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Le Monde du Mercredi 17 Novembre 2021@F.P@

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MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021
77E ANNÉE – NO 23906
3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
 Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
SCIENCE & MÉDECINE  ­ SUPPLÉMENT  LE MÉCANISME PSYCHOLOGIQUE DES FAUX AVEUX
Pouvoir d’achat : l’évolution du niveau 
de vie des Français depuis 2017
la politique économique du 
gouvernement a favorisé le pou­
voir d’achat des actifs et des plus 
riches, selon une étude de l’Insti­
tut des politiques publiques. 
Cette évaluation approfondie 
des conséquences, sur les ména­
ges comme sur les entreprises, 
des mesures fiscales et sociales 
du quinquennat pointe que 
presque tous les Français ont vu 
leur niveau de vie augmenter, de 
397 euros par an en moyenne 
(+ 1,6 %). Presque tous… car 
l’organisme indépendant relève 
l’exception notable des 5 % 
de ménages les plus modestes 
qui, eux, ont vu le leur reculer 
jusqu’à 0,5 %.
LIRE PAGE 14
1 ÉDITORIAL
LE MIRAGE DE L’INFLATION
PAGE 35
L’entretien vidéo de plus 
de trois heures entre Xi 
Jinping et Joe Biden visait 
à organiser les règles de la 
compétition et éviter une 
confrontation ouverte
PAGE 7
Diplomatie
Biden et Xi 
tentent de 
surmonter leurs 
divergences
Primé à Cannes, le long­
métrage du Thaïlandais 
scrute le dérèglement des 
sens. Focus sur les autres 
sorties de la semaine
PAGES 27 À 30
Cinéma
« Memoria », de 
Weerasethakul, 
un voyage au 
cœur du rêve
Spécialiste de la gouver­
nance climatique, Stefan 
Aykut estime qu’on attend 
trop des sommets, quand 
le changement doit être 
mûri dans la société
PAGE 12
Climat
« Les COP 
ne sont qu’une 
chambre 
d’enregistrement »
La chasse, débat de société et enjeu politique
▶ Sur fond d’accidents, 
les relations se tendent 
entre les chasseurs et les 
promeneurs, dans un pays 
qui détient le record du 
nombre d’espèces chassées
▶ Les candidats à la prési­
dentielle courtisent ce 
million de voix qui peu­
vent constituer l’appoint 
nécessaire à une qualifica­
tion au second tour 
▶ L’absence d’un candidat 
issu de leurs rangs auto­
rise les convoitises de 
cet électorat pluriel qui 
ne vote pas systématique­
ment à droite
▶ A condition de ne 
pas effrayer les tenants 
de la protection animale, 
de plus en plus présents 
à gauche et chez les 
écologistes
▶ Macron a à son actif la 
baisse du coût du permis, 
et son gouvernement 
compte de nombreux 
défenseurs de la chasse
PAGES 8 À 11
MIGRANTS : LA BIÉLORUSSIE TEMPORISE, L’UE SANCTIONNE
Des réfugiés, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, le 15 novembre. OKSANA MANCHUK/BELTA/REUTERS
▶ Loukachenko se dit 
prêt à assurer le retour 
des 2 000 à 3 000 migrants 
dans leur pays
▶ Poutine convient de 
la nécessité d’une « déses­
calade » entre Minsk 
et l’UE, mais sur le front 
ukrainien le dialogue 
de sourds perdure
PAGES 2 ET 4
VU PAR URI FINK (ISRAËL)    CARTOONING FOR PEACE
PUBLIÉ DANS LE « MAARIV DAILY », LE 15 NOVEMBRE
Rail
Avec l’ouverture 
à la concurrence, 
des start­up 
réinventent le train
PAGE 24
Education
Les élèves 
retrouvent leur 
niveau d’avant 
le Covid
PAGE 20
Tribune
Plaidoyer 
pour un « pacte 
de refondation 
démocratique » 
PAGE 34
Loger mieux et moins 
cher… Au cœur de la 
révision du plan local 
d’urbanisme, la question 
de la densification divise
PAGE 21
Urbanisme
Les discussions 
sur le Paris 
du futur prennent 
un tour politique
ET SI RÉUSSIR
C’ÉTAIT
TRANSMETTRE
AUTREMENT ?
#FINANCE DURABLE
Imaginons l’avenir
2 | INTERNATIONAL MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123
L’UE sanctionne, Loukachenko temporise
Merkel a évoqué la crise migratoire avec le dictateur biélorusse, Poutine a parlé de « désescalade » avec Macron
bruxelles ­ bureau européen
L a chancelière allemande,Angela Merkel, s’est en­tretenue par téléphonedurant une cinquantaine
de minutes avec le dictateur biélo­
russe, Alexandre Loukachenko, 
lundi 15 novembre au soir. Les 
deux dirigeants ont, selon un por­
te­parole du gouvernement alle­
mand, évoqué « la situation diffi­
cile » à la frontière polonaise, où 
de 2 000 à 3 000 migrants et réfu­
giés, venus essentiellement du
Moyen­Orient, instrumentalisés 
par les autorités de Minsk, tentent
en vain, depuis des jours, de péné­
trer sur le territoire de l’Union
européenne (UE). La chancelière
et le président auraient aussi 
parlé de l’aide humanitaire à ap­
porter à ces personnes, dont huit 
au moins sont déjà mortes.
C’est la première fois que
M. Loukachenko conversait avec
un responsable européen depuis
le début de la crise migratoire et,
au­delà, depuis l’été 2020, quand
il a déclenché une violente ré­
pression à la suite de sa réélection
contestée, qu’aucun pays de 
l’Union n’a reconnue. Lundi, le 
président, accusé d’avoir orga­
nisé un vaste mouvement de mi­
grants (20 000 à 30 000 d’entre
eux auraient débarqué à Minsk)
pour se venger des sanctions 
européennes prises contre lui et 
son pays, a déclaré vouloir assu­
rer le retour de ces personnes
« chez elles ». Un « travail actif » 
serait en cours pour tenter de les
convaincre. La plupart d’entre el­
les refuseraient toutefois l’option
d’un retour.
« Accroître les sanctions »
Nouveau coup de bluff du diri­
geant biélorusse ? Réunis à 
Bruxelles, les ministres des affai­
res étrangères des Vingt­Sept s’en 
sont, en tout cas, tenus à leur pro­
gramme, en notant au passage 
que M. Loukachenko leur promet­
tait toujours des « représailles » et 
jugeait « absurdes » leurs accusa­
tions. Les nouvelles sanctions, ba­
sées sur un nouveau critère – 
l’instrumentalisation de la migra­
tion pour en faire un outil d’atta­
que « hybride » –, seront précisées
et annoncées dans les prochains
jours. Elles viseront des person­
nes physiques et morales.
Selon Josep Borrell, le haut re­
présentant européen pour les af­
faires étrangères et la politique de
sécurité, ces mesures restrictives
concerneront aussi des compa­
gnies aériennes et des opérateurs 
du secteur touristique biélorus­
ses, ainsi que des agences de voya­
ges du Proche­Orient. Après la
Turquie, les autorités des Emirats 
arabes unis ont, en tout cas, an­
noncé lundi que leurs compa­
gnies n’embarqueraient plus de 
Syriens, d’Irakiens, d’Afghans ou 
de Yéménites vers Minsk.
« C’est le signe que l’Europe n’est
pas impuissante et que ses mena­
ces de sanctions ont porté », relève
Pawel Zerka, chercheur au cercle 
de réflexion European Council on
Foreign Relations. Ce spécialiste 
invite cependant à la vigilance : 
« Même si les choses finissent par
se calmer, l’Europe ne sera pas en 
sécurité, tandis que le dictateur
Loukachenko, qui joue sa survie, 
restera en place. Il faudra accroître
les sanctions économiques. »
Lundi toujours, Emmanuel
Macron a parlé par téléphone
avec le président russe, Vladimir 
Poutine. Les deux dirigeants sont 
convenus de la nécessité d’une 
« désescalade » à la frontière entre
la Biélorussie et la Pologne, selon 
l’Elysée. Il n’y aurait eu, en revan­
che, « aucune convergence » entre 
eux sur l’origine de la crise migra­
toire à l’issue d’un « long 
échange » sur ce point.
Le président russe, que les Euro­
péens tentaient depuis des jours 
d’impliquer dans la résolution du 
conflit, s’était entretenu la veille 
avec M. Loukachenko. Selon Paris,
il comprendrait désormais la né­
cessité de mettre un terme à la
crise, « en premier lieu dans l’inté­
rêt des migrants ». Les deux diri­
geants seraient donc d’accord sur 
la nécessité d’une désescalade, in­
cluant le dossier des livraisons de 
gaz russe, alors que Minsk mena­
çait de fermer un gazoduc qui
passe sur son territoire.
Appui de la Russie
Le changement de tondu diri­
geant russe a été rapide. Lundi 
matin encore, le Kremlin jugeait
« erroné » d’accuser le régime de 
Minsk, tout en déplorant que 
l’Union européenne « fasse abs­
traction de ses idées d’huma­
nisme » en n’aidant pas les mi­
grants.
Interrogé sur le rôle possible de
Moscou dans la crise biélorusse et 
sa possible exploitation du thème,
ultrasensible pour les Européens, 
de la migration, M. Borrell parlait, 
pour sa part, d’une « hypothèse », 
lundi. Mais apparemment assez 
sérieuse à ses yeux, puisqu’il préci­
sait : « Je ne suis pas dans le secret 
des discussions entre Poutine et 
Loukachenko, mais il est clair que 
celui­ci agit comme il le fait parce 
qu’il est appuyé massivement par 
la Russie, même si elle nie. »
A Bruxelles, au­delà de la
condamnation unanime des pra­
tiques biélorusses, beaucoup de 
questions se posent sur l’attitude 
de la Pologne, qui a déployé 15 000
militaires pour appuyer ses poli­
ciers et gardes­frontières. Varso­
vie refuse toujours d’en appeler à
Frontex, l’agence des gardes­fron­
tières basée… dans la capitale po­
lonaise, et dont la mission est no­
tamment de protéger les frontiè­
res extérieures de l’UE. « L’interdic­
tion faite à la presse et aux ONG de
se rendre dans la zone empêche, 
par ailleurs, de mesurer correcte­
ment la situation des personnes 
coincées entre barbelés polonais et
forces armées biélorusses, cela de­
vient vraiment problématique »,
relève une source au Conseil.
Refusant toute critique et toute
pression au nom de sa souverai­
neté, le pouvoir polonais tente 
« La plus grave crise que l’Europe ait connue depuis trente ans »
Le président estonien, Alar Karis, s’inquiète du soutien de Moscou à Minsk et des tensions à la frontière entre la Russie et l’Ukraine
ENTRETIEN
D e passage à Paris, le prési­dent d’Estonie, AlarKaris, est à l’initiative de
la réunion d’urgence qui s’est te­
nue aux Nations unies, le 11 no­
vembre, sur la situation à la fron­
tière polono­biélorusse. Ce petit 
pays balte fait aussi partie du 
groupe des douze pays qui, début 
octobre, ont réclamé l’édification
de murs financés par l’Union 
Européenne (UE) pour protéger
les frontières extérieures.
Comment analysez­vous 
la situation à la frontière 
polono­biélorusse ? L’Estonie 
se sent­elle concernée ?
Le fait qu’en Estonie nous
n’ayons pas de frontière directe
avec la Biélorussie ne signifie pas 
que nous ne sommes pas concer­
nés. C’est une question pour toute
l’Union européenne, car cela tou­
che à ses frontières communes et 
nous sommes confrontés à une 
véritable escalade depuis quel­
ques semaines. Nous suivons très
attentivement ce qui se passe. 
Nous avons déjà soulevé cette 
question devant les Nations unies
[jeudi 11 novembre].
J’ai également appelé le prési­
dent de Pologne. Il m’a répondu 
qu’il n’avait pas besoin de notre 
aide, pour le moment. L’essentiel 
est de bien comprendre qu’il 
s’agit, non pas d’une question mi­
gratoire, mais de quelque chose
de très orchestré. Nous devons 
impérativement trouver une so­
lution, car l’hiver arrive, et il y a, 
parmi ces migrants, beaucoup de 
femmes et d’enfants.
Quelles solutions 
préconisez­vous ?
Il faut plus de sanctions contre
le régime biélorusse. Nous fai­
sons partie des pays qui pensent 
que des clôtures pourraient être
érigées à certains points. Pour
l’instant, il n’y a pas de finance­
ment européen, mais nous en dis­
cutons au sein de l’UE. De notre 
côté, nous investissons depuis
longtemps dans les nouvelles 
technologies pour la sécurisation 
de notre frontière, qui est en par­
tie la frontière extérieure de l’UE.
Pensez­vous, comme 
le premier ministre polonais, 
que le président russe est 
derrière la crise migratoire ?
Je n’ai pas de documents, bien
sûr, mais le président russe veut 
sans doute envoyer le message 
qu’il peut déstabiliser l’UE. Les re­
lations entre la Russie et l’UE sont
gelées, et personne ne sait com­
ment elles vont évoluer.
Les mouvements de troupes 
aux frontières de l’Ukraine, 
signalés par les Etats­Unis, 
vous inquiètent­ils ?
Oui, nous devrions tous être in­
quiets. Une partie de l’Ukraine est
déjà occupée par la Russie. Or, il y 
a de nouveaux mouvements à 
l’est, des exercices militaires. 
Cette situation est préoccupante. 
C’est la plus grave crise que nous
traversons depuis trente ans, de­
puis notre indépendance. Et des 
petits pays comme le nôtre doi­
vent être particulièrement vigi­
lants. Mais, même s’ils expriment
parfois des opinions différentes, 
la plupart des Etats membres sont
unis et jugent la situation inac­
ceptable.
L’Europe défend­elle ses 
valeurs, alors que l’on assiste 
de plus en plus à des 
refoulements de migrants, 
une pratique illégale au regard 
du droit international ?
Bien sûr, l’Europe défend ses va­
leurs. Nous ne déclenchons pas de
guerre. Nous n’envoyons pas les 
forces de l’OTAN. Nous essayons 
de négocier, de dialoguer, d’expli­
quer ce qu’il se passe. Les démo­
craties sont parfois lentes à agir, 
certains voudraient que l’on soit 
plus proactif, ils pensent que c’est 
une faiblesse. Mais d’autres esti­
ment que ce sont les valeurs que 
nous devons conserver et qui font 
notre force. Par ailleurs, nous dé­
fendons une Europe forte, y com­
pris militairement, mais en tant 
que nation attachée à l’Alliance 
transatlantique, nous estimons 
qu’elle doit agir en concertation 
avec les forces de l’OTAN. Plus glo­
balement, les Etats­Unis doivent 
veiller à ne pas porter toute leur at­
tention sur la Chine, et aussi s’inté­
resser à l’Europe et à la Russie.
La crise migratoire actuelle 
peut­elle affecter les discussions 
entre Bruxelles et Varsovie sur 
les questions d’Etat de droit ?
Ce sont deux sujets déconnec­
tés. A terme, je suis convaincu 
que, d’une manière ou d’une
autre, la question sur l’Etat de 
droit sera résolue. La Pologne
veut rester dans l’Europe. 
propos recueillis par
stéphanie le bars
et isabelle mandraud
Des migrants font face aux soldats biélorusses, à la frontière avec la Pologne, le 14 novembre. OKSANA MANCHUK/BELTA VIA AP
Refusant toute
critique et toute
pression, le 
pouvoir polonais
tente désormais
d’impliquer 
l’OTAN
aussi désormais d’impliquer 
l’OTAN. La semaine dernière, il a 
reçu le témoignage du soutien po­
litique de ses alliés, lors d’une réu­
nion du comité des ambassadeurs.
Par la voix du premier ministre, 
Mateusz Morawiecki, le gouverne­
ment paraît désireux d’aller plus 
loin en évoquant notamment la 
possibilité d’un recours à l’article 4
du traité de l’Atlantique Nord, qui 
prévoit une consultation appro­
fondie entre pays membres en cas,
notamment, de menaces sur la sé­
curité et l’intégrité de l’un d’eux.
Un propos qui n’a pas été relayé,
lundi, lors de la réunion ministé­
rielle des affaires étrangères. Au 
grand soulagement de plusieurs 
capitales, peu désireuses d’impli­
quer l’OTAN dans cette crise. « Ce 
serait agiter un chiffon rouge écar­
late sous le nez de Poutine, alors 
qu’il paraît revenu à de meilleures 
intentions », juge un diplomate. 
philippe ricard
et jean­pierre stroobants
Devenons l’énergie qui change tout.
Avec le groupe EDF, les piscines publiques peuvent réduire demoitié
leurs émissions de CO2*. Et ça, c’est mieux pour le climat.
LESÉMISSIONS
DE
VONTFAIRE .
4 | international MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123
L’Ukraine au cœur 
d’un dialogue de sourds 
entre Paris et Moscou
Macron et Poutine se sont entretenus, 
le 15 novembre, sans parvenir à s’entendre
bruxelles ­ bureau européen
U n contentieux peut en ca­cher un autre. Le coup detéléphone entre Vladimir
Poutine et Emmanuel Macron, 
lundi 15 novembre, s’est concentré
sur la frontière polono­biélorusse. 
Mais il a aussi porté sur le front 
ukrainien. Si M. Macron et 
M. Poutine ont, pendant près de 
deux heures, examiné les voies 
d’une « désescalade » dans la crise 
des migrants, repoussés par Lou­
kachenko vers la Pologne, ils se 
sont montrés incapables du 
moindre signal d’apaisement sur 
l’Ukraine. Au contraire : après les 
importantes manœuvres russes à 
la frontièrerusso­ukrainienne, 
qui avaient inquiété les Occiden­
taux au printemps, ces derniers 
sont de nouveau en alerte.
Ainsi, M. Macron, comme la
chancelière allemande, Angela 
Merkel, la semaine dernière, a­t­il 
mis en garde M. Poutine contre 
toute nouvelle intrusion sur le ter­
ritoire ukrainien, sept ans après 
l’annexion unilatérale de la Cri­
mée par la Russie. Il lui a dit, selon
l’Elysée, sa « préoccupation forte » 
et sa « volonté de défendre l’inté­
gralité territoriale » du pays, dans 
une formule un rien incantatoire. 
De son côté, selon un communi­
qué du Kremlin, M. Poutine a 
accusé Kiev de mener une « politi­
que destructrice ». Il a dénoncé 
l’« utilisation récente, par l’Ukrai­
ne, de drones dans la zone de con­
flit ». Une référence à l’usage de 
matériel de fabrication turque, ac­
quis récemment par Kiev.
« Dégradation de la situation »
Au même moment, le ministre 
des affaires étrangères français, 
Jean­Yves Le Drian, et son homolo­
gue allemand, Heiko Maas, pu­
bliaient un communiqué com­
mun : « Face aux préoccupations 
renouvelées liées à des mouve­
ments de forces et de matériels mili­
taires russes à proximité de 
l’Ukraine, les deux ministres ont 
appelé la Russie à adopter une pos­
ture de retenue et à se montrer 
transparente sur ses activités mili­
taires », ont­ils déclaré, après s’être 
entretenus avec le chef de la diplo­
matie ukrainienne, Dmytro Kou­
leba. La situation à la frontière est 
suivie d’autant plus près que la 
conflictualité reste forte dans les 
régions séparatistes du Donbass, 
dans l’est du pays. « Nous notons 
une dégradation de la situation sé­
curitaire depuis dix­huit mois, à 
mesure que se dégrade le respect du
cessez­le­feu de décembre 2019 », 
confie un diplomate.
Derrière la menace militaire
pointe une autre inquiétude, à Pa­
ris comme à Berlin, portant sur 
l’impasse diplomatique : le blo­
cage des accords de Minsk, qui 
grippe la médiation entreprise par
les deux capitales dans le cadre du 
format dit « Normandie » – censé 
encadrer les discussions entre la 
Russie, l’Ukraine, la France et l’Alle­
magne. La question a été abordée 
lundi par M. Macron et M. Pou­
tine : les Français s’agacent de voir 
la Russie se considérer comme 
médiatrice entre les Ukrainiens et 
les séparatistes prorusses du 
Donbass, alors que ces derniers 
sont soutenus par Moscou. Ces 
velléités ont entraîné l’annulation
d’une réunion en « format Nor­
mandie », un temps prévue pour 
le 11 novembre, les Russes ayant 
posé « des conditions inaccepta­
bles » en ce sens, dit­on à Paris.
Dans son entretien avec M. Pou­
tine, le président de la République
« a rappelé le rôle de médiateurs de
la France et de l’Allemagne, et lui a 
demandé de s’engager, de ne pas 
renvoyer à un dialogue direct en­
tre Kiev et les séparatistes ». « Le 
“format Normandie” ne permet 
plus d’avancer », observe­t­on à 
l’Elysée, tout en tenant à le relan­
cer : « Poutine a fait part, de son 
côté, de l’analyse qu’il porte sou­
vent, que la négociation serait 
mise en difficulté par l’Ukraine, qui
n’a pas tenu ses engagements. »
De surcroît, l’Alliance atlantique
a fait savoir à Moscou, lundi, 
qu’elle se tenait « aux côtés » de 
l’Ukraine, à la suite du déploie­
ment de troupes et de l’installa­
tion de matériels lourds à sa fron­
tière au cours des derniers jours. 
Jens Stoltenberg, le secrétaire gé­
néral de l’OTAN, qui a reçu lui aussi
M. Kouleba, a appelé Moscou à la 
« transparence », après « une im­
portante et significative accumula­
tion de troupes ». Selon le prési­
dent ukrainien, Volodymyr Ze­
lensky, près de cent mille soldats 
auraient été mobilisés. Et s’il dit re­
fuser de « spéculer », M. Stolten­
berg remarque que, par le passé, 
cela a permis à la Russie de déclen­
cher des « actions agressives ».
Gabrielius Landsbergis, le mi­
nistre des affaires étrangères li­
tuanien, évoquait, l’éventualité
d’une offensive russe contre 
l’Ukraine. Selon le haut représen­
tant pour les relations extérieu­
res, Josep Borrell, l’essentiel des 
troupes russes massées près de la 
frontière aurait été retiré, mais 
des équipements lourds et un im­
portant arsenal resteraient sur 
place. Et ils pourraient servir en 
cas de nouveau déploiement de 
troupes, lequel serait « possible en
quelques jours ». « Nous avons
déjà connu des exemples de ce 
type par le passé, et nous expri­
mons les mêmes préoccupations 
qu’à l’époque », a souligné le chef 
de la diplomatie européenne.
Moscou rejette la responsabilité
des tensions actuelles sur les 
mouvements de l’OTAN dans la
région. Lors de sa conversation 
avec M. Macron, M. Poutine a at­
tiré « l’attention sur la nature pro­
vocatrice des exercices de grande 
ampleur menés par les Etats­Unis 
et certains de leurs alliés en mer
Noire, qui renforcent les tensions 
entre la Russie et l’OTAN », a signi­
fié le Kremlin. Le président russe 
cible ainsi la participation de plu­
sieurs navires militaires améri­
cains à des exercices opérés régu­
lièrement en mer Noire. 
philippe ricard
et jean­pierre stroobants
A Washington, Bannon défie la commission 
d’enquête sur l’assaut du Capitol
L’ex­conseiller de Donald Trump a comparu devant un juge après avoir refusé de témoigner
washington ­ correspondant
V este à poches de chasseuret sourire narquois auxlèvres, Steve Bannon a
soigné son arrivée, lundi 15 no­
vembre, au moment de se rendre 
aux agents de la police fédérale 
(FBI). L’ancien conseiller de Do­
nald Trump, inculpé pour avoir
entravé le travail de la commis­
sion d’enquête parlementaire sur 
l’attaque contre le Capitole, le 
6 janvier, s’est arrêté devant les
journalistes pour adresser un 
message à ses partisans.
Profitant d’une exposition mé­
diatique maximale, il voulait les 
appeler à regarder son podcast, 
« War Room », lucarne conspira­
tionniste surpassant la chaîne
conservatrice Fox News par ses
outrances. « On fait tomber le ré­
gime Biden », dit­il. « Je veux que 
vous restiez concentrés sur le mes­
sage, pas sur le bruit. Tout ça, c’est 
du bruit », ajouta Steve Bannon, 
en désignant du pouce le bâti­
ment du FBI, dans son dos.
Sa comparution face à un juge
fédéral – avant sa remise en li­
berté dans l’après­midi – est la 
conséquence de son refus de té­
moigner devant la commission
d’enquête de la Chambre des re­
présentants, et de transmettre les 
documents réclamés.
Cette stratégie d’obstruction a
été adoptée à la demande de Do­
nald Trump et recommandée à 
tous ses anciens conseillers, dont 
une vingtaine ont déjà été som­
més de comparaître. L’ancien
chef de cabinet Mark Meadows a 
ainsi méprisé sa propre convoca­
tion, le 12 novembre. Il risque un 
traitement judiciaire similaire,
dont la rare sévérité tient lieu 
d’avertissement aux autres té­
moins que la commission sou­
haite auditionner.
Pour chaque délit retenu contre
Steve Bannon est prévue une 
peine maximale d’un an de pri­
son, et un minimum de trente 
jours derrière les barreaux. Début
octobre, son avocat avait brandi
l’argument du privilège exécutif, 
invoqué par Donald Trump, pour 
justifier son refus de coopérer.
Ce privilège, simple principe
non défini par la loi, protège la 
confidentialité des échanges en­
tre le président et ses proches. 
Problème : au moment des faits, 
en janvier, Steve Bannon n’était 
plus conseiller du président – 
poste quitté en 2017 –, mais ani­
mateur de podcast. « War Room » 
est un programme conspiration­
niste immensément populaire, 
obsédé par les fraudes inventées
de toutes pièces, lors de la der­
nière élection présidentielle.
Course contre la montre
Dans la convocation transmise le 
23 septembre à Steve Bannon, la 
commission expliquait qu’il était 
soupçonné de détenir des infor­
mations importantes sur le 6 jan­
vier. « Par exemple, vous avez été 
identifié comme étant présent à 
l’hôtel Willard le 5 janvier, lors d’un
effort pour persuader les membres 
du Congrès de bloquer la certifica­
tion de l’élection le jour suivant, 
ainsi qu’en relation avec d’autres 
activités le 6 janvier… De plus, vous
êtes cité comme ayant dit,le 5 jan­
vier, que “l’enfer va se déchaîner de­
main” », écrivait la commission.
L’enquête se concentre notam­
ment sur la façon dont l’équipe 
Trump avait mis en place une 
sorte de poste de commandement
à l’hôtel Willard, un établissement
de luxe situé à deux pas de la 
Maison Banche, pour piloter l’opé­
ration du lendemain, au Congrès. 
Dans l’une des suites de ce 5­étoi­
les se trouvaient, ce jour­là, l’an­
cien maire de New York Rudolph 
Giuliani, devenu l’un des avocats 
du président, l’ex­chef de la police 
de New York Bernard Kerik ou 
encore le juriste John Eastman, 
qui a joué un rôle­clé auprès de 
Donald Trump pour tenter de 
justifier la non­certification du 
vote des grands électeurs en fa­
veur de Joe Biden.
La commission d’enquête, qui
compte deux membres républi­
cains, est lancée dans une course 
contre la montre, alors que Do­
nald Trump essaie de bloquer en
justice la transmission de docu­
ments de son administration, dé­
posés aux Archives nationales.
Si les prévisions des experts se
vérifiaient et que les républicains 
reprenaient la majorité au Sénat 
et à la Chambre des représentants
après les élections de mi­mandat,
dans un an, le travail de la com­
mission serait très certainement 
enterré. Elle doit donc sans délai 
convoquer, entendre, et obtenir 
le maximum de documents clas­
sifiés, pour mettre au jour la
chaîne de commandement et de 
complicités dans l’organisation
du coup d’Etat avorté. Mais 
l’autre risque, pour la Maison
Blanche, est celui du précédent
créé par cette entrave au privilège
exécutif. En cas de basculement 
du Congrès, les républicains se 
sentiront ainsi confortés dans
leurs attaques contre l’adminis­
tration Biden. Ils pourraient lan­
cer des convocations contre ses 
plus proches conseillers.
Jim Jordan, élu républicain de
l’Ohio à la Chambre, a mis des 
mots sur cette perspective. « Joe Bi­
den a éviscéré le privilège exécutif. Il
y a beaucoup de républicains dési­
reux d’entendre le témoignage de 
Ron Klain [chef de cabinet de Joe 
Biden] et Jake Sullivan [conseiller à 
la sécurité nationale] lorsque nous 
reprendrons la Chambre. » 
piotr smolar
Londres remonte d’un cran 
le niveau d’alerte terroriste
L’explosion d’un taxi, près d’un hôpital à Liverpool, inquiète 
les autorités, même si les motivations de l’attaque restent peu claires
londres ­ correspondante
L e niveau d’alerte terro­riste a été relevé d’un cranau Royaume­Uni, lundi15 novembre, passant
d’« importante » à « grave » – si­
gnifiant qu’une attaque est haute­
ment probable –, après l’explo­
sion d’une voiture ayant fait un
mort la veille dans la ville de Li­
verpool, au nord­ouest de l’Angle­
terre, traitée comme un « incident 
terroriste » par la police locale et le
MI5, les services de sécurité inté­
rieure du pays.
L’annonce a été faite après une
réunion d’urgence, dite « Cobra », 
présidée par Boris Johnson à 
Downing Street. Les événements 
de Liverpool constituent « un rap­
pel brutal de la nécessité de rester 
extrêmement vigilants », a souli­
gné le premier ministre britanni­
que. « Ce qu’ont montré les événe­
ments d’hier, c’est que les Britanni­
ques ne se laisseront pas intimider
par le terrorisme. Nous ne céde­
rons jamais à ceux qui cherchent à
nous diviser avec des actes de vio­
lence aveugle, car nos libertés et 
nos modes de vie prévaudront tou­
jours », a ajouté le dirigeant.
Les circonstances et les motiva­
tions de l’attaque étaient encore 
peu claires, lundi soir, après une 
première conférence de presse de 
la police du Merseyside (la région 
de Liverpool), qui a annoncé l’ar­
restation de quatre hommes 
d’une vingtaine d’années. Lundi 
soir, ils ont tous été libérés, sans 
que des charges soient retenues 
contre eux. La voiture – un taxi – a
explosé face à la réception de l’hô­
pital pour femmes de Liverpool, 
juste avant 11 heures dimanche 
matin, alors qu’à quelques centai­
nes de mètres se déroulait, dans la
cathédrale de Liverpool, une céré­
monie du Remembrance Sunday 
(un hommage aux vétérans et dis­
parus de l’armée britannique et 
du Commonwealth), comme il 
s’en est tenu des centaines, simul­
tanément, dans tout le pays.
« Miracle »
Le conducteur du taxi, David 
Perry, 45 ans, a pu sortir du véhi­
cule juste après la détonation. Lé­
gèrement blessé, il a quitté l’hôpi­
tal, lundi soir. Le passager, lui, est 
mort dans l’explosion. La police a 
expliqué, lundi, qu’elle « pense 
connaître » cet homme et qu’il a 
probablement « fabriqué la bom­
be » avec laquelle il était dans le 
taxi. En soirée, elle a rendu public 
son identité – Emad Al­Sweal­
meen, 32 ans – et confirmé avoir 
mené des fouilles prolongées
dans deux maisons des environs 
de Liverpool, où il a récemment
séjourné. Le Daily Telegraph assu­
rait qu’il était originaire du 
Moyen­Orient et inconnu des ser­
vices de sécurité.
Le Sun ajoutait, lundi soir, qu’il
serait né en Jordanie, aurait vu sa 
demande d’asile au Royaume­Uni
rejetée en 2014 et se serait conver­
ti au christianisme en 2017. Selon 
le Times, Al­Swealmeen, qui se fai­
sait appeler Enzo Almeni, avait 
souffert de problèmes mentaux
et repéré, il y a sept ans, après une
tentative de suicide.
Il a appelé un taxi à 10 heures du
matin dimanche, et aurait de­
mandé à être conduit à l’hôpital
pour femmes. Etait­ce réellement
sa destination finale ? Enten­
dait­il se rendre un peu plus loin, 
sur le lieu des commémorations 
du Remembrance Sunday ? C’est 
une hypothèse que la police n’a 
pas écartée. Dimanche, réagis­
sant à chaud, la maire de Liver­
pool, Joanne Anderson, a loué les 
« efforts héroïques » du chauffeur, 
qui aurait permis d’éviter un « ter­
rible désastre le jour de Remem­
brance Sunday », et affirmé que 
M. Perry avait « verrouillé les por­
tes » de son véhicule – pour éviter 
au passager d’en sortir avec la 
bombe ? Lundi, cette version des 
faits n’était pas confirmée par les 
forces de l’ordre.
« On a dit qu’il était un héros.
Mais la vérité, c’est qu’il est sans 
aucun doute vraiment chanceux 
de s’en être sorti, a commenté la 
femme du chauffeur, Rachel Perry,
sur les réseaux sociaux. L’explo­
sion a eu lieu quand il était dans le 
véhicule, et c’est un miracle qu’il ait
pu en réchapper. » Selon des sour­
ces citées par le Times, la bombe 
artisanale, fabriquée à base de pe­
roxyde d’acétone (un explosif très 
instable), n’a pas explosé correcte­
ment. « Liverpool n’est pas une ville
où ces choses sont censées se pas­
ser, c’est une ville vibrante et inclu­
sive », a réagi à la BBC la révérende 
Sue Jones, doyenne de la cathé­
drale de Liverpool, qui présidait à
la cérémonie du Remembrance 
Sunday dimanche.
La ministre de l’intérieur, Priti
Patel, a justifié la décision de rele­
ver le niveau d’alerte terroriste à 
« grave », car l’incident de Liver­
pool est le deuxième à caractère
terroriste – il fait suite à l’attentat 
contre le député conservateur Da­
vid Amess. Lord Amess a été as­
sassiné à coups de couteau par un
jeune Britannique d’origine so­
malienne il y a tout juste un mois,
le 15 octobre, alors qu’il entamait 
sa permanence hebdomadaire 
dans une église de Leigh­on­Sea 
(sud­est du pays).
La ministre de l’intérieur avait
annoncé, en février, la rétrograda­
tion du risque terroriste national 
de « grave » à « important », expli­
quant que cette décision était mo­
tivée par une « diminution signifi­
cative » des attaques en Europe 
après les attentats advenus à 
l’automne 2020 – à Vienne (Autri­
che) en novembre, et en France en
octobre, avec l’assassinat de
Samuel Paty. 
cécile ducourtieux
 Converti au 
christianisme en
2017, le suspect,
Al-Swealmeen,
aurait fait une 
tentative de 
suicide en 2014
Derrière la 
menace militaire
pointe une autre
inquiétude : 
l’impasse 
diplomatique
LE PROFIL
Steve Bannon
Né à Norfolk, en Virginie, ce mili-
tant d’extrême droite de 68 ans, 
ex-banquier d’affaires, a dirigé 
de 2012 à 2016 le site Breibart 
News décrit comme « la plate-
forme de l’alt-right ». Devenu le 
stratège de Donald Trump pour 
la présidentielle de 2016, il a 
ensuiteété nommé conseiller du 
président des Etats-Unis, poste 
qu’il n’a occupé que sept mois.
L’UE sanctionne le groupe russe Wagner
L’Union européenne est parvenue à « un consensus » parmi ses 
27 Etats membres pour sanctionner le groupe russe de merce-
naires Wagner, dont les Occidentaux craignent une intervention 
au Mali, a annoncé, lundi 15 novembre, le chef de la diplomatie 
européenne Josep Borrell. Selon le ministre français des affaires 
étrangères, Jean-Yves Le Drian, ces sanctions viseraient 
« des membres de la société Wagner et des sociétés qui travaillent 
directement avec [elle] ». Paris, qui dénonce une « menace 
au Mali », a averti Moscou que le déploiement de mercenaires 
russes dans la bande sahélo-saharienne serait « inacceptable ».
6 | international MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123
A Addis­Abeba, 
vague d’arrestations 
de Tigréens 
Les autorités éthiopiennes disent viser 
les personnes « suspectées d’apporter 
un soutien aux organisations terroristes »
addis­abeba ­ correspondance
D epuis l’instaurationde l’état d’urgence enEthiopie, le 2 novem­bre, la police s’est lan­
cée dans une large campagne 
d’arrestations visant en priorité 
les Tigréens, une minorité qui re­
présente 6 % de la population. 
« S’il est actuellement impossible
d’établir le nombre exact de déte­
nus, ils se comptent par centaines
et potentiellement par milliers »,
indique Amnesty International 
dans un rapport publié vendredi
12 novembre, l’ONG dénonçant
« une nouvelle vague de déten­
tions à motivation ethnique ».
Ce coup de filet, mené essentiel­
lement à Addis­Abeba et dans
d’autres grandes villes du pays, 
vise officiellement ceux « suspec­
tés d’apporter un soutien direct 
ou indirect, moral ou matériel,
aux organisations terroristes », 
comme le détaille le décret de 
l’état d’urgence. Un simple
« soupçon raisonnable » peut jus­
tifier l’arrestation, sans mandat
d’arrêt, d’un individu.
Ces « soupçons » se portent
avant tout sur le Front de libéra­
tion du peuple du Tigré (TPLF), le 
parti historique de la région du 
Nord, placé en mai sur la liste des 
organisations terroristes par le 
Parlement. En guerre depuis un 
an avec le gouvernement fédéral 
du premier ministre Abiy Ahmed,
le TPLF s’est récemment approché
à moins de 300 kilomètres d’Ad­
dis­Abeba, conduisant à la mise 
en place de cet état d’exception.
Que deviennent les détenus ? Si
certains sont retenus dans les
commissariats de la capitale, 
d’autres sont rassemblés dans
des camps de détention tempo­
raires aux abords de la ville, loin 
des regards de potentiels obser­
vateurs, avocats et journalistes. 
L’un de ces centres se trouve à Ge­
lan, au sud d’Addis­Abeba. C’est 
un grand entrepôt industriel ré­
quisitionné par les autorités car
« les postes de police débordent »,
d’après Amnesty International.
Amanuel [le prénom a été
changé], 27 ans, y a séjourné une 
journée. Début novembre, il a été 
arrêté lors d’un contrôle de police 
sur la route de Gelan. « J’étais au 
volant de mon minibus, ils ont vé­
rifié mes papiers d’identité et se
sont aperçus que mon nom a une
consonance tigréenne, se sou­
vient­il. Le chef de la section m’a
fait monter dans un fourgon. » La
suite se déroule dans l’immense 
hangar de Gelan. « Nous étions 
nombreux dans mon cas, tous ti­
gréens et ayant été amenés là sans
raison après un contrôle de po­
lice. » Selon lui, il n’y a pas de
doute : leur arrestation tient à 
leurs origines ethniques.
Dans six centres de détention
Le ministre adjoint des affaires 
étrangères, Redwan Hussein, se 
défend de tout profilage des Ti­
gréens. « Il n’y a pas d’arrestation 
systématique en fonction de votre 
profil ethnique », a­t­il déclaré le 
10 novembre. Le directeur de la 
Commission éthiopienne des 
droits de l’homme, Daniel Bekele, 
craint pourtant que « l’état d’ur­
gence et ses directives soient appli­
qués de la mauvaise façon ».
Amanuel, qui est né et a grandi à
Addis­Abeba, est sorti de prison
après vingt­quatre heures, là 
aussi sans explication. Les autres 
détenus, dont il n’arrive pas à esti­
mer le nombre, devaient être
transférés vers un autre centre, 
plus grand. S’agit­il de la nouvelle 
prison d’Abba Samuel, à quelques 
kilomètres de là, dont une source 
assure qu’elle aussi est utilisée 
pour embastiller les Tigréens ?
D’après les informations re­
cueillies par Amnesty Internatio­
nal, les prisonniers tigréens se­
raient pour l’heure regroupés 
dans six centres de détention. 
Une autre source en précise quel­
ques­uns, en plus des habituels
commissariats : « Ils réquisition­
nent par exemple des logements de
fonction de policiers à l’est d’Addis­
Abeba ou encore une bibliothèque 
à Ayer Tena, un quartier de l’ouest 
de la ville. » Des diplomates indi­
quent que des centres plus grands
existent hors de la capitale, 
comme à Burayu, Chancho et
Awash Arba.
Que se passe­t­il dans ces
camps, à l’abri des regards ? 
« Nous n’en avons aucune idée », 
lance une jeune femme qui a 
perdu la trace de plusieurs de ses 
proches. Début novembre, quatre
de ses amis ont été interpellés à la
terrasse d’un café de Gofa Mebrat 
Hayl, un quartier où résident
beaucoup de Tigréens, alors qu’ils
échangeaient en langue tigrinya. 
« Nous ne savons pas où ils ont été 
emmenés, nous n’avons aucun 
contact », dit­elle.
Malgré sa détresse, elle refuse de
se rendre au commissariat pour 
s’enquérir de leur sort, terrifiée à
l’idée d’être arrêtée à son tour. Jus­
qu’à aujourd’hui, très peu d’avo­
cats ont pu se rendre auprès de 
leurs clients. Un travailleur huma­
nitaire, qui souhaite garder l’ano­
nymat, décrit « des conditions de 
détention extrêmement dures » 
mais ne rapporte pas de cas de vio­
lence ou de torture.
Comme Amanuel, certains par­
viennent à obtenir une libération, 
le plus souvent grâce à des pots­
de­vin versés par les familles. « Il 
semble aussi y avoir des critères 
pour la libération de prisonniers, 
précise une source humanitaire. 
Par exemple, c’est plus simple s’il 
s’agit de personnes âgées ou d’en­
fants, résidant à Addis­Abeba de­
puis de nombreuses années. » En 
revanche, les jeunes adultes, sur­
tout s’ils ont habité au Tigré, sont
automatiquement retenus.
Un climat de peur
Qu’adviendra­t­il d’eux si la guerre
civile en Ethiopie, où la rhétorique 
identitaire et la militarisation de 
miliciens inquiètent les observa­
teurs, venait à se rapprocher de ces
camps ? Une source diplomatique 
craint de possibles règlements de 
comptes : « Il suffit que quelques 
extrémistes chauffés à blanc se ren­
dent dans ces camps et fassent jus­
tice eux­mêmes contre des indivi­
dus qu’ils considèrent comme des 
ennemis de la nation. »
Déjà, à Addis­Abeba, des « vo­
lontaires » (« bego feqadegna », en 
amharique) patrouillent dans les 
rues à la recherche d’« espions ».
Une vigilance citoyenne qui, en 
réalité, consiste à dénoncer les Ti­
gréens dans chaque quartier et à 
les livrer aux policiers. La capitale 
compte 27 500 de ces pa­
trouilleurs, d’après l’agence de
presse éthiopienne.
Dans des messages diffusés par
des haut­parleurs à l’arrière de 
pick­up qui tournent à l’aube, la 
mairie d’Addis­Abeba fait appel à 
ces groupes d’autodéfense pour 
protéger les quartiers. Les autori­
tés ont aussi réclamé que les pro­
priétaires déclinent l’identité de 
tous leurs locataires. En Ethiopie, 
l’origine ethnique est encore préci­
sée sur certaines cartes d’identité.
Pour beaucoup de Tigréens, la
fuite n’est plus une option. A l’aé­
roport international de Bole, l’en­
trée du terminal est gardée par des
agents de renseignement. Ils refu­
sent l’accès à tous ceux dont les pa­
piers d’identité ou tout autre signe
distinctif indiquent une origine ti­
gréenne, y compris parfois à des 
détenteurs de passeports étran­
gers. De fait, l’exil est impossible. 
Pris au piège, sans moyen de fuir, il
ne leur reste que la discrétion pour
tenter de passer entre les mailles 
du filet. Nombre de résidents se ca­
chent, ne dorment jamais deux 
nuits de suite au même endroit. 
D’autres vont jusqu’à soudoyer les
habitants deleur quartier dans 
l’espoir de ne pas être dénoncés.
Dans ce climat de peur et de dé­
lation, personne ne semble à
l’abri. Ainsi, la semaine dernière, 
le directeur d’une banque natio­
nale a été interpellé avant d’être 
relâché. Trente­sept prêtres or­
thodoxes sont aussi derrière les 
barreaux, ainsi que des employés 
des Nations unies et d’anciens 
membres de l’administration 
provisoire régionale du Tigré,
pourtant favorable à Abiy Ahmed.
Tous sont Tigréens.
« Beaucoup de familles sont ter­
rorisées », décrit Eregeat (prénom
modifié), une Tigréenne résidant
à Addis­Abeba et dont la plupart
des amis ont été emmenés dans
des rafles : « Je ne suis pas sûre que 
j’arriverai encore longtemps à y 
échapper. Ils vont venir chez nous 
à un moment ou un autre. Nous 
nous attendons au pire. » 
noé hochet­bodin
En Israël, la guerre éthiopienne ravive le débat sur l’immigration
La communauté juive d’origine éthiopienne réclame le transfert de milliers de proches demeurés au pays, craignant pour leur sécurité
jérusalem ­ correspondant
U n débat sans fin se ra­nime en Israël à la faveurd’une guerre lointaine,
en Ethiopie. « L’alya mainte­
nant ! » « Ramenez nos frères ! »
Des centaines d’Israéliens d’ori­
gine éthiopienne ont manifesté, 
dimanche 14 novembre, sous les 
fenêtres du premier ministre. Ils 
demandent le transfert en Israël
de membres de leurs familles en
attente de quitter ce pays plongé 
dans une guerre fratricide.
Parmi les manifestants, Gebyal
Getahun, 42 ans, pianote sur son 
téléphone. Vendredi, veille de 
shabbat, cet ouvrier dans une 
usine de médicaments à Bet She­
mesh (centre) a recommandé à
ses trois cousins qui vivent à Ad­
dis­Abeba, à leurs femmes et 
leurs enfants, de ne plus sortir de 
chez eux. Ils résident dans un
quartier de la capitale éthio­
pienne où l’Agence juive a financé
le développement d’écoles, de sy­
nagogues et de bains rituels dès 
les années 1970.
L’Etat hébreu venait alors de re­
connaître la judéité de « Beta Is­
raël » (la « maison d’Israël »), cette 
communauté éthiopienne que 
certaines traditions font remon­
ter à la tribu perdue de Dan, l’une 
des douze tribus d’Israël. Ses res­
sortissants pouvaient bénéficier 
de la loi du retour, qui accorde la 
citoyenneté à tout juif désirant 
immigrer en Israël.
Pression continue sur l’Etat
Aujourd’hui, la guerre est encore 
loin d’Addis­Abeba. Gebyal Geta­
hun ne craint pas pour la sécurité 
immédiate de ses proches. Mais il 
les presse de se tenir dans leur 
maison proche de l’ambassade is­
raélienne. Celle­ci a commencé à 
évacuer les familles de ses diplo­
mates le 7 novembre, à l’exemple
de Washington. M. Getahun lui­
même est arrivé en Israël en 1998. 
Son oncle l’a rejoint avec sa 
femme et deux enfants, cinq ans 
plus tard. Cependant deux autres 
fils et une fille, Malkamu, Negatu 
et Terunesh ne satisfaisaient pas 
aux critères de l’Etat et sont de­
meurés à Addis­Abeba.
Après le transfert quasi total de
« Beta Israël », une pression conti­
nue de s’exercer sur l’Etat pour 
amener leurs autres parents. Ils 
sont issus de mêmes lignées fa­
miliales, demeurées à la périphé­
rie de la communauté en dépit de
leur christianisation, souvent 
sous la contrainte, pour l’essen­
tiel à la fin du XIXe et au début du 
XXe siècle. Aujourd’hui, ces immi­
grants plus récents forment une 
grande partie, si ce n’est la majo­
rité, des quelque 150 000 Israé­
liens originaires d’Ethiopie.
Depuis le début des années
2000, l’Etat a déclaré ce dossier 
migratoire fermé à plusieurs re­
prises, sans succès. En 2015, il a 
encore adopté une liste de 9 000
noms, éligibles au rassemble­
ment familial, pour ceux qui
peuvent démontrer avoir un pa­
rent en Israël, être arrivés dans
les quartiers juifs de Gondar et
Addis­Abeba avant 2010, et qui 
s’engagent à se convertir au ju­
daïsme à leur arrivée, afin d’obte­
nir la citoyenneté. Las, le budget 
nécessaire à leur transfert n’a ja­
mais été alloué. Moins de 4 000
ont rejoint Israël. « Mais entre­
temps les familles là­bas s’agran­
dissent », note le rabbin éthio­
pien Sharon Shalom.
Début novembre, ces tensions
sont montées d’un cran, à la suite
de la révélation d’une étrange
« mossaderie ». Le service de ren­
seignement extérieur israélien a 
rapatrié 61 Ethiopiens, cette an­
née, à un moment inconnu, lors 
d’une opération aérienne secrète.
Depuis, le ministère de l’intérieur
israélien a estimé publiquement 
que rien ne prouvait la judéité de 
la plupart d’entre eux. Originaires
de la région du Tigré, où le gou­
vernement éthiopien mène une
guerre à huis clos, ils n’y vivaient 
pas et ne paraissaient pas en dan­
ger immédiat. La ministre de l’in­
térieur, Ayalet Shaked, issue de
l’extrême droite religieuse et très 
conservatrice en matière d’immi­
gration, s’en est indignée. Ce 
fiasco a souligné d’anciennes di­
visions parmi les aînés de la com­
munauté, entre une majorité 
d’origine Amhara (comme le pre­
mier ministre éthiopien, Abiy Ah­
med) et ceux originaires du Tigré,
attachés au mouvement nationa­
liste régional. Il a aussi attisé la
méfiance vis­à­vis de l’Etat.
« Pourquoi révéler cela soudaine­
ment ? Veulent­ils donner une 
mauvaise image de l’immigration 
éthiopienne ? Nous craignons que 
le gouvernement s’en serve d’ex­
cuse pour ne pas accéder à nos de­
mandes », affirme Avraham Ne­
guise, ancien parlementaire, qui a
contribué à organiser la manifes­
tation, dimanche.
Calendrier à fixer
A ses côtés, la ministre de l’immi­
gration, Pnina Tamano­Shata, 
née en Ethiopie, a rappelé à la
foule un compromis négocié la 
semaine passée par la coalition 
au pouvoir. Plusieurs milliers de 
parents au premier degré de ci­
toyens Israéliens pourraient 
bientôt être transférés. Mais un 
calendrier reste à fixer. « La guerre
fait comprendre à tous qu’il y a 
peut­être urgence, relève un haut
fonctionnaire au fait des délibéra­
tions de l’Etat israélien. Mais le 
ministère des affaires étrangères 
et tous les autres observateurs de 
l’Etat sont unanimes : cette com­
munauté en attente ne court pas
de danger urgent spécifique, pas 
plus que tout Ethiopien. »
En début de semaine passée,
Mme Tamano­Shata a fait savoir 
qu’elle pourrait démissionner, si 
ses demandes ne sont pas accep­
tées. Une menace de poids au sein
de la jeune coalition de huit par­
tis, fort fragile, qui dirige Israël de­
puis le mois de juin. Cependant,
en dépit de telles bravades, les re­
présentants de la communauté
marchent sur des œufs.
Ils craignent de braquer le gou­
vernement éthiopien, qui entre­
tient de bonnes relations avec Is­
raël, et qui verrait d’un mauvais 
œil l’organisation d’un pont aé­
rien pour évacuer ces ressortis­
sants. « Personne n’envisage que les
Ethiopiens autorisent une telle 
image de panique, de naufrage. 
Cela a été vérifié discrètement : ils
ont fait savoir diplomatiquement, 
mais sans ambiguïté, que tout était
sous contrôle », précise ce respon­
sable au sein de l’Etat israélien. 
louis imbert
Les tensions sont
montées d’un 
cran après que le
Mossad a révélé
avoir rapatrié 
61 Ethiopiens en
2021, lors d’une
opération secrète
Un Tigréen 
relâché 
après sept 
semaines 
de détention 
dans un camp 
situé à 200 
kilomètres 
d’Addis­Abeba, 
le 21 octobre. 
EDUARDO SOTERAS/AFP
Dans la capitale,
27 500 
« bénévoles » 
patrouillent pour
dénoncer les 
Tigréens et les 
livrer à la police
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0123
MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021 international | 7
Birmanie : l’amnistie négociée d’un journaliste américain
L’ex­diplomate Bill Richardson et des émissaires asiatiques ont tenté de convaincre la junte d’amorcer un dialogue
bangkok ­ correspondant
en Asie du Sud­Est
C ondamné à onze ans deprison, vendredi 12 no­vembre, amnistié le lundi
suivant, et désormais de retour
sur le sol américain : Danny Fens­
ter, le journaliste américain qui
travaillait pour des médias bir­
mans et avait été arrêté le 24 mai
à l’aéroport de Rangoun, cas
d’école de « diplomatie des ota­
ges », en est désormais un de « di­
plomatie parallèle ».
Cellemenée par l’ancien ambas­
sadeur des Etats­Unis aux Na­
tions unies, Bill Richardson, arti­
san de nombreuses libérations 
d’« otages » américains de régi­
mes étrangers (Iran, Corée du 
Nord…). La nouvelle a été révélée
lundi par un tweet de son organi­
sation, le Centre Richardson, avec 
une photo du journaliste au côté 
du « global diplomat » Richardson
sur le tarmac de l’aéroport de 
Naypyidaw, le 15 novembre.
La condamnation de M. Fenster
avait suscité une vague d’indigna­
tion dans le monde. Le journa­
liste de 37 ans était accusé de tra­
vailler pour le site Myanmar Now,
dont il avait pourtant démis­
sionné en 2020 – c’est­à­dire 
avant le coup d’Etat de février – 
pour rejoindre un magazine bir­
man. A son procès ubuesque, 
aucun article spécifique ne fut
mentionné, mais le verdict dé­
passa largement les peines requi­
ses pour le crime dont il était ac­
cusé, à savoir la dissémination
d’informations diffamantes sur 
l’armée ou ses membres. Danny 
Fenster était le seul des quatre 
journalistes étrangers arrêtés en 
Birmanie à avoir été condamné : 
un autre Américain d’origine bir­
mane, ainsi qu’un Polonais et un
Japonais ont déjà été relâchés.
« Raisons humanitaires »
Fort d’une longue expérience 
avec la Birmanie – il obtint l’une 
des premières libérations d’Aung 
San Suu Kyi, en 1995 –, M. Richard­
son était venu à Naypyidaw, dé­
but novembre, proposer des « so­
lutions humanitaires » à Min
Aung Hlaing, le général puts­
chiste chef de la junte. Dans ses
déclarations publiques, l’Améri­
cain avait fait savoir qu’il n’avait 
pas évoqué, avec son interlo­
cuteur, la question de son compa­
triote emprisonné – ce qui avait 
déclenché un flot de critiques à 
son encontre sur Twitter et dans
la presse de la part de responsa­
bles d’ONG des droits de
l’homme. En réalité, M. Richard­
son négociait dur. Officiellement,
M. Fenster a été libéré pour « rai­
sons humanitaires » – en contre­
partie de l’un des gestes évoqués 
par Bill Richardon, notamment 
la livraison de vaccins, mais dont 
les détails n’ont pas filtré. L’ar­
mée birmane, plusieurs de ses 
dirigeants et ses conglomérats 
sont la cible de sanctions améri­
caines strictes.
Bill Richardon n’était pas seul à
la manœuvre : l’agence de presse 
japonaise Kyodo News a révélé, 
lundi, l’intercession de Yohei Sa­
sakawa, président de la fondation
caritative Nippon Fondation, 
créée en 1962 par son père, Ryoi­
chi Sasakawa, soupçonné de cri­
mes de guerre en 1945, puis figure
de l’extrême droite nippone, sou­
cieux de redorer son image.
M. Sasakawa, qui est émissaire
spécial du gouvernement japo­
nais pour la réconciliation en Bir­
manie, et avait obtenu la libéra­
tion en mai du journaliste japo­
nais emprisonné, serait arrivé à
Rangoun le 12 novembre en « vi­
site personnelle ». Le Japon en­
tretient historiquement des liens
étroits avec l’armée birmane et
a toujours fait passer ses intérêts
économiques avant les droits 
de l’homme au Myanmar. A ce ti­
tre, et en tant que proche allié
des Etats­Unis, Tokyo est un ca­
nal essentiel pour Washington,
en Birmanie.
Depuis peu, un autre invité, chi­
nois, hante les antichambres de 
Naypyidaw : Sun Guoxiang, en­
voyé spécial du ministère des af­
faires étrangères chinois sur la 
Birmanie, est arrivé lundi, « sans 
annonce préalable », pour des 
rencontres au sommet, rapporte
sur son site le journal proche de
l’opposition birmane The Ir­
rawaddy. M. Sun était déjà venu 
en Birmanie en août, durant une 
semaine, pour s’entretenir avec le
général. Il avait alors tenté, en 
vain, de rencontrer Aung San Suu 
Kyi, l’ex­dirigeante de facto du 
gouvernement civil renversé.
Malgré leur non­condamnation
du coup d’Etat, les Chinois restent
très contrariés par la tournure 
violente des événements chez 
leur voisin, et sa faillite économi­
que. Tant Pékin que Washington
ont milité auprès de l’Association 
des nations d’Asie du Sud­Est 
(Asean) pour plus de fermeté vis­
à­vis de Naypyidaw.
Car, après la gifle de la désinvita­
tion de Min Aung Hlaing du som­
met de l’Asean du 26 octobre, les
pays asiatiques cherchent à obte­
nir du général qu’il respecte sa
part d’un « consensus en cinq 
points », sur lequel lui et ses ho­
mologues s’étaient entendus en 
avril, à Djakarta : notamment 
créer les conditions d’un dialogue
avec « toutes les parties concer­
nées » – c’est­à­dire la « Lady » em­
bastillée. L’ex­dirigeante bir­
mane, déjà visée depuis par une
multitude de procédures judiciai­
res, va cependant être inculpée 
pour « fraude électorale » lors des 
législatives de 2020 remportées
haut la main par son parti, ont an­
noncé, mardi, les médias d’Etat.
Quinze autres responsables, dont 
l’ex­président de la République, 
Win Myint, également arrêtés 
lors du coup d’Etat de février, de­
vraient être poursuivis pour la
même infraction. 
brice pedroletti
Xi et Biden tentent d’organiser leurs divergences
Les deux dirigeants se sont longuement parlé en évoquant notamment Taïwan, Hongkong et les Ouïgours
pékin, washington ­
correspondants
M on vieil ami. » Lors­que le présidentchinois utilise uneexpression aussi
courtoise à l’égard de son homolo­
gue américain, on saisit une inten­
tion, davantage qu’une attention. 
Dans le préambule – destiné aux 
caméras – de leur long échange, 
lundi 15 novembre à Washington, 
mardi 16 à Pékin, Xi Jinping et Joe 
Biden ont voulu, à défaut de se 
rapprocher, afficher leur pragma­
tisme et leur pondération.
Organiser les règles de la com­
pétition entre leurs pays et éviter 
une confrontation ouverte qui ne
profiterait à personne : c’était 
l’objectif de cet entretien vidéo de
près de trois heures et demie. De 
part et d’autre, ces dernières se­
maines, des signaux clairs
avaient été envoyés en ce sens, 
malgré les accès de fièvre ponc­
tuels sur Taïwan. Mais le message 
formel ne doit pas cacher les di­
vergences profondes sur le fond, 
les sujets de tension et les champs
de concurrence exacerbée.
Deux salles se faisaient face,
avec des décors très différents. A 
Washington, Joe Biden avait pris
place dans la Roosevelt Room de
la Maison Blanche, au bout d’une 
table où s’étaient aussi installés 
ses plus proches collaborateurs 
pour la politique étrangère, no­
tamment le secrétaire d’Etat, An­
tony Blinken, et le conseiller à la
sécurité nationale, Jake Sullivan.
Navires gigantesques
Xi Jinping, pour sa part, s’expri­
mait dans une immense pièce du 
Palais du peuple, à Pékin, devant 
un écran de cinéma où apparais­
sait son homologue. Il était en­
touré par trois diplomates et par 
Liu He, le vice­premier ministre
chargé des questions économi­
ques. Selon un haut responsable
de la Maison Blanche, la conversa­
tion par vidéo a été bien plus dy­
namique qu’un simple appel télé­
phonique. Les deux dirigeants 
n’ont pas collé au script prévu, fait
des allers­retours, se sont inter­
pellés en se citant mutuellement.
Réclamant d’emblée le « respect
mutuel » entre les deux grandes
puissances, le dirigeant chinois a 
souhaité davantage de « commu­
nication et de coopération ». Il a 
comparé les deux pays à des navi­
res gigantesques, en pleine mer,
fracassant les vagues et cherchant
à conserver leur cap et leur vi­
tesse. Xi Jinping a lancé un aver­
tissement au sujet de l’instru­
mentalisation de Taïwan pour 
contenir les ambitions de la 
Chine : « Quiconque joue avec le 
feu sera brûlé. » Pour Xi Jinping, 
« la Chine est patiente et de bonne 
foi et fera tous ses efforts pour 
aboutir à une réunification pacifi­
que, mais, si les indépendantistes 
taïwanais provoquent et franchis­
sent la ligne rouge, nous serons 
obligés de prendre des mesures de 
façon décisive ». Joe Biden a répété
les points essentiels de la politi­
que américaine vis­à­vis de la
Chine : pas de reconnaissance of­
ficielle de Taïwan ; pas de volonté 
de déstabilisation intérieure con­
tre le régime chinois.
« Notre responsabilité, en tant
que leaders de la Chine et des 
Etats­Unis, est de s’assurer que la 
compétition entre nos pays ne vire
pas au conflit, qu’il soit intention­
nel ou pas », a résuméJoe Biden. 
Dans son préambule, le président
américain a cité le changement 
climatique comme l’un des sujets
majeurs où les deux puissances 
pouvaient travailler ensemble. Le 
président chinois y a ajouté la 
pandémie de Covid­19… Des pro­
pos convenus de part et d’autre, 
qui ne disent rien des heures qui 
ont suivi, ponctuées par les dos­
siers les plus délicats : Hongkong, 
Taïwan, le programme nucléaire 
iranien, l’Afghanistan, la pénin­
sule coréenne, la cybersécurité, le 
commerce, ou encore les répres­
sions de masse contre la minorité
ouïgoure au Xinjiang.
Dans le récit politique que Joe
Biden essaie de construire
autour de sa présidence, la Chine
occupe une place prépondé­
rante. Le président américain
veut mener à bien une moderni­
sation des infrastructures du
pays et mieux l’armer pour la
compétition avec Pékin. Lundi, il
a signé une loi d’investissements
de 1 200 milliards de dollars, lors
d’une cérémonie optimiste et 
joyeuse dans les jardins de la
Maison Blanche, qui permettait
de mettre pour un moment sous
l’éteignoir les difficultés actuel­
les : divisions entre démocrates,
inflation très forte, etc. En outre,
Joe Biden tente à grand­peine de
surmonter les divisions béantes
au sein de la société, pour réparer
un modèle démocratique abîmé.
Il y va de la crédibilité des Etats­
Unis, qui font face à des régimes
autoritaires comme la Russie et
la Chine, glosant sur une suppo­
sée déchéance américaine.
Selon Washington, l’heure est
venue de fixer une sorte de code
de la route à respecter, au nom
du « bon sens », invoqué par Joe
Biden lundi soir. Cela n’altère pas
les calculs géopolitiques améri­
cains, qui continuent à renforcer
leurs alliances dans l’Indo­Pacifi­
que, notamment au sein du club
informel qu’est le Quad (avec le
Japon, l’Australie et l’Inde), ou
avec l’annonce à la mi­septem­
bre du partenariat Aukus (avec la
Grande­Bretagne et l’Australie).
« Nous parlons d’égal à égal »
Mais la Chine, désormais « riche », 
veut aussi devenir « puissante ». 
Tel est le message principal envoyé
la semaine dernière par le plénum
du comité central du Parti com­
muniste chinois, qui a ouvert la 
voie à un renouvellement du 
mandat de Xi Jinping à la tête du 
pays en 2022. La Chine entend se 
faire respecter. Dans tous les do­
maines, y compris symboliques.
L’heure de la rencontre – fin de
journée à Washington, début de
matinée à Pékin – avantageait 
clairement la partie chinoise.
« Eux, ils font des heures supplé­
mentaires, nous, c’est notre ho­
raire habituel de travail », note 
Wang Dong, expert des relations
sino­ américaines de l’université
de Pékin dans un entretien
publié sur plusieurs sites offi­
ciels. Un détail anodin ? Pas 
forcément : « Le temps où les
Etats­Unis dictaient ce que devait
être la relation sino­américaine 
est révolu. Désormais, nous nous
parlons d’égal à égal », précise
ce spécialiste.
Ressorti renforcé de son plé­
num, Xi Jinping semble plus sûr
de lui que jamais : « Dans les cin­
quante prochaines années, la
chose la plus importante dans les
relations internationales est que 
la Chine et les Etats­Unis trouvent
la bonne façon de bien s’enten­
dre », a­t­il théorisé, ajoutant, 
face à Joe Biden, que « l’histoire se
souviendra de tout ce que fait un
homme politique, tant ses méri­
tes que ses démérites ».
Selon l’agence Chine nouvelle,
Xi Jinping a même exprimé le 
« souhait » que Joe Biden fasse 
« la démonstration de son lea­
dership politique » en ramenant
la politique américaine à l’égard 
de la Chine « sur une voie 
rationnelle et pratique » et 
prenne des mesures concrètes
afin de respecter sa promesse de
« ne pas chercher une nouvelle
guerre froide ». 
frédéric lemaître
et piotr smolar
« Notre 
responsabilité est
de s’assurer que
la compétition
entre nos pays 
ne vire pas 
au conflit »
JOE BIDEN
président américain
Retransmission de l’entretien entre Joe Biden et Xi Jinping, dans un restaurant de Pékin, le 16 novembre. TINGSHU WANG/REUTERS
La Chine entend
se faire respecter.
Dans tous
 les domaines, 
y compris 
symboliques
ISRAËL
Un Palestinien tué par 
l’armée en Cisjordanie
Un Palestinien a été tué, 
mardi 16 novembre, par 
l’armée israélienne lors 
de heurts dans le nord de la 
Cisjordanie occupée, a rap­
porté le ministère palestinien 
de la santé. Saddam Bani 
Odeh, 26 ans, est décédé
à l’hôpital turc de Tubas, 
entre les villes de Naplouse 
et Jénine, où il avait été trans­
féré après avoir été blessé par 
une balle, a précisé le minis­
tère à l’AFP, mentionnant des 
heurts ayant éclaté à l’aube 
avec les forces israéliennes 
à l’entrée de Tubas. – (AFP.)
NICARAGUA
Washington sanctionne 
de hauts responsables
Les Etats­Unis ont annoncé, 
lundi 15 novembre, des sanc­
tions financières contre le 
parquet fédéral du Nicaragua 
et neuf hauts responsables 
du pays, notamment le vice­
ministre des finances et le 
ministre de l’énergie, « en ri­
poste au simulacre d’élections 
orchestré par le président 
Daniel Ortega et la vice­prési­
dente Rosario Murillo ». Le 
scrutin du 7 novembre a été 
privé d’opposition après l’em­
prisonnement des principaux 
rivaux du président. – (AFP.)
12 | planète MERCREDI 17 NOVEMBRE 20210123
« Une COP ne peut pas être à l’avant­garde des débats »
Le sociologue et politologue Stefan Aykut analyse les limites des conférences des Nations unies sur le climat
ENTRETIEN
A près la clôture, samedi13 novembre, de la26e conférence des Na­tions unies sur le cli­
mat (COP26), Stefan Aykut, socio­
logue et politologue à l’université
de Hambourg et spécialiste de la 
gouvernance climatique, revient 
sur l’utilité des COP et les limites 
inhérentes à leur organisation.
Quel bilan tirez­vous 
de la COP26 ?
Un bilan mitigé. Elle a montré
que la gouvernance climatique est
vivante, qu’elle a survécu à la crise
sanitaire [liée au Covid­19]. Mais le
pacte de Glasgow est décevant sur
les questions de finances, d’adap­
tation et de solidarité Nord­Sud. Et
il est mitigé en ce qui concerne la 
réduction des émissions de gaz à 
effet de serre. Il y a eu une avalan­
che de promesses de neutralité 
carbone pour combler le vide des 
plans climat soumis pour 2030. La
question cruciale sera de voir 
comment se concrétisent ces en­
gagements, qui sont pour l’ins­
tant des déclarations, et si on par­
vient à les formaliser.
Il y a un réel problème avec le
mécanisme volontaire de l’ac­
cord de Paris [conclu en 2015]. 
Rien ne force les pays à accroître
leurs efforts tous les cinq ans,
comme les y engage cet accord in­
ternational. Les Etats ne veulent 
pas clouer leurs pairs au pilori. Le 
format onusien, très policé,
consiste plutôt à mettre en avant 
ce qu’on fait de bien que de dé­
noncer ce que font de mal les 
autres. Il y a toutefois une pres­
sion qui fonctionne un peu, celle 
de la société civile, des ONG, des 
think tanks, des médias.
On a beaucoup dénoncé le 
« greenwashing » à cette COP…
C’est la COP la plus commerciale
jusqu’ici, avec une zone consacrée 
aux entreprises et aux initiatives 
qui a été la plus grande jusqu’à 
présent. A Glasgow, on a vu un dé­
but de débat sur la sortie des éner­
gies fossiles. En revanche, les Etats
n’ont pas questionné l’idéologie 
de croissance et la façon d’organi­
ser le capitalisme. Au contraire, il y
a presque un réenchantement des
marchés et de la finance comme 
solution à la crise climatique. Les 
lobbyistes des énergies fossiles 
étaient très présents car ils ont 
conscience que leur futur se joue. 
On devrait interdire leur présence 
de la même façon que l’Organisa­
tion mondiale de la santé avait ex­
clu les lobbyistes du tabac dans les
négociations sur sa nocivité.
Les conférences climat 
servent­elles encore 
à quelque chose ?
On peut avoir l’impression que
c’est là que se décide l’avenir de la 
planète, que se décrètent les 
solutions pour le futur, alors que 
non. Il faut les penser comme une 
arène parmi d’autres – mais néan­
moins importante – dans le conflit
mondial qui se joue sur la transfor­
mation de l’économie. Cette arène 
est traversée par les clivagesNord­
Sud et l’idéologie d’économie de 
marché. Les COP ne sont qu’une 
chambre d’enregistrement, une 
caisse de résonance des débats du 
monde. De par leur structure, elles
ne peuvent pas être à l’avant­garde
des débats. Tant que le débat de 
la mise en question de notre mo­
dèle économique n’est pas lancé 
au niveau national, on ne peut pas
l’attendre des COP. C’est impor­
tant de le reconnaître pour ne 
pas être déçus. Aujourd’hui, on 
leur en demande trop.
Dans un monde sans COP, régu­
lerait­on mieux le climat ? Je ne le 
crois pas. Le climat doit aussi être 
discuté dans d’autres enceintes,
commerciales et financières, mais
on sait que l’Organisation mon­
diale du commerce, par exemple, 
est organisée de manière moins 
transparente que les conférences 
climat. Les COP restent le seul en­
droit où les pays en développe­
ment, les petites îles ou la société 
civile continuent d’avoir une voix 
importante, même s’ils n’obtien­
nent pas forcément gain de cause.
Sont­elles vouées à être 
toujours en décalage 
avec l’urgence climatique ?
Ce processus a toujours été trop
bureaucratique. C’est une fabrique
de la lenteur. Le problème, c’est 
que l’on n’a jamais réussi à établir 
un mécanisme de vote. D’où la 
règle du consensus qui donne un 
pouvoir aussi important aux pays 
qui bloquent. Cela veut dire que les
COP sont cantonnées à toujours 
rester une arène qui ne peut 
qu’acter ce qui est rendu possible 
par d’autres processus. Il est alors 
très important de créer des initia­
tives qui vont plus loin et qui ne 
sont pas sous la convention cli­
mat, comme l’alliance pour la fin 
des énergies fossiles lancée à la 
COP26 ou l’aide mobilisée pour 
assister l’Afrique du Sud dans sa 
transition énergétique.
Comment concilier l’impératif 
de réduire les émissions 
et le besoin de développement 
des pays émergents ?
La gouvernance climatique ne
peut pas résoudre les questions 
d’inégalités dans le monde. Il faut
donc les inscrire dans une real­
politik climatique. Il faut quitter 
le domaine de la seule morale
pour passer par la voie de la sou­
veraineté nationale. Les crises cli­
matiques aggravent les tensions 
et peuvent déstabiliser les pays ; à 
l’inverse, la transition écologique 
contribue à la stabilité du sys­
tème politique international et 
les entreprises peuvent en profi­
ter. Aider les pays en développe­
ment à faire leur transition et à 
s’adapter doit donc être vu 
comme une nouvelle politique de
stabilité internationale. La ques­
tion de la dette climatique sera 
peut­être plutôt traitée par les tri­
bunaux.
Pourquoi les négociations 
climatiques n’abordent­elles 
pas formellement 
les questions énergétiques ?
Dès les premières COP, à partir
de 1995, l’Arabie saoudite et l’Aus­
tralie, soutenus par les pays du 
Golfe et, parfois ouvertement,
parfois de manière tacite, par les 
Etats­Unis, ont empêché que l’on 
aborde les mesures concrètes de 
réduction des émissions. Puis, 
Riyad et ses alliés ont bloqué toute
mention à la sortie des énergies 
fossiles et au développement des 
renouvelables dans l’accord de Pa­
ris en 2015, et même à toute men­
tion au carbone. Ils considèrent 
qu’il s’agit d’un traité sur le climat
et non sur l’énergie. On parle dé­
sormais de comment arrêter les 
subventions aux énergies fossiles 
au sein du G7 et du G20, mais cela 
ne fait pas partie des négociations
climatiques sous l’égide des Na­
tions unies. Aujourd’hui l’Arabie 
saoudite bloque de manière 
moins frontale, mais elle ne pour­
rait pas continuer sans le soutien
des Etats­Unis, le pays qui a le plus
nui au processus.
Comment ont évolué 
les rapports de force entre pays 
dans les négociations ?
Il y a deux grands blocs qui s’op­
posent sur le sujet de la réduction 
des émissions : les pays dévelop­
pés (l’Union européenne, les 
Etats­Unis, etc.) et les petites îles
font front contre les grands pays 
émergents pour leur demander 
d’accélérer la décarbonation de
leur économie. Mais il y a aussi un
autre clivage sur les finances, cette
fois Nord­Sud. Les Etats­Unis por­
tent le plus fort le refus de s’enga­
ger dans des financements prévi­
sibles et réguliers pour les pays en
développement, et l’UE les suit.
Reste que l’échiquier des négo­
ciations est devenu plus flou, et 
on voit des fissures au sein du 
groupe « G77 + Chine », qui ras­
semble 134 pays en développe­
ment, car il devient trop évident
que certains gros émetteurs font
partie du problème. La géopoliti­
que du climat rebat les cartes de la
géopolitique mondiale : elle rend
parfois nécessaire des alliances
qui vont au­delà des clivages clas­
siques, dont celui Nord­Sud. 
propos recueillis par
audrey garric
L’Etat renonce provisoirement à privatiser le domaine de Grignon
Face à l’hostilité des élus, le gouvernement abandonne la vente du site pédagogique et agricole qui accueille AgroParisTech, dans les Yvelines
I nutile de s’entêter et d’allervers un « fiasco programmé »,surtout en pleine campagne
présidentielle. Alerté de toutes 
parts sur les risques d’une opéra­
tion devenue très polémique, le 
gouvernement a officiellement 
renoncé, lundi 15 novembre, à 
privatiser dans l’immédiat le
domaine de Grignon (Yvelines), 
ce berceau de l’agronomie fran­
çaise qui accueille actuellement 
l’école d’ingénieurs AgroParis­
Tech. Un peu comme il avait
abandonné fin 2019 le gigantes­
que site de loisirs et de commer­
ces Europacity envisagé dans le 
Triangle de Gonesse (Val­d’Oise).
Trois mois et demi après avoir
annoncé la vente de Grignon au
promoteur immobilier Altarea
Cogedim, l’Etat remet ainsi en 
cause le projet qu’il avait lui­
même choisi, après en avoir lon­
guement dessiné les contours.
« Il n’est pas possible de maintenir
la procédure engagée », recon­
naît un communiqué de la pré­
fecture des Yvelines. Une nou­
velle « procédure de cession » sera
lancée « au second semestre 
2022 », précise simplement la
préfecture. Ce qui renvoie la
décision finale – privatiser ou 
non, comment, et au profit de
qui – au gouvernement qui sera 
issu des élections du printemps
2022. « Nous prenons acte de la
décision de l’Etat », a sèchement
réagi Altarea Cogedim lundi. 
Cette remise à plat marque 
l’échec d’une privatisation qui,
depuis des mois, suscitait de plus
en plus d’opposition.
Tout est parti de la volonté de
regrouper les quatre sites d’Agro­
ParisTech dispersés en Ile­de­
France en un seul campus, sur le
plateau de Saclay (Essonne), une
« zone d’excellence » en matière 
de recherche. Lancé en 2008 sous
Nicolas Sarkozy, le projet est en­
suite validé par les équipes de 
François Hollande puis d’Emma­
nuel Macron. La vente du site pa­
risien de Claude­Bernard et celle 
de Grignon doivent financer
l’installation à Saclay.
C’est dans ce cadre que l’Etat or­
ganise, en 2020, un appel d’offres 
pour céder Grignon, un vaste et 
beau domaine qui, à une ving­
taine de kilomètres de Versailles,
comprend un château du 
XVIIe siècle, 130 hectares de terres 
agricoles, et plus de 133 hectares
de bois. Quatre candidats répon­
dent et, fin juillet, l’offre d’Altarea 
Cogedim, évaluée à 18 millions 
d’euros, est retenue. Le promo­
teur prévoit notamment de cons­
truire sur place une centaine de
logements, une maison de re­
traite, une résidence pour per­
sonnes âgées, et d’accueillir des
séminaires et divers événements 
dans le château, inscrit au titre 
des monuments historiques.
Mais, au fil du temps, ce scéna­
rio suscite des réticences croissan­
tes. Les étudiants, les anciens élè­
ves montent au créneau, et le site 
est bloqué trois semaines. Les éco­
logistes crient à la « bétonisation » 
d’un domaine emblématique, 
alors qu’il faudrait au contraire 
préserver les terres agricoles et 
améliorer l’autonomie alimen­
taire de l’Ile­de­France. Les com­
munistes et La France insoumise 
y voient un nouveau cadeau fait 
aux « promoteurs assoiffés de ter­
res et de biens publics ».
La droite et les élus locaux se
mobilisent eux aussi contre un
projet dicté par la direction de 
l’immobilier de l’Etat, depuis 
Bercy, sans les associer. Avantmême l’attribution du marché, la 
sénatrice (Les Républicains, LR) 
Sophie Primas met en garde le 
ministre de l’agriculture, Julien 
Denormandie : « Attention, ce 
dossier est emblématique de tout 
ce qu’on reproche à la Macronie :
on dit qu’on écoute les territoires, 
et on fait l’inverse. » Le président 
(LR) du Sénat, Gérard Larcher, sai­
sit de son côté Jean Castex.
« Fiasco programmé »
Le préfet des Yvelines, Jean­Jac­
ques Brot, alerte également le pre­
mier ministre sur toutes les fai­
blesses, notamment juridiques, 
de l’opération. A la fin de l’été, il lui
envoie une note, révélée par 
Mediapart, dans laquelle il souli­
gne combien la transaction ris­
que de devenir « un point de fric­
tion et de controverse », le sym­
bole d’une cession bricolée par 
l’Etat pour un gain minime, au 
profit d’un opérateur « que seule 
anime une volonté de densifier par
des logements de luxe la partie his­
torique (…) et de thésauriser du 
foncier pour le reste ». « Il est certai­
nement encore possible de s’épar­
gner le funeste enclenchement de 
ce fiasco programmé », ajoute­t­il.
Pour l’Etat, la pression devient
trop forte. Julien Denormandie 
confie une mission de concerta­
tion au directeur d’AgroParis­
Tech, se range aux arguments des
opposants, et au bout du compte,
Matignon arbitre : le projet est
suspendu. L’installation de 
l’école à Saclay en 2022 n’est pas 
remise en cause. En revanche,
tout reste ouvert pour Grignon. 
« Cette victoire nous donne six à 
huit mois pour enrichir notre pro­
pre projet », se réjouit Mathieu
Baron, le délégué général de l’as­
sociation Grignon 2000, dont la 
proposition « d’intérêt général » à
13 millions d’euros était en con­
currence avec celle d’Altarea Co­
gedim. « Je vais me battre pour
qu’il n’y ait pas de logements, afin
que le site ne soit pas démantelé et
qu’il se concentre sur la recherche
et la transition écologique, pro­
met Nadine Gohard, la maire
(sans étiquette) de Thiverval­Gri­
gnon. Maintenant, on se remet 
tous autour de la table ! » 
denis cosnard
Si l’installation 
de l’école 
d’ingénieurs 
à Saclay, en 2022,
n’est pas remise
en cause, 
tout reste ouvert
pour Grignon
Discussion de délégués lors de la COP26, à Glasgow (Ecosse), le 13 novembre. YVES HERMAN/REUTERS
« Il y a un réel 
problème avec 
le mécanisme 
volontaire de 
l’accord de Paris.
Rien ne force les
pays à accroître
leurs efforts tous
les cinq ans »
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MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021 planète | 13
Glyphosate : l’expertise 
européenne a exclu la 
quasi­totalité des études
Selon l’analyse de Générations futures, le rapport 
préliminaire européen juge 99 % des études sur 
la toxicité du pesticide non pertinentes ou non fiables
U ne expertise peut­elleêtre scientifique si lascience n’y a pas saplace ? C’est l’épineuse
question posée par l’association 
Générations futures à propos de
l’expertise préliminaire euro­
péenne sur le glyphosate, qui doit
permettre la réautorisation en 
Europe de l’herbicide contro­
versé, fin 2022. Dans une analyse
rendue publique mardi 16 no­
vembre, l’association antipesti­
cide estime et chiffre, pour la pre­
mière fois, la non­prise en
compte de l’écrasante majorité 
des études universitaires récen­
tes par le rapport préliminaire
européen (RAR, pour « Renewal 
Assessment Report »), préparé 
par les agences réglementaires 
néerlandaise, hongroise, fran­
çaise et suédoise.
Selon l’analyse bibliométrique
conduite par l’association, seules
3 % des 7 188 études publiées dans
les revues scientifiques interna­
tionales sur le glyphosate au 
cours des dix dernières années 
ont, en effet, été jugées « perti­
nentes » et « pouvant être utiles 
pour l’évaluation » de la subs­
tance. Parmi celles­ci, seule une 
petite fraction – 0,4 % de l’ensem­
ble – est jugée « fiable ». Au total, 
c’est ainsi plus de 99 % de la litté­
rature savante produite au cours 
de la dernière décennie sur la 
toxicité, l’écotoxicité ou les pro­
priétés de perturbation endocri­
nienne (capacité à interférer avec
le système hormonal) du pesti­
cide de synthèse le plus utilisé au
monde qui est jugée non perti­
nente ou non fiable par le RAR.
A l’inverse, note l’association,
les études conduites par les fabri­
cants bénéficient d’une plus 
grande mansuétude et finissent
par fonder l’essentiel de l’exper­
tise européenne. Pourtant, Gé­
nérations futures relève des « dé­
fauts majeurs » dans la plupart 
de ces tests réglementaires, qui
ont pourtant été considérés
comme fiables par les évalua­
teurs européens.
Divergences de vues
Le rapport de l’association
éclaire une controverse qui dure
depuis plus de cinq ans. En
mars 2015, le Centre internatio­
nal de recherche sur le cancer
(CIRC), la principale autorité de
classification des agents cancé­
rogènes, classait le glyphosate 
comme « cancérogène probable 
pour l’homme ». Une position 
diamétralement opposée à celle
des agences réglementaires
européennes et américaine : con­
sidéré comme non cancérogène, 
le glyphosate a été réautorisé 
en 2017, pour cinq ans, sur le ter­
ritoire de l’Union européenne.
Quatre ans plus tard, les résul­
tats de la nouvelle expertise
européenne sont identiques. Se­
lon les conclusions du RAR, com­
muniquées en juin, le glyphosate
ne serait ni cancérogène, ni mu­
tagène, ni reprotoxique, ni per­
turbateur endocrinien. Au
même moment, l’expertise col­
lective de l’Institut national de la
santé et de la recherche médicale
(Inserm) faisait valoir une opi­
nion différente, concluant no­
tamment à une « présomption
moyenne » d’un lien entre expo­
sition professionnelle au glypho­
sate et survenue d’un lymphome
non hodgkinien, un type de can­
cer du système lymphatique.
Pourquoi de telles divergences
de vue ? Le rapport de Généra­
tions futures l’explique par la
non­prise en compte, par les ex­
perts européens, des études uni­
versitaires et académiques pu­
bliées dans la littérature savante.
Sur les 1 550 études sur la toxicité
du glyphosate publiées dans la
littérature scientifique au cours 
des dix dernières années et iden­
tifiées par l’association, seules 11
ont été jugées fiables par le RAR.
Sur les 1 614 études d’écotoxicité
identifiées, là encore 11 études 
ont été jugées fiables. Le taux est
plus faible encore pour les effets
de perturbation endocrinienne :
sur 4 024 études publiées, seules
8 sont jugées fiables par le RAR.
Sur quels critères objectifs l’es­
sentiel de la science publiée sur 
le glyphosate est­il considéré 
comme non pertinent ou non
fiable ? « Le fait de ne sélectionner
que des études faites sur une “es­
pèce pertinente pour la toxicolo­
gie des mammifères” [selon la ré­
glementation] revient à exclure 
toutes les études réalisées sur 
d’autres organismes, en particu­
lier aquatique », explique l’asso­
ciation dans son rapport. Or, les
laboratoires universitaires utili­
sent de plus en plus le poisson zè­
bre comme modèle animal pour 
étudier les effets possibles de cer­
tains produits sur l’homme : tous
ces travaux sont a priori rejetés
par l’expertise. De même, pro­
teste l’organisation, « les études 
mécanistiques portant sur les ef­
fets du glyphosate au niveau cel­
lulaire et moléculaire ont été reje­
tées, car [selon les règles appli­
quées par les agences réglemen­
taires] elles “ne peuvent pas être
liées à l’évaluation du risque” ».
D’autres travaux universitai­
res sont également rejetés parce
qu’ils ont été réalisés dans 
un contexte non européen.
« Les études réalisées en Asie
ou en Amérique du Sud sont reje­
tées dès la lecture du résumé, car
les conditions [expérimentales]
ne seraient pas comparables à
celles de l’Europe, lit­on dans le 
rapport. Cela équivaut à dire que 
l’on prend en considération
des aspects relevant de l’exposi­
tion pour évaluer un danger, ce 
qui est contraire à tous les
principes d’évaluation des dan­
gers et des risques. »
« Processus pas équitable »
Les études fournies par les fabri­
cants de pesticides à l’appui de la
demande de réautorisation du 
glyphosate sont­elles soumises à
la même sévérité ? La toxicolo­
gue Pauline Cervan,

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