras ne peut pas vraiment se 
tourner vera les chases superieures. Mais a c8ts de Is 
perception sensuelle, Is poasibilite d'apprehender 
egalement Ie spirituel est donnee a l'homme developpe, 
et si la nature l' a douB de sensibili te pour les pro-
ductions de l' ame, I' Eros se tourne alors plut8t vera 
celles-ci. Ainsi depend-il enti~rement du "guide de 
llame" c'est-a-dire de la raison, que l'Eros s'el~ve en 
partant du degre Ie plus bas. 
11 aurait ainsi atteint une premiere forme de subli-
mation. Pourtant eela ne signifie pas encore, pour 
Platon, I' abandon du sensuel. Bien plus, une synthese 
entre Ie sensuel et Ie spirituel a lieu : 
"Par consequent, dans sa poussee, se 
sent-il plus attire vers Ie beau corps 
que verso Ie ~orps laid, et s'il rencon-
tre une ame belle, noble et douee, se 
sent-il alors pleinement attire par une 
telle union du corps et de l'ame". 
Dans Ie fait de reconnaltre et de preferer les choses 
de l'ame, Platon voit Ie premier mouvement important de 
la pulsion vers Ie haute Ce degre est aussi caracterise 
par l' e ffet qui resul te du moment au I' Eros se tourne 
vers les choses de l' ame. Platon soutient d' un bout a 
l'autre ce point de vue, que la production de l'esprit, 
31 
131113 8ussi, n'est possible que lise a d'autres produc-
tions de l' espri t. II faut d' abord qu' une sarte de 
fecondation de l'esprit ait eu lieu pour qu'une oeuvre 
puisse mOrir. C'est pourquoi les productions de l'Eros, 
au premier degre de la sublimation, sont, par nature, 
des productions de l'esprit : 
!lEt en presence d'un tel homme, il est 
aussit6t riche en discours comment 
doi t etre l' homme excellent, que faire, 
et il entreprend de Ie former et de l'e-
duquer". 
Ici, Platon fait allusion a l'amour des ephebes qui a, 
comme on Ie sai t, droi t de ci te au meme ti tre que 
I! amour des femmes; de plus, dans Le Banquet, il Ie 
tient meme pour plus eleve encore que ce dernier. le 
hedre nous apporte une description hautement poetique 
de cet amour, si net tement contre-nature pour notre 
sensibilite actuelle : 
II Des lars, quand il fait cela un assez 
long temps, et quand il Ie frequente et 
qui il a des contacts avec lui dans les 
gymnases, et en d' autres circonstances, 
il arrive a la suite de cela que Ie 
jaillissement de cette source, que Zeus, 
parce qulil aimait Ganymede, nommait 
desir ardent, s I ecoule abondamment vers 
I' amant et penetre en partie en lui; a 
32 
son tour, quand l' amant est plein, una 
autre partie s'ecoule hors de lui ••• 
Ainsi, par ce repos ensemble, Ie cheval 
indompte de I' amant doi t tenir to utes 
sortes de propos au conducteur et, pour 
ces nombreuses peines, il demande au 
moins une courte jouissance. Le cheval 
de l'aime nia rien a dire, mais dans sa 
poussee de desir, et a peine conscient 
de soi, il enlace I' amant at lui donne 
des baisel's". 
Platon - at cela est significatif - nomme cet amour 
lJo. v i 0. et c' est en propos saisissants qu 'iI loue cette 
folie d' amour (peut-LHre sussi frenesie d' amour). II 
trouve que cet amour va de soi et qu'il est hautement 
estimable. Pour lui, la "bisexualite" de la pulsion 
eta i t un fait sou 'len t 0 b s e r v e -e tp 13 U t - @ t rea u s s i un e 
experience personne11e. Que l'Eros se tourne vers 
l'homme ou vel'S la femme est plus, a proprement parler, 
une affaire de goat et de culture, selon Platon, et il 
laisse son favori - Alcibiade - faire un rapport de-
taille de ses relations homosexuelles avec Socrate. 
Ceci devrai t nous amener a no us demander si la forte 
aversion actuelle envers l'homosexualite n'etait pas a 
mettre au compte de la culture et de l'education. 
Dans Ie Phedre, I' amour pour les ephebes coincide 
encore avec la pulsion philosophique(18); Le Banquet en 
revanche, les separe rigoureusement. 
18 Eduard Zeller - La philosophie des Grecs. 
33 
Dans la pulsion philosophique, Platon voit une nouvelle 
sublimation de la pulsion de conservation de l'espece. 
Pour lui, il n I y a pas Ie moindre doute que I' Eros 
-qui, a un degre de developpement peu eIeve ne se ma-
nifests que sous forme de cette poussee sexuel1e - peut 
aussi se mani fester comme pulsion apprehendant I' abs-
trait. 
Certes, tout homme developpe qui a aime un autre ~tre, 
et pas uniquement par les sens, devrait pouvoir su~vre 
sans difficulte l'expose de Platon sur la premiere 
forme de sublimation, puisque chacun la connatt assu-
rement par experience. Il est deja plus di fficile de 
concevoir I' Eros comme pulsion philosophique ou comma 
amour pour l'abstrait. II semble que Platon l'ait pree-
senti et c'est sans do ute pour cela que Diotime intro-
duit cette gradation par les mots suivants : 
"Maintenant, 6 Socrate, tu peux ainsi 
etre initie egalement aux secrets de 
l'amour; mais es-tu capable d'acceder a 
la plenitude et a la vision du terme ou 
tout cela condui t si quelqu' un fai t 
bien la chose - Ca je ne Ie sais pas". 
L' homme doue pour la philosophie se distingue des 
autres en ce qu'il ne se satisfait pas des impressions 
isolees - qu'elles soient de l'o~dre de la sensation ou 
de l'ordre de l'intellect - mais en ce qulil cherche a 
34 
apprehender ce qui est commun dans les entites consi-
derees iso1ement; et i1 apprehende ainsi, par Ie voie 
de I'abstraction, Ia notion au l'essence de nombreuses 
entites qui forment un genre 
"Car un homme do it comprendre, selon les 
genres, ce qui est exprime at qui se 
degage comma une chose unique resultant 
de nombreuses perceptions assemblees par 
I' entendement". 
Le particulier n' a de signi fication, pour Ie philo-
sophe, que dans Is me sure ou il lui permet de trouver 
I'universel; et croit-il l'avoir trouve que Ie psrti-
culier perd alors tout inter~t pou.r lui. C' est vers 
I'idee abstrai te cependant - qui tHai t Ie but de 10n-
gues peines que se tourne, avec d' autant plus de 
force, l'attention; contempler ce qui fut si penible-
ment trouve s' accompagne de vives sensations de 
plaisir. Cela fut lourd de consequence psychologique 
pour l'histoire de la philosophie occidentale. De tels 
sujets de pensee acquierent une forte valeur de realite 
et Ie penchant ~ objectiver les idees abstraites et a 
les projeter, comma realites independantes et detachees 
de la psyche, dans l'univers, se developpe. Platon 
avait dej~ reconnu cela quand il dit 
"En effet l'~me de chaque homme, des 
l'instant au 131113 serejouit vivement ou 
s'attriste sur quai que ce soit, est 
35 
forcee egalement de croire que ce qui 
lui arrive est Ie plus efficace et Ie 
plus vrain. 
Nous ne voulons ni ne pouvons ici resoudre cette ques-
tion encore vivement controversee, ce qui equivaudrait 
a una projection de l'idee abstraite Platon a-t-il 
con~u les idees comme des normes ou comme des entites 
transcendantes? quoiqu'il en soit, il est de fait que 
tout son vouloir philosophique etait dirige vers l'ap-
prehension des idees et qu'il a mis a certains moments 
tout son Eros au serv ice de I' oeuvre de sa vie. Et il 
les aimai t ses idees, et il etai t consume"" d' un dou-
loureux desir dlelles comme seul un jeune homme grave 
et ardent peut etre consume dlamour pour sa bien-aimee! 
Cette force de la pulsion agissait sur la pensee 
abstrai te en la stimulant et en la fecondant; pen see 
qui prenait tant de cette force qu'il restai t peu de 
chose, sinon rien, pour aucune autre forme de manifes-
tation. Una SUblimation aussi complete ne pouvait reus-
sir que grAce a des dons intellectuels hors du commun. 
Tout son Eros se tournait vers Ie monde des idees qui 
,.. , .. 
etait pour lui, Ie OVTWc; 0\1', l'cHant par excellence. 
Puisqu'il etait etabli, pour Platon, que les chases 
terrestres sont les reflets des idees, ainsi croyait-il 
que toute beaute, iei, sur terre, eveillait en lui Ie 
desir de ce " vra i" monde-la. C' est la description a 
caractere universel d tune experience arotique person-
nelle, quand Platon s'exclame : 
36 
"Mais qui nla pas encore de cons6cration 
recents en soi et a contemple de bien des 
manieres les choses qui avaient lieu a 
une autre epoque quand il decouvre un 
visage semblable aDieu, ou la forme dlun 
corps qui represents parfaitement Ie 
beaute, alors il fremit et quelque chose 
de ses angoisses de jadis Ie reprend; 
ensuite, il lladore en Ie regardant comme 
si c'etait un dieu; et s'il ne craignait 
pas une reputation de I folie exageree', 
il sacrifierait alaI's au favori eomme a 
una image sainte ou a un dieu". 
II est persuade que ce n I est pas la personne du bel 
ephebe qui l'entralne vel'S cette "folie exageree", 
mais, en definitive, Ie rappel de l'idee du Beau en soi 
susci te a cet te vue. Ce n I est pas a I' ephebe qu' il 
veut sacrifier, mais a l'idee du Beau incarne par l'ai-
me(19). Et c'est en renon9ant justement au particulier 
et en s' embrasant pour Ie Beau en soi, qu' il fait de 
son Eros un objet philosophique. 
lei commence l'effort conscient pour depasser les 
donnees qui nous viennent des sense Alors qu'au premier 
degre de sublimation, Ie Beau sans les sens ne peut pas 
du tout ~tre pris en consideration, l' homme doue pour 
la philosophie slest construit l'ideedu Beau, libre de 
toute incarnation. L'Eros se tourne a present vel'S une 
19 II va de soi qu'il slagit ici d'une rationalisation. 
37 
production psychique qui presuppose, comme etant placee 
sur Ie premier degre de sublimation, une activite in-
tellectuelle incomparablement riche. En realite, il est 
faux de parler d' une sublimation de la pulsion. Ce 
n I est pas la pulsion qui a ete sublimes, c I est son 
objet. Et nous sommes alors autorises a accorder une 
plus grande valeur a la deuxieme forme de sublimation. 
Quand Ie monde des idees a ete apprehende, I' Eros 
- " .. tend a se les approprier, comme KT'I1~O: &1«;; 0:&1 et a 
ne pas les laisser tomber dans l'oubli. Pour cela, 
l'amant-philosophe ne doit pas rel~cher son effort, il 
do it sans cesse s' exercer aux idees et, en premier 
lieu, a l'idee du Beau; il doit decanter et epurer 
celle-ci, et il doit clarifier parfaitement Ie rappel 
de l'idee contemplee dans I' ~tre-la (20) preexistant. 
Abstraire est une activite incessante, toujours ranimee 
par l'Eros, et qui doit constituer la vie du philoso-
phe. En s'adonnant a lacontemplation du Beau, il doit 
renoncer aussi bien aux ~mes dans leur singularite 
qu'aux corps dans la leur, ainsi qu'aux donnees sin-
g u 1 i ere sac c e s sib 1 e s au s a v 0 i r (e TTl (1 T ri ~ '11 ); par con t r e , 
il doit chercher a apprehender Ie Beau qui est commun a 
tout cela. Ainsi celui qui, pousse par l'Eros, progres-
sant d'abstraction en abstraction, renonce a tout con-
tenu, m~me possible, et qui cherche de toute son ~me a 
apprehender l'idee du Beau en soi, auquel certes chaque 
beau singulier participe, mais qui' n' est elle-m~me con-
tenue dans aucun beau particulier, celui-la peut voir 
20 Dasein (N.d.T.) 
38 
son voeu se realiser soudain, il peut contempler objec-
tivement l'Etre Supreme et sly ablmer. A ce point re-
sonne la langue de la mystique la plus pure : 
"Celui qui, en effet, slest eleve jusque 
18 dans l'amour, decouvrira soudain 
quelque chose de merveilleusement beau 
par nature, a savoir 
lequel il a fait to us 
cela meme pour 
ces efforts jus-
qulici, qui existe toujours des l'abord, 
qui ne nai t pas ni ne passe, qui ne 
grandit pas et ne disparalt pas ••• Et 8 
ce stade de la vie, /) Socrate, si 131119 
apparait quelque part 8 I' homme digne 
d I etre vecue, c' est 18 ou il voi t lui-
meme la beaute ••• Penses-tu vraiment 
qulil aurait une vie mediocre, celui qui 
regarderait dans cette direction, qui 
decouvrirait cela et sly consacrerait?" 
Nous percevons clairement Ie ton fortement erotique, la 
sensation de plaisir fortement erotique qui saisi t Ie 
philosophe 8 cette idee. 
L'Eros et la Connaissance sont en etat de dependance 
mutuelle. La pulsion eperonne la pen see afin que celle-
ci poursuive inlassablement son activite dlabstraction 
et apprehende Ie Bien ou Ie Beau en soi, tandis que ce 
dernier designe a l'Eros des buts toujours plus eleves; 
et l'energie amoureuse - qui au degre Ie plus bas ne se 
tourne que vers les sens - mene en dernier lieu a l'ob-
jet de la pensee Ie plus haut et Ie plus etendu. lei Is 
pen see et l' Eros sont devenu UN ou mieux l'Eros a 
atteint son but, tout au moins sur Ie mode hallucina-
toire, et il est satisfait. L'homme, habib~ par I' 
Eros, a reconnu Ie Beau en soi - pour Plat on synonyme 
de divin(21) - il l'a contemple, il l'a "touche" et il 
s' est fondu en lui. Ainsi Ie di t-il, de facon tout a 
fait mystique dans La Republigue 
Dans ce lieu je me plonge-
Cela fait un avec moi 
Je suis, lor que j'y pense 
Comme Dieu, la source de l'@tre(22). 
L' amant a atteint son but; il est devenu Un avec 
l'aime. 
Platon voit dans· l' amour pour Ie divin la forme de 
sublimation la plus haute, car la capacite d' abstrac-
tion la plus intense y est exigee. Mais Ie chemin vers 
cet amour passe toujours par les deux degres anterieurs 
de sublimation, qui partent des belles chases d'ici-
bas 
"Comme pour les degres, de l'un vers Ie 
deux et de deux vers taus les beaux 
corps, et des beaux corps aux beaux 
aetes, et des beaux aetes aux belles 
21 Voir notre these Vers la Psyehologie de l' expe-
rience mystique - Berne, 1915. 
22 D'apres E. Rohde - La Psyche, II 294. 
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connaissances, jusqu' a ce que, de ces 
connaissances, i1 accede en fin a la Con-
naissance, qui n'est connaissance en 
rien d'autre que celIe du Beau et qu'il 
connaisse enfin Ie Beau lui-mAme". 
A chaque etape du processus de connaissance, la pul-
sion porte sur quelque chose de plus proche et elle 
est, dans cette mesure, sublimee. 
Pour resumer brievement, il a ete possible de recon-
naitre l'Eros platonicien comme pulsion de conservation 
de l'espece et pulsion d'un developpement progressif, 
qui se manifeste dans la vie amoureuse; et selon 
l'objet auquel s'adresse l'amour, il se presente aous 
les quatre formes de manifestations suivantes : 
1. L'Eros sensuel 
2. L'Eros spirituel (tourne vel'S l'individu) 
3. L'Eros philosophique (tourne vel'S l'abstrait) 
4. L'Eros"mystique (tourne vel'S Ie divin). 
Hormis cet amour, Platon ne connait pas d'amour. 
L' Eros et l' amour que ce soi t I' amourdes parents 
pour les enfants et vice-versa, que ce soit l'amour de 
l'homme pour la femme, que ce soit l'amour de l'art et 
de la science, que ce soit l'amour de Dieu - sont iden-
tiques - Seul l'objet change, pas l'amour. Voila pour 
Platon! 
41 
II nous reste encore a sQuligner brievement les 
points communs des deux theories. Nous ne pouvons natu-
rellement pas oublier qui i1 y a, entre les deux au-
teurs, un intervalle de plus de 2000 ans. C' est la 
raison pour laquelle les correspondances ne peuvent 
@tre faites que sur des traits generaux de la theorie. 
E t m a i n ten ant , i I est in t ere s san t de t r 0 u v e r c he z 1 e 
fondateur de l'Academie, au scandale d'un si grand 
nombre de personnes sorties de l'Universite, to utes les 
extensions que Freud a apportees pour la conception 
usuelle de la libido. 
Tout comme Freud, Platon voit dans la pulsion de 
conservation de I' espece et dans les fonctions psy-
chiques qui lui sont reliees, l'essence de l'amour. Le 
penseur grec applique egalement l'Eros a l'enfant et il 
voi t dans l' amour des parents pour les enfants et 
reciproquement Ie m@me Eros qui regne entre deux 
personnes mares de se~e different. 
La theorie de la sublimation de Freud est deja tres 
detaillee chez Platon et de plus, La Republigue apporte 
un enseignement pedagogique qui reste encore a exploi-
ter , pour mettre la sublimation de l'Eros sur la bonne 
voie. 
Tout comme il est ab~urde de dire que Platon sexualise 
I' homme et ne voi t dans les fonctions religieuses les 
42 
plus sublimes rien d'aut1'e qu'une sexualite plus 1'af-
finee, il est absu1'de de faire ce m@me reproche a 
Freud. Mais taus deux font deriver les realisations 
culturelles les plus elevees de la pulsion de conser-
vation de l'espece. 
Nous voyons ainsi 
chez Freud, objet 
precurseu1' dans Ie 
grec, qui en avait 
haute importance. 
comment la theorie de 
de tant d'hostilite, a 
plus grand penseur et 
anticipe les decouvertes 
la libido 
trouve un 
moraliste 
d'une si 
Traduction: Petra MENZEL - Micheline WEINSTEIN 
avec 
, 
Gilbert BORTZMEYER Solange FA LADE 
Michele LOHNER-WEISS et Pro Maurice 
COLLEVILLE. 
PARIS 1984. 
La documentation psychanalytique 
document de travail-cahier N'5 
association regie par la loi 1901

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