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MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021 77E ANNÉE – NO 23906 3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA SCIENCE & MÉDECINE SUPPLÉMENT LE MÉCANISME PSYCHOLOGIQUE DES FAUX AVEUX Pouvoir d’achat : l’évolution du niveau de vie des Français depuis 2017 la politique économique du gouvernement a favorisé le pou voir d’achat des actifs et des plus riches, selon une étude de l’Insti tut des politiques publiques. Cette évaluation approfondie des conséquences, sur les ména ges comme sur les entreprises, des mesures fiscales et sociales du quinquennat pointe que presque tous les Français ont vu leur niveau de vie augmenter, de 397 euros par an en moyenne (+ 1,6 %). Presque tous… car l’organisme indépendant relève l’exception notable des 5 % de ménages les plus modestes qui, eux, ont vu le leur reculer jusqu’à 0,5 %. LIRE PAGE 14 1 ÉDITORIAL LE MIRAGE DE L’INFLATION PAGE 35 L’entretien vidéo de plus de trois heures entre Xi Jinping et Joe Biden visait à organiser les règles de la compétition et éviter une confrontation ouverte PAGE 7 Diplomatie Biden et Xi tentent de surmonter leurs divergences Primé à Cannes, le long métrage du Thaïlandais scrute le dérèglement des sens. Focus sur les autres sorties de la semaine PAGES 27 À 30 Cinéma « Memoria », de Weerasethakul, un voyage au cœur du rêve Spécialiste de la gouver nance climatique, Stefan Aykut estime qu’on attend trop des sommets, quand le changement doit être mûri dans la société PAGE 12 Climat « Les COP ne sont qu’une chambre d’enregistrement » La chasse, débat de société et enjeu politique ▶ Sur fond d’accidents, les relations se tendent entre les chasseurs et les promeneurs, dans un pays qui détient le record du nombre d’espèces chassées ▶ Les candidats à la prési dentielle courtisent ce million de voix qui peu vent constituer l’appoint nécessaire à une qualifica tion au second tour ▶ L’absence d’un candidat issu de leurs rangs auto rise les convoitises de cet électorat pluriel qui ne vote pas systématique ment à droite ▶ A condition de ne pas effrayer les tenants de la protection animale, de plus en plus présents à gauche et chez les écologistes ▶ Macron a à son actif la baisse du coût du permis, et son gouvernement compte de nombreux défenseurs de la chasse PAGES 8 À 11 MIGRANTS : LA BIÉLORUSSIE TEMPORISE, L’UE SANCTIONNE Des réfugiés, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, le 15 novembre. OKSANA MANCHUK/BELTA/REUTERS ▶ Loukachenko se dit prêt à assurer le retour des 2 000 à 3 000 migrants dans leur pays ▶ Poutine convient de la nécessité d’une « déses calade » entre Minsk et l’UE, mais sur le front ukrainien le dialogue de sourds perdure PAGES 2 ET 4 VU PAR URI FINK (ISRAËL) CARTOONING FOR PEACE PUBLIÉ DANS LE « MAARIV DAILY », LE 15 NOVEMBRE Rail Avec l’ouverture à la concurrence, des startup réinventent le train PAGE 24 Education Les élèves retrouvent leur niveau d’avant le Covid PAGE 20 Tribune Plaidoyer pour un « pacte de refondation démocratique » PAGE 34 Loger mieux et moins cher… Au cœur de la révision du plan local d’urbanisme, la question de la densification divise PAGE 21 Urbanisme Les discussions sur le Paris du futur prennent un tour politique ET SI RÉUSSIR C’ÉTAIT TRANSMETTRE AUTREMENT ? #FINANCE DURABLE Imaginons l’avenir 2 | INTERNATIONAL MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123 L’UE sanctionne, Loukachenko temporise Merkel a évoqué la crise migratoire avec le dictateur biélorusse, Poutine a parlé de « désescalade » avec Macron bruxelles bureau européen L a chancelière allemande,Angela Merkel, s’est entretenue par téléphonedurant une cinquantaine de minutes avec le dictateur biélo russe, Alexandre Loukachenko, lundi 15 novembre au soir. Les deux dirigeants ont, selon un por teparole du gouvernement alle mand, évoqué « la situation diffi cile » à la frontière polonaise, où de 2 000 à 3 000 migrants et réfu giés, venus essentiellement du MoyenOrient, instrumentalisés par les autorités de Minsk, tentent en vain, depuis des jours, de péné trer sur le territoire de l’Union européenne (UE). La chancelière et le président auraient aussi parlé de l’aide humanitaire à ap porter à ces personnes, dont huit au moins sont déjà mortes. C’est la première fois que M. Loukachenko conversait avec un responsable européen depuis le début de la crise migratoire et, audelà, depuis l’été 2020, quand il a déclenché une violente ré pression à la suite de sa réélection contestée, qu’aucun pays de l’Union n’a reconnue. Lundi, le président, accusé d’avoir orga nisé un vaste mouvement de mi grants (20 000 à 30 000 d’entre eux auraient débarqué à Minsk) pour se venger des sanctions européennes prises contre lui et son pays, a déclaré vouloir assu rer le retour de ces personnes « chez elles ». Un « travail actif » serait en cours pour tenter de les convaincre. La plupart d’entre el les refuseraient toutefois l’option d’un retour. « Accroître les sanctions » Nouveau coup de bluff du diri geant biélorusse ? Réunis à Bruxelles, les ministres des affai res étrangères des VingtSept s’en sont, en tout cas, tenus à leur pro gramme, en notant au passage que M. Loukachenko leur promet tait toujours des « représailles » et jugeait « absurdes » leurs accusa tions. Les nouvelles sanctions, ba sées sur un nouveau critère – l’instrumentalisation de la migra tion pour en faire un outil d’atta que « hybride » –, seront précisées et annoncées dans les prochains jours. Elles viseront des person nes physiques et morales. Selon Josep Borrell, le haut re présentant européen pour les af faires étrangères et la politique de sécurité, ces mesures restrictives concerneront aussi des compa gnies aériennes et des opérateurs du secteur touristique biélorus ses, ainsi que des agences de voya ges du ProcheOrient. Après la Turquie, les autorités des Emirats arabes unis ont, en tout cas, an noncé lundi que leurs compa gnies n’embarqueraient plus de Syriens, d’Irakiens, d’Afghans ou de Yéménites vers Minsk. « C’est le signe que l’Europe n’est pas impuissante et que ses mena ces de sanctions ont porté », relève Pawel Zerka, chercheur au cercle de réflexion European Council on Foreign Relations. Ce spécialiste invite cependant à la vigilance : « Même si les choses finissent par se calmer, l’Europe ne sera pas en sécurité, tandis que le dictateur Loukachenko, qui joue sa survie, restera en place. Il faudra accroître les sanctions économiques. » Lundi toujours, Emmanuel Macron a parlé par téléphone avec le président russe, Vladimir Poutine. Les deux dirigeants sont convenus de la nécessité d’une « désescalade » à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, selon l’Elysée. Il n’y aurait eu, en revan che, « aucune convergence » entre eux sur l’origine de la crise migra toire à l’issue d’un « long échange » sur ce point. Le président russe, que les Euro péens tentaient depuis des jours d’impliquer dans la résolution du conflit, s’était entretenu la veille avec M. Loukachenko. Selon Paris, il comprendrait désormais la né cessité de mettre un terme à la crise, « en premier lieu dans l’inté rêt des migrants ». Les deux diri geants seraient donc d’accord sur la nécessité d’une désescalade, in cluant le dossier des livraisons de gaz russe, alors que Minsk mena çait de fermer un gazoduc qui passe sur son territoire. Appui de la Russie Le changement de tondu diri geant russe a été rapide. Lundi matin encore, le Kremlin jugeait « erroné » d’accuser le régime de Minsk, tout en déplorant que l’Union européenne « fasse abs traction de ses idées d’huma nisme » en n’aidant pas les mi grants. Interrogé sur le rôle possible de Moscou dans la crise biélorusse et sa possible exploitation du thème, ultrasensible pour les Européens, de la migration, M. Borrell parlait, pour sa part, d’une « hypothèse », lundi. Mais apparemment assez sérieuse à ses yeux, puisqu’il préci sait : « Je ne suis pas dans le secret des discussions entre Poutine et Loukachenko, mais il est clair que celuici agit comme il le fait parce qu’il est appuyé massivement par la Russie, même si elle nie. » A Bruxelles, audelà de la condamnation unanime des pra tiques biélorusses, beaucoup de questions se posent sur l’attitude de la Pologne, qui a déployé 15 000 militaires pour appuyer ses poli ciers et gardesfrontières. Varso vie refuse toujours d’en appeler à Frontex, l’agence des gardesfron tières basée… dans la capitale po lonaise, et dont la mission est no tamment de protéger les frontiè res extérieures de l’UE. « L’interdic tion faite à la presse et aux ONG de se rendre dans la zone empêche, par ailleurs, de mesurer correcte ment la situation des personnes coincées entre barbelés polonais et forces armées biélorusses, cela de vient vraiment problématique », relève une source au Conseil. Refusant toute critique et toute pression au nom de sa souverai neté, le pouvoir polonais tente « La plus grave crise que l’Europe ait connue depuis trente ans » Le président estonien, Alar Karis, s’inquiète du soutien de Moscou à Minsk et des tensions à la frontière entre la Russie et l’Ukraine ENTRETIEN D e passage à Paris, le président d’Estonie, AlarKaris, est à l’initiative de la réunion d’urgence qui s’est te nue aux Nations unies, le 11 no vembre, sur la situation à la fron tière polonobiélorusse. Ce petit pays balte fait aussi partie du groupe des douze pays qui, début octobre, ont réclamé l’édification de murs financés par l’Union Européenne (UE) pour protéger les frontières extérieures. Comment analysezvous la situation à la frontière polonobiélorusse ? L’Estonie se sentelle concernée ? Le fait qu’en Estonie nous n’ayons pas de frontière directe avec la Biélorussie ne signifie pas que nous ne sommes pas concer nés. C’est une question pour toute l’Union européenne, car cela tou che à ses frontières communes et nous sommes confrontés à une véritable escalade depuis quel ques semaines. Nous suivons très attentivement ce qui se passe. Nous avons déjà soulevé cette question devant les Nations unies [jeudi 11 novembre]. J’ai également appelé le prési dent de Pologne. Il m’a répondu qu’il n’avait pas besoin de notre aide, pour le moment. L’essentiel est de bien comprendre qu’il s’agit, non pas d’une question mi gratoire, mais de quelque chose de très orchestré. Nous devons impérativement trouver une so lution, car l’hiver arrive, et il y a, parmi ces migrants, beaucoup de femmes et d’enfants. Quelles solutions préconisezvous ? Il faut plus de sanctions contre le régime biélorusse. Nous fai sons partie des pays qui pensent que des clôtures pourraient être érigées à certains points. Pour l’instant, il n’y a pas de finance ment européen, mais nous en dis cutons au sein de l’UE. De notre côté, nous investissons depuis longtemps dans les nouvelles technologies pour la sécurisation de notre frontière, qui est en par tie la frontière extérieure de l’UE. Pensezvous, comme le premier ministre polonais, que le président russe est derrière la crise migratoire ? Je n’ai pas de documents, bien sûr, mais le président russe veut sans doute envoyer le message qu’il peut déstabiliser l’UE. Les re lations entre la Russie et l’UE sont gelées, et personne ne sait com ment elles vont évoluer. Les mouvements de troupes aux frontières de l’Ukraine, signalés par les EtatsUnis, vous inquiètentils ? Oui, nous devrions tous être in quiets. Une partie de l’Ukraine est déjà occupée par la Russie. Or, il y a de nouveaux mouvements à l’est, des exercices militaires. Cette situation est préoccupante. C’est la plus grave crise que nous traversons depuis trente ans, de puis notre indépendance. Et des petits pays comme le nôtre doi vent être particulièrement vigi lants. Mais, même s’ils expriment parfois des opinions différentes, la plupart des Etats membres sont unis et jugent la situation inac ceptable. L’Europe défendelle ses valeurs, alors que l’on assiste de plus en plus à des refoulements de migrants, une pratique illégale au regard du droit international ? Bien sûr, l’Europe défend ses va leurs. Nous ne déclenchons pas de guerre. Nous n’envoyons pas les forces de l’OTAN. Nous essayons de négocier, de dialoguer, d’expli quer ce qu’il se passe. Les démo craties sont parfois lentes à agir, certains voudraient que l’on soit plus proactif, ils pensent que c’est une faiblesse. Mais d’autres esti ment que ce sont les valeurs que nous devons conserver et qui font notre force. Par ailleurs, nous dé fendons une Europe forte, y com pris militairement, mais en tant que nation attachée à l’Alliance transatlantique, nous estimons qu’elle doit agir en concertation avec les forces de l’OTAN. Plus glo balement, les EtatsUnis doivent veiller à ne pas porter toute leur at tention sur la Chine, et aussi s’inté resser à l’Europe et à la Russie. La crise migratoire actuelle peutelle affecter les discussions entre Bruxelles et Varsovie sur les questions d’Etat de droit ? Ce sont deux sujets déconnec tés. A terme, je suis convaincu que, d’une manière ou d’une autre, la question sur l’Etat de droit sera résolue. La Pologne veut rester dans l’Europe. propos recueillis par stéphanie le bars et isabelle mandraud Des migrants font face aux soldats biélorusses, à la frontière avec la Pologne, le 14 novembre. OKSANA MANCHUK/BELTA VIA AP Refusant toute critique et toute pression, le pouvoir polonais tente désormais d’impliquer l’OTAN aussi désormais d’impliquer l’OTAN. La semaine dernière, il a reçu le témoignage du soutien po litique de ses alliés, lors d’une réu nion du comité des ambassadeurs. Par la voix du premier ministre, Mateusz Morawiecki, le gouverne ment paraît désireux d’aller plus loin en évoquant notamment la possibilité d’un recours à l’article 4 du traité de l’Atlantique Nord, qui prévoit une consultation appro fondie entre pays membres en cas, notamment, de menaces sur la sé curité et l’intégrité de l’un d’eux. Un propos qui n’a pas été relayé, lundi, lors de la réunion ministé rielle des affaires étrangères. Au grand soulagement de plusieurs capitales, peu désireuses d’impli quer l’OTAN dans cette crise. « Ce serait agiter un chiffon rouge écar late sous le nez de Poutine, alors qu’il paraît revenu à de meilleures intentions », juge un diplomate. philippe ricard et jeanpierre stroobants Devenons l’énergie qui change tout. Avec le groupe EDF, les piscines publiques peuvent réduire demoitié leurs émissions de CO2*. Et ça, c’est mieux pour le climat. LESÉMISSIONS DE VONTFAIRE . 4 | international MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123 L’Ukraine au cœur d’un dialogue de sourds entre Paris et Moscou Macron et Poutine se sont entretenus, le 15 novembre, sans parvenir à s’entendre bruxelles bureau européen U n contentieux peut en cacher un autre. Le coup detéléphone entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, lundi 15 novembre, s’est concentré sur la frontière polonobiélorusse. Mais il a aussi porté sur le front ukrainien. Si M. Macron et M. Poutine ont, pendant près de deux heures, examiné les voies d’une « désescalade » dans la crise des migrants, repoussés par Lou kachenko vers la Pologne, ils se sont montrés incapables du moindre signal d’apaisement sur l’Ukraine. Au contraire : après les importantes manœuvres russes à la frontièrerussoukrainienne, qui avaient inquiété les Occiden taux au printemps, ces derniers sont de nouveau en alerte. Ainsi, M. Macron, comme la chancelière allemande, Angela Merkel, la semaine dernière, atil mis en garde M. Poutine contre toute nouvelle intrusion sur le ter ritoire ukrainien, sept ans après l’annexion unilatérale de la Cri mée par la Russie. Il lui a dit, selon l’Elysée, sa « préoccupation forte » et sa « volonté de défendre l’inté gralité territoriale » du pays, dans une formule un rien incantatoire. De son côté, selon un communi qué du Kremlin, M. Poutine a accusé Kiev de mener une « politi que destructrice ». Il a dénoncé l’« utilisation récente, par l’Ukrai ne, de drones dans la zone de con flit ». Une référence à l’usage de matériel de fabrication turque, ac quis récemment par Kiev. « Dégradation de la situation » Au même moment, le ministre des affaires étrangères français, JeanYves Le Drian, et son homolo gue allemand, Heiko Maas, pu bliaient un communiqué com mun : « Face aux préoccupations renouvelées liées à des mouve ments de forces et de matériels mili taires russes à proximité de l’Ukraine, les deux ministres ont appelé la Russie à adopter une pos ture de retenue et à se montrer transparente sur ses activités mili taires », ontils déclaré, après s’être entretenus avec le chef de la diplo matie ukrainienne, Dmytro Kou leba. La situation à la frontière est suivie d’autant plus près que la conflictualité reste forte dans les régions séparatistes du Donbass, dans l’est du pays. « Nous notons une dégradation de la situation sé curitaire depuis dixhuit mois, à mesure que se dégrade le respect du cessezlefeu de décembre 2019 », confie un diplomate. Derrière la menace militaire pointe une autre inquiétude, à Pa ris comme à Berlin, portant sur l’impasse diplomatique : le blo cage des accords de Minsk, qui grippe la médiation entreprise par les deux capitales dans le cadre du format dit « Normandie » – censé encadrer les discussions entre la Russie, l’Ukraine, la France et l’Alle magne. La question a été abordée lundi par M. Macron et M. Pou tine : les Français s’agacent de voir la Russie se considérer comme médiatrice entre les Ukrainiens et les séparatistes prorusses du Donbass, alors que ces derniers sont soutenus par Moscou. Ces velléités ont entraîné l’annulation d’une réunion en « format Nor mandie », un temps prévue pour le 11 novembre, les Russes ayant posé « des conditions inaccepta bles » en ce sens, diton à Paris. Dans son entretien avec M. Pou tine, le président de la République « a rappelé le rôle de médiateurs de la France et de l’Allemagne, et lui a demandé de s’engager, de ne pas renvoyer à un dialogue direct en tre Kiev et les séparatistes ». « Le “format Normandie” ne permet plus d’avancer », observeton à l’Elysée, tout en tenant à le relan cer : « Poutine a fait part, de son côté, de l’analyse qu’il porte sou vent, que la négociation serait mise en difficulté par l’Ukraine, qui n’a pas tenu ses engagements. » De surcroît, l’Alliance atlantique a fait savoir à Moscou, lundi, qu’elle se tenait « aux côtés » de l’Ukraine, à la suite du déploie ment de troupes et de l’installa tion de matériels lourds à sa fron tière au cours des derniers jours. Jens Stoltenberg, le secrétaire gé néral de l’OTAN, qui a reçu lui aussi M. Kouleba, a appelé Moscou à la « transparence », après « une im portante et significative accumula tion de troupes ». Selon le prési dent ukrainien, Volodymyr Ze lensky, près de cent mille soldats auraient été mobilisés. Et s’il dit re fuser de « spéculer », M. Stolten berg remarque que, par le passé, cela a permis à la Russie de déclen cher des « actions agressives ». Gabrielius Landsbergis, le mi nistre des affaires étrangères li tuanien, évoquait, l’éventualité d’une offensive russe contre l’Ukraine. Selon le haut représen tant pour les relations extérieu res, Josep Borrell, l’essentiel des troupes russes massées près de la frontière aurait été retiré, mais des équipements lourds et un im portant arsenal resteraient sur place. Et ils pourraient servir en cas de nouveau déploiement de troupes, lequel serait « possible en quelques jours ». « Nous avons déjà connu des exemples de ce type par le passé, et nous expri mons les mêmes préoccupations qu’à l’époque », a souligné le chef de la diplomatie européenne. Moscou rejette la responsabilité des tensions actuelles sur les mouvements de l’OTAN dans la région. Lors de sa conversation avec M. Macron, M. Poutine a at tiré « l’attention sur la nature pro vocatrice des exercices de grande ampleur menés par les EtatsUnis et certains de leurs alliés en mer Noire, qui renforcent les tensions entre la Russie et l’OTAN », a signi fié le Kremlin. Le président russe cible ainsi la participation de plu sieurs navires militaires améri cains à des exercices opérés régu lièrement en mer Noire. philippe ricard et jeanpierre stroobants A Washington, Bannon défie la commission d’enquête sur l’assaut du Capitol L’exconseiller de Donald Trump a comparu devant un juge après avoir refusé de témoigner washington correspondant V este à poches de chasseuret sourire narquois auxlèvres, Steve Bannon a soigné son arrivée, lundi 15 no vembre, au moment de se rendre aux agents de la police fédérale (FBI). L’ancien conseiller de Do nald Trump, inculpé pour avoir entravé le travail de la commis sion d’enquête parlementaire sur l’attaque contre le Capitole, le 6 janvier, s’est arrêté devant les journalistes pour adresser un message à ses partisans. Profitant d’une exposition mé diatique maximale, il voulait les appeler à regarder son podcast, « War Room », lucarne conspira tionniste surpassant la chaîne conservatrice Fox News par ses outrances. « On fait tomber le ré gime Biden », ditil. « Je veux que vous restiez concentrés sur le mes sage, pas sur le bruit. Tout ça, c’est du bruit », ajouta Steve Bannon, en désignant du pouce le bâti ment du FBI, dans son dos. Sa comparution face à un juge fédéral – avant sa remise en li berté dans l’aprèsmidi – est la conséquence de son refus de té moigner devant la commission d’enquête de la Chambre des re présentants, et de transmettre les documents réclamés. Cette stratégie d’obstruction a été adoptée à la demande de Do nald Trump et recommandée à tous ses anciens conseillers, dont une vingtaine ont déjà été som més de comparaître. L’ancien chef de cabinet Mark Meadows a ainsi méprisé sa propre convoca tion, le 12 novembre. Il risque un traitement judiciaire similaire, dont la rare sévérité tient lieu d’avertissement aux autres té moins que la commission sou haite auditionner. Pour chaque délit retenu contre Steve Bannon est prévue une peine maximale d’un an de pri son, et un minimum de trente jours derrière les barreaux. Début octobre, son avocat avait brandi l’argument du privilège exécutif, invoqué par Donald Trump, pour justifier son refus de coopérer. Ce privilège, simple principe non défini par la loi, protège la confidentialité des échanges en tre le président et ses proches. Problème : au moment des faits, en janvier, Steve Bannon n’était plus conseiller du président – poste quitté en 2017 –, mais ani mateur de podcast. « War Room » est un programme conspiration niste immensément populaire, obsédé par les fraudes inventées de toutes pièces, lors de la der nière élection présidentielle. Course contre la montre Dans la convocation transmise le 23 septembre à Steve Bannon, la commission expliquait qu’il était soupçonné de détenir des infor mations importantes sur le 6 jan vier. « Par exemple, vous avez été identifié comme étant présent à l’hôtel Willard le 5 janvier, lors d’un effort pour persuader les membres du Congrès de bloquer la certifica tion de l’élection le jour suivant, ainsi qu’en relation avec d’autres activités le 6 janvier… De plus, vous êtes cité comme ayant dit,le 5 jan vier, que “l’enfer va se déchaîner de main” », écrivait la commission. L’enquête se concentre notam ment sur la façon dont l’équipe Trump avait mis en place une sorte de poste de commandement à l’hôtel Willard, un établissement de luxe situé à deux pas de la Maison Banche, pour piloter l’opé ration du lendemain, au Congrès. Dans l’une des suites de ce 5étoi les se trouvaient, ce jourlà, l’an cien maire de New York Rudolph Giuliani, devenu l’un des avocats du président, l’exchef de la police de New York Bernard Kerik ou encore le juriste John Eastman, qui a joué un rôleclé auprès de Donald Trump pour tenter de justifier la noncertification du vote des grands électeurs en fa veur de Joe Biden. La commission d’enquête, qui compte deux membres républi cains, est lancée dans une course contre la montre, alors que Do nald Trump essaie de bloquer en justice la transmission de docu ments de son administration, dé posés aux Archives nationales. Si les prévisions des experts se vérifiaient et que les républicains reprenaient la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants après les élections de mimandat, dans un an, le travail de la com mission serait très certainement enterré. Elle doit donc sans délai convoquer, entendre, et obtenir le maximum de documents clas sifiés, pour mettre au jour la chaîne de commandement et de complicités dans l’organisation du coup d’Etat avorté. Mais l’autre risque, pour la Maison Blanche, est celui du précédent créé par cette entrave au privilège exécutif. En cas de basculement du Congrès, les républicains se sentiront ainsi confortés dans leurs attaques contre l’adminis tration Biden. Ils pourraient lan cer des convocations contre ses plus proches conseillers. Jim Jordan, élu républicain de l’Ohio à la Chambre, a mis des mots sur cette perspective. « Joe Bi den a éviscéré le privilège exécutif. Il y a beaucoup de républicains dési reux d’entendre le témoignage de Ron Klain [chef de cabinet de Joe Biden] et Jake Sullivan [conseiller à la sécurité nationale] lorsque nous reprendrons la Chambre. » piotr smolar Londres remonte d’un cran le niveau d’alerte terroriste L’explosion d’un taxi, près d’un hôpital à Liverpool, inquiète les autorités, même si les motivations de l’attaque restent peu claires londres correspondante L e niveau d’alerte terroriste a été relevé d’un cranau RoyaumeUni, lundi15 novembre, passant d’« importante » à « grave » – si gnifiant qu’une attaque est haute ment probable –, après l’explo sion d’une voiture ayant fait un mort la veille dans la ville de Li verpool, au nordouest de l’Angle terre, traitée comme un « incident terroriste » par la police locale et le MI5, les services de sécurité inté rieure du pays. L’annonce a été faite après une réunion d’urgence, dite « Cobra », présidée par Boris Johnson à Downing Street. Les événements de Liverpool constituent « un rap pel brutal de la nécessité de rester extrêmement vigilants », a souli gné le premier ministre britanni que. « Ce qu’ont montré les événe ments d’hier, c’est que les Britanni ques ne se laisseront pas intimider par le terrorisme. Nous ne céde rons jamais à ceux qui cherchent à nous diviser avec des actes de vio lence aveugle, car nos libertés et nos modes de vie prévaudront tou jours », a ajouté le dirigeant. Les circonstances et les motiva tions de l’attaque étaient encore peu claires, lundi soir, après une première conférence de presse de la police du Merseyside (la région de Liverpool), qui a annoncé l’ar restation de quatre hommes d’une vingtaine d’années. Lundi soir, ils ont tous été libérés, sans que des charges soient retenues contre eux. La voiture – un taxi – a explosé face à la réception de l’hô pital pour femmes de Liverpool, juste avant 11 heures dimanche matin, alors qu’à quelques centai nes de mètres se déroulait, dans la cathédrale de Liverpool, une céré monie du Remembrance Sunday (un hommage aux vétérans et dis parus de l’armée britannique et du Commonwealth), comme il s’en est tenu des centaines, simul tanément, dans tout le pays. « Miracle » Le conducteur du taxi, David Perry, 45 ans, a pu sortir du véhi cule juste après la détonation. Lé gèrement blessé, il a quitté l’hôpi tal, lundi soir. Le passager, lui, est mort dans l’explosion. La police a expliqué, lundi, qu’elle « pense connaître » cet homme et qu’il a probablement « fabriqué la bom be » avec laquelle il était dans le taxi. En soirée, elle a rendu public son identité – Emad AlSweal meen, 32 ans – et confirmé avoir mené des fouilles prolongées dans deux maisons des environs de Liverpool, où il a récemment séjourné. Le Daily Telegraph assu rait qu’il était originaire du MoyenOrient et inconnu des ser vices de sécurité. Le Sun ajoutait, lundi soir, qu’il serait né en Jordanie, aurait vu sa demande d’asile au RoyaumeUni rejetée en 2014 et se serait conver ti au christianisme en 2017. Selon le Times, AlSwealmeen, qui se fai sait appeler Enzo Almeni, avait souffert de problèmes mentaux et repéré, il y a sept ans, après une tentative de suicide. Il a appelé un taxi à 10 heures du matin dimanche, et aurait de mandé à être conduit à l’hôpital pour femmes. Etaitce réellement sa destination finale ? Enten daitil se rendre un peu plus loin, sur le lieu des commémorations du Remembrance Sunday ? C’est une hypothèse que la police n’a pas écartée. Dimanche, réagis sant à chaud, la maire de Liver pool, Joanne Anderson, a loué les « efforts héroïques » du chauffeur, qui aurait permis d’éviter un « ter rible désastre le jour de Remem brance Sunday », et affirmé que M. Perry avait « verrouillé les por tes » de son véhicule – pour éviter au passager d’en sortir avec la bombe ? Lundi, cette version des faits n’était pas confirmée par les forces de l’ordre. « On a dit qu’il était un héros. Mais la vérité, c’est qu’il est sans aucun doute vraiment chanceux de s’en être sorti, a commenté la femme du chauffeur, Rachel Perry, sur les réseaux sociaux. L’explo sion a eu lieu quand il était dans le véhicule, et c’est un miracle qu’il ait pu en réchapper. » Selon des sour ces citées par le Times, la bombe artisanale, fabriquée à base de pe roxyde d’acétone (un explosif très instable), n’a pas explosé correcte ment. « Liverpool n’est pas une ville où ces choses sont censées se pas ser, c’est une ville vibrante et inclu sive », a réagi à la BBC la révérende Sue Jones, doyenne de la cathé drale de Liverpool, qui présidait à la cérémonie du Remembrance Sunday dimanche. La ministre de l’intérieur, Priti Patel, a justifié la décision de rele ver le niveau d’alerte terroriste à « grave », car l’incident de Liver pool est le deuxième à caractère terroriste – il fait suite à l’attentat contre le député conservateur Da vid Amess. Lord Amess a été as sassiné à coups de couteau par un jeune Britannique d’origine so malienne il y a tout juste un mois, le 15 octobre, alors qu’il entamait sa permanence hebdomadaire dans une église de LeighonSea (sudest du pays). La ministre de l’intérieur avait annoncé, en février, la rétrograda tion du risque terroriste national de « grave » à « important », expli quant que cette décision était mo tivée par une « diminution signifi cative » des attaques en Europe après les attentats advenus à l’automne 2020 – à Vienne (Autri che) en novembre, et en France en octobre, avec l’assassinat de Samuel Paty. cécile ducourtieux Converti au christianisme en 2017, le suspect, Al-Swealmeen, aurait fait une tentative de suicide en 2014 Derrière la menace militaire pointe une autre inquiétude : l’impasse diplomatique LE PROFIL Steve Bannon Né à Norfolk, en Virginie, ce mili- tant d’extrême droite de 68 ans, ex-banquier d’affaires, a dirigé de 2012 à 2016 le site Breibart News décrit comme « la plate- forme de l’alt-right ». Devenu le stratège de Donald Trump pour la présidentielle de 2016, il a ensuiteété nommé conseiller du président des Etats-Unis, poste qu’il n’a occupé que sept mois. L’UE sanctionne le groupe russe Wagner L’Union européenne est parvenue à « un consensus » parmi ses 27 Etats membres pour sanctionner le groupe russe de merce- naires Wagner, dont les Occidentaux craignent une intervention au Mali, a annoncé, lundi 15 novembre, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. Selon le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ces sanctions viseraient « des membres de la société Wagner et des sociétés qui travaillent directement avec [elle] ». Paris, qui dénonce une « menace au Mali », a averti Moscou que le déploiement de mercenaires russes dans la bande sahélo-saharienne serait « inacceptable ». 6 | international MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123 A AddisAbeba, vague d’arrestations de Tigréens Les autorités éthiopiennes disent viser les personnes « suspectées d’apporter un soutien aux organisations terroristes » addisabeba correspondance D epuis l’instaurationde l’état d’urgence enEthiopie, le 2 novembre, la police s’est lan cée dans une large campagne d’arrestations visant en priorité les Tigréens, une minorité qui re présente 6 % de la population. « S’il est actuellement impossible d’établir le nombre exact de déte nus, ils se comptent par centaines et potentiellement par milliers », indique Amnesty International dans un rapport publié vendredi 12 novembre, l’ONG dénonçant « une nouvelle vague de déten tions à motivation ethnique ». Ce coup de filet, mené essentiel lement à AddisAbeba et dans d’autres grandes villes du pays, vise officiellement ceux « suspec tés d’apporter un soutien direct ou indirect, moral ou matériel, aux organisations terroristes », comme le détaille le décret de l’état d’urgence. Un simple « soupçon raisonnable » peut jus tifier l’arrestation, sans mandat d’arrêt, d’un individu. Ces « soupçons » se portent avant tout sur le Front de libéra tion du peuple du Tigré (TPLF), le parti historique de la région du Nord, placé en mai sur la liste des organisations terroristes par le Parlement. En guerre depuis un an avec le gouvernement fédéral du premier ministre Abiy Ahmed, le TPLF s’est récemment approché à moins de 300 kilomètres d’Ad disAbeba, conduisant à la mise en place de cet état d’exception. Que deviennent les détenus ? Si certains sont retenus dans les commissariats de la capitale, d’autres sont rassemblés dans des camps de détention tempo raires aux abords de la ville, loin des regards de potentiels obser vateurs, avocats et journalistes. L’un de ces centres se trouve à Ge lan, au sud d’AddisAbeba. C’est un grand entrepôt industriel ré quisitionné par les autorités car « les postes de police débordent », d’après Amnesty International. Amanuel [le prénom a été changé], 27 ans, y a séjourné une journée. Début novembre, il a été arrêté lors d’un contrôle de police sur la route de Gelan. « J’étais au volant de mon minibus, ils ont vé rifié mes papiers d’identité et se sont aperçus que mon nom a une consonance tigréenne, se sou vientil. Le chef de la section m’a fait monter dans un fourgon. » La suite se déroule dans l’immense hangar de Gelan. « Nous étions nombreux dans mon cas, tous ti gréens et ayant été amenés là sans raison après un contrôle de po lice. » Selon lui, il n’y a pas de doute : leur arrestation tient à leurs origines ethniques. Dans six centres de détention Le ministre adjoint des affaires étrangères, Redwan Hussein, se défend de tout profilage des Ti gréens. « Il n’y a pas d’arrestation systématique en fonction de votre profil ethnique », atil déclaré le 10 novembre. Le directeur de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, Daniel Bekele, craint pourtant que « l’état d’ur gence et ses directives soient appli qués de la mauvaise façon ». Amanuel, qui est né et a grandi à AddisAbeba, est sorti de prison après vingtquatre heures, là aussi sans explication. Les autres détenus, dont il n’arrive pas à esti mer le nombre, devaient être transférés vers un autre centre, plus grand. S’agitil de la nouvelle prison d’Abba Samuel, à quelques kilomètres de là, dont une source assure qu’elle aussi est utilisée pour embastiller les Tigréens ? D’après les informations re cueillies par Amnesty Internatio nal, les prisonniers tigréens se raient pour l’heure regroupés dans six centres de détention. Une autre source en précise quel quesuns, en plus des habituels commissariats : « Ils réquisition nent par exemple des logements de fonction de policiers à l’est d’Addis Abeba ou encore une bibliothèque à Ayer Tena, un quartier de l’ouest de la ville. » Des diplomates indi quent que des centres plus grands existent hors de la capitale, comme à Burayu, Chancho et Awash Arba. Que se passetil dans ces camps, à l’abri des regards ? « Nous n’en avons aucune idée », lance une jeune femme qui a perdu la trace de plusieurs de ses proches. Début novembre, quatre de ses amis ont été interpellés à la terrasse d’un café de Gofa Mebrat Hayl, un quartier où résident beaucoup de Tigréens, alors qu’ils échangeaient en langue tigrinya. « Nous ne savons pas où ils ont été emmenés, nous n’avons aucun contact », ditelle. Malgré sa détresse, elle refuse de se rendre au commissariat pour s’enquérir de leur sort, terrifiée à l’idée d’être arrêtée à son tour. Jus qu’à aujourd’hui, très peu d’avo cats ont pu se rendre auprès de leurs clients. Un travailleur huma nitaire, qui souhaite garder l’ano nymat, décrit « des conditions de détention extrêmement dures » mais ne rapporte pas de cas de vio lence ou de torture. Comme Amanuel, certains par viennent à obtenir une libération, le plus souvent grâce à des pots devin versés par les familles. « Il semble aussi y avoir des critères pour la libération de prisonniers, précise une source humanitaire. Par exemple, c’est plus simple s’il s’agit de personnes âgées ou d’en fants, résidant à AddisAbeba de puis de nombreuses années. » En revanche, les jeunes adultes, sur tout s’ils ont habité au Tigré, sont automatiquement retenus. Un climat de peur Qu’adviendratil d’eux si la guerre civile en Ethiopie, où la rhétorique identitaire et la militarisation de miliciens inquiètent les observa teurs, venait à se rapprocher de ces camps ? Une source diplomatique craint de possibles règlements de comptes : « Il suffit que quelques extrémistes chauffés à blanc se ren dent dans ces camps et fassent jus tice euxmêmes contre des indivi dus qu’ils considèrent comme des ennemis de la nation. » Déjà, à AddisAbeba, des « vo lontaires » (« bego feqadegna », en amharique) patrouillent dans les rues à la recherche d’« espions ». Une vigilance citoyenne qui, en réalité, consiste à dénoncer les Ti gréens dans chaque quartier et à les livrer aux policiers. La capitale compte 27 500 de ces pa trouilleurs, d’après l’agence de presse éthiopienne. Dans des messages diffusés par des hautparleurs à l’arrière de pickup qui tournent à l’aube, la mairie d’AddisAbeba fait appel à ces groupes d’autodéfense pour protéger les quartiers. Les autori tés ont aussi réclamé que les pro priétaires déclinent l’identité de tous leurs locataires. En Ethiopie, l’origine ethnique est encore préci sée sur certaines cartes d’identité. Pour beaucoup de Tigréens, la fuite n’est plus une option. A l’aé roport international de Bole, l’en trée du terminal est gardée par des agents de renseignement. Ils refu sent l’accès à tous ceux dont les pa piers d’identité ou tout autre signe distinctif indiquent une origine ti gréenne, y compris parfois à des détenteurs de passeports étran gers. De fait, l’exil est impossible. Pris au piège, sans moyen de fuir, il ne leur reste que la discrétion pour tenter de passer entre les mailles du filet. Nombre de résidents se ca chent, ne dorment jamais deux nuits de suite au même endroit. D’autres vont jusqu’à soudoyer les habitants deleur quartier dans l’espoir de ne pas être dénoncés. Dans ce climat de peur et de dé lation, personne ne semble à l’abri. Ainsi, la semaine dernière, le directeur d’une banque natio nale a été interpellé avant d’être relâché. Trentesept prêtres or thodoxes sont aussi derrière les barreaux, ainsi que des employés des Nations unies et d’anciens membres de l’administration provisoire régionale du Tigré, pourtant favorable à Abiy Ahmed. Tous sont Tigréens. « Beaucoup de familles sont ter rorisées », décrit Eregeat (prénom modifié), une Tigréenne résidant à AddisAbeba et dont la plupart des amis ont été emmenés dans des rafles : « Je ne suis pas sûre que j’arriverai encore longtemps à y échapper. Ils vont venir chez nous à un moment ou un autre. Nous nous attendons au pire. » noé hochetbodin En Israël, la guerre éthiopienne ravive le débat sur l’immigration La communauté juive d’origine éthiopienne réclame le transfert de milliers de proches demeurés au pays, craignant pour leur sécurité jérusalem correspondant U n débat sans fin se ranime en Israël à la faveurd’une guerre lointaine, en Ethiopie. « L’alya mainte nant ! » « Ramenez nos frères ! » Des centaines d’Israéliens d’ori gine éthiopienne ont manifesté, dimanche 14 novembre, sous les fenêtres du premier ministre. Ils demandent le transfert en Israël de membres de leurs familles en attente de quitter ce pays plongé dans une guerre fratricide. Parmi les manifestants, Gebyal Getahun, 42 ans, pianote sur son téléphone. Vendredi, veille de shabbat, cet ouvrier dans une usine de médicaments à Bet She mesh (centre) a recommandé à ses trois cousins qui vivent à Ad disAbeba, à leurs femmes et leurs enfants, de ne plus sortir de chez eux. Ils résident dans un quartier de la capitale éthio pienne où l’Agence juive a financé le développement d’écoles, de sy nagogues et de bains rituels dès les années 1970. L’Etat hébreu venait alors de re connaître la judéité de « Beta Is raël » (la « maison d’Israël »), cette communauté éthiopienne que certaines traditions font remon ter à la tribu perdue de Dan, l’une des douze tribus d’Israël. Ses res sortissants pouvaient bénéficier de la loi du retour, qui accorde la citoyenneté à tout juif désirant immigrer en Israël. Pression continue sur l’Etat Aujourd’hui, la guerre est encore loin d’AddisAbeba. Gebyal Geta hun ne craint pas pour la sécurité immédiate de ses proches. Mais il les presse de se tenir dans leur maison proche de l’ambassade is raélienne. Celleci a commencé à évacuer les familles de ses diplo mates le 7 novembre, à l’exemple de Washington. M. Getahun lui même est arrivé en Israël en 1998. Son oncle l’a rejoint avec sa femme et deux enfants, cinq ans plus tard. Cependant deux autres fils et une fille, Malkamu, Negatu et Terunesh ne satisfaisaient pas aux critères de l’Etat et sont de meurés à AddisAbeba. Après le transfert quasi total de « Beta Israël », une pression conti nue de s’exercer sur l’Etat pour amener leurs autres parents. Ils sont issus de mêmes lignées fa miliales, demeurées à la périphé rie de la communauté en dépit de leur christianisation, souvent sous la contrainte, pour l’essen tiel à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Aujourd’hui, ces immi grants plus récents forment une grande partie, si ce n’est la majo rité, des quelque 150 000 Israé liens originaires d’Ethiopie. Depuis le début des années 2000, l’Etat a déclaré ce dossier migratoire fermé à plusieurs re prises, sans succès. En 2015, il a encore adopté une liste de 9 000 noms, éligibles au rassemble ment familial, pour ceux qui peuvent démontrer avoir un pa rent en Israël, être arrivés dans les quartiers juifs de Gondar et AddisAbeba avant 2010, et qui s’engagent à se convertir au ju daïsme à leur arrivée, afin d’obte nir la citoyenneté. Las, le budget nécessaire à leur transfert n’a ja mais été alloué. Moins de 4 000 ont rejoint Israël. « Mais entre temps les familles làbas s’agran dissent », note le rabbin éthio pien Sharon Shalom. Début novembre, ces tensions sont montées d’un cran, à la suite de la révélation d’une étrange « mossaderie ». Le service de ren seignement extérieur israélien a rapatrié 61 Ethiopiens, cette an née, à un moment inconnu, lors d’une opération aérienne secrète. Depuis, le ministère de l’intérieur israélien a estimé publiquement que rien ne prouvait la judéité de la plupart d’entre eux. Originaires de la région du Tigré, où le gou vernement éthiopien mène une guerre à huis clos, ils n’y vivaient pas et ne paraissaient pas en dan ger immédiat. La ministre de l’in térieur, Ayalet Shaked, issue de l’extrême droite religieuse et très conservatrice en matière d’immi gration, s’en est indignée. Ce fiasco a souligné d’anciennes di visions parmi les aînés de la com munauté, entre une majorité d’origine Amhara (comme le pre mier ministre éthiopien, Abiy Ah med) et ceux originaires du Tigré, attachés au mouvement nationa liste régional. Il a aussi attisé la méfiance visàvis de l’Etat. « Pourquoi révéler cela soudaine ment ? Veulentils donner une mauvaise image de l’immigration éthiopienne ? Nous craignons que le gouvernement s’en serve d’ex cuse pour ne pas accéder à nos de mandes », affirme Avraham Ne guise, ancien parlementaire, qui a contribué à organiser la manifes tation, dimanche. Calendrier à fixer A ses côtés, la ministre de l’immi gration, Pnina TamanoShata, née en Ethiopie, a rappelé à la foule un compromis négocié la semaine passée par la coalition au pouvoir. Plusieurs milliers de parents au premier degré de ci toyens Israéliens pourraient bientôt être transférés. Mais un calendrier reste à fixer. « La guerre fait comprendre à tous qu’il y a peutêtre urgence, relève un haut fonctionnaire au fait des délibéra tions de l’Etat israélien. Mais le ministère des affaires étrangères et tous les autres observateurs de l’Etat sont unanimes : cette com munauté en attente ne court pas de danger urgent spécifique, pas plus que tout Ethiopien. » En début de semaine passée, Mme TamanoShata a fait savoir qu’elle pourrait démissionner, si ses demandes ne sont pas accep tées. Une menace de poids au sein de la jeune coalition de huit par tis, fort fragile, qui dirige Israël de puis le mois de juin. Cependant, en dépit de telles bravades, les re présentants de la communauté marchent sur des œufs. Ils craignent de braquer le gou vernement éthiopien, qui entre tient de bonnes relations avec Is raël, et qui verrait d’un mauvais œil l’organisation d’un pont aé rien pour évacuer ces ressortis sants. « Personne n’envisage que les Ethiopiens autorisent une telle image de panique, de naufrage. Cela a été vérifié discrètement : ils ont fait savoir diplomatiquement, mais sans ambiguïté, que tout était sous contrôle », précise ce respon sable au sein de l’Etat israélien. louis imbert Les tensions sont montées d’un cran après que le Mossad a révélé avoir rapatrié 61 Ethiopiens en 2021, lors d’une opération secrète Un Tigréen relâché après sept semaines de détention dans un camp situé à 200 kilomètres d’AddisAbeba, le 21 octobre. EDUARDO SOTERAS/AFP Dans la capitale, 27 500 « bénévoles » patrouillent pour dénoncer les Tigréens et les livrer à la police Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus 0123 MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021 international | 7 Birmanie : l’amnistie négociée d’un journaliste américain L’exdiplomate Bill Richardson et des émissaires asiatiques ont tenté de convaincre la junte d’amorcer un dialogue bangkok correspondant en Asie du SudEst C ondamné à onze ans deprison, vendredi 12 novembre, amnistié le lundi suivant, et désormais de retour sur le sol américain : Danny Fens ter, le journaliste américain qui travaillait pour des médias bir mans et avait été arrêté le 24 mai à l’aéroport de Rangoun, cas d’école de « diplomatie des ota ges », en est désormais un de « di plomatie parallèle ». Cellemenée par l’ancien ambas sadeur des EtatsUnis aux Na tions unies, Bill Richardson, arti san de nombreuses libérations d’« otages » américains de régi mes étrangers (Iran, Corée du Nord…). La nouvelle a été révélée lundi par un tweet de son organi sation, le Centre Richardson, avec une photo du journaliste au côté du « global diplomat » Richardson sur le tarmac de l’aéroport de Naypyidaw, le 15 novembre. La condamnation de M. Fenster avait suscité une vague d’indigna tion dans le monde. Le journa liste de 37 ans était accusé de tra vailler pour le site Myanmar Now, dont il avait pourtant démis sionné en 2020 – c’estàdire avant le coup d’Etat de février – pour rejoindre un magazine bir man. A son procès ubuesque, aucun article spécifique ne fut mentionné, mais le verdict dé passa largement les peines requi ses pour le crime dont il était ac cusé, à savoir la dissémination d’informations diffamantes sur l’armée ou ses membres. Danny Fenster était le seul des quatre journalistes étrangers arrêtés en Birmanie à avoir été condamné : un autre Américain d’origine bir mane, ainsi qu’un Polonais et un Japonais ont déjà été relâchés. « Raisons humanitaires » Fort d’une longue expérience avec la Birmanie – il obtint l’une des premières libérations d’Aung San Suu Kyi, en 1995 –, M. Richard son était venu à Naypyidaw, dé but novembre, proposer des « so lutions humanitaires » à Min Aung Hlaing, le général puts chiste chef de la junte. Dans ses déclarations publiques, l’Améri cain avait fait savoir qu’il n’avait pas évoqué, avec son interlo cuteur, la question de son compa triote emprisonné – ce qui avait déclenché un flot de critiques à son encontre sur Twitter et dans la presse de la part de responsa bles d’ONG des droits de l’homme. En réalité, M. Richard son négociait dur. Officiellement, M. Fenster a été libéré pour « rai sons humanitaires » – en contre partie de l’un des gestes évoqués par Bill Richardon, notamment la livraison de vaccins, mais dont les détails n’ont pas filtré. L’ar mée birmane, plusieurs de ses dirigeants et ses conglomérats sont la cible de sanctions améri caines strictes. Bill Richardon n’était pas seul à la manœuvre : l’agence de presse japonaise Kyodo News a révélé, lundi, l’intercession de Yohei Sa sakawa, président de la fondation caritative Nippon Fondation, créée en 1962 par son père, Ryoi chi Sasakawa, soupçonné de cri mes de guerre en 1945, puis figure de l’extrême droite nippone, sou cieux de redorer son image. M. Sasakawa, qui est émissaire spécial du gouvernement japo nais pour la réconciliation en Bir manie, et avait obtenu la libéra tion en mai du journaliste japo nais emprisonné, serait arrivé à Rangoun le 12 novembre en « vi site personnelle ». Le Japon en tretient historiquement des liens étroits avec l’armée birmane et a toujours fait passer ses intérêts économiques avant les droits de l’homme au Myanmar. A ce ti tre, et en tant que proche allié des EtatsUnis, Tokyo est un ca nal essentiel pour Washington, en Birmanie. Depuis peu, un autre invité, chi nois, hante les antichambres de Naypyidaw : Sun Guoxiang, en voyé spécial du ministère des af faires étrangères chinois sur la Birmanie, est arrivé lundi, « sans annonce préalable », pour des rencontres au sommet, rapporte sur son site le journal proche de l’opposition birmane The Ir rawaddy. M. Sun était déjà venu en Birmanie en août, durant une semaine, pour s’entretenir avec le général. Il avait alors tenté, en vain, de rencontrer Aung San Suu Kyi, l’exdirigeante de facto du gouvernement civil renversé. Malgré leur noncondamnation du coup d’Etat, les Chinois restent très contrariés par la tournure violente des événements chez leur voisin, et sa faillite économi que. Tant Pékin que Washington ont milité auprès de l’Association des nations d’Asie du SudEst (Asean) pour plus de fermeté vis àvis de Naypyidaw. Car, après la gifle de la désinvita tion de Min Aung Hlaing du som met de l’Asean du 26 octobre, les pays asiatiques cherchent à obte nir du général qu’il respecte sa part d’un « consensus en cinq points », sur lequel lui et ses ho mologues s’étaient entendus en avril, à Djakarta : notamment créer les conditions d’un dialogue avec « toutes les parties concer nées » – c’estàdire la « Lady » em bastillée. L’exdirigeante bir mane, déjà visée depuis par une multitude de procédures judiciai res, va cependant être inculpée pour « fraude électorale » lors des législatives de 2020 remportées haut la main par son parti, ont an noncé, mardi, les médias d’Etat. Quinze autres responsables, dont l’exprésident de la République, Win Myint, également arrêtés lors du coup d’Etat de février, de vraient être poursuivis pour la même infraction. brice pedroletti Xi et Biden tentent d’organiser leurs divergences Les deux dirigeants se sont longuement parlé en évoquant notamment Taïwan, Hongkong et les Ouïgours pékin, washington correspondants M on vieil ami. » Lorsque le présidentchinois utilise uneexpression aussi courtoise à l’égard de son homolo gue américain, on saisit une inten tion, davantage qu’une attention. Dans le préambule – destiné aux caméras – de leur long échange, lundi 15 novembre à Washington, mardi 16 à Pékin, Xi Jinping et Joe Biden ont voulu, à défaut de se rapprocher, afficher leur pragma tisme et leur pondération. Organiser les règles de la com pétition entre leurs pays et éviter une confrontation ouverte qui ne profiterait à personne : c’était l’objectif de cet entretien vidéo de près de trois heures et demie. De part et d’autre, ces dernières se maines, des signaux clairs avaient été envoyés en ce sens, malgré les accès de fièvre ponc tuels sur Taïwan. Mais le message formel ne doit pas cacher les di vergences profondes sur le fond, les sujets de tension et les champs de concurrence exacerbée. Deux salles se faisaient face, avec des décors très différents. A Washington, Joe Biden avait pris place dans la Roosevelt Room de la Maison Blanche, au bout d’une table où s’étaient aussi installés ses plus proches collaborateurs pour la politique étrangère, no tamment le secrétaire d’Etat, An tony Blinken, et le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Navires gigantesques Xi Jinping, pour sa part, s’expri mait dans une immense pièce du Palais du peuple, à Pékin, devant un écran de cinéma où apparais sait son homologue. Il était en touré par trois diplomates et par Liu He, le vicepremier ministre chargé des questions économi ques. Selon un haut responsable de la Maison Blanche, la conversa tion par vidéo a été bien plus dy namique qu’un simple appel télé phonique. Les deux dirigeants n’ont pas collé au script prévu, fait des allersretours, se sont inter pellés en se citant mutuellement. Réclamant d’emblée le « respect mutuel » entre les deux grandes puissances, le dirigeant chinois a souhaité davantage de « commu nication et de coopération ». Il a comparé les deux pays à des navi res gigantesques, en pleine mer, fracassant les vagues et cherchant à conserver leur cap et leur vi tesse. Xi Jinping a lancé un aver tissement au sujet de l’instru mentalisation de Taïwan pour contenir les ambitions de la Chine : « Quiconque joue avec le feu sera brûlé. » Pour Xi Jinping, « la Chine est patiente et de bonne foi et fera tous ses efforts pour aboutir à une réunification pacifi que, mais, si les indépendantistes taïwanais provoquent et franchis sent la ligne rouge, nous serons obligés de prendre des mesures de façon décisive ». Joe Biden a répété les points essentiels de la politi que américaine visàvis de la Chine : pas de reconnaissance of ficielle de Taïwan ; pas de volonté de déstabilisation intérieure con tre le régime chinois. « Notre responsabilité, en tant que leaders de la Chine et des EtatsUnis, est de s’assurer que la compétition entre nos pays ne vire pas au conflit, qu’il soit intention nel ou pas », a résuméJoe Biden. Dans son préambule, le président américain a cité le changement climatique comme l’un des sujets majeurs où les deux puissances pouvaient travailler ensemble. Le président chinois y a ajouté la pandémie de Covid19… Des pro pos convenus de part et d’autre, qui ne disent rien des heures qui ont suivi, ponctuées par les dos siers les plus délicats : Hongkong, Taïwan, le programme nucléaire iranien, l’Afghanistan, la pénin sule coréenne, la cybersécurité, le commerce, ou encore les répres sions de masse contre la minorité ouïgoure au Xinjiang. Dans le récit politique que Joe Biden essaie de construire autour de sa présidence, la Chine occupe une place prépondé rante. Le président américain veut mener à bien une moderni sation des infrastructures du pays et mieux l’armer pour la compétition avec Pékin. Lundi, il a signé une loi d’investissements de 1 200 milliards de dollars, lors d’une cérémonie optimiste et joyeuse dans les jardins de la Maison Blanche, qui permettait de mettre pour un moment sous l’éteignoir les difficultés actuel les : divisions entre démocrates, inflation très forte, etc. En outre, Joe Biden tente à grandpeine de surmonter les divisions béantes au sein de la société, pour réparer un modèle démocratique abîmé. Il y va de la crédibilité des Etats Unis, qui font face à des régimes autoritaires comme la Russie et la Chine, glosant sur une suppo sée déchéance américaine. Selon Washington, l’heure est venue de fixer une sorte de code de la route à respecter, au nom du « bon sens », invoqué par Joe Biden lundi soir. Cela n’altère pas les calculs géopolitiques améri cains, qui continuent à renforcer leurs alliances dans l’IndoPacifi que, notamment au sein du club informel qu’est le Quad (avec le Japon, l’Australie et l’Inde), ou avec l’annonce à la miseptem bre du partenariat Aukus (avec la GrandeBretagne et l’Australie). « Nous parlons d’égal à égal » Mais la Chine, désormais « riche », veut aussi devenir « puissante ». Tel est le message principal envoyé la semaine dernière par le plénum du comité central du Parti com muniste chinois, qui a ouvert la voie à un renouvellement du mandat de Xi Jinping à la tête du pays en 2022. La Chine entend se faire respecter. Dans tous les do maines, y compris symboliques. L’heure de la rencontre – fin de journée à Washington, début de matinée à Pékin – avantageait clairement la partie chinoise. « Eux, ils font des heures supplé mentaires, nous, c’est notre ho raire habituel de travail », note Wang Dong, expert des relations sino américaines de l’université de Pékin dans un entretien publié sur plusieurs sites offi ciels. Un détail anodin ? Pas forcément : « Le temps où les EtatsUnis dictaient ce que devait être la relation sinoaméricaine est révolu. Désormais, nous nous parlons d’égal à égal », précise ce spécialiste. Ressorti renforcé de son plé num, Xi Jinping semble plus sûr de lui que jamais : « Dans les cin quante prochaines années, la chose la plus importante dans les relations internationales est que la Chine et les EtatsUnis trouvent la bonne façon de bien s’enten dre », atil théorisé, ajoutant, face à Joe Biden, que « l’histoire se souviendra de tout ce que fait un homme politique, tant ses méri tes que ses démérites ». Selon l’agence Chine nouvelle, Xi Jinping a même exprimé le « souhait » que Joe Biden fasse « la démonstration de son lea dership politique » en ramenant la politique américaine à l’égard de la Chine « sur une voie rationnelle et pratique » et prenne des mesures concrètes afin de respecter sa promesse de « ne pas chercher une nouvelle guerre froide ». frédéric lemaître et piotr smolar « Notre responsabilité est de s’assurer que la compétition entre nos pays ne vire pas au conflit » JOE BIDEN président américain Retransmission de l’entretien entre Joe Biden et Xi Jinping, dans un restaurant de Pékin, le 16 novembre. TINGSHU WANG/REUTERS La Chine entend se faire respecter. Dans tous les domaines, y compris symboliques ISRAËL Un Palestinien tué par l’armée en Cisjordanie Un Palestinien a été tué, mardi 16 novembre, par l’armée israélienne lors de heurts dans le nord de la Cisjordanie occupée, a rap porté le ministère palestinien de la santé. Saddam Bani Odeh, 26 ans, est décédé à l’hôpital turc de Tubas, entre les villes de Naplouse et Jénine, où il avait été trans féré après avoir été blessé par une balle, a précisé le minis tère à l’AFP, mentionnant des heurts ayant éclaté à l’aube avec les forces israéliennes à l’entrée de Tubas. – (AFP.) NICARAGUA Washington sanctionne de hauts responsables Les EtatsUnis ont annoncé, lundi 15 novembre, des sanc tions financières contre le parquet fédéral du Nicaragua et neuf hauts responsables du pays, notamment le vice ministre des finances et le ministre de l’énergie, « en ri poste au simulacre d’élections orchestré par le président Daniel Ortega et la viceprési dente Rosario Murillo ». Le scrutin du 7 novembre a été privé d’opposition après l’em prisonnement des principaux rivaux du président. – (AFP.) 12 | planète MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123 « Une COP ne peut pas être à l’avantgarde des débats » Le sociologue et politologue Stefan Aykut analyse les limites des conférences des Nations unies sur le climat ENTRETIEN A près la clôture, samedi13 novembre, de la26e conférence des Nations unies sur le cli mat (COP26), Stefan Aykut, socio logue et politologue à l’université de Hambourg et spécialiste de la gouvernance climatique, revient sur l’utilité des COP et les limites inhérentes à leur organisation. Quel bilan tirezvous de la COP26 ? Un bilan mitigé. Elle a montré que la gouvernance climatique est vivante, qu’elle a survécu à la crise sanitaire [liée au Covid19]. Mais le pacte de Glasgow est décevant sur les questions de finances, d’adap tation et de solidarité NordSud. Et il est mitigé en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il y a eu une avalan che de promesses de neutralité carbone pour combler le vide des plans climat soumis pour 2030. La question cruciale sera de voir comment se concrétisent ces en gagements, qui sont pour l’ins tant des déclarations, et si on par vient à les formaliser. Il y a un réel problème avec le mécanisme volontaire de l’ac cord de Paris [conclu en 2015]. Rien ne force les pays à accroître leurs efforts tous les cinq ans, comme les y engage cet accord in ternational. Les Etats ne veulent pas clouer leurs pairs au pilori. Le format onusien, très policé, consiste plutôt à mettre en avant ce qu’on fait de bien que de dé noncer ce que font de mal les autres. Il y a toutefois une pres sion qui fonctionne un peu, celle de la société civile, des ONG, des think tanks, des médias. On a beaucoup dénoncé le « greenwashing » à cette COP… C’est la COP la plus commerciale jusqu’ici, avec une zone consacrée aux entreprises et aux initiatives qui a été la plus grande jusqu’à présent. A Glasgow, on a vu un dé but de débat sur la sortie des éner gies fossiles. En revanche, les Etats n’ont pas questionné l’idéologie de croissance et la façon d’organi ser le capitalisme. Au contraire, il y a presque un réenchantement des marchés et de la finance comme solution à la crise climatique. Les lobbyistes des énergies fossiles étaient très présents car ils ont conscience que leur futur se joue. On devrait interdire leur présence de la même façon que l’Organisa tion mondiale de la santé avait ex clu les lobbyistes du tabac dans les négociations sur sa nocivité. Les conférences climat serventelles encore à quelque chose ? On peut avoir l’impression que c’est là que se décide l’avenir de la planète, que se décrètent les solutions pour le futur, alors que non. Il faut les penser comme une arène parmi d’autres – mais néan moins importante – dans le conflit mondial qui se joue sur la transfor mation de l’économie. Cette arène est traversée par les clivagesNord Sud et l’idéologie d’économie de marché. Les COP ne sont qu’une chambre d’enregistrement, une caisse de résonance des débats du monde. De par leur structure, elles ne peuvent pas être à l’avantgarde des débats. Tant que le débat de la mise en question de notre mo dèle économique n’est pas lancé au niveau national, on ne peut pas l’attendre des COP. C’est impor tant de le reconnaître pour ne pas être déçus. Aujourd’hui, on leur en demande trop. Dans un monde sans COP, régu leraiton mieux le climat ? Je ne le crois pas. Le climat doit aussi être discuté dans d’autres enceintes, commerciales et financières, mais on sait que l’Organisation mon diale du commerce, par exemple, est organisée de manière moins transparente que les conférences climat. Les COP restent le seul en droit où les pays en développe ment, les petites îles ou la société civile continuent d’avoir une voix importante, même s’ils n’obtien nent pas forcément gain de cause. Sontelles vouées à être toujours en décalage avec l’urgence climatique ? Ce processus a toujours été trop bureaucratique. C’est une fabrique de la lenteur. Le problème, c’est que l’on n’a jamais réussi à établir un mécanisme de vote. D’où la règle du consensus qui donne un pouvoir aussi important aux pays qui bloquent. Cela veut dire que les COP sont cantonnées à toujours rester une arène qui ne peut qu’acter ce qui est rendu possible par d’autres processus. Il est alors très important de créer des initia tives qui vont plus loin et qui ne sont pas sous la convention cli mat, comme l’alliance pour la fin des énergies fossiles lancée à la COP26 ou l’aide mobilisée pour assister l’Afrique du Sud dans sa transition énergétique. Comment concilier l’impératif de réduire les émissions et le besoin de développement des pays émergents ? La gouvernance climatique ne peut pas résoudre les questions d’inégalités dans le monde. Il faut donc les inscrire dans une real politik climatique. Il faut quitter le domaine de la seule morale pour passer par la voie de la sou veraineté nationale. Les crises cli matiques aggravent les tensions et peuvent déstabiliser les pays ; à l’inverse, la transition écologique contribue à la stabilité du sys tème politique international et les entreprises peuvent en profi ter. Aider les pays en développe ment à faire leur transition et à s’adapter doit donc être vu comme une nouvelle politique de stabilité internationale. La ques tion de la dette climatique sera peutêtre plutôt traitée par les tri bunaux. Pourquoi les négociations climatiques n’abordentelles pas formellement les questions énergétiques ? Dès les premières COP, à partir de 1995, l’Arabie saoudite et l’Aus tralie, soutenus par les pays du Golfe et, parfois ouvertement, parfois de manière tacite, par les EtatsUnis, ont empêché que l’on aborde les mesures concrètes de réduction des émissions. Puis, Riyad et ses alliés ont bloqué toute mention à la sortie des énergies fossiles et au développement des renouvelables dans l’accord de Pa ris en 2015, et même à toute men tion au carbone. Ils considèrent qu’il s’agit d’un traité sur le climat et non sur l’énergie. On parle dé sormais de comment arrêter les subventions aux énergies fossiles au sein du G7 et du G20, mais cela ne fait pas partie des négociations climatiques sous l’égide des Na tions unies. Aujourd’hui l’Arabie saoudite bloque de manière moins frontale, mais elle ne pour rait pas continuer sans le soutien des EtatsUnis, le pays qui a le plus nui au processus. Comment ont évolué les rapports de force entre pays dans les négociations ? Il y a deux grands blocs qui s’op posent sur le sujet de la réduction des émissions : les pays dévelop pés (l’Union européenne, les EtatsUnis, etc.) et les petites îles font front contre les grands pays émergents pour leur demander d’accélérer la décarbonation de leur économie. Mais il y a aussi un autre clivage sur les finances, cette fois NordSud. Les EtatsUnis por tent le plus fort le refus de s’enga ger dans des financements prévi sibles et réguliers pour les pays en développement, et l’UE les suit. Reste que l’échiquier des négo ciations est devenu plus flou, et on voit des fissures au sein du groupe « G77 + Chine », qui ras semble 134 pays en développe ment, car il devient trop évident que certains gros émetteurs font partie du problème. La géopoliti que du climat rebat les cartes de la géopolitique mondiale : elle rend parfois nécessaire des alliances qui vont audelà des clivages clas siques, dont celui NordSud. propos recueillis par audrey garric L’Etat renonce provisoirement à privatiser le domaine de Grignon Face à l’hostilité des élus, le gouvernement abandonne la vente du site pédagogique et agricole qui accueille AgroParisTech, dans les Yvelines I nutile de s’entêter et d’allervers un « fiasco programmé »,surtout en pleine campagne présidentielle. Alerté de toutes parts sur les risques d’une opéra tion devenue très polémique, le gouvernement a officiellement renoncé, lundi 15 novembre, à privatiser dans l’immédiat le domaine de Grignon (Yvelines), ce berceau de l’agronomie fran çaise qui accueille actuellement l’école d’ingénieurs AgroParis Tech. Un peu comme il avait abandonné fin 2019 le gigantes que site de loisirs et de commer ces Europacity envisagé dans le Triangle de Gonesse (Vald’Oise). Trois mois et demi après avoir annoncé la vente de Grignon au promoteur immobilier Altarea Cogedim, l’Etat remet ainsi en cause le projet qu’il avait lui même choisi, après en avoir lon guement dessiné les contours. « Il n’est pas possible de maintenir la procédure engagée », recon naît un communiqué de la pré fecture des Yvelines. Une nou velle « procédure de cession » sera lancée « au second semestre 2022 », précise simplement la préfecture. Ce qui renvoie la décision finale – privatiser ou non, comment, et au profit de qui – au gouvernement qui sera issu des élections du printemps 2022. « Nous prenons acte de la décision de l’Etat », a sèchement réagi Altarea Cogedim lundi. Cette remise à plat marque l’échec d’une privatisation qui, depuis des mois, suscitait de plus en plus d’opposition. Tout est parti de la volonté de regrouper les quatre sites d’Agro ParisTech dispersés en Ilede France en un seul campus, sur le plateau de Saclay (Essonne), une « zone d’excellence » en matière de recherche. Lancé en 2008 sous Nicolas Sarkozy, le projet est en suite validé par les équipes de François Hollande puis d’Emma nuel Macron. La vente du site pa risien de ClaudeBernard et celle de Grignon doivent financer l’installation à Saclay. C’est dans ce cadre que l’Etat or ganise, en 2020, un appel d’offres pour céder Grignon, un vaste et beau domaine qui, à une ving taine de kilomètres de Versailles, comprend un château du XVIIe siècle, 130 hectares de terres agricoles, et plus de 133 hectares de bois. Quatre candidats répon dent et, fin juillet, l’offre d’Altarea Cogedim, évaluée à 18 millions d’euros, est retenue. Le promo teur prévoit notamment de cons truire sur place une centaine de logements, une maison de re traite, une résidence pour per sonnes âgées, et d’accueillir des séminaires et divers événements dans le château, inscrit au titre des monuments historiques. Mais, au fil du temps, ce scéna rio suscite des réticences croissan tes. Les étudiants, les anciens élè ves montent au créneau, et le site est bloqué trois semaines. Les éco logistes crient à la « bétonisation » d’un domaine emblématique, alors qu’il faudrait au contraire préserver les terres agricoles et améliorer l’autonomie alimen taire de l’IledeFrance. Les com munistes et La France insoumise y voient un nouveau cadeau fait aux « promoteurs assoiffés de ter res et de biens publics ». La droite et les élus locaux se mobilisent eux aussi contre un projet dicté par la direction de l’immobilier de l’Etat, depuis Bercy, sans les associer. Avantmême l’attribution du marché, la sénatrice (Les Républicains, LR) Sophie Primas met en garde le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie : « Attention, ce dossier est emblématique de tout ce qu’on reproche à la Macronie : on dit qu’on écoute les territoires, et on fait l’inverse. » Le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, sai sit de son côté Jean Castex. « Fiasco programmé » Le préfet des Yvelines, JeanJac ques Brot, alerte également le pre mier ministre sur toutes les fai blesses, notamment juridiques, de l’opération. A la fin de l’été, il lui envoie une note, révélée par Mediapart, dans laquelle il souli gne combien la transaction ris que de devenir « un point de fric tion et de controverse », le sym bole d’une cession bricolée par l’Etat pour un gain minime, au profit d’un opérateur « que seule anime une volonté de densifier par des logements de luxe la partie his torique (…) et de thésauriser du foncier pour le reste ». « Il est certai nement encore possible de s’épar gner le funeste enclenchement de ce fiasco programmé », ajoutetil. Pour l’Etat, la pression devient trop forte. Julien Denormandie confie une mission de concerta tion au directeur d’AgroParis Tech, se range aux arguments des opposants, et au bout du compte, Matignon arbitre : le projet est suspendu. L’installation de l’école à Saclay en 2022 n’est pas remise en cause. En revanche, tout reste ouvert pour Grignon. « Cette victoire nous donne six à huit mois pour enrichir notre pro pre projet », se réjouit Mathieu Baron, le délégué général de l’as sociation Grignon 2000, dont la proposition « d’intérêt général » à 13 millions d’euros était en con currence avec celle d’Altarea Co gedim. « Je vais me battre pour qu’il n’y ait pas de logements, afin que le site ne soit pas démantelé et qu’il se concentre sur la recherche et la transition écologique, pro met Nadine Gohard, la maire (sans étiquette) de ThivervalGri gnon. Maintenant, on se remet tous autour de la table ! » denis cosnard Si l’installation de l’école d’ingénieurs à Saclay, en 2022, n’est pas remise en cause, tout reste ouvert pour Grignon Discussion de délégués lors de la COP26, à Glasgow (Ecosse), le 13 novembre. YVES HERMAN/REUTERS « Il y a un réel problème avec le mécanisme volontaire de l’accord de Paris. Rien ne force les pays à accroître leurs efforts tous les cinq ans » 0123 MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021 planète | 13 Glyphosate : l’expertise européenne a exclu la quasitotalité des études Selon l’analyse de Générations futures, le rapport préliminaire européen juge 99 % des études sur la toxicité du pesticide non pertinentes ou non fiables U ne expertise peutelleêtre scientifique si lascience n’y a pas saplace ? C’est l’épineuse question posée par l’association Générations futures à propos de l’expertise préliminaire euro péenne sur le glyphosate, qui doit permettre la réautorisation en Europe de l’herbicide contro versé, fin 2022. Dans une analyse rendue publique mardi 16 no vembre, l’association antipesti cide estime et chiffre, pour la pre mière fois, la nonprise en compte de l’écrasante majorité des études universitaires récen tes par le rapport préliminaire européen (RAR, pour « Renewal Assessment Report »), préparé par les agences réglementaires néerlandaise, hongroise, fran çaise et suédoise. Selon l’analyse bibliométrique conduite par l’association, seules 3 % des 7 188 études publiées dans les revues scientifiques interna tionales sur le glyphosate au cours des dix dernières années ont, en effet, été jugées « perti nentes » et « pouvant être utiles pour l’évaluation » de la subs tance. Parmi cellesci, seule une petite fraction – 0,4 % de l’ensem ble – est jugée « fiable ». Au total, c’est ainsi plus de 99 % de la litté rature savante produite au cours de la dernière décennie sur la toxicité, l’écotoxicité ou les pro priétés de perturbation endocri nienne (capacité à interférer avec le système hormonal) du pesti cide de synthèse le plus utilisé au monde qui est jugée non perti nente ou non fiable par le RAR. A l’inverse, note l’association, les études conduites par les fabri cants bénéficient d’une plus grande mansuétude et finissent par fonder l’essentiel de l’exper tise européenne. Pourtant, Gé nérations futures relève des « dé fauts majeurs » dans la plupart de ces tests réglementaires, qui ont pourtant été considérés comme fiables par les évalua teurs européens. Divergences de vues Le rapport de l’association éclaire une controverse qui dure depuis plus de cinq ans. En mars 2015, le Centre internatio nal de recherche sur le cancer (CIRC), la principale autorité de classification des agents cancé rogènes, classait le glyphosate comme « cancérogène probable pour l’homme ». Une position diamétralement opposée à celle des agences réglementaires européennes et américaine : con sidéré comme non cancérogène, le glyphosate a été réautorisé en 2017, pour cinq ans, sur le ter ritoire de l’Union européenne. Quatre ans plus tard, les résul tats de la nouvelle expertise européenne sont identiques. Se lon les conclusions du RAR, com muniquées en juin, le glyphosate ne serait ni cancérogène, ni mu tagène, ni reprotoxique, ni per turbateur endocrinien. Au même moment, l’expertise col lective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) faisait valoir une opi nion différente, concluant no tamment à une « présomption moyenne » d’un lien entre expo sition professionnelle au glypho sate et survenue d’un lymphome non hodgkinien, un type de can cer du système lymphatique. Pourquoi de telles divergences de vue ? Le rapport de Généra tions futures l’explique par la nonprise en compte, par les ex perts européens, des études uni versitaires et académiques pu bliées dans la littérature savante. Sur les 1 550 études sur la toxicité du glyphosate publiées dans la littérature scientifique au cours des dix dernières années et iden tifiées par l’association, seules 11 ont été jugées fiables par le RAR. Sur les 1 614 études d’écotoxicité identifiées, là encore 11 études ont été jugées fiables. Le taux est plus faible encore pour les effets de perturbation endocrinienne : sur 4 024 études publiées, seules 8 sont jugées fiables par le RAR. Sur quels critères objectifs l’es sentiel de la science publiée sur le glyphosate estil considéré comme non pertinent ou non fiable ? « Le fait de ne sélectionner que des études faites sur une “es pèce pertinente pour la toxicolo gie des mammifères” [selon la ré glementation] revient à exclure toutes les études réalisées sur d’autres organismes, en particu lier aquatique », explique l’asso ciation dans son rapport. Or, les laboratoires universitaires utili sent de plus en plus le poisson zè bre comme modèle animal pour étudier les effets possibles de cer tains produits sur l’homme : tous ces travaux sont a priori rejetés par l’expertise. De même, pro teste l’organisation, « les études mécanistiques portant sur les ef fets du glyphosate au niveau cel lulaire et moléculaire ont été reje tées, car [selon les règles appli quées par les agences réglemen taires] elles “ne peuvent pas être liées à l’évaluation du risque” ». D’autres travaux universitai res sont également rejetés parce qu’ils ont été réalisés dans un contexte non européen. « Les études réalisées en Asie ou en Amérique du Sud sont reje tées dès la lecture du résumé, car les conditions [expérimentales] ne seraient pas comparables à celles de l’Europe, liton dans le rapport. Cela équivaut à dire que l’on prend en considération des aspects relevant de l’exposi tion pour évaluer un danger, ce qui est contraire à tous les principes d’évaluation des dan gers et des risques. » « Processus pas équitable » Les études fournies par les fabri cants de pesticides à l’appui de la demande de réautorisation du glyphosate sontelles soumises à la même sévérité ? La toxicolo gue Pauline Cervan,
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