Buscar

FernandoRojas Lesservicesjuridiques

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes
Você viu 3, do total de 23 páginas

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes
Você viu 6, do total de 23 páginas

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes
Você viu 9, do total de 23 páginas

Faça como milhares de estudantes: teste grátis o Passei Direto

Esse e outros conteúdos desbloqueados

16 milhões de materiais de várias disciplinas

Impressão de materiais

Agora você pode testar o

Passei Direto grátis

Você também pode ser Premium ajudando estudantes

Prévia do material em texto

Droit & Société 22-1992
409
Summary
Alternative Legal Services in Latin America. Some Remarks on a Re-
search.
This paper focuses on the transformative potential of alternative legal
services. Case studies developed in four Latin American countries, speci-
fically Chile, Colombia, Equador and Peru show that new practice contri-
bute to social change. The role of lawyers involved in such practice is im-
portant concerning the traditional image of legal profession on the conti-
nent.
Résumé
Cet article traite du potentiel de transformation des services juridiques
alternatifs en Amérique latine. Les enquêtes menées dans quatre pays du
continent latino-américain (Chili, Colombie, Equateur et Pérou) montrent
que les nouveaux services juridiques alternatifs contribuent au change-
ment social. Le rôle des juristes impliqués dans ces pratiques a des réper-
cussions importantes sur l'image traditionnelle de la profession juridique
sur le continent.
Introduction
Cet article présente quelques résultats d'une recherche réali-
sée par l'ILSA — l'Institut latino-américain des services juridiques
alternatifs — dans quatre pays latino-américains : Chili, Colombie,
Equateur et Pérou. En ce qui concerne la méthodologie, l'étude a
été centrée sur l'élaboration d'un inventaire des services juridi-
ques dans chaque pays à partir d'interviews pré-structurées et
d'étude de cas.
L'auteur
Président de l'ILSA — Instituto
Latinoamericano de Servicios
Legales Alternativos [Institut
latino-américain de services ju-
ridiques alternatifs], Bogotá
(Colombie).
Les services juridiques alterna-
tifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche *
Fernando Rojas Hurtado **
* Cet article a été considérable-
ment réduit pour des raisons
éditoriales. Le texte dans son
intégralité a été publié en espa-
gnol dans El Otro Derecho, Te-
mis, Bogotá, n° 1, août 1988,
p. 7-17 et n° 2, janvier 1989,
p. 5-57. Une version plus com-
plète en français peut être de-
mandée à la Rédaction de cette
revue.
Texte traduit par Inés Margarita
UPRIMNY et revu par Wanda de
LEMOS CAPELLER. L'expression
« services juridiques », qu'on a
gardée dans le texte, est la tra-
duction de l'espagnol « servicios
legales », et correspond à peu
près à ce que l'on entendait en
France, à une certaine époque,
par « boutiques de Droit ». L'ex-
pression anglaise « legal servi-
ces » serait plus appropriée
pour rendre compte du phéno-
mène.
** ILSA.
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
410
Dans chaque pays l'enquête a porté sur le plus grand nombre
possible de services juridiques mis à la disposition des personnes
appartenant aux couches sociales des bas revenus. Les chercheurs
avaient conscience de l'impossibilité d'une prise en compte de
tous les services juridiques existant dans ces pays, mais ils espé-
raient pouvoir repérer globalement les nouveaux projets et les ins-
titutions « existantes » dans les quatre pays afin de pouvoir déli-
miter le champ de la recherche. De cette façon, les programmes
achevés ou les groupes ayant existé mais alors dissous n'ont pas
été comptabilisés dans le projet. Des chercheurs équatoriens et
chiliens ont attiré l'attention sur le fait que si seuls des projets ou
des institutions étaient pris en considération, le travail serait très
limité. Aussi bien en Equateur qu'au Chili, par exemple, ils ont lo-
calisé des avocats assistant des organisations populaires, et par
voie de conséquence ces derniers ont été comptabilisés dans les
statistiques en raison de leur situation de représentants des sec-
teurs populaires à revenus très limités. En fait, ces avocats assu-
raient la formation juridique d'un certain nombre de membres des
organisations populaires.
Il s'agit par ailleurs d'une recherche concernant les nouveaux
services juridiques. Par conséquent, l'étude de certains services ju-
ridiques « traditionnels » n'y figure que dans une perspective
comparative. Tandis qu'on a relevé presque le même nombre de
services juridiques « nouveaux » et de services juridiques « tradi-
tionnels » (75 pour les uns et 73 pour les autres), ces derniers ne
sont pas analysés ici de façon détaillée. Ainsi, l'étude de cas inclut
uniquement les services juridiques nouveaux.
Cette étude est la plus complète de celles qui aient jamais été
réalisées sur les services juridiques populaires en Amérique latine.
Elle contient un grand nombre des données provenant de divers
pays et susceptibles d'être comparées. Des interviews préparées à
l'avance ont constitué l'outil majeur des quatre équipes de cher-
cheurs chargés de recueillir les renseignements concernant chaque
projet ou institution visés dans l'inventaire. Il a fallu quatre mois
pour achever cette recherche, dont les enquêtes ont été réalisées
simultanément dans les quatre pays du continent.
D'après les données préliminaires, les chercheurs ont constaté
l'existence d'une grande diversité de formes d'organisation des
services juridiques, qu'il s'agisse d'activités juridiques à propre-
ment parler, ou d'activités extra-juridiques. Des ressources finan-
cières diverses, mais aussi différentes manières d'aborder les bé-
néficiaires des services juridiques ont constitué une marque déci-
sive de cette première approche. Des différences significatives ont
été repérées non seulement d'un pays à l'autre, mais encore à l'in-
térieur de chaque pays.
Entre autres observations, il fallait voir jusqu'où la « participa-
tion » apparente fut effectivement le résultat d'une impulsion im-
Droit et Société 22-1992
411
primée par les « nouveaux » services juridiques. Encore fallait-il
admettre des incertitudes par rapport à l'impact réel des « nou-
veaux » services juridiques face aux changements politiques et so-
ciaux. De toute façon, pour mieux saisir les aspects empiriques, il
a fallu situer les services juridiques dans leur propre contexte so-
cial et politique. En ce sens, l'étude de cas s'est montrée plus adé-
quate que l'interview en tant que méthode d'enquête.
En ce qui concerne l'étude de cas, les chercheurs se sont ac-
cordés pour prendre compte le caractère effectif et potentiel dont
les services juridiques sont porteurs dans le but d'atteindre cer-
tains objectifs tels que la participation populaire, le développe-
ment de la communauté impliquée, les programmes de formation
des bénéficiaires des services juridiques et la construction de cir-
cuits alternatifs de pouvoir et de rapports sociaux. L'échantillon a
été constitué de seize cas dans ces quatre pays : cinq au Chili, qua-
tre en Colombie, quatre au Pérou et trois en Equateur. S'agissant
des bénéficiaires, les communautés choisies ont été les suivantes :
des communautés d'indigènes en Colombie et au Chili; des com-
munautés de paysans au Pérou, en Equateur et en Colombie; des
communautés urbaines au Chili, au Pérou, en Equateur et en Co-
lombie; des groupes d'ouvriers salariés en Equateur, au Chili et au
Pérou; ainsi que des groupes de femmes en Colombie et au Pérou,
sans compter les groupes de militants pour les droits de l'Homme,
notamment au Chili.
1. Quelques spécificités du contexte social,
juridique, politique et économique de l'Amé-
rique latine
Il faut prendre en considération certains des facteurs qui ex-
pliquent la différence entre le contexte social où surgissent les
services juridiques latino-américains et celui des pays d'économie
avancée où existent différents types de services juridiques. Le fac-
teur le plus évident est celui qui caractérise la situation des pays
sous-développés. Cette situation peut, certes, expliquer certaines
différences entre les services juridiques des pays développés et
ceux des pays sous-développés. Mais elle ne peut pas, malgré sa
visibilité, expliquer la différence existant entre les nouveaux servi-
ces juridiqueslatino-américains et ceux des États-Unis et d'Europe,
car les premiers se constituent principalement comme un défi au
système juridique capitaliste : ils luttent pour un nouvel ordre so-
cial.
Les différences les plus évidentes entre les services juridiques
latino-américains et ceux des pays de l'hémisphère nord tiennent
tout d'abord à la pauvreté relative ou absolue ainsi qu'à la distri-
bution inégale des revenus, qui rendent difficile l'accès à la justice,
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
412
très sélective en Amérique latine où le marché du travail est en-
core assez stratifié, même si l'on considère l'émergence d'une
« classe moyenne » nombreuse qui participe au pacte social. En
dépit de cet aspect, les pays développés regardent le continent
comme un tout social homogène, malgré l'absence d'intégration
nationale. Cette prémisse est, d'ailleurs, très répandue parmi les
étudiants intéressés par l'étude de l'accès à la justice et l'aide juri-
dique en Amérique du Nord et en Europe (Friedman, 1981).
Dans l'analyse des services juridiques en Amérique latine il ne
faut pas oublier non plus les facteurs culturels : ils témoignent de
l'urgence de ces services dans le continent. L'ignorance des droits
les plus élémentaires, la méfiance par rapport à l'État aussi bien
que par rapport à l'action des communautés elles-mêmes, éloi-
gnent ces dernières du système judiciaire traditionnel. Un nombre
considérable de personnes n'appartiennent pas au système juridi-
que officiel, de même qu'elles sont exclues de l'économie formelle
caractérisant les communautés latino-américaines à bas revenus.
S'agissant des facteurs culturels, il faut observer aussi que la
formation élitiste et rigoureusement stratifiée a déterminé le rôle
politique et la position hiérarchisée des avocats latino-américains :
ils sont en général indifférents aux intérêts juridiques des couches
à bas revenus (Lynch, 1981; Perez, I, 1981; Falcao, 1984; Abel,
1982). Ce profil a néanmoins changé durant ces quinze dernières
années. Malgré cela, on a observé que les étudiants d'Amérique du
Nord, qui ignorent ces changements dans la formation et la com-
position de la profession juridique en Amérique latine, ne com-
prennent pas comment les avocats latino-américains ont pu y
jouer un rôle décisif dans la naissance et l'orientation des services
juridiques (Palacio et Rojas, 1985).
Il est clair que les services juridiques latino-américains, plus
encore que ceux d'Europe ou d'Amérique du Nord, ont à vaincre
des barrières sociales, économiques et psychologiques qui mettent
en cause le principe d'égalité vis-à-vis de l'administration de la jus-
tice. L'égalité des individus, du point de vue aussi bien de la pro-
cédure que du contenu normatif, est l'une des prémisses fonda-
mentales du système juridique capitaliste. Vaincre cette barrière
d'inégalités constitue un défi technique et financier auquel les ser-
vices juridiques latino-américains s'affrontent quotidien-nement.
En réalité, la réponse à ce défi suppose l'adhésion aux fondements
du système juridique capitaliste, et par conséquent elle devient
une source de contradictions au sein même des services juridiques
nouveaux.
Contrairement à ce qui se passe dans les pays d'Europe ou
d'Amérique du Nord, l'accès à la justice en Amérique latine consti-
tue un problème qui dépasse l'aspect purement technique. L'exis-
tence de couches sociales à très bas revenus, les problèmes posés
par les monopoles professionnels et les obstacles culturels éta-
Droit et Société 22-1992
413
blissent des barrières; mais, en revanche, ces aspects finissent par
exiger la mise en oeuvre de politiques capables d'assurer un accès
égalitaire aux services juridiques. L'inégalité est en fait intimement
liée aux structures de domination et acquiert un caractère politi-
que, sans pour autant que l'intervention de l'État ou celle des par-
tis politiques soit réclamée.
En effet, la nature autoritaire de certains régimes politiques la-
tino-américains rend difficile n'importe quelle intention de garan-
tir les droits constitutionnels fondamentaux ou de revendiquer
l'égalité des citoyens face à la loi. Les gouvernements démocrati-
ques eux-mêmes n'ont pas permis aux classes subalternes l'accès
aux instruments juridiques nécessaires à leur propre défense en
raison de l'absence de ressources et d'une politique sociale forte
ainsi que de pression de la part des professionnels du droit. La sé-
curité sociale en Amérique latine n'atteint jamais ni la qualité ni
l'étendue que connaissent les services publics en Europe et en
Amérique du Nord. Il est possible que ces différences expliquent
la raison pour laquelle les nouveaux services juridiques latino-
américains s'engagent dans une voie politique et économique de
soutien aux luttes pour les droits de l'Homme, se situant ainsi au-
tomatiquement en opposition à l'État. Ces services finissent par
constituer une menace pour l'État et le système politique, car ils
prennent la place réservée habituellement à l'administration pu-
blique et au clientélisme politique dans la prestation des services
publics.
Le non-accès à l'administration de la justice est dû aussi à
l'apathie et à la méfiance des secteurs populaires vis-à-vis du
Congrès 1 et de l'administration publique. Il y a là un cercle vi-
cieux : la machine politique ne répond pas aux problèmes politi-
ques. Ces limitations économiques, culturelles et politiques dessi-
nent le contexte dans lequel se situe la lutte des services juridi-
ques latino-américains. Cela explique aussi pourquoi ces services
ne sont pas enracinés dans l'État, contrairement à ce qui se passe
en Europe et aux États-Unis. Ici, les services juridiques se sont dé-
veloppés dans les Organisations Non Gouvernementales (ONGs)
qui se définissent comme différentes voire en opposition à l'État.
Ces services juridiques non gouvernementaux peuvent néanmoins
s'associer aux administrations étatiques dans le but de soutenir
certains programmes qui offrent à la communauté des bénéfices
économiques à court terme : ils ne peuvent pas s'opposer à ce
genre de programmes sous peine de se heurter aux communautés
visées par les services juridiques alternatifs. Par contre, il peut ar-
river que ces nouveaux services s'associent aux partis politiques
progressistes. Ces alliances témoignent de la nature politique des
services juridiques en Amérique latine, mais aussi de l'existence
de tensions politiques et institutionnelles auxquelles ils doivent
1. Chambre des députés et Sénat
des pays où a été menée la re-
cherche (N.D.E.).
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
414
nécessairement faire face. En tous cas, malgré les différences des
conceptions et des stratégies, les services
juridiques nouveaux sont en général étrangers à l'idée de soutien
aux gouvernements ou au clientélisme des partis politiques.
2. Un bref compte-rendu historique des cou-
rants de services juridiques en Amérique la-
tine
Il a été possible — non sans difficultés — de reconstruire un
tableau diffus de l'histoire des services juridiques en Amérique la-
tine. L'année 1970 fut une charnière : la période d'avant se carac-
térise par une absence presque absolue d'aide juridique aux po-
pulations démunies. L'aide juridique était jusque-là très précaire,
probablement plus encore qu'aujourd'hui, car les services juridi-
ques étaient mis en place au cas par cas, notamment avec l'aide
d'un avocat privé ou bien engagé par l'Église ou par des institu-
tions de charité ou encore par des conseils municipaux.
La période postérieure aux années 70 se caractérise par un
haut degré d'institutionnalisation. L'État investit activement dans
les services juridiques et certaines entreprises ont même créédes
fondations dans le but de favoriser l'aide juridique. Des institu-
tions en rapport avec l'Église ont également créé des services juri-
diques, mais dès la fin des années 60, le schisme politique dans
l'Église Catholique divise les services juridiques : désormais ils se
définiront comme traditionnels ou participatifs. On trouve la
même division s'agissant des services juridiques des églises pro-
testantes.
En Colombie, par exemple, l'État a mis en place des services
fonctionnant avec l'aide d'avocats entièrement dévoués aux plus
démunis. Néanmoins, ces services juridiques étatiques n'ont pas
atteint le même degré d'institutionnalisation que ceux existant
dans les pays du nord : ils ne se sont pas constitué non plus
comme une menace réelle pour la pratique privée et n'ont pas da-
vantage ébranlé le monopole de la profession. Jamais on n'a
considéré que le service juridique fût un droit fondamental que les
secteurs populaires dussent réclamer à l'État, comme c'est le cas
de l'éducation ou de l'assistance médicale. Le fait que les services
juridiques ne soient pas un droit des individus ni une obligation
de l'État, c'est comme la question de la responsabilité des déci-
sions qui se prennent, c'est quelque chose qui ne se réclame pas.
Comme on peut s'y attendre en pareille situation, les avocats n'ont
pas à instaurer un système de « sécurité » juridique, quand ce sont
les particuliers eux-mêmes qui ont à s'occuper de leur défense.
Ainsi, à la différence de l'expérience connue dans les pays du
nord, il ne s'est jamais présenté en Amérique latine le dilemme en-
Droit et Société 22-1992
415
tre « Judicare » et le « Staff System » (Cappelletti et Garth, 1981).
Dans la deuxième période, il est possible également d'observer de
nouveaux développements dans l'organisation de services juridi-
ques : ces derniers sont la conséquence d'une certaine proliféra-
tion des nouveaux programmes et des projets dans ce domaine.
Bien que les institutions étrangères financent d'habitude des pro-
jets à court terme, ces derniers ont été réalisés par des avocats
soucieux de les institutionnaliser au titre de programmes perma-
nents. C'est même cela qui permettrait de caractériser cette pé-
riode. Des avocats engagés dans de tels projets, dotés néanmoins
d'une brève expérience personnelle sur le développement commu-
nautaire 2 , la mobilisation politique ou la pratique même de servi-
ces juridiques au bénéfice des minorités et des pauvres, ont acquis
la confiance des fondations étrangères et ont pu envisager des
programmes stables. Ils souhaitaient se consacrer de façon per-
manente à la cause sociale et politique pour laquelle ils avaient
lutté pendant des années. De cette manière, certains avocats sont
devenus de véritables leaders de projets, mais aussi des employés
salariés de ces projets.
En établissant quelques règles de travail et en réclamant une
responsabilité plus grande vis-à-vis des besoins des bénéficiaires,
les fondations étrangères ont aussi contribué à donner une impul-
sion à l'institutionnalisation. Bien que les formes d'organisation
soient différentes d'un cas à l'autre, les fondations qui financent,
les bénéficiaires et les experts extérieurs ont aussi pris part dans
la conception, la description, l'organisation, le contrôle ou l'évalua-
tion du projet.
Un coup d'oeil sur l'Europe nord-occidentale et l'Amérique du
Nord permettra d'établir les bases d'une comparaison avec le dé-
veloppement institutionnel de l'aide juridique en Amérique latine.
Nous restreindrons notre comparaison aux pays de l'Europe nord-
occidentale car il n'existe de développement similaire de l'aide ju-
ridique dans aucun pays méditerranéen. La Belgique ne connaît
pas non plus de tels services. La littérature spécialisée a fini par
accepter la thèse de Cappelletti sur les trois étapes prédominantes
dans le développement des services juridiques dans les pays du
nord : premièrement, l'aide juridique aux plus démunis; ensuite,
l'étape consacrée à la représentation des intérêts diffus lorsque les
intérêts de type collectif trouvent des modes de protection spéci-
fiques; et, finalement, l'aide juridique comme alternative aux tri-
bunaux formels (Abel, 1985 :480).
Après deux décennies d'une croissance accélérée, les ressour-
ces des services juridiques ont stagné, diminuant même dans les
dernières années. Cette tendance récente est fréquemment inter-
prétée à la lumière de la réduction de la dépense publique et du
démantèlement de l'État-providence. Ces deux facteurs sont le ré-
sultat de la crise économique ou d'un grand mouvement politique
2. Nous supposons admise, dans
le cadre de cet article, la notion
de « développement communau-
taire ». Il est impossible de dis-
cuter ici les origines sociales et
politiques de cette notion. On ne
peut pas non plus expliquer les
raisons qui ont amené les nou-
veaux services juridiques à
adopter cette terminologie. Mon
hypothèse est que, s'agissant
des services juridiques latino-
américains, c'est là une expres-
sion de « compromis », une de
ces notions vagues et à la mode
qui, d'une manière ou d'une au-
tre, sont acceptables pour la ma-
jorité sinon pour l'ensemble des
idéologies politiques. Dans la
mesure où cette terminologie
correspond aux conditions
idéologiques et bureaucratiques
des agences pour le développe-
ment, elle permet la mise en
oeuvre des projets de groupes
qui travaillent dans ce domaine.
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
416
pour la privatisation du secteur, ou plus fréquemment d'une com-
binaison des deux processus.
Cette description — bien que très schématisée — du dévelop-
pement institutionnel dans les économies avancées de l'Occident
et en Amérique latine nous permet de signaler quelques différen-
ces majeures entre les deux régions. Premièrement, les services ju-
ridiques latino-américains, aussi bien les nouveaux que les tradi-
tionnels, n'ont pas atteint le degré d'institutionnalisation qu'ont
connu les services d'Amérique du Nord et de l'Europe dans les an-
nées soixante et soixante-dix. D'autre part, les subventions de
l'État, l'aide des avocats bénévoles, et d'autres schémas de volon-
tariat ont toujours été soumis à des réductions de budget et à des
décisions capricieuses. Sans compter le fait que les nouveaux ser-
vices juridiques sont soumis ordinairement à un financement à
court terme. De plus, un manque évident d'appui de l'État — et
quelquefois la répression officielle — menacent la stabilité des
nouveaux services juridiques. La seule exception dans ce tour
d'horizon des relations difficiles entre le gouvernement et les
nouveaux services juridiques paraît être l'appui donné par le gou-
vernement brésilien aux services juridiques de ce pays dès le mi-
lieu de l'année 1985 jusqu'au milieu de l'année 1986. Au Brésil, le
ministère de la Justice, stimulé par la soi-disant « ouverture » poli-
tique — ou transition vers la démocratie bourgeoise — a soutenu
financièrement aussi bien les services juridiques traditionnels que
les services juridiques innovateurs. Néanmoins, il est encore pos-
sible d'observer des différences institutionnelles significatives en-
tre les services juridiques innovateurs et ceux qui demeurent tra-
ditionnels en Amérique latine.
L'essor et le déclin des mouvements d'aide juridique dans les
pays du nord sont étroitement associés à l'essor et la chute de
l'État-providence. En Amérique latine, en revanche, le développe-
ment quantitatif et qualitatif des services juridiques peut être as-
socié à la manière dont ont été menées les politiques publiques et
au rôle qu'y ont joué les diverses forces politiques. Ceci est parti-
culièrement vrai pour les nouveaux services juridiques, qui consti-
tuent la branche la plus développée dans le sous-continent au
coeur des multiples frondaisons de l'aidejuridique, tout en étant
la plus créatrice (Palacio, 1985). Par conséquent, les nouveaux ser-
vices juridiques latino-américains ont été relativement peu affec-
tés par la tendance universelle visant la réduction du secteur pu-
blic. Bien que la réduction du budget dans les pays d'économie dé-
veloppée doive normalement affecter le volume et le nombre des
nouveaux services juridiques en Amérique latine, cet effet ne s'est
pas encore fait sentir.
Le projet vague d'« aide juridique pour les pauvres » a dominé
la première phase de l'aide juridique dans les pays du nord et en
Amérique latine. Dans les sociétés capitalistes avancées, des pro-
Droit et Société 22-1992
417
jets de ce genre persistent, contrairement à ce qui se passe en
Amérique latine où l'aide aux pauvres n'a jamais atteint le degré
d'institutionnalisation acquis ailleurs. Ici, l'utilisation de ce modèle
a été mise en place par des gouvernements, des universités et des
fondations privées. L'Église, associée encore au milieu du siècle à
l'idée de charité et de philanthropie dans les services juridiques,
se trouve aujourd'hui divisée sur la promotion de ces services, et
fournit à la fois des services juridiques traditionnels et innova-
teurs.
Les associations concernant les intérêts juridiques collectifs
n'ont jamais eu de racines en Amérique latine; les réformes légi-
slatives n'ont pas été non plus une préoccupation majeure des
services juridiques. Les associations en question supposent l'exis-
tence d'intérêts communs et d'une homogénéité sociale; la loi, en
revanche, est impersonnelle et universelle par nature; cela déter-
mine le fait que les nouveaux services juridiques donnent priorité
aux conflits d'intérêt collectif. Dans ce cas, le collectif est une
communauté bien identifiée, un groupe défini de bénéficiaires,
comme, par exemple, une association déterminée de paysans, une
communauté particulière d'indigènes, les habitants d'un quartier
ou un syndicat d'ouvriers, et non un groupe anonyme d'individus
dans la société. Une sélection minutieuse du groupe des bénéfi-
ciaires est nécessaire, car la présence de l'avocat dans la vie quoti-
dienne de cette communauté est considérée indispensable pour le
développement de l'organisation.
De la même façon, les soi-disant « actions de classe » ne sont
pas fréquemment développées par les nouveaux services juridi-
ques latino-américains. Seuls les services qui s'adressent à des in-
dividus isolés ou à des groupes ayant des besoins spécifiques,
comme ceux qui offrent des services aux groupes de femmes ou
aux communautés d'indigènes, consacrent une partie de leurs ef-
forts à obtenir des réformes constitutionnelles et législatives. Bien
que tous les groupes participe — comme partie de leur activité
politique innovatrice, plus ou moins d'un groupe à l'autre — au
développement et à la conceptualisation des droits de l'Homme
fondamentaux pour la classe ouvrière prise comme un tout, la
plupart des ressources sont consacrées à travailler avec des com-
munautés locales. Les services juridiques traditionnels s'adressent
à des secteurs de la population vaguement définis; mais ils ne par-
ticipent pas activement et ne font pas d'efforts pour obtenir des
réformes législatives, car ils ont des liens étroits avec le gouver-
nement et avec les intérêts dominants.
Les services juridiques contemporains, aussi bien ceux du
nord que ceux d'Amérique latine, cherchent des alternatives au
système judiciaire. Cependant, des comparaisons à ce sujet sont
trompeuses car il existe de profondes différences entre les deux
modèles d'aide juridique dans les deux régions. Le mouvement
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
418
vers l'informel dans les sociétés capitalistes avancées a été nourri
par une suite de forces qui vont des intérêts communautaires au
diagnostic de l'inefficacité des tribunaux et participe d'une idéolo-
gie de la « privatisation » qui s'oppose à l'interventionnisme de
l'État. Ainsi, ce mouvement s'appuie sur un conglomérat d'intérêts
hétérogènes : grandes corporations, partis politiques conserva-
teurs et technocrates académiques. La lutte contre le formalisme
juridique en Amérique latine, non exempt d'ambiguïté politique,
est surtout un mouvement vers la démocratisation. L'informel
donne l'opportunité de s'exprimer et de faire respecter sa propre
identité dans le système juridique du point de vue de la procédure
et du contenu de la norme. Si la présence de l'État n'a jamais été
importante dans l'aide juridique, le développement de l'informel
ne peut cependant pas être associé à la privatisation. En réalité,
quelques-uns des groupes d'intérêts dont la manière de résoudre
les conflits est en train de se faire remarquer, n'ont jamais été re-
présentés dans les tribunaux.
3. Le personnel. Les spécificités de la profes-
sion juridique en Amérique latine et des
avocats des services juridiques
S'agissant de la composition professionnelle des groupes ap-
partenant aux nouveaux services juridiques, on peut d'abord re-
marquer que, dans les quatre pays étudiés par cette recherche, il y
a environ 230 avocats qui travaillent à plein temps pour les 75
nouveaux services juridiques existants.
Entre les avocats à plein temps et les avocats à mi-temps, on
compte au total approximativement 1000 avocats. Cependant, plus
du tiers des ces programmes progressistes de services juridiques
n'a pas encore un avocat qui travaille à plein temps, et 37% d'entre
eux seulement peuvent compter avec un avocat. Ces données
confirment l'observation faite plus haut, sur la dimension plutôt
réduite de la plupart des programmes et projets des nouveaux
services juridiques. En moyenne, les groupes de services juridi-
ques colombiens obtiennent plus de temps des avocats que les
services juridiques dans les trois autres pays. Cela est dû, peut-
être, au haut degré d'institutionnalisation des nouveaux services
juridiques colombiens, quand on les compare avec le Chili ou
l'Equateur.
Plus de 95% des avocats qui travaillent pour les nouveaux ser-
vices juridiques en Colombie, en Equateur et au Pérou sont rému-
nérés par leur travail. Ce chiffre contraste avec la rémunération
que les avocats progressistes reçoivent au Chili : ici, moins de 30%
d'entre eux reçoivent une rémunération pour leur travail, ce qui
peut être expliqué par le fait que 66% des services juridiques chi-
Droit et Société 22-1992
419
liens ne comptent pas d'avocats travaillant à plein temps. L'ab-
sence d'avocats à plein temps et la faiblesse apparente des organi-
sations peuvent être attribuées aux conditions politiques peu fa-
vorables, que les nouveaux services juridiques doivent affronter
au Chili. Globalement, le financement externe, c'est-à-dire celui qui
n'est pas assuré par le projet lui-même, garantit une sorte de ré-
munération pour les avocats. En général, les sources financières
sont obtenues à travers des institutions internationales pour le
développement. La proportion de la contribution des bénéficiaires
ou autres sources locales de fonds est assez limitée.
L'enquête n'a pu réunir qu'une information réduite sur les sa-
laires des avocats. Cette évidence, quand elle est complétée par la
propre expérience des enquêteurs et par des observations acciden-
telles, permet de formuler quelques hypothèses préliminaires sur
les salaires des avocats qui travaillent pour les nouveaux services
juridiques, en les comparant avec le reste des membres de la pro-
fession. Les projets de nouveaux services juridiques financés par
des sources étrangères ont tendance à payer leurs propres avocats
qui y travaillent un peu moins ou selon les lois du marché. En ce
qui concerne les leaders des projets financés de l'extérieur ou les
avocats qui individuellement offrent aux communautés des servi-
ces juridiques subventionnés, on observeune tendance à la baisse
des salaires, ceux-ci étant inférieurs aux salaires reçus par d'autres
avocats. En fait, tout ceci est très subjectif puisqu'il n'existe pas
d'« échelle de prix du marché » pour les avocats en Amérique la-
tine. L'offre de services est très stratifiée, ce qui constitue des
marchés différents. Il se trouve qu'un grand nombre d'avocats
peut être au chômage ou dans une situation de chômage déguisé,
tandis que d'autres avocats reçoivent les plus hauts revenus de ces
pays, en exerçant leur profession. En ce qui concerne directement
les nouveaux services juridiques, j'ai formulé l'hypothèse que le
simple fait de travailler pour ces services met ces avocats en
marge de la branche la plus traditionaliste de la profession.
Plus d'un tiers des nouveaux services juridiques comptent
seulement avec des avocats qui travaillent à mi-temps. Les avocats
à mi-temps pourraient être un lien avec la profession juridique
parce que, à côté du service juridique progressiste, ils exercent
probablement leur profession d'avocat ailleurs. Ceci pourrait être
aussi vu comme un symptôme de sous-emploi d'une partie des
avocats qui se consacrent aux nouveaux services juridiques, mais
aucune conclusion définitive ne doit être avancée sans d'autres
données sur les opportunités réelles offertes par le marché du tra-
vail dans ce secteur. Il faut considérer l'hypothèse que des jeunes
avocats choisissent de travailler en marge du champ juridique —
réduisant ainsi leurs opportunités potentielles de participer à un
marché du travail plus lucratif — par l'adoption d'une position
contestataire, c'est-à-dire pour militer dans la profession d'une fa-
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
420
çon inacceptable aux yeux des intérêts politiques et économiques
dominants dans ces pays.
Peu de services juridiques engagent des avocats au hasard.
Ceci peut arriver, si nous considérons que de tels services ont be-
soin à la fois d'engagement et d'une formation développée et
orientée de la part de ces avocats. De même, les nouveaux services
juridiques utilisent d'une manière limitée les étudiants en droit.
Un total de 128 étudiants en droit ou personnes ayant reçu une
formation juridique ont travaillé avec les 75 groupes de services
juridiques existant dans les quatre pays. C'est un chiffre réduit si
nous le comparons avec le nombre potentiel d'étudiants qui pour-
raient le faire. Bien que cela soit généralement limité par la loi ou
les associations d'avocats, les étudiants peuvent cependant s'oc-
cuper de certains devoirs juridiques routiniers. De jeunes étu-
diants idéalistes ouverts à la critique sociale et à la critique de la
profession offrent un grand potentiel pour l'expansion des servi-
ces juridiques, s'ils peuvent être formés et stimulés. En réalité,
quelques étudiants en droit collaborent de façon bénévole dans les
services juridiques participatifs : 73% seulement des étudiants en
droit ou des personnes qui ont été formées dans certaines bran-
ches juridiques sans pour autant être des professionnels travail-
lant pour les services juridiques en recevaient une rémunération.
Les universités sont aussi responsables que les groupes de
services juridiques du fait que peu d'étudiants en droit soient en-
gagés dans ces services. Les nouveaux services juridiques, en effet,
ont été assez méfiants envers les programmes contrôlés par les
universités, car ils ont comme but la réalisation de ces services et
les transformations sociales qui en découlent plus qu'une préoc-
cupation de la formation professionnelle elle-même. La présence
des étudiants en droit au sein de ces services pourrait non seule-
ment en diminuer la qualité, mais surtout rompre ou ralentir le
rythme du processus interne de développement politique.
Les facultés de droit, quant à elles, ont toujours eu du ressen-
timent ou de la crainte à l'égard de la critique et du rapproche-
ment interdisciplinaire dont font preuve les programmes progres-
sistes dans la formation et la pratique juridiques. Il semble qu'il y
ait encore de la place pour une coopération mutuelle bienfaisante
entre les nouveaux services juridiques et les facultés de droit,
pour une confrontation de la loi inscrite dans les livres et de celle
qui est vécue dans la pratique. Les services juridiques doivent
promouvoir un espace capable d'aider les étudiants en droit dans
leur processus de formation politique et professionnelle; ils doi-
vent aussi recruter massivement les étudiants en droit. De leur cô-
té, les facultés de droit doivent d'une manière ou d'une autre trou-
ver une rétribution académique pour les étudiants qui travaillent
dans les nouveaux services juridiques. Actuellement, l'ILSA tra-
vaille à la création de programmes visant à l'institutionnalisation
Droit et Société 22-1992
421
des liens entre les facultés de droit progressistes et les nouveaux
services juridiques.
Comme nous le savons, les nouveaux services juridiques em-
ploient des personnes sans formation juridique officielle, qu'en
Amérique latine on appelle les « non-juristes » 3, et qui sont sélec-
tionnées parmi les bénéficiaires. Les services juridiques tradition-
nels ne comptent pas avec l'aide de telles personnes dans la mise
en oeuvre de leurs programmes. En ce qui concerne les nouveaux
services juridiques, la formation des bénéficiaires est un but es-
sentiel de l'approche « populaire » du développement social et po-
litique : cela permet l'auto-défense et un nouveau souffle de
confiance. Il est vrai que, pour le moment, le processus de forma-
tion ne met pas en cause le monopole de la profession juridique
en Amérique latine. Les bénéficiaires des nouveaux services juridi-
ques sont, par exemple, exclus du marché des services juridiques
pour des raisons économiques, culturelles et politiques. Des non-
juristes bien formés, appartenant aux couches populaires, pour-
raient en quelque sorte mettre en cause l'exclusivité de la forma-
tion juridique traditionnelle et l'idée d'une « rigueur scientifique »
au-delà de la pratique elle-même. Dans cette hypothèse, la forma-
tion de non-juristes et la mise en oeuvre des nouveaux services ju-
ridiques dans leur ensemble pourraient réduire le coût social de la
reproduction ou de la socialisation des classes ouvrières.
En réalité, au moment de la réalisation de cette recherche, le
nombre de non-juristes formés par les nouveaux services juridi-
ques (seulement présents dans 39 des 75 programmes dans les
quatre pays) était encore très limité. On pourrait avancer quelques
hypothèses — pas encore confirmées — à propos de ce nombre
restreint des bénéficiaires formés par ces services : d'abord, la ré-
cente mise en place de la plupart des nouveaux services juridi-
ques; deuxièmement, l'existence d'un budget assez limité empê-
chant la formation des membres de la communauté; troisième-
ment, la crainte des avocats, pour qui la formation des non-
juristes pourrait signifier une certaine irresponsabilité vis-à-vis de
la communauté ou des agences pour le développement.
A en juger par le nombre limité de non-juristes, les nouveaux
services juridiques latino-américains seraient incapables de parta-
ger les hypothèses ou de suivre les recommandations faites à pro-
pos des services juridiques des communautés d'Amérique du
Nord. Aux États-Unis, par exemple, il semble que la croissance du
nombre de non-juristes tend constamment à réduire les coûts des
services juridiques. De même, cette croissance pourrait signifier
une pratique « hors la loi » et ainsi empêcher le contrôle et la ré-
gulation des actions d'arbitrage au sein d'une situation (Menkel-
Meadow, 1985). Pour l'instant, ces hypothèses ne peuvent être ap-
pliquées aux nouveaux services juridiques en Amérique latine. 3. En espagnol, les
« parajuristas ».
F. Rojas
Les services juridiques alter-natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
422
A partir d'une approche interdisciplinaire, on pouvait prévoir
un engagement des professionnels d'autres disciplines dans les
nouveaux services. En effet, plus de 78% des nouveaux services ju-
ridiques comptent avec l'aide de professionnels autres que les
avocats, notamment des économistes, des travailleurs sociaux et
des psychologues. En ce qui concerne les services juridiques tradi-
tionnels, seulement 49% comptent avec l'aide de professionnels
autres que les avocats, généralement dans le cadre des program-
mes qui travaillent avec des étudiants en sciences sociales.
S'agissant de la composition professionnelle, les nouveaux
services juridiques témoignent d'une situation où les avocats tra-
vaillent de façon isolée ou avec d'autres professionnels, notam-
ment au sein des programmes ou des institutions les plus renom-
més. Il est donc question de savoir d'où viennent ces avocats, sur-
tout si on pense à l'idée stéréotypée de l'avocat latino-américain
toujours présenté comme aristocrate, élitiste ou, en tous cas, dans
chaque pays, au service des intérêts dominants.
J'ai émis ci-dessus deux appréciations différentes — appa-
remment contradictoires — en parlant des avocats latino-
américains. J'ai d'abord parlé de leur éducation juridique élitiste,
de leurs hauts revenus, et de leur origine sociale comme des obs-
tacles que, pendant les premières soixante années de ce siècle, le
peuple affronte dans sa recherche de justice. L'accès inégal à la
justice est accentué par le caractère très technique et formaliste
des systèmes juridiques latino-américains. Le formalisme donne,
en effet, des bases solides pour un monopole contrôlé profession-
nellement. Cela, en apparence, légitime aussi l'exigence qu'ont les
avocats d'une position hiérarchique dans la société (Lynch,
1981,1983; Lowenstein, 1970; Thome, 1979). J'ai fait ensuite allu-
sion à un nouveau type d'avocat, comme l'un des principaux fac-
teurs responsables de l'émergence d'un phénomène aussi singulier
que celui des nouveaux services juridiques. Motivés par la situa-
tion sociale et politique, et fréquemment aussi par des cours don-
nés dans les universités par des professeurs critiques, ces groupes
d'avocats ont mis en cause le rôle des avocats traditionnels. Ils ont
proposé, dans la pratique, des modèles alternatifs au rôle que doit
jouer un avocat. Aussi partagent-ils volontairement leurs connais-
sances, leurs expériences, leurs expectatives politiques, y compris
leur vie quotidienne avec les secteurs populaires (Lynch, 1978;
Thome, 1984).
Comment pouvons-nous expliquer la coexistence actuelle de
ces deux différents types d'avocats? Les études sur la profession
juridique en Amérique latine montrent qu'il y a des différences
importantes d'un pays à l'autre. La participation à des expériences
nationales de régimes réformistes-populistes comme celui de Pé-
ron en Argentine, Getulio Vargas au Brésil, ou Velasco au Pérou, a
donné un certain contenu social et une conscience politique au
Droit et Société 22-1992
423
comportement des forums d'avocats, participant ainsi également à
l'orientation des facultés de droit dans ces pays (Falcao, 1984).
La participation des avocats à des expériences « modernisa-
trices », comme celle de la dictature brésilienne, dans les années
1964-1985, les a poussés à adopter un raisonnement juridique à
caractère instrumental par opposition au raisonnement juridico-
formaliste (Gardner, 1980). Au Pérou, le gouvernement de Velasco,
en 1968, a imposé une série de réformes concernant la distribu-
tion et la nationalisation des ressources économiques, ainsi que la
mobilisation et la participation des groupes à bas revenus. Il
s'agissait d'une mobilisation induite et organisée par l'État, quel-
quefois appelée « mobilisation par le haut ». C'était une mobilisa-
tion différente de celle que les nouveaux services juridiques veu-
lent promouvoir. Cependant les réformes de Velasco ont défié
quelques institutions péruviennes traditionnelles associées aux
classes dominantes soucieuses de préserver un ordre social in-
juste. L'administration de la justice et la profession juridique ont
été quelques-unes des institutions mises en question par le gou-
vernement de Velasco. Sans doute, ce gouvernement a-t-il stimulé
l'apparition de nouvelles forces sociales et politiques, parmi les-
quelles se trouvent les avocats des nouveaux services juridiques. Il
faut observer aussi que l'opposition aux diverses dictatures dans
le continent a également été à la base d'une nouvelle conscience
sociale et politique des avocats.
De toute façon, les juristes latino-américains maintiennent une
remarquable distance face aux besoins et demandes des couches
défavorisées. En effet, les avocats des sociétés latino-américaines
se trouvent placés à un très haut niveau social, occupant des posi-
tions sociales privilégiées dans une société très hiérarchisée. Néan-
moins, la prolifération des facultés de droit et de programmes de
cours du soir — phénomène connu dans la plupart des pays de la
région — a permis l'accès à la profession juridique d'étudiants ap-
partenant aux classes moyennes et aux couches sociales plus dé-
favorisées. Cela a été, probablement, le facteur qui a le plus joué
dans l'émergence d'un nouveau type d'avocat. Dans les dernières
décennies, l'émergence d'un nouveau type d'avocat et l'importante
croissance du nombre d'avocats en Amérique latine peuvent s'ex-
pliquer par des aspects liés à un certain niveau de chômage, mais
surtout à la radicalisation politique — y compris la syndicalisation
— des avocats et des juges. Une préoccupation croissante pour le
droit en action et la justice sociale explique aussi la croissance
démesurée du nombre d'avocats.
Cette recherche a dévoilé l'existence d'avocats critiques et d'un
enseignement critique du droit. En Amérique latine, en effet, on a
vu apparaître ces dernières années des travaux importants centrés
autour de trois groupes de recherche d'ampleur régionale à pro-
pos du droit et de la sociologie, principalement en ce qui concerne
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
424
une vision critique du droit. Ainsi en va-t-il du CLACSO — Conseil
latino-américain en sciences sociales (Buenos Aires) — créé il y a
huit ans, groupe qui fut à l'origine de plusieurs événements scien-
tifiques au niveau régional, soutenant des conférences latino-
américaines. On peut, de même, citer le Groupe latino-américain
de criminologie critique, autour duquel se sont organisés des
échanges et des publications dix années durant 4 ainsi que le grou-
pement qui s'est effectué autour d'une idée « Critique du droit »,
effort commun entre l'Université Autonome de Puebla et l'Univer-
sité Autonome de Zacatecas (Mexique) sous la direction dynami-
que d'Oscar Correas. Après trois années de travaux considérables,
ils ont publié Critica Jurídica, revue latino-américaine de politique
et de philosophie et droit.
Des quatre pays des Andes participant à la recherche, c'est au
Pérou que le rôle de l'enseignement critique en droit est le mieux
mis en évidence. Plusieurs avocats des services juridiques de ce
pays sont des diplômés de l'Université Catholique. Au début de
1967, la Faculté de Droit de l'Université Catholique a modifié son
programme, notamment en ce qui concerne les disciplines et les
méthodes appliquées au cours, permettant la formation d'avocats
critiques au Pérou sur le modèle du contraste nord-américain en-
tre law in books et law in action. A partir de là, cette formation a
été rapidement achevée ou remplacée par des écoles d'orientation
encore plus critiques, qui ont miné le royaume jusqu'alors intou-
chable du droit naturel et du positivisme.
En tenant compte de l'existence de ces deux types d'avocats,est-il possible de dessiner le profil professionnel des avocats des
nouveaux services juridiques? Ils ne sont pas nécessairement ceux
qui sont au chômage, ni ceux qui sont diplômés dans des facultés
moins prestigieuses. En réalité, la plupart apparemment ont obte-
nu leurs diplômes dans des facultés élitistes et traditionnelles :
c'est leur attitude critique en présence des formes traditionnelles
de l'exercice du droit qui marque la différence par rapport à d'au-
tres professionnels du droit. Ils ont en effet une perspective fon-
damentalement critique de la profession juridique au sens moral
et politique, critique néanmoins aveugle en présence des inégalités
et de l'injustice. Du point de vue culturel, on constate qu'ils com-
muniquent leur refus au travers de minuties symboliques : la te-
nue informelle, la façon de s'exprimer des classes populaires, et
des comportements spontanés opposés au formalisme usuel. Cer-
tains préfèrent s'éloigner du milieu professionnel traditionnel,
privilégiant la formation de petits groupes où la stimulation mu-
tuelle et la socialisation des expériences sont pratiques courantes.
Ces avocats des nouveaux services juridiques, bien qu'ils ne pos-
sèdent pas nécessairement les mêmes idées politiques, s'accordent
sur la critique du système juridique et politique.
4. Cf. la revue Capítulo crimino-
lógico (Université de Zulia, Ma-
racaïbo, Vénézuéla).
Droit et Société 22-1992
425
4. Les activités juridiques et extrajuridiques.
Le genre de problèmes juridiques assumés
par les services juridiques stratégiques
Le genre de problèmes juridiques dans lesquels les nouveaux
services juridiques s'engagent ne sont pas très différents de ceux
auxquels s'affrontent d'autres services juridiques en Amérique la-
tine ou ailleurs. Comme il est naturel, les consultations consti-
tuent le service juridique que les groupes offrent le plus fré-
quemment, suivi par la représentation devant les tribunaux, la po-
lice ou auprès des administrations.
La médiation n'a pas été une activité privilégiée des groupes
qui offrent les nouveaux services juridiques. La recherche a même
montré qu'il s'agissait là d'une des activités les moins fréquem-
ment assumées par ces groupes. Cela peut s'expliquer par le fait
que les nouveaux services juridiques s'occupent plutôt des indivi-
dus ou des communautés à bas revenus en conflit avec le gouver-
nement, ou avec des personnes appartenant à une classe sociale
privilégiée, ou encore ayant des problèmes avec les entreprises.
Les affaires entre personnes de différentes classes sociales parais-
sent être moins susceptibles de médiation ou de transaction pri-
vée que les conflits horizontaux comme ceux de famille ou les
querelles entre voisins. En réalité, comme nous l'avons déjà dit, les
expériences latino-américaines de tribunaux populaires ou de jus-
tice informelle concernent des personnes de même situation éco-
nomique et de même couche sociale. De la même façon, les sché-
mas de médiation et d'arbitrage sont plus fréquents au sein des
entreprises.
Au contraire, le peu de priorité donnée à la médiation explique
l'absence d'intérêt pour les conflits entre les communautés elles-
mêmes. En effet, il semble que les activités des nouveaux services
juridiques visant le développement communautaire n'incluent pas
la promotion d'une médiation informelle. Il n'y a que les services
juridiques qui accordent de la valeur aux formes endogènes ou al-
ternatives de solution des conflits entre les secteurs populaires,
pour promouvoir l'étude et la mise en oeuvre de la justice infor-
melle parmi les bénéficiaires. Ainsi, les nouveaux services juridi-
ques ont pour objet principal les problèmes touchant à la proprié-
té de la terre, les demandes de logement, les services publics, les
conflits de travail et les atteintes aux droits de l'Homme. Les servi-
ces juridiques traditionnels se consacrent principalement aux
questions pénales et aux problèmes familiaux.
Il y a des différences notables entre les nouveaux services ju-
ridiques et les services juridiques traditionnels, en ce qui concerne
les activités extrajuridiques. L'accent mis sur l'éducation populaire
et sur la formation de parajuristes, la recherche socio-juridique et
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
426
les activités d'organisation sont caractéristiques des nouveaux
services juridiques.
Tous les nouveaux services juridiques offrent des séminaires
et des ateliers à leurs bénéficiaires. 70 % d'entre eux produisent du
matériel éducatif et favorisent l'éducation communautaire, et 63 %
participent à des tentatives de réforme législative. Près de la moi-
tié d'entre eux font de la recherche. Il est vrai qu'aucune de ces ac-
tivités n'est assumée par la plupart des services juridiques tradi-
tionnels.
L'étude de cas a montré que les groupes de services juridiques
nouveaux sont prêts à participer à des tentatives de réformes légi-
slatives, ce qui est d'abord une tâche du régime politique, mais
aussi la façon dont les gouvernements perçoivent l'organisation
populaire. Par ailleurs, en ce qui concerne les organisations de
femmes, par lesquelles les gouvernements ne se sentent pas spé-
cialement menacés, les groupes de services juridiques travaillant
pour les droits de la femme jouissent généralement d'une plus
grande marge de manoeuvre en matière de réformes juridiques. Ce
n'est pas le cas pour les organisations de paysans ou d'indigènes,
où les groupes de services juridiques sont fréquemment frustrés
et finissent par abandonner leurs projets de réforme législative
car, ici, ils doivent faire face à un régime politique qui ne prendra
manifestement pas en considération leurs initiatives.
Les efforts de réforme législative créent souvent des opportu-
nités de travail en commun et de développement de liens de soli-
darité entre divers groupes locaux, nationaux ou régionaux. Ceci a
été le cas, de façon limitée, pour les groupes de services juridiques
qui travaillent avec des communautés d'indigènes dans toute
l'Amérique latine. Cette même coopération est en train de devenir
aussi une réalité s'agissant des groupes de services juridiques qui
défendent les droits de la femme ou les droits de l'Homme en gé-
néral.
5. Les éléments pour une évaluation théori-
que des nouveaux services juridiques
En dépit de l'intention des avocats et des activités complémen-
taires d'organisation et de mobilisation, et quoi que fassent les
avocats des services juridiques, le service juridique est foncière-
ment conservateur. Les services juridiques, spécialement les nou-
veaux, ont tendance à canaliser tout conflit à travers le système
juridique. Par conséquent, ils ont tendance à renforcer la soumis-
sion des classes subordonnées à des règles qui — bien qu'égalitai-
res et impersonnelles par nature — oppriment sans en avoir l'air
ceux qui n'exercent pas le contrôle sur les ressources économiques
Droit et Société 22-1992
427
et politiques. Bien plus, à ce niveau d'abstraction, l'oppression ju-
ridique capitaliste opère indépendemment du contenu de la loi.
Il en découle que, en juridicisant les conflits sociaux, les nou-
veaux services juridiques contribuent involontairement — et par-
fois inconsciemment — à la constitution et à la reproduction des
classes subordonnées. Mais, en réalité, les services juridiques peu-
vent être un instrument de socialisation.
Quand nous confrontons les avocats des nouveaux services ju-
ridiques avec ces considérations théoriques plus liées au change-
ment social, ils répondent de la même façon : ils utilisent la loi
comme un instrument pour entreprendre des activités autres que
le simple conseil et la représentation juridiques, et pour atteindre
des résultats structurels, parajuridiques. Quant aux secteurs à bas
revenus, ils sont de toute façon soumisau système juridique do-
minant. On ne risque pas de causer de grands dégâts politiques en
utilisant le système juridique pour offrir un soulagement immé-
diat et contribuer à créer des conditions capables de faire échouer
ce système juridique.
Cette réponse se fonde sur deux postulats : 1) que les
contraintes et les déterminations du système juridique capitaliste
peuvent être comprises à partir d'une approche instrumentale du
droit; 2) que l'utilisation instrumentale du droit neutralise les
coûts (sociaux) de canalisation des luttes à l'intérieur du système
juridique. Si ces deux postulats sont exacts, nous pouvons dire
que les nouveaux services juridiques produisent un résultat net-
tement effectif et positif, pour instaurer un nouveau concept de
justice dans la société. En tout cas, il faut étudier plus à fond ces
postulats, pour pouvoir apprécier dans quelle mesure les nou-
veaux services juridiques agissent comme moyen de libération par
rapport au système juridique capitaliste.
Il est néanmoins difficile d'évaluer théoriquement les nou-
veaux services juridiques. Nous devons assumer que ces services
juridiques sont bien appropriés pour détruire l'ordre social actuel.
La question est la suivante : quel est l'ordre social que les services
juridiques veulent établir?
Ceux qui sont les plus enclins à faire état des formes contem-
poraines de démocratie peuvent répondre sans grande difficulté :
un meilleur ordre social est généralement conçu comme plus par-
ticipatif et plus orienté vers la satisfaction des besoins réels (ceux
qui sont fondamentaux et les autres) de la population.
Ceux qui sont plus ambitieux, en termes d'utopies politiques,
hésiteront avant de répondre. La cause de leur hésitation tient à la
difficulté de conceptualiser un ordre social alternatif qui n'existe
pas encore. Le nouveau système social sera-t-il basé sur l'égalité de
tous, ou sur la reconnaissance des disparités et de la liberté indi-
viduelle? Si l'État n'est pas le principal acteur politique, quelle sera
l'instance unitaire du nouvel ordre social? Si les marchés et les
F. Rojas
Les services juridiques alter-
natifs en Amérique latine
Réflexions à propos des résul-
tats d'une recherche
428
marchandises sont considérés comme la racine de l'exploitation et
de l'accumulation capitaliste, quel genre d'échange les remplacera?
quelles formes de coopération et de division du travail (s'il y en a
une) prévaudront?
Confrontés avec ces dernières questions, les avocats des nou-
veaux services juridiques pourraient avec raison répondre que ces
problèmes se situent au-delà de leurs visées. Ce sont là des préoc-
cupations académiques valables, mais imaginer une nouvelle so-
ciété est une trop lourde tâche pour les avocats, qui ont assez de
problèmes à régler sur le terrain, et assez de contradictions per-
sonnelles et politiques à assumer. Sans compter qu'on peut se
demander si imaginer de nouvelles sociétés peut être pour qui-
conque une occupation valable ou légitime!
Bibliographie
Abel R.
1982-1, « The Under Development
of Legal Professions : A Review Ar-
ticle on Third World Lawyers »,
ABF Research Journal, p. 871-893.
(ed.) 1982-2, The Politics of Infor-
mal Justice, 2 vol., New York, Aca-
demic Press.
1985, « Law Without Politics : Le-
gal Aid under Advanced Capita-
lism », UCLA Law Review, Vol. 32
N° 3, Février, p. 474-625.
1985-2, « Informalism : A Tactical
Equivalent to Law? », Clearing
House Review, vol 19, N° 4.
Anderson P.
1979, Considerations on Western
Marxism, London, New Left Books.
1984, In the Traks of Historical
Materialism, London, New Left
Books.
Aravena F.
1982, Autoritarismo y Alternativas
Populares en América Latina--, San
José, FLACSO, Euned.
Auerbach J.
1982, Justice Without Law?, New
York, Oxford University Press.
Barraza X.
1980, « Notas sobre a vida coti-
diana numa ordem autoritária », in
L. MAIRA et al., America Latina :
novas estratégias de dominaçao,
Rio de Janeiro, Vozes.
Berman M.
1982, All That is Solid Melts into
Air, New York, Simon et Schuster.
1984, « The Signs in the Street : a
Response to Perry Anderson »,
New Left Review, vol. 144.
Blankenburg E. (ed.)
1980, Innovations in the Legal Ser-
vices.
Bigo P.
1976, The Church and the Third
World Revolution, J. M.Lyons, Ma-
ryknoll, New York, Orbis Books.
Bobbio N.
1983, « Quais Alternativas à De-
mocracia Representativa? », in
Qual Socialismo?, Rio de Janeiro,
Paz e Terra.
429
Boff L.
1981, O Caminhar da Igreja com
os Oprimidos, Rio de Janeiro, Co-
decri.
Brenner R.
1977, « The Origins of Capitalist
Development : A Critique of Neo-
Smithian Marxism », New Left Re-
view, N° 104, Juillet-Août, p. 25-92.
Bruneau T.
1974, The Political Transformation
of the Brazilian Catholic Church,
Cambridge, University Press.
Cappelletti M. (ed.)
1981, Access to Justice and the
Welfare State.
Cappelletti M. et Garth B.
1981, « Acces to Justice ET the Wel-
fare State : An Introduction, in Cap-
pelletti (ed.), Access... »
Cardoso F. H.
1979, Dependency and Develop-
ment in Latin America, Berkeley,
California U. Press.
Cooper J.
1983, Public Legal Service : A
Comparative Study of Policy, Poli-
tics and Practice.
Chaui M.
1982, « Notas sobre la crisis de la
izquierda en Brasil », Nueva Socie-
dad, N° 61, Juillet-Août.
De Ipola E. et Portantiero J.
1984 « Crisis Social y Pacto Demo-
crático », Punto de Vista, N° 21,
Buenos Aires.
De Roux F.
1983, Marx : In Memoriam, Bogotá,
Cinep.
Evers T.
1985, « Identidad : la faz oculta de
los nuevosmovimientos sociales »,
Punto de Vista, vol. III, N° 25, Bue-
nos Aires, Décembre, p. 31-41.
Falçao J.
1984, « Lawyers in Brazil », Bella-
gio, mimeo.
Friedman L.
1981, « Claims, Disputes, Conflicts
and the Modernal Welfare State »,
in Cappelletti (ed.), Access to Jus-
tice and the Welfare State.
Garcia H.
1983, « Vanguardia Iluminada y
organización de masas », Nueva
Sociedad, N° 64, janvier-février.
Gardner J.
1980, Legal Imperialism : Ameri-
can Lawyers and Foreign Aid in
Latin America, Madison, University
of Wisconsin Press.
Garth B.
1980, Neighborhood Law Firms for
the Poor : A Comparative Study of
Recent Development in Legal Aid
and in the Legal Profession.
Gorz A.
1983, Adieu au Prolétariat, Paris,
Maspero.
Jacques M.
1985, « Hacia un Uso Alternativo
del Derecho. El Casode Chile »,
mimeo.
Katz J.
1982, Poor People's Lawyer's in
Transition.
1985-1, « Castle, Class and Coun-
cel for the Poor », American Bar
Foundation Research Journal,
p. 251-291.
1985-2, « Poor Clients without La-
wyers : What can be done? », Clea-
ring House Review, vol 19, N° 4,
1985.
Laclau E.
1978, Política e Ideología en la
Teoría Marxista, Madrid.
430
Laclau E. et Mouffe CH.
1985, Hegemony and Socialist
Strategy : Towards a Radical De-
mocratic Politics, London, Verso.
Lechner N. (ed.)
1982, Qué Significa hacer Política?
Lima, Desco.
Liebenson P.
1984, Legal Service Projects of the
Inter-American Foundation, mi-
meo.
Lynch D.
1978, « Lawyers in Colombia :
Perspectives on the Organization
and Allocation of Legal Services »,
Texas International Law Journal,
vol. 13, p. 199-220.
1981, Legal Roles in Colombia.
1983, « Hundred Months of Soli-
tude : Myth or Reality in Law and
Development? », American Bar
Foundation Law Journal.
Lowenstein S.
1970, Lawyers, Legal Education
and Development : An Examination
of the Process of Reform in Chile,
New York, International Legal Cen-
ter.
Menkel-Meadow C.
1985, « Nonprofessional Advoca-
cy : the Paralegalization of Legal
Service of the Poor », Clearing
House Review, vol 19, N° 4.
Mignione E.
1983, « Informalization, Restruc-
turing and the Survival Strategies
of the Working Class », Internatio-
nal Journal of Urban and Regional
Research, vol 7, p. 311-339.
Mires F.
« RetaguardiasSIN Vanguardias »,
Nueva Sociedad, N° 61, Juillet-
Août.
1984, « Cultura y Democracia »,
Nueva Sociedad, Caracas, Juillet-
Août.
Moulian T.
1982, « La Crisis de la Izquierda »,
Revista Mexicana de Sociología,
N° 2.
Nader L. (ed.)
1980, No Access to Law : Alternati-
ves to the American Judicial Sys-
tem, New York, Academic Press.
Nun J.
1984, « El Otro Reduccionismo »,
Zona Abierta, Madrid, N° 28.
Palacio G.
1985, Legal Service and Capitalist
Restructuring : An Essay on Legal
Aid and Critical Legal Practices in
Colombia, Madison, mimeo.
Palacio G. y Rojas F.
1985, « Crítica », Portavoz, N° 3.
Perez R.
1981, « Jurist in Venezuelan His-
tory », in C. J. DIAZ et al., Lawyers
in the Third World : Comparative
and Development Perspectives.
Piccone P. (ed.)
1973, Towards a New Marxism,
San Luis, Telos Press.
Portes A.
1984, « From Dependency to Re-
democratization. New Themes in
Latin American Sociology »,
Contemporary Sociology, septem-
bre.
Quiñones J.
1985, Aproximación al desarrollo
de la crítica marxista en Colombia,
Bogotá, Cinep, mimeo.
Rosa P.
1985, Marxismo, Comunismo y
Cristianismo. Desafio ou Dialogo?,
San Pablo, Cidade Nova.
431
Sorj B. et al.
1985, « Nota Crítica. Perry Ander-
son e o Marxismo Europeu »,
Contexto Internacional, N° 1, Jan-
vier-Juin.
Stuart H.
1984, Private Justice : Towards In-
tegrative Theorizing in the Sociolo-
gy of Law, London, Routledge &
Kegan Paul.
Thome J.
1979, « Legal and Social Structures
and the Access of the Latin Ameri-
can Rural Poor to the State Alloca-
tion of the Goods and Services »,
Research in Law and Sociology,
N° 2.
1984, « New Models of Legal Ser-
vice in Latin America », Humans
Rights Quaterly, vol. 6, p. 521-538.
Uribe V.
1984, New Dimensions on Legal
Critique and the Practice of the
Law, Bogotá, Cinep, mimeo.
Valladares L.
1983, « Movimentos Associativos
das Camadas Populares Urbanas »,
Movimentos Coletivos no Brasil Ur-
bano, Rio de Janeiro, Zahar.
Zemans F.
1979, Perspectives on Legal Aid :
An International Survey.
1983, « Recent Trends in the Or-
ganization of the Legal Services »,
in Habscheid W., Effectiver Rech-
tsschutz & Verfassungsmassige
Ordnung.
	Retour au sommaire
	Les services juridiques alternatifs en Amérique latine. Réflexions à propos des résultats d'une recherche
	Introduction
	1. Quelques spécificités du contexte social, juridique, politique et économiuqe de l'Amérique latine
	2. Un bref compte-rendu historique des courants de services juridiques en Amérique latine
	3. Le personnel. Les spécificités de la profession juridique en Amérique latine et des avocats des services juridiques
	4. Les activités juridiques et extrajuridiques. Le genre de problèmes juridiques assumés par les services juridiques stratégi
	5. Les éléments pour une évaluation théorique des nouveaux services juridiques
	Bibliographie

Continue navegando