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M L e m ag az in e du M on de n o 4 50 . S up pl ém en t a u M on de n o 2 34 24 /2 00 0 C 8 19 75 SA M E D I 2 M A I 2 02 0. N e pe ut ê tr e ve nd u sé pa ré m en t. D is po ni bl e en F ra nc e m ét ro po lit ai ne , B el gi qu e et L ux em bo ur g. BIBI BORTHWICK COCO CAPITÁN BRIANNA CAPOZZI LEA COLOMBO ZOE GHERTNER LARISSA HOFMANN NADINE IJEWERE NAMSA LEUBA STEF MITCHELL KRISTIN-LEE MOOLMAN HANNA MOON KATJA RAHLWES COLLIER SCHORR SENTA SIMOND GRAY SORRENTI HARLEY WEIR ET BRIGITTE LACOMBE 17 PHOTOGRAPHES CONFINÉES Telegram: @WorldAndNews Plus léger que l’air Equipé d’un processeur Intel® Core™ i7 vPro® | En savoir plus sur hp.com/elitedragonfly 1. Les configurations commencent sous 1 kg. 2. Jusqu’à 24 heures et 30 minutes sur HP Elite Dragonfly configurée avec processeur Intel® Core™ i5, 8 Go de RAM, pas de WWAN, SSD 128 Go, panneau FHD faible consommation et Intel® Wi-Fi 6 ZX200 + BT5 (802.11 ax 2x2, non-vPro™). La durée de vie de la batterie Windows 10 MM14 varie en fonction de divers facteurs, notamment le modèle du produit, la configuration, les applications chargées, les fonctionnalités, l’utilisation, la fonctionnalité sans fil et les paramètres de gestion de l’alimentation. La capacité maximale de la batterie diminuera naturellement avec le temps et l’utilisation. Voir www.bapco.com pour plus de détails. Intel, le logo Intel, Intel Core, Intel vPro, Core Inside et vPro Inside sont des marques commerciales d’Intel Corporation ou de ses filiales aux États-Unis et/ou dans d’autres pays. © Copyright 2020 HP Development Company, L.P. Moins d’1 kg1 Jusqu’à 24h d’autonomie2 Eco-responsable Châssis en magnésium, recyclé à 90% Format convertible avec écran tactile 484407-60841-BPS Premium Elite Dragonfly France FY20Q2 - mab-1731 FlyGirlQ2 CCF M Le Mag Print Ad 235x287_FRE.indd 1 06/03/2020 15:15 Stephen Shore. CARTE BLANCHE À AVEC SES CLICHÉS DE STATIONS-SERVICE, D’ENSEIGNES DE RESTAURANTS OU D’AUTOROUTES DÉSERTES, LE PHOTOGRAPHE AMÉRICAIN DE 72 ANS A IMMORTALISÉ UNE AMÉRIQUE À LA FOIS BANALE ET MYTHOLOGIQUE. AU DÉBUT DES ANNÉES 1970, SES PAYSAGES EN COULEURS TRANCHENT AVEC LE NOIR ET BLANC, DOMINANT À L’ÉPOQUE. ALORS QUE CERTAINES DE SES IMAGES SONT REGROUPÉES DANS L’OUVRAGE “TRANSPARENCIES: SMALL CAMERA WORKS 1971–1979”, PUBLIÉ CHEZ MACK, “M” OUVRE SA CARTE BLANCHE JUSQU’EN JUIN À CE PIONNIER DE LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE. Image issue de Transparencies: Small Camera Works 1971-1979 (Mack, 2020). 3 S te ph en S ho re a nd C ou rt es y 3 0 3 G al le ry a nd M ac k 3 IL Y A UN MOIS, LA PUBLICATION DE NOTRE NUMÉRO SPÉCIAL HOMMES dans lequel 16 photographes confinés se don- naient à voir a provoqué quelques réactions courroucées sur les réseaux sociaux. Ces mécontentes et quelques mécontents nous ont accusés de ne pas faire de place aux femmes photographes… Ce ne sont sans doute pas des lecteurs et des lectrices attentifs de M car nous annoncions, dès ce numéro hommes, que nous avions déjà demandé à des femmes de se soumettre elles aussi à l’exer- cice de l’autoportrait. Non pas pour nous rattraper mais parce que les photographes femmes sont depuis 450 numéros aujourd’hui les compagnes de route du magazine. Ainsi de Brigitte Lacombe qui apparaît en couverture de ce numéro de M Le magazine du Monde, ou des représentantes les plus brillantes de la jeune géné- ration que sont Coco Capitán, Lea Colombo, Zoë Ghertner, Bibi Borthwick ou encore Harley Weir, que nous avons publiée dès le début de sa carrière. Avec M, elle a photographié les corps sou- vent nus, souvent crus de jeunes gens, ses semblables. Elle est allée aussi dans la jungle de Calais suivre les migrants qui cher- chaient à traverser la Manche. Et elle a réalisé évidemment quelques luxueuses séries de mode avec les top-modèles du moment, comme Adut Akech ou Rianne Van Rompaey. Souvent dénudées mais toujours maîtresses d’elles-mêmes, dégageant une sensualité à la fois brute et élégante… Les voici donc, dans ce numéro 450, ces photographes confinées, avec un « e », rejointes par d’autres, pour un portfolio qui suscitera sans doute encore des réactions mais dont nous sommes très fiers. Car il dit pas mal de choses de la trajectoire et des choix de M. La controverse a été étonnamment absente de l’action des géants du luxe dans la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid- 19, surtout si l’on se souvient des polémiques autour des dons des familles Arnault et Pinault au moment de l’incendie de Notre- Dame l’an dernier. Fabrication de gel hydroalcoolique, achemine- ment de masques depuis la Chine, renonciation au chômage partiel et annonce – par communiqué – d’une baisse de la rémunération des dirigeants, les grands groupes comme Kering et LVMH n’ont pas été en reste sur une mobilisation massive comme le racontent, dans ce numéro, Caroline Rousseau et Elvire Von Bardeleben. Dans une enquête passionnante, elles en retracent les différentes étapes et la décryptent. Cette mise en ordre de bataille des grandes mai- sons semble galvaniser les troupes qui se réjouissent de mesurer là leur utilité. D’autant que cette crise touche des endroits où l’indus- trie du luxe est très présente : la Chine où se joue le développement de beaucoup de marques tant les consommateurs y sont friands de mode ; l’Italie où est située la majorité des usines de prêt-à-porter et de chaussures ; la France, où siègent beaucoup de grands noms du secteur et les États-Unis, dont New York, où se trouvent les grands journaux et les puissants acheteurs des réseaux de grands magasins… Le secteur va perdre des sommes considérables et sans doute de nombreux emplois. Et il va également être contraint de revoir ses règles du jeu. Il n’y aura pas de défilés en juillet dans les grandes villes de mode, et la session de septembre reste très incer- taine. La maison Saint Laurent vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle allait désormais décider seule de son calendrier pour montrer ses collections… En février dernier, alors que Milan et la Lombardie d’où arrivait la caravane de la mode étaient déjà touchées, la fashion week de Paris s’est tenue comme si de rien n’était. Défilés géants, bousculades à l’entrée et dîners intimes, il n’était pas ques- tion de gestes barrière, de distanciation sociale, ni surtout d’annu- ler quoi que ce soit… La plupart des acteurs parlaient d’exagération de la situation et les rarissimes personnes qui portaient un masque – comme le préconisait alors le gouvernement pour les personnes rentrant d’une zone à risque, avant de faire machine arrière – étaient prises pour des illuminées. Gênantes ou anxiogènes. Pas dans le ton en tout cas. « On l’a échappé belle », reconnaît pourtant aujourd’hui un responsable dans l’article de nos deux journalistes. L’irruption du réel ne peut que faire du bien à un secteur qui se grise de champagne et de légèreté. Dommage qu’il faille un événe- ment si grave… Marie-Pierre LANNELONGUE Au programme 4 P O U R V O T R E S A N T É , É V I T E Z D E M A N G E R T R O P G R A S , T R O P S U C R É , T R O P S A L É . W W W . M A N G E R B O U G E R . F R *À quoi vous attendez-vous? O R A N G IN A S C H W E P P E S F R A N C E S A S – R C S N a n te rr e B 4 0 4 9 0 7 9 4 1 – C a p it a l s o c ia l 4 4 6 0 3 6 9 2 4 € . M LE MAGAZINE DU MONDE • 235x287 mm • Visuel: INDIAN TONIC • Mention 4 • Remise le 20/avril./2020 • Parution du 30/avril/2020 fred • BAT SCHW_2002072_Indian_Tonic_235x287_M_Magazine_du_Monde_M4.indd 1 20/04/2020 13:19 LA SEMAINE 10 Entre-soi Pétri de bonnes intentions. 11 Les pilules amères de Michèle Barzach. 13 Le sport américain tourne à vide. 14 Dans le métro, un Recueil social fortement perturbé. 15 À titre personnel Théo Charron, ramasseur de fraises. 16 Muriel Salmona, psy en état d’alertes. 17 Objet de conversation L’hygiaphone. LE MAGAZINE21 La mode se paie le luxe de la solidarité. Les grands groupes du secteur se sont mobilisés pour venir en aide aux soignants dans la lutte contre le Covid-19. Un engagement qui leur permet de soigner leur image. 26 “Mon seul vrai contact est le robot.” En quarantaine dans une chambre d’hôtel à Pékin, après un reportage à Wuhan, le photographe français Gilles Sabrié raconte son expérience en isolement. 28 Les ultraorthodoxes d’Israël sous la Loi du virus. Ayant adopté les mesures sanitaires avec retard, les communautés juives ultraorthodoxes ont été 18 Avec le coronavirus, le drive-in se refait une santé. 19 En mode confinés… La djellaba. 20 La première fois que “Le Monde” à écrit Open space. particulièrement touchées par le coronavirus. 34 Un pont en suspens. Au-dessus du détroit de Messine, il devait relier la Sicile et la péninsule italienne. Mais, depuis les années 2000, rien n’a bougé. Le sort de l’ouvrage devrait être scellé cet été. 39 PORTFOLIO Un certain regard. Après leurs homologues masculins, dix-sept photographes, collaboratrices de M, ont livré des clichés intimes de leur confinement à New York, Londres, Bordeaux… 6 Lu ci en L un g/ R iv a po ur M L e m ag az in e du M on de . I llu st ra ti on Is ab el la C ot ie r. Zo é G he rt ne r po ur M L e m ag az in e du M on de Le sommaire LE GOÛT 58 Sans alcool, le nouveau code bar. 62 Making of. Le clip patchwork de Magenta. 63 Fétiche. Pli d’élégance. 64 Variations Premiers de cordons. 65 Tête chercheuse Comédienne dell’arte. 66 À l’origine. Lutte de classe. 68 Élément de langage Le serti signature. 70 Des nouvelles de Christophe Gaillard, marchand d’art. 72 Voyage immobile à… Moscou. 74 Premiers de tablées CheZaline. 75 Sur tous vos écrans “Phase IV”, des fourmis et un homme. 76 Traitement de saveur Ovins d’honneur. 77 Sous la main. La fève. 78 Écologiquement vôtre Le sac à compost. 79 Confinement, mode d’emploi La paix des ménages. 80 Jeux 82 Dans l’album photo… de Frédéric Malle La couverture a été réalisée par Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde. DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION_ Marie-Pierre LANNELONGUE DIRECTEUR DE LA CRÉATION_ Jean- Baptiste TALBOURDET-NAPOLEONE Documentation : Sébastien CARGANICO (chef de service), Muriel GODEAU et Vincent NOUVET / Infographie : Le Monde / Directeur de la diffusion et de la production : Hervé BONNAUD / Fabrication : Xavier LOTH (directeur), Jean-Marc MOREAU (chef de fabrication), Alex MONNET / Directeur du développement numérique : Julien LAROCHE-JOUBERT / Directeur informatique groupe : José BOLUFER / Responsable infor- matique éditoriale : Emmanuel GRIVEAU / Informatique éditoriale : Samy CHÉRIFI, Christian CLERC, Igor FLAMAIN, Aurélie PELLOUX, Pascal RIGUEL / DIFFUSION ET PROMOTION_Responsable des ventes France international : Sabine GUDE / Responsable commercial international : Saveria COLOSIMO MORIN / Directrice des abonnements : Pascale LATOUR / Abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr; De France, 32-89 (0,30 €/min + prix appel) ; De l’étranger (33) 1-76-26-32-89 / PROMOTION ET COMMUNICATION : Brigitte BILLIARD, Marianne BREDARD, Marlène GODET et Élisabeth TRETIACK / Directeur des produits déri- vés : Hervé LAVERGNE / Responsable de la logistique : Philippe BASMAISON / Modification de service, réas- sorts pour marchands de journaux : 0 805 05 01 47 / M PUBLICITÉ_Présidente : Laurence BONICALZI BRIDIER / Directrices déléguées : Michaëlle GOFFAUX, Tél. 01-57-28-38-98 (michaëlle.goffaux @mpublicite. fr) et Valérie LAFONT, Tél. 01-57-28-39-21 (valerie.lafont@mpublicite.fr) / Directeur délégué - activités digi- tales opérations spéciales : Sébastien NOËL / 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 / Tél. : 01-57-28- 20-00/25-61 / Courriel des lecteurs : mediateur@lemonde.fr / Courriel des abonnements : abojournalpa- pier@lemonde.fr / M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA). Imprimé en France : Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes. Origine du papier : Italie. Taux de fibres recyclées : 0%. Ce magazine est imprimé chez Maury certifié PEFC. Eutrophisation : PTot = 0.018kg/tonne de papier. Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037 Commission paritaire 0712C81975. Agrément CPPAP : 2000 C 81975. Distribution Presstalis. Routage France routage. RÉDACTION EN CHEF ADJOINTE_ Grégoire BISEAU, Agnès GAUTHERON, Clément GHYS. DIRECTRICE DE LA MODE_ Suzanne KOLLER. RÉDACTRICE EN CHEF TECHNIQUE_ Anne HAZARD. Samuel BLUMENFELD, Zineb DRYEF, Vanessa SCHNEIDER, Laurent TELO. Style-mode_Chloé AEBERHARDT (cheffe adjointe Style) et Caroline ROUSSEAU (cheffe adjointe Mode), Fiona KHALIFA (coordinatrice Mode). Avec Laëtitia LEPORCQ. Chroniqueurs_Marc BEAUGÉ, Guillemette FAURE. Assistantes_Christine DOREAU, Marie-France WILLAUME. Photo_Lucy CONTICELLO et Laurence LAGRANGE (direction), Hélène BÉNARD-CHIZARI, Françoise DUTECH, Federica ROSSI. Avec Ronan DESHAIES (Instagram). Graphisme_Audrey RAVELLI (cheffe de studio) et Marielle VANDAMME. Avec Camille DURAND. Photogravure_Fadi FAYED, Philippe LAURE. Avec Ingrid MAILLARD Stéphanie GRIN, Julien GUINTARD (chefs adjoints) et Paula RAVAUX (adjointe numérique). Boris BASTIDE, Béatrice BOISSERIE, Nadir CHOUGAR, Joël MÉTREAU et Agnès RASTOUIL. Avec Geneviève CAUX. Révision_Jean-Luc FAVREAU (chef de section), Adélaïde DUCREUX-PICON. Avec Arnaud DUBOIS. PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Louis DREYFUS DIRECTEUR DU “MONDE”, DIRECTEUR DÉLÉGUÉ DE LA PUBLICATION, MEMBRE DU DIRECTOIRE : Jérôme FENOGLIO DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Luc BRONNER DIRECTRICE DÉLÉGUÉE À L’ORGANISATION DES RÉDACTIONS : Françoise TOVO DIRECTION ADJOINTE DE LA RÉDACTION : Grégoire ALLIX, Philippe BROUSSARD, Emmanuelle CHEVALLEREAU, Alexis DELCAMBRE, Benoît HOPQUIN, Caroline MONNOT, Cécile PRIEUR DIRECTEUR DÉLÉGUÉ AUX RELATIONS AVEC LES LECTEURS : Gilles VAN KOTE DIRECTRICE DES RESSOURCES HUMAINES : Émilie CONTE SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA RÉDACTION : Christine LAGET RÉDACTION DÉPARTEMENT VISUEL ÉDITION Elles et ils ont participé à ce numéro. 2 – ISABELLA COTIER, illustratrice indépendante, vit et travaille dans le quartier de Dalston, à Londres. Elle collabore régulièrement au maga zine Vogue, ou pour des maisons de mode comme Gucci. Fine observa trice de la nature humaine en géné ral et des citadins en particulier, elle utilise la couleur pour renforcer les ambiances et donner vie à ses per sonnages. Pour M Le magazine du Monde, elle a illustré, avec humour, l’enquête d’Elvire von Bardeleben et Caroline Rousseau sur la nouvelle stratégie des groupes de luxe face à la crise sanitaire, sommés de com muniquer, pour la première fois, sur leur utilité sociale. P. 21 4 – TOMMASO BONAVENTURA est auteur photographe. Diplômé en histoire de l’art à Rome, il se consacre à la photographie documentaire et aux projets au long cours depuis 1992. Ses œuvres, récompensées du World Press Photo ou du Sony Award, font partie des collections permanentes du Musée national des arts du xxie siècle, à Rome, et de la Biennale de Venise. Pour ce numéro de M, il traite un sujet qui le fascine depuis toujours, le projet du pont du détroit de Messine, le « fantôme » le plus célèbre de la politique italienne. « Photographier un pont, symbole de passages et d’union des territoires, c’est déjà exceptionnel ; si en plus ce pont est invisible, cela devient fantas- tique… » P. 26 5 – GILLES SABRIÉ, photojournaliste installé à Pékin, documente la Chine et l’Asie depuis plus de quinze ans. Urbanisation, migrations, consom mation, surveillance sont les thèmes récurrents de son travail. « Il y a plus d’un mois, pour un quotidien améri- cain, je photographiais à distance la quarantaine de deux Pékinois. Je n’imaginais pas, un peu plus tard, tourner l’objectifvers moi-même, et documenter une quarantaine de l’in- térieur pour découvrir que l’isole- ment et l’immobilisme sont aussi un voyage. » P. 30 3 – THOMAS SAINTOURENS est journa liste indépendant. Il s’est rendu, en décembre 2019, sur le détroit de Messine, lieu de l’hypothétique arri mage de la Sicile à la péninsule ita lienne par un pont, évoqué depuis l’Empire romain, mais jamais réalisé. « Le “ponte sullo stretto’’ est un objet inexistant fascinant. Il s’est invité dans toutes les campagnes électorales, a mis à l’épreuve les ingénieurs, mais aussi alimenté les discussions de comptoir… Tant et si bien que ce monument imaginaire est devenu une mythologie. Au même titre que Charybde et Scylla, les monstres du détroit qu’il est censé franchir. » P. 26 1 – ELVIRE VON BARDELEBEN ET CAROLINE ROUSSEAU sont journa listes au Monde. La première est chargée de la mode pour le quoti dien et la seconde, cheffe adjointe mode à M. Elles signent cette semaine une enquête sur la mon tée en puissance de la crise liée au coronavirus au sein des groupes de luxe français. « Depuis février der- nier, nous avons vu les grandes marques nier, encaisser le coup, puis réagir. Et surtout, pour l’une des rares fois de leur histoire, redéfinir leur rôle en mettant leur puissance au service de tous. » P. 21 6 – LOUIS IMBERT, correspondant du Monde à Jérusalem, a suivi la propa gation de l’épidémie due au corona virus dans la communauté ultra orthodoxe, la plus touchée en Israël. « C’est l’histoire la plus importante dans le pays aujourd’hui. Les hare- dim, ceux qui “tremblent” devant Dieu, vivent à l’écart de l’État, qu’ils honnissent ou ignorent. Peu connec- tés aux médias, ils ont tardé à com- prendre. Leurs élites ont failli à les protéger. Ce séisme ébranle leurs cer- titudes. “La Torah protège et sauve” : que devient ce pilier du dogme, quand la prière collective ne pré- serve pas mais tue ? » P. 32 7 – MICHAL CHELBIN, photographe, vit et travaille à TelAviv. Elle est l’auteure de trois livres, dont l’un sur les acrobates, qui a été récompensé du prix PDN Photo Annual en 2008. Son travail a été exposé au Metropolitan Museum de New York, au Getty Center de Los Angeles, au Tel Aviv Museum… Collaboratrice régulière de The New York Times Magazine , The New Yorker, BusinessWeek, cette Israélienne s’est penchée dans ce numéro sur le sort des juifs ultraorthodoxes face à la pandémie : « Toutes les personnes rencontrées à Bnei Brak étaient bien intentionnées. Elles tenaient à mon- trer qu’elles respectaient les consignes en portant gants et masques. » P. 32 1 1 2 3 4 5 6 7 8 M L e m ag az in e du M on de . C ar ol in e R ou ss ea u. Is ab el la C ot ie r. T ho m as S ai nt ou re ns . T om m as o B on av en tu ra . G ill es S ab ri é. L e M on de . M ic ha l C he lb in Le M de la semaine. « LA TERRASSE DE L’IMMEUBLE OÙ JE SUIS CONFINÉ À CASABLANCA, AU MAROC. » Pour envoyer vos photographies de M : lemonde.fr/lemdelasemaine Pour nous écrire : mediateur@lemonde.fr Sylvain HUARD S yl va in H ua rd IL EST BIENTÔT 11 HEURES DU MATIN. Des inconnus se dirigent vers un immeuble parisien proche du cime- tière du Montparnasse, à Paris, com- posent le code et déposent derrière la porte de mystérieux sacs. Accrochés dessus, des dessins et des étiquettes : « Nos petits soins pour vos grands soins. » Dedans, on trouve des pâtisse- ries très élaborées, mais aussi beau- coup de cookies, de cakes aux fruits, de mini-carrot cakes, de tartes aux pommes, de quatre-quarts ou de muffins. Dans quelques minutes, Valentine, 28 ans, viendra récupérer le tout et partira en tournée livrer les gâteaux aux soignants de l’institut Montsouris. Pour desservir hôpitaux et Ehpad dont les cafétérias ont fermé, les 9 000 pâtis- siers amateurs du groupe @vosgateaux se sont organisés en secteurs géogra- phiques. Leurs noms d’équipes font rêver (Chouquette, Fougasse ou Craquelin). Il n’y a pas de raison que ceux qui sont enfermés chez eux soient les seuls à grossir en attendant le 11 mai. Les chefs d’équipe ont souvent la tren- taine, le recrutement se faisant majo- ritairement sur Instagram. Leurs équipes de pâtissiers bénévoles ral- lient des gens qui n’arrivent pas à accepter que ce que l’on peut faire de plus utile actuellement, c’est de rester chez soi. Ils ne sont pas les seuls à avoir décidé de combattre le Covid-19 avec de la farine. À voir ceux qui multiplient les fournées de gâteaux pour eux et leurs proches, on se dit que la farine qui a disparu des rayons des super- marchés n’a pas été achetée pour être stockée par les anxieux. Sur Google Trends, les requêtes « recettes de gâteau » ont bondi de 400 %, celles de cookies de 200 % après un pic à 400 %, la baisse relative s’expliquant peut-être par la montée de la tendance « recettes gâteau sans farine » (+180 %). À QUOI ON LES RECONNAÎT Ils ne parlent pas de « gâteaux » mais de « douceurs ». Ils font des gâteaux au yaourt comme on regarde des films de De Funès, parce que la vie était quand même moins dure quand on était petits. Ils ont déjà cliqué sur les liens « 5 recettes de #desserts sans farine à réaliser pour tenir jusqu’au 11 mai » ou « Confinement : des gâteaux sans farine, c’est possible ! » avant de se dire que les vrais gâteaux sont ceux dans lesquels on peut faire des puits. Ils se refilent les adresses de boulangers qui se sont mis à vendre de la farine, se partagent les PDF de fousdepatisserie dans les groupes WhatsApp et vérifient que le point de collecte des pâtisseries de @vosgateaux se trouve bien dans un rayon d’un kilomètre de chez eux. COMMENT ILS PARLENT « Préparez tout type de gâteaux cuits. Pas de tiramisu, mousse au chocolat, crème brûlée… » « J’ai trois boîtes de fiches cuisine ELLE des années 1980 à donner. Ça intéresse quelqu’un ? » « Grosse journée aujourd’hui, je ferai seulement un banana bread . » « N’oubliez pas d’emballer et de préciser les ingrédients. » « Top les meringues, on peut avoir votre recette ? » « Marbré déposé rue Froidevaux ». LEURS PONCIFS « Ça fait du bien de se faire du bien. » « Le gâteau, c’est du lien social. » « On peut vivre sans coiffeur mais pas sans farine. » LEURS QUESTIONS EXISTENTIELLES Où sont passés les intolérants au glu- ten d’avant le confinement ? Qui sont ces gens qui viennent sur les blogs cri- tiquer ceux qui cuisent leurs gâteaux au yaourt dans des moules à cake ? LEUR GRAAL Le meunier de Saint-Héand (Loire) qui vend de la farine par sac de cinq kilos. La farine de châtaigne qu’on a rappor- tée de Corse ou achetée l’hiver dernier au Bon Marché. LA FAUTE DE GOÛT Lu sur Twitter : « Ceux qui râlent sur le fait que les gens fassent plus de gâteaux ou de pain pendant le confinement parce que du coup vous ne trouvez pas de farine au supermarché, j’ai une ques- tion : vous vouliez faire quoi avec la farine, vous ? » ENTRE-SOI Texte Guillemette FAURE PÉTRI DE BONNES INTENTIONS. EN CES TEMPS DE CONFINEMENT, TOUT EST BON POUR SE FAIRE PLAISIR ET SURTOUT S’OCCUPER… RÉSULTAT, ENTRE LES COLLECTIFS DE PÂTISSIERS AMATEURS SUR INSTAGRAM QUI RÉGALENT LES SOIGNANTS OU LES DÉSŒUVRÉS QUI ENCHAÎNENT LES FOURNÉES DE COOKIES, LA FARINE EST EN RUPTURE DE STOCK DANS LES SUPERMARCHÉS. Michèle Barzach, alors ministre de la santé, annonçant la création d’une fondation sur le sida à Paris, le 27 novembre 1986. LES PILULES AMÈRES DE MICHÈLE BARZACH. Texte Stéphanie MARTEAU et Dominique PERRIN L’AFFAIRE MATZNEFF N’EN FINIT PAS DE RATTRAPER LES PERSONNALITÉS DU MONDE LITTÉRAIRE ET POLITIQUE, sans épargner les plus solides réputations… En arrivant à Nanterre, le 2 mars dernier, Michèle Barzach, 76 ans, s’est prestement engouffrée dans les locaux de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), le service de police chargé de l’enquête pour « viols sur mineurs de moins de 15 ans » qui vise l’écrivainGabriel Matzneff. Le nom de l’ancienne ministre de la santé et de la famille de Jacques Chirac (de 1986 à 1988) est cité à plusieurs reprises dans deux ouvrages du sulfureux auteur, tous minutieusement épluchés par les policiers. Selon nos informations, les enquêteurs ont pourtant attendu quelques semaines avant d’entendre, comme témoin dans l’affaire de pédophilie qui secoue le microcosme parisien, cette ancienne figure de la droite libérale, sociale, auréolée d’un engagement sans faille dans la lutte contre le sida et dans l’humanitaire. Le scandale a éclaté en janvier dernier, lors de la parution du livre de Vanessa Springora, Le Consentement (Grasset). La quadragénaire, devenue éditrice, y raconte dans le Missions à l’OMS et au Fonds mondial de lutte contre le sida, présidence de l’Unicef France… L’ancienne ministre de la santé de Jacques Chirac semblait ne rien avoir à se reprocher. Selon nos informations, elle a été entendue par la justice dans l’affaire Gabriel Matzneff en tant que gynécologue ayant prescrit la pilule aux jeunes filles que l’écrivain lui amenait dans son cabinet. 11 LA SEMAINE Fr éd ér ic R eg la in /G am m a- R ap ho détail sa relation avec Matzneff, en 1986, alors qu’elle avait 14 ans et lui 49. Encouragée par ce premier témoignage et l’ ouverture d’une enquête, à la demande du parquet, une autre ancienne victime présumée de l’écrivain, Francesca Gee, a, à son tour, décidé de rompre le silence dans le New York Times, dénonçant l’emprise que Matzneff a exercée sur elle pendant trois ans à partir de 1973, lorsqu’elle avait 15 ans, et lui 37… C’est cette dernière, aujourd’hui âgée de 62 ans, qui a confirmé aux enquêteurs, le 20 février dernier, le rôle que jouait Michèle Barzach, alors gynécologue avenue Félix-Faure, à Paris, dans le 15e arrondissement : au début des années 1970, la doctoresse, en toute connaissance de cause, prescrivait la pilule à des jeunes filles mineures que Matzneff mettait dans son lit. Beaucoup, en réalité, avait déjà été dévoilé par Gabriel Matzneff lui-même dans plusieurs de ses récits. Dès 1991, dans Élie et Phaéton, la partie de son « journal intime » qui couvre la période 1970 à 1973, il racontait son inquiétude, au bout de trois mois de relation avec la très jeune Francesca : « J’achète un truc à la pharmacie pour savoir si on attend un bébé ou non. Francesca sèche l’école, vient chez moi faire le test. Ouf ! c’est négatif. Toutefois, il faut que nous trouvions un gynécologue qui accepte de lui prescrire la pilule sans prévenir sa mère. Si nous tombons sur un médecin réac, hyper- catho, c’est fichu. » L’écrivain est un mondain, connecté au Tout-Paris. À l’automne 1973, après quelques coups de fil, Matzneff emmène Francesca prendre un café près des Champs-Élysées avec une connaissance, la journaliste Juliette Boisriveaud. Alors âgée de 41 ans, cette ancienne voix de RTL, militante féministe revendiquée, est débordée : elle s’apprête à lancer le magazine Cosmopolitan, qu’elle pilotera pen- dant des années. « Je garde le sou- venir d’une femme très sympa- thique, se souvient Francesca Gee. Elle a chaleureusement recom- mandé Michèle Barzach en expli- quant que c’était… la nouvelle petite amie de son ex-mari ! Mes propres parents étaient en train de divorcer et ça se passait plutôt mal, j’étais donc stupéfaite. » En ce début des années 1970, Michèle Barzach, gynécologue férue de psychologie, a organisé des colloques avec le psychologue Bruno Bettelheim, participé à des séances de thérapie de groupe, suivi une psychanalyse et même fondé une consultation de gynécologie à Aubervilliers avec Joëlle Kauffmann, militante historique du Groupe Information Santé (GIS)… « Matzneff a pris rendez-vous avec Michèle Barzach et m’a conduite à son cabinet, rapporte Francesca Gee. La conversation entre eux a commencé sur un ton assez mondain, puis il est allé s’asseoir dans la salle d’at- tente et est revenu dans le cabinet pour régler la consultation. » À l’issue du premier rendez-vous, le 13 novembre 1973, Matzneff s’extasie : « Nous y sommes allés avec la crainte d’être critiqués, sermonnés, aussi avons-nous été très agréablement surpris. Michèle Barzach est une jeune femme douce, jolie, attentive, qui à aucun moment n’a cru devoir faire la morale à ce monsieur de 37 ans et à sa maîtresse de 15. Elle a, je pense, tout de suite compris que nous formons un vrai couple, que nous nous aimons. » Francesca Gee affirme avoir consulté la gynécologue « 5 ou 6 fois en trois ans », toujours en compagnie de Matzneff : « Il m’a toujours accompagnée chez elle, j’ai la vague impression qu’il était content d’entretenir des relations avec elle. En tout cas, il ne se plaignait jamais de devoir y aller. » Francesca Gee a gardé trace de ces visites : une ancienne pres- cription pour une prise de sang, signée en février 1974 par la gynécologue, sur laquelle ne figure pas le nom de la patiente. En ce temps, la loi Neuwirth permettait la vente de produits contra- ceptifs aux mineures, mais elle était soumise à autorisation parentale jusqu’à la loi Veil de décembre 1974… Qu’importe, Michèle Barzach, comme bien des médecins progressistes à l’époque, assumait de violer la loi. Pourtant, Matzneff ne cache pas ses penchants. À l’automne 1974, il publie même Les moins de seize ans, une apologie de la pédophilie, où il reproduit des lettres de Francesca. « Elle ne m’a jamais posé de questions, mais à l’époque personne ne trouvait à redire à ma relation avec Matzneff, observe Francesca Gee. Alors que j’étais juste une gamine dont les parents ne s’occupaient pas, sous l’emprise d’un prédateur expérimenté. » Contactée, Michèle Barzach n’a pas souhaité nous répondre. Mais celle qui, alors ministre de la santé, a géré l’apparition du sida en France, libéralisé la vente des seringues en pharmacie et s’est forgé une belle réputation jusque dans les milieux de gauche fait savoir, par ses proches, qu’elle agissait en toute conscience. Malgré sa rupture avec Francesca Gee, en 1976, Matzneff aurait continué à consulter la gynécologue pendant plusieurs années. Dans Les Soleils révolus (1979-1982), il raconte ainsi avoir accompagné, en juin 1979, « Marie-Elisabeth, 16 ans… » avenue Félix-Faure. Michèle Barzach a cessé d’exercer la médecine au mitant des années 1980, alors qu’elle faisait ses premiers pas en politique, comme conseillère d’arrondissement à Paris, sous le parrainage de son ami de toujours, Jacques Toubon, secrétaire général du RPR et parrain de sa fille aînée. En 1995, alors ministre de la culture, ce dernier a remis à Gabriel Matzneff les insignes de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. « Je n’avais pas lu ses livres, je ne savais pas qu’il était pédophile, je ne savais pas qu’il connaissait Michèle Barzach », plaide aujourd’hui le Défenseur des droits. Cette année-là, l’aventure politique de la gynéco- logue est déjà terminée. Les missions qu’elle enchaîne pour l’OMS ou le Fonds mondial contre le sida, son mariage, en 2003, avec le docteur Jacques Lebas (décédé en 2019), l’un des fonda- teurs de Médecins du monde, son élection en 2012 à la tête d’Unicef France (fauteuil qu’elle quitte en 2015), l’agence des Nations unies chargées de défendre les droits de l’enfant, laissent voir de Michèle Barzach « une façon d’être qui ne dévie pas », selon l’ex-ministre Philippe Douste-Blazy, qui lui a succédé à la santé. Jusqu’à ce 2 mars, où son passé l’a rattrapée. “Michèle Barzach ne m’a jamais posé de questions, mais à l’époque personne ne trouvait à redire à ma relation avec Maztneff.” Francesca Gee, victime présumée de l’écrivain Gabriel Matzneff (ici, en 1986) avait trouvé en Michèle Barzach une jeune médecin « qui à aucun moment n’a cru devoir faire la morale à ce monsieur de 37 ans et à sa maîtresse de 15 ». L A S E M A I N E D es pa ti n & G ob el i/ O pa le /L ee pa ge CES JOURS-CI, LES SPORTIFS PROFES- SIONNELS AMÉRICAINSfont dans l’humanitaire. Privés de leurs terrains de jeu par le Covid-19, basketteurs, footballeurs et joueurs de base-ball, enfants chéris du public, distribuent des masques, paient des repas aux soignants ou donnent un coup de main aux banques alimentaires, qui nourrissent des millions de chômeurs. Dans un improbable échange sur Instagram, Stephen Curry, une des grandes stars de la National Basketball Association (NBA), a même interviewé le docteur Anthony Fauci, pilier scientifique de l’équipe mise en place à la Maison Blanche pour lutter contre le virus. Faute de résultats sportifs, le tout est dûment documenté sur les réseaux sociaux et les sites des ligues. Mais les fans, confinés, rongent leur frein. Et Donald Trump aussi semble s’impatienter. Pour le président américain, pressé d’en finir avec le blocage du pays, la reprise des événe- ments sportifs constitue une des priorités. Dans le comité spécial qu’il a désigné, mi-avril, pour le conseiller sur la réouverture de l’éco- nomie, on retrouve, aux côtés d’Elon Musk, Jeff Bezos ou Tim Cook, les patrons des ligues de basket et de football américain, deux pro- priétaires d’équipes professionnelles ainsi que le président de la World Wrestling Entertainment (WWE), Vince McMahon. Quelques jours plus tôt, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, avait d’ailleurs déclaré les matchs de catch « activité essentielle » dans son État. « Les gens meurent d’envie de voir LE SPORT AMÉRICAIN TOURNE À VIDE. Texte Stéphanie LE BARS des événements sportifs », justifiait l’élu répu- blicain, visiblement las de se contenter de « rediffusions du début des années 2000 ». Cette décision, assez unique, permet à WWE d’organiser des combats dans la région d’ Orlando et de les diffuser en direct à la télévi- sion. Une manière aussi pour cette entreprise de divertissement de ne pas voir s’envoler les millions de dollars tirés des droits de diffusion. Mais la plupart des ligues pro n’en sont pas là, en dépit de pertes financières inédites dans un secteur qui génère chaque année un chiffre d’affaires de quelque 71 milliards de dollars et emploie des dizaines de milliers de personnes. La diète sportive a débuté le 11 mars, avec l’an- nonce surprise par la NBA de l’interruption de la saison, après un premier cas de joueur testé positif au Covid-19 et avant que des mesures de distanciation sociale n’aient été décrétées dans le pays. La Ligue majeure de base-ball lui a emboîté le pas le lendemain, alors que la saison était censée démarrer le 26 mars. Les matchs d’entraînement ont tous été annulés et le début de la compétition reporté sine die. La ligue de hockey a fait de même à quelques semaines de la fin de la saison 2020. Les footballeurs améri- cains de la NFL, et leurs fans, gardent pour l’heure l’espoir que la rentrée de leurs équipes aura lieu, comme prévu, le 10 septembre. En attendant, les responsables des compéti- tions rivalisent de créativité pour sauver ce qui peut l’être. Les franchises de base-ball songe- raient à s’isoler dans des régions désertiques autour de Phoenix, dans l’Arizona, pour relan- cer le championnat en vase clos dès le mois de mai. Les joueurs, les entraîneurs, les équipes de télévision… (soit quelque 3 000 personnes) seraient confinés dans des hôtels, testés Le Los Angeles Memorial Coliseum, le 8 avril. Les principales ligues sont à l’arrêt et tentent d’imaginer les conditions d’une reprise rapide des compétitions. Sans spectateurs. Seul le catch fait pour l’heure figure d’exception. régulièrement et ne se déplaceraient que pour se rendre sur les terrains. La NFL, elle, a inau- guré cette nouvelle réalité, virtuellement. Les traditionnelles sélections (draft) de printemps des joueurs sortant de l’université ou étrangers ont eu lieu à distance le 25 avril, donnant même lieu à l’organisation d’un « Draft-a- Thon » pour collecter des fonds destinés à la lutte contre la pandémie. La NBA pourrait recourir, en juin, au même procédé. En atten- dant, certaines équipes pourraient jouer « sous bulle » dans le Nevada, à condition que les sportifs soient dépistés à intervalles réguliers. Mais le doute persiste sur la volonté des joueurs de reprendre la compétition dans de telles conditions. En attendant, l’Association des joueurs professionnels et la NBA se sont mises d’accord, mi-avril, pour diminuer de 25 % les salaires des joueurs au cas où la sai- son 2020 ne reprendrait pas. Dans tous les cas, l’heure n’est plus à la commu- nion dans les stades. Toutes les ligues envi- sagent une reprise à huis clos. Un manque à gagner de 19 milliards de dollars, soit la somme dépensée chaque année par les supporteurs américains pour assister aux épreuves spor- tives. Selon un sondage de l’ université Seton Hall, seuls 13 % des fans de sport se disent prêts à se rendre au stade « comme avant », mais 61 % d’entre eux (et 72 % des Américains en général) assurent qu’ils ne le feront pas tant qu’un vaccin contre le coronavirus n’aura pas été découvert. Même Donald Trump, qui, début avril, espérait encore voir des enceintes spor- tives « bondées » dès le mois d’août, semble s’être résigné : il plaide désormais pour des matchs sans public, mais diffusés à la télévision « comme au bon vieux temps ». 13 Lu cy N ic ho ls on /R eu te rs IL EST 11 H 30 CE MARDI QUAND UN GRAND BUS BLANC ET VERT D’EAU RATP se gare le long de la place du Palais-Royal. Il ne s’est pas passé dix minutes que déjà sept personnes, surgies d’on ne sait où, s’avancent vers le véhicule dans lequel trois agents proposent du café et des gâteaux. À l’avant, ces autobus n’affichent ni numéro de ligne ni destination, juste leur fonction : « Recueil social ». Cette unité de la RATP, composée de 66 agents, propose une assistance aux sans-abri 365 jours par an. Une mission chamboulée par le confinement. De trois tour- nées quotidiennes, les agents sont passés à deux. Ils ne sont plus que six par jour à arpenter les couloirs du métro. Alors que Johanne Rosier, responsable du Recueil social, reste près du bus, Jean-Pierre Charbonnier et Fabrice Desplan des- cendent dans la station Palais-Royal. On leur a signalé des sans- abri sur les quais des lignes 1 et 7. Enroulé dans un duvet bleu, un homme est endormi, la tête appuyée contre un gros sac de sport noir. Fabrice le reconnaît : « C’est Christian. » Christian lève les yeux. L’uniforme marron de Fabrice lui est familier. Il le salue avant d’annoncer qu’il ne veut pas bouger. Plus loin, Lou, une DANS LE MÉTRO, UN RECUEIL SOCIAL FORTEMENT PERTURBÉ. Texte Zineb DRYEF — Photo Lucien LUNG habituée de la station, refuse aussi de se déplacer. Elle se recouche dès que l’agent s’est éloigné. Fabrice les laisse tranquille. « Christian et Lou, c’est particulier, ils sont totalement désocialisés, explique Fabrice. Les gens du quartier les connaissent, ils leur apportent de quoi se nourrir. Ils ne sont pas du tout dans la mendicité, ils ne poseront jamais de gobelet. » Bien que sa mission principale soit de conduire en surface ceux qui sont parfois quasi sédentarisés dans le métro (250 à 350 personnes en temps normal, 150 à 170 en ce moment), le Recueil veille, surtout en ce moment, à s’assurer qu’ils vont bien. Créé en 1994, ce dispositif humanitaire, dont les agents sont largement issus du groupe de sûreté de la RATP (groupe de protection et de sécurisation des réseaux, ou GPSR), n’est pas sans ambiguïtés. Théoriquement, la mendicité comme les campements dans le métro sont interdits, mais les agents du Recueil ne verbalisent pas. C’est à leurs ex-collègues de la police de la RATP qu’il revient de dresser des PV et de vider les quais. Alors que de rares passagers s’engouffrent dans le métro, Fabrice repère un homme resté immobile. Il s’approche de lui : « Monsieur ? On peut faire quelque chose pour vous ? On pro- pose des cafés en haut. » L’homme répond qu’il n’a besoin de rien, qu’il ne vit pas dehors.Puis il demande : « Le café, c’est gratuit ? » Oui. Alors il monte. En dix ans de métier, Fabrice, 38 ans, a appris à détecter les plus vulnérables, à retenir leurs prénoms et leurs visages. Il s’étonne de voir Gilles (le prénom a été changé), l’air lessivé. L’homme est parti sur un coup de tête du centre d’hébergement d’urgence où il logeait à Clichy. « Gilles, je sais que tu n’as pas la pêche, mais viens, on va discuter là-haut. » Gilles se laisse convaincre. Jean-Pierre est bluffé par l’efficacité de son collègue. Il nous interpelle : « Tu as vu la diffé- rence entre moi et Fabrice ? Fabrice sait prendre des nouvelles… » Après un peu moins d’un an dans le service, Jean- Pierre veut retourner à la sécurité : « Je trouve ça dur, la misère au quotidien. Voir des gens d’un certain âge dans cet état… » Le bus roule jusqu’à la halte soins de l’association Aurore, près de Nation. Gilles est en vrac. Il soupire : « J’ai les larmes aux yeux et la merde au cul. La honte. » Il va pouvoir prendre une douche et laver ses vêtements. Son manteau est bon à jeter, même à 60 °C les poux résistent. Fabrice finit par en dénicher un autre dans les sacs de vêtements remis par un de ses collègues, une collecte qu’il a lancée auprès de son club de rugby. Après la pause déjeuner, destination Strasbourg-Saint-Denis. La ligne 4 est réputée pour être l’une de celles qui abritent le plus de toxi- comanes. Sur le quai direction Montrouge, ils sont dix. Alignés les uns à côté des autres sur les sièges jaune citron, ils carburent à la bière et au crack. Certains ont l’air contents de revoir Johanne. « Je les connais de mes anciens boulots. Yves, ça fait treize ans… », dit-elle en le désignant. Rangé des voitures et hébergé en hôtel, le quinquagénaire continue à descendre tous les jours. Elle demande des nouvelles de… elle a oublié son nom. C’est quand elle imite sa démarche de danseur de ragga qu’ils percutent. « Ah ! mais oui, Georges ! Il est à Jaurès. » Fabrice, lui, arpente les quais un carnet à la main. Il croise Patrick (le prénom a été changé), qui a le pied très gonflé. Fabrice insiste : ça fait plusieurs semaines qu’il se plaint de cette douleur. L’homme accepte d’être transporté à l’hôpital. Plus loin, il note le prénom d’un « nouveau ». Il ajoute « le barbu » pour s’en souvenir. Direction Lariboisière pour déposer Patrick. Fabrice connaît le moindre recoin de cet hôpital du 10e arrondissement : « Ma mère était aide-soignante ici. Je suis né là, j’ai grandi là, je connais les sous-sols par cœur. » Johanne les connaît aussi : elle s’y est sou- vent perdue en tentant de récupérer des fumeurs de crack. Ancienne prof d’histoire-géo, elle a bifurqué dans le travail social au milieu des années 2000. « La situation des gosses était trop triste, j’ai eu envie de les aider en m’occupant des adultes. » Près de 150 personnes sans-abri trouvent actuellement refuge dans le métro. Ici, sur un quai du RER A de la station Nation, le 25 avril. Le Recueil social, une unité de la RATP créée en 1994, se préoccupe de “raccompagner vers la surface” les SDF présents dans le métro, sans les verbaliser. Mais, depuis la mi-mars, les maraudes de ce dispositif, bien que réduites, ont pris une dimension humanitaire plus prégnante. 14 L A S E M A I N E Lu ci en L un g/ R iv a po ur M L e m ag az in e du M on de dégrader, de couper la queue à la base du fruit et de le déposer délicatement dans une barquette. Pour remplir un plateau de 20 barquettes, vous avez trente minutes environ. Il n’y a pas de pression, mais il faut que le produit soit bien présenté. Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable. Au début, mes collègues étaient tous marocains. Ensuite, l’équipe s’est agrandie. Des gens des villes environnantes, qui ont perdu leur emploi, sont arrivés. Comme on ne nous fournissait pas de masque, je m’en suis procuré un grâce à mon amie. J’ai obtenu du gel hydroalcoolique après trois semaines. Mais j’ai eu du mal à accepter que l’on ne nous propose pas de courtes pauses ou simplement de l’eau pour nous hydrater. Ce premier contrat n’a pas été renouvelé. Je me suis inscrit sur la plateforme mise en place par le gouvernement, mais je n’ai eu aucun retour. En ce moment, je suis pour un mois dans une grosse exploitation qui fait pousser des courgettes. On monte les serres, on dispose les tuyaux d’eau, on plante. Ce n’est pas comme dans un entrepôt Amazon, mais il y a du monde ! Les autres employés sont presque tous équatoriens. Sauf un, roumain, avec qui je travaille en duo. Ce n’est pas l’ambiance des vendanges, faut pas rêver, mais ça se passe bien. Je ne me considère pas altruiste. J’ai pensé à mon autonomie financière. Mais, en ayant trouvé un autre travail, en continuant à consommer, je contribue à aider les agriculteurs et je participe à l’économie du pays. Le samedi 14 mars, vers 18 heures, mon patron m’a appelé pour me dire que tous les projets étaient suspendus sine die et qu’il fallait que je trouve autre chose. Je me suis souvenu d’une annonce d’emploi d’un exploitant agricole à Saint- Rémy-de-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, que j’avais repérée fin janvier sur les réseaux sociaux. Je l’ai appelé, mais cela n’a pas fonctionné. J’ai téléphoné à tous les maraîchers dans la même zone géographique. L’un d’entre eux m’a dit oui, ses salariés marocains ne pouvant quitter leur pays. Dès le dimanche, j’ai cherché un appartement sur Internet et lundi à 18 heures, juste avant l’interdiction des déplacements, je me suis mis en route. Le mardi matin, j’étais à Saint-Rémy-de- Provence. L’après-midi, l’employeur m’a proposé un contrat et j’ai attaqué le lendemain matin dans les serres de fraises. Professionnellement, je suis « multicarte ». Régisseur dans le spectacle, moniteur de canoë- kayak, VTC… Mais, même si mes grands-parents étaient agriculteurs en Bretagne, je n’avais plus travaillé dans les champs depuis mes 17 ans. À l’époque, c’était pour la récolte de pommes. J’ai fait quelquefois les vendanges aussi. J’ai même rencontré ma compagne à cette occasion. Pour les fraises, on est à genoux de 7 heures à 19 heures, avec une heure de pause. C’est dur, mais je suis résistant physiquement. Les fraises sont dans des serres de cent mètres de long, la température y monte jusqu’à 35 degrés. Il n’y a pas de formation : on vous dit juste de ne pas mettre les doigts sur la fraise pour éviter de la À TITRE PERSONNEL SOUDAINEMENT PRIVÉ DE TOUT CONTRAT DANS SON SECTEUR, CE RÉGISSEUR DE 42 ANS A ILLICO QUITTÉ PARIS POUR SE RENDRE DANS LE SUD DE LA FRANCE. IL Y TRAVAILLE DANS DES EXPLOITATIONS AGRICOLES EN MAL DE MAIN-D’ŒUVRE. THÉO CHARRON, RAMASSEUR DE FRAISES. Avant le confinement, mon activité principale était celle de régisseur plateau dans la production audiovisuelle en région parisienne. Propos recueillis par Gilles ROF EN CES TEMPS CONFINÉS, MURIEL SALMONA NE CHÔME PAS. Spécialisée dans l’aide aux victimes de violences sexuelles, la psychiatre de 64 ans se dit submergée par les téléconsultations. On l’appelle avec Skype un matin de la fin avril. Carré noir impeccable, grand sourire, elle apparaît devant la biblio- thèque de sa maison, à Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine). La veille au soir encore, elle a dû s’occuper d’une urgence. Vivant seule dans un studio, une femme de 20 ans, qu’elle connaît, a échangé avec un homme par Internet. Il l’a invitée chez lui « pour un câlin ». Elle y est allée, il est vite devenu violent et l’a violée. Muriel Salmona l’a orientée vers la plateforme de signalement en ligne des violences sexuelles. « Dans ce contexte de confinement, les gens très isolés se sentent encore plus seuls et deviennent la cible de pré- dateurs, constate-t-elle. Et, dans les familles, des femmes et des enfants sont enfermés avec leur bourreau, à l’abri des regards et sans pou- voir partir. Je suis en alerte tout le temps. » Trèstôt, Muriel Salmona s’est inquiétée des risques de violences en huis clos. Désormais, les chiffres alarment. Le nombre d’appels reçus au 119 pour des enfants en danger a presque doublé à la mi-avril. Certains commissariats constatent de fortes hausses de signalements pour violences conjugales. « Mes relations avec Marlène Schiappa [secré- taire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes] n’ont pas toujours été faciles, remarque la psychiatre, mais je salue sa réactivité, avec, par exemple, la mise en place d’un système d’alerte dans les pharma- cies. » Depuis plus de vingt ans, Muriel Salmona se bat pour faire comprendre que les violences sexuelles sont un problème collec- tif. À la tête de son association, Mémoire trau- matique et victimologie, créée en 2009, elle est de tous les combats féministes. Le 8 mars, elle manifestait pour le droit des femmes en compagnie de l’actrice Adèle Haenel. Son engagement vient de la mort de son père. Il était boucher à Vernouillet, dans les Yvelines, avant de faire faillite. « Mon père a subi, enfant, des violences sexuelles et a été traumatisé par la guerre d’Indochine, raconte sa fille unique. Alcoolique tabagique, à côté de la réalité, il est mort d’un cancer à 48 ans. Il a juste eu le temps d’apprendre que je venais d’avoir mon bac et que j’étais inscrite en médecine. » Elle est convaincue qu’il est décédé de ses traumatismes. Pendant son internat, à l’hôpital de Villejuif, dans le Val-de-Marne, elle découvre le harcèlement sexuel et échappe même à une tentative de viol. Syndiqué, féministe, son militantisme date de ces années 1980. Mais, au fil de la discussion, Muriel Salmona révèle une autre raison à son engagement, longtemps tue. « Vers l’âge de 6 ans, j’ai subi des viols. Des pénétrations digitales, de façon MURIEL SALMONA, PSY EN ÉTAT D’ALERTES. Texte Dominique PERRIN répétée sur une courte période. J’ai revécu ces sensations corporelles, comme des flash- back. Mon seul souvenir est un arrêt sur image. Je suis assise sur un tabouret haut, je vois, sur une table, le rôti empaqueté que ma mère vient de livrer dans une villa. Elle m’a laissée seule au milieu d’adultes. Autour de moi, je perçois juste des ombres. » À 13 ans, de nouveau, elle subit un viol en vacances par un jeune homme d’une vingtaine d’années. De l’âge de 6 à 10 ans, elle dit ne garder qua- siment aucun souvenir de sa vie d’enfant. Une amnésie traumatique, soit une période pen- dant laquelle une personne n’a pas cons cience des violences qu’elle a endurées. C’est le concept qu’elle développe depuis des années, mais sans parler de son propre cas. « J’estimais qu’il n’était pas judicieux de le men- tionner, pour ne pas ramener mon combat à ce que j’avais subi. Maintenant, je pense que je suis assez reconnue pour prendre ce risque. » Le 2 mars, elle a alors lâché six courtes lignes sur Twitter, pour évoquer ces viols. Reconnue, elle l’est sans aucun doute. La psychiatre forme des magistrats, des poli- ciers… « Muriel est une professionnelle qui fait avancer la connaissance sur les victimes de violences conjugales et sexuelles, avec une détermination de militante », estime le psy- chiatre Roland Coutanceau. Le 14 juillet 2018, elle a reçu la Légion d’honneur, sur proposi- tion du ministère de la justice. « Un parcours exemplaire », a salué Ernestine Ronai, direc- trice de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, qui lui a remis la médaille, le 5 avril 2019. Mais son concept d’amnésie traumatique ne fait pas pour autant l’unanimité. Une hypothèse utile pour comprendre les fluctuations de la mémoire, mais un peu simplificatrice, jugent certains psychiatres. Cette amnésie peut durer des décennies, rétorque Muriel Salmona. Raison pour laquelle elle demande que les crimes sexuels sur mineurs ne soient pas prescrits. C’est un des points qui l’a menée à critiquer durement la loi Schiappa de 2018 contre les violences sexuelles. Elle réclame aussi que le seuil d’âge légal du non-consentement soit porté à 15 ans. Aujourd’hui, elle se réjouit que la secrétaire d’État ait confié à la députée des Bouches-du-Rhône Alexandra Louis la mission d’évaluer cette loi. Le 9 avril, l’élue a auditionné par visioconférence Muriel Salmona. « Une femme engagée dans un combat très lourd », commente-t-elle en toute sobriété. Bilan plus précis à l’automne. Médecin et militante, Muriel Salmona (ici, en 2017) se bat pour que les crimes sexuels sur mineurs ne soient pas prescrits. Cette psychiatre spécialiste des violences conjugales et sexuelles a développé le concept d’amnésie traumatique. Depuis le confinement, elle est confrontée à un déferlement d’appels à l’aide. 16 L A S E M A I N E M ar ta N as ci m en to /R E A INVENTÉE À LA SUITE DE L’ÉPIDÉMIE DE GRIPPE DE 1945 POUR PROTÉGER LES AGENTS DE LA SNCF, CETTE INSTALLATION VITRÉE EST ACTUELLEMENT TRÈS DEMANDÉE, AVEC DES COMMANDES QUI ONT BONDI DE 40 % DEPUIS LE 16 MARS. PARLEZ DANS L’HYGIAPHONE. Texte Zineb DRYEF UN ÉQUIPEMENT ULTRADÉSIRÉ. Bientôt, nous reparlerons tous dans l’Hygia- phone. Soixante-quinze ans après sa création, ces parois transparentes laissant passer le son, dont on équipe les guichets pour protéger les salariés de toute conta mination, n’ont jamais été aussi désirables. Propriété de Fichet Group, cette marque française a vu ses commandes bondir depuis le début du confinement en France : + 40 % au mois de mars. De nombreuses TPE qui se sont lancées dans la création de ce dispositif, mais pas sous la marque Hygiaphone, croulent sous les demandes. Outre sa fonction aux gui- chets des services publics et dans les commerces, il pourrait être utilisé plus amplement dans les mois qui viennent. En Corée du Sud, beaucoup d’entreprises ont ainsi équipé leurs tables de cantines de grandes cloisons de Plexiglas. Bientôt, peut-être, nous déjeunerons aussi tous dans l’Hygiaphone. UN REMÈDE ANTIGRIPPE. C’est en 1945 que l’Hygiaphone est créé par une entreprise française à la demande de la SNCF, qui s’inquiète du taux d’absentéisme important dans ses rangs. Cette année-là, une épidémie de grippe touche massivement les agents chargés de la vente des tickets de transport. L’ingénieur André Bourlois imagine alors ce dispositif sanitaire transparent doté d’une fenêtre passe-son pour permettre aux agents de répondre aux passagers tout en évitant les microbes. UNE BARRIÈRE DE SÉCURITÉ. Dans les années 1980 et 1990, les secteurs à risque s’équipent : banques, bureaux de poste, ambassades… Dans les guichets de l’ANPE et des Assedic où se pressent les Français touchés par le chômage de masse, les incidents se multiplient : aux insultes s’ajoutent parfois les coups, les cra- chats. Pour protéger leurs agents, les agences recrutent des vigiles, installent des grillages et des Hygiaphone. Mais, au bout de dix ans de OBJET DE CONVERSATION distanciation physique, cette cloison, devenue synonyme d’une bureaucratie froide et distante, est progressivement abandonnée au début des années 2000. Néanmoins, en prison, les parloirs dotés d’Hygiaphone sont toujours réservés aux détenus dangereux ou à ceux qui font l’objet d’une sanction. UN BOUCLIER MULTIFONCTION. Ce sont les grandes crises qui ont, à chaque fois, remis l’Hygiaphone au goût du jour. En 2009, l’épi- démie de grippe A (H1N1) inquiète les grands groupes qui voient leurs collaborateurs en Asie tomber les uns après les autres. Outre des masques et du gel, Total envisage de poser des Hygiaphone dans toutes ses stations-service. Après les attentats de 2015, ce sont moins des raisons sanitaires que sécuritaires qui poussent des entreprises, notam- ment dans les médias, à s’équiper. Les Français se réhabituent alors à parler dans l’Hygiaphone comme ils se sont accoutumés à ouvrir leurs sacs avant d’entrer dans un commerce. Ro ze nb au m -P ho to al to /O nl yf ra nc e LE COVID-19 ENTRAÎNE-T-IL UNRETOUR EN GRÂCE DU DRIVE-IN ? Cette « salle » de cinéma alternative avait connu son âge d’or dans les années 1950 et 1960, principalement aux États-Unis, son pays d’origine, où l’on en dénombrait près de 5 000. Devant un écran géant installé en plein air, les spec- tateurs découvraient leur film à l’intérieur de leur voiture. Le son était diffusé dans les véhicules par des haut-parleurs reliés à des bornes implantées sur l’aire de stationnement. La culture du drive-in était particulièrement ancrée dans les zones rurales américaines, où la voiture restait (et demeure) indispensable, et où, faute de centre urbain, les salles de cinéma traditionnelles étaient plus rares. Les œuvres projetées étaient souvent des films d’horreur ou de science- fiction, produits par des petites compagnies, comme Allied Artists ou American International Pictures (AIP), au sein des- quelles des acteurs tels que Jack Nicholson, ou le réalisateur Francis Ford Coppola avaient fait leurs débuts. Les drive-in s’étaient également développés au Canada et en Australie – pays au vaste territoire et à la faible densité de population, beaucoup moins en Europe, particulièrement en France, où les quelques rares tentatives ont échoué. Puis, dans les années 1980, avec l’irruption de la vidéo et le développement de la télévision par câble, les spectateurs américains ont délaissé leurs habitacles pour leur salon. En raison de la fermeture des salles obscures pour cause de pandémie, les drive-in effectuent actuellement un retour inattendu, parfois sur des territoires où ils n’avaient jamais prospéré. Autokino à Essen, l’un des deux drive-in en LE DRIVE-IN REPREND DES COULEURS GRÂCE AU CORONAVIRUS. Allemagne, affiche complet tous les soirs – les projections en plein air ne peuvent se dérou- ler que la nuit – depuis le 12 mars, date des premières mesures de confinement dans le pays. On y projette Manta Manta, dont la vedette, en dehors du couple principal, est une Opel Manta. Cette comédie adolescente a été un énorme succès au box-office alle- mand en 1991, sans jamais connaître d’exploi- tation à l’étranger – sans doute en raison de son extrême médiocrité. Interrogé par le magazine américain, The Hollywood Reporter, le patron d’Autokino Essen expliquait que « l’œuvre projetée n’a aucune importance. Les gens veulent sortir et voir un film. Nous sommes complets plusieurs semaines à l’avance ». L’autre « autokino », à Cologne, enregistre également un grand nombre de réservations et inscrit avec humour sur sa page Facebook : « méthadone pour les junkies de cinéma ». Cette drogue de substitution se montre respectueuse des normes sanitaires, puisque seulement 350 voitures, pour une capacité de mille véhicules, sont autorisées afin de respecter les distances réglementaires. Toujours en Allemagne, un drive-in « sauvage » vient même d’ouvrir, dans la ville de Marl, sur un terrain situé derrière un bar de motards. On retrouve le même engouement en Corée du Sud, depuis la fermeture des cinémas en février. À Daegu, où s’étaient déroulés les championnats du monde d’athlétisme en 2011, la fréquentation du drive-in local a augmenté de 20 % depuis le début de la crise sanitaire. Dans le district de Nowon, dans l’est de Séoul, les autorités locales encouragent leur installa- tion pour aider la population à lutter contre le stress. Aux États-Unis, la situation de cette industrie en déclin est aujourd’hui plus favorable toujours en raison de la fermeture du parc de salles depuis mars. Sur les 320 drive-in en activité, seuls une vingtaine sont pourtant restés ouverts. Leur princi- pal handicap tient dans l’absence de films à exploiter puisque, aux États-Unis comme en France, les rares nouveautés sont diffusées par les plateformes de vidéo à la demande. Un drive- in à Hockley, au Texas, a vu ses recettes augmenter de 40 % à la mi-mars, avant de les multiplier par deux une semaine plus tard, en proposant en alternance deux fictions, En avant, le nouveau film d’animation de Pixar, et Invisible Man. Ce n’est sans doute pas suffisant pour tenir au-delà du début du mois de juillet, la date très hypothétique à laquelle les salles américaines devraient de nouveau ouvrir leurs portes. Mais si la fermeture devait se prolonger au-delà de l’été, le drive-in constituerait un débouché que ne manqueraient pas d’exploiter les studios hollywoodiens. Samuel BLUMENFELD Un drive-in « sauvage » récemment installé dans un champ, à Marl, en Allemagne. Aux États-Unis, en Allemagne ou en Corée du Sud, ces désuets cinémas en plein air et en voiture, respectueux par nature des mesures de distanciation sociale, connaissent un soudain regain d’activité depuis le début de la pandémie. 18 L A S E M A I N E M ar ti n M ei ss ne r/ A P /S ip a LA RÉSISTANCE AU COVID-19 PASSE PAR UNE ASSIGNATION À RÉSIDENCE. ATTENTION TOUTEFOIS, EN CES TEMPS INCERTAINS, NOUS RAPPELLE NOTRE CHRONIQUEUR, À NE PAS SACRIFIER L’ÉLÉGANCE LA PLUS ÉLÉMENTAIRE. Texte Marc BEAUGÉ Illustration Jean-Michel TIXIERLA DJELLABA.EN MODE CONFINÉS APRÈS DES SEMAINES ET DES SEMAINES DE CONFINEMENT, ce qui devait arriver est arrivé. Nous avons craqué et sommes partis loin, très loin. Si le déplacement jusqu’à la penderie fut bref, le voyage fut en effet grandiose quand nous commençâmes à exhumer, d’un poussiéreux carton, quelques sou- venirs rapportés de différents voyages autour du monde. Un tee-shirt grisâtre Hard Rock Cafe nous envoya à New York, un mini-sombrero au Mexique, un kilt en Écosse… Finalement, c’est au Maroc que nous posâmes nos valises, à la faveur d’une djellaba, rapportée d’un voyage à Marrakech en 1998. L’enfiler fut une révélation. Si le monde avait changé, nous découvrîmes aussi, sans ménagement, que notre corps n’était plus le même que vingt ans aupa- ravant. Autrefois ample, pour ne pas dire « over- sized », ladite djellaba s’avérait désormais un peu juste au niveau du postérieur… De face, cela n’enle- vait rien à sa beauté. Si notre djellaba n’était pas l’une de ces djellabas de prestige fabriquées par les femmes berbères de la tribu hantifa depuis des siècles dans la ville de Bzou, sa blancheur immacu- lée, sa capuche délicate et ses broderies en fil d’or lui donnaient néanmoins une allure spectaculaire. Après des semaines de tergiversations stylistiques, débraillées et baroques, nous prîmes ainsi plaisir à nous admirer paré d’une majesté nouvelle, impé- riale, historique. Vêtement ancestral des dignitaires maghrébins (l’étymologie du mot « djellaba » fait l’objet de plusieurs hypothèses, mais l’une d’entre elles affirme qu’il désigne le « vêtement du djellab », c’est-à-dire du marchand d’esclaves), la djellaba nous fit ainsi, comme par magie, sortir de notre déplorable condition du moment, en même temps que de notre zone de confort. De fait, les questions stylistiques se bousculèrent vite. Comment se chausser en djellaba ? Après avoir balayé l’option babouche par crainte du total-look, nous décidâmes d’avancer pieds nus. Que mettre sous une djellaba ? Après avoir écarté l’option cul nu (elle est taillée dans un coton blanc assez léger), nous enfilâmes un sous-vêtement et rien d’autre. Et cette capuche ? Fallait-il vraiment nous en coiffer? Nous décidâmes que non. Quant à savoir comment marcher dans cette robe, les deux fentes latérales nous invitèrent à le faire le plus normalement du monde. Finalement débarrassé de ces interrogations, nous nous sentîmes allégé, presque aérien. Taillée dans une seule pièce de tissu fluide, cette djellaba nous donna le sentiment d’avancer comme avant, sans entrave ni autorisation de sortie. Où aurions-nous pu la mettre, d’ailleurs ? Il n’y a aucune poche… OPEN SPACE C’EST L’UNE DES RARES CRITIQUES QU’ON NE LUI AVAIT PAS ENCORE FAITE. Parce qu’il suppose la présence dans une pièce sans cloison de plusieurs dizaines de salariés, l’open space pourrait favoriser la propagation du Covid-19. De quoi redouter le déconfine-ment des salariés du tertiaire, majoritairement installés dans ce genre d’espace. Et, espèrent ses détracteurs, donner un coup d’arrêt à ce type d’organisation du travail. Lorsqu’il fait son apparition dans Le Monde, le 8 mai 1971, l’open space porte aussi le joli nom de « bureau paysage ». « Mot devenu magique pour des milliers de citadins privés d’arbres et de pelouses et qui, accolé à n’importe quel autre, évoque espace, verdure et liberté », s’amuse Michèle Champenois, pas dupe : « Bureau paysage (…) Un mot dont la poésie cache une technicité un peu terne puisqu’il désigne tout simplement des bureaux non cloisonnés. Les Allemands qui ont inventé, dit-on, ce mode d’organisation, l’appellent “Grossroundbüro”, les Anglais et les Américains, qui l’utilisent beaucoup, “lands- cape” ou “openspace”. » La journaliste met déjà en garde : « Que cherchent les chefs d’entreprise qui s’intéressent au bureau- paysage ? Pas à gagner de la place en suppri- mant les couloirs inutiles, les coins perdus et les pièces mal commodes, car ils seraient déçus. Un bureau paysage bien conçu, affir- ment les spécialistes, ne doit pas être “plein comme un œuf”. Au contraire. La distance remplace les cloisons, et l’on se sépare de son voisin en s’en éloignant. Pas à économiser de l’argent, car celui qu’on gagne en se passant de murs et de portes doit être consacré à d’autres dépenses : climatisation et insonori- sation sont indispensables. » Il n’empêche : « L’aménagement des bureaux non cloisonnés est meilleur marché, assurent pourtant les installateurs, que celui des “cellules” clas- siques à confort égal. Simplement, en choisis- sant d’installer une centaine de personnes sur plus de mille mètres carrés, on doit prendre certaines précautions pour que la “vie com- munautaire” ne devienne pas l’enfer des “pools” de dactylos », prévient la journaliste. Après cet article précurseur, l’open space va disparaître des colonnes du Monde jusque dans les années 1990 : c’est seulement à ce moment-là qu’il commence vraiment à faire partie du paysage des salariés français. Le quartier de la Défense en est le symbole. Au retour de sa visite chez IBM, installé dans la tour Descartes, Philippe Godard constate le 24 octobre 1991 : « Plus répandu dans les entreprises anglo-saxonnes et nippones (y compris celles installées en France), l’open space rencontre de nombreux détracteurs… principalement chez les salariés qui acceptent mal de “devoir voir tout en étant vu”. Le débat est loin d’être clos. » À partir de là, autant le dire tout de suite : on n’a pas trouvé d’articles du Monde vantant les qualités de l’open space. Au mieux, le journal se contente-t-il d’être descriptif comme lorsqu’il rend compte, le 24 décembre 2004, du déménagement de son propre siège de la rue Claude-Bernard au boulevard Auguste-Blanqui : « Concernant le mobilier et l’aménagement des bureaux, le choix a été fait de l’open space, de grandes salles comportant le minimum de cloisons. Permettant des contacts plus directs entre les rédacteurs de chaque service, il compense la faible hauteur de plafond, mais contraint aussi les aménageurs à trouver des techniques plus performantes pour atténuer les bruits », relève Frédéric Edelmann, qui fut longtemps le grand spécialiste de l’architecture au Monde. À noter que l’actuel confinement est intervenu alors que le quotidien était de nouveau en plein déménagement vers un nouvel immeuble, près de la gare d’Austerlitz. En open space. Dans une passionnante enquête sur le mal- être des cadres, publiée le 17 septembre 2008, Benoît Hopquin relayait la critique sévère énoncée dans L’open space m’a tuer, un essai d’Alexandre des Isnards et Thomas Zuber : « L’open space, ce bureau ouvert, devient finalement un lieu d’enfermement qu’on n’ose quitter sous peine d’être déconsi- déré. Le jeune cadre devient alors un “no life” (sans vie sociale, hors d’un écran). Il est sans cesse “en mode projet”, c’est-à-dire débordé par son travail, une “propale” (proposition commerciale) à “implémenter” (mettre en œuvre). Et ce jusqu’au “burn-out”, la consomption du corps et de l’esprit. » Sans aller aussi loin, Isabelle Rey-Lefebvre sou- ligne, le 4 juillet 2011, le malaise créé par ces bureaux qui n’en sont plus à l’occasion de la publication d’un sondage Louis Harris : « parmi [les personnes] qui travaillent dans ce que l’on appelle des “open spaces”, une sur deux (49 %) se dit mécontente. À l’opposé, le plébiscite est réel pour ceux qui travaillent dans un bureau individuel (81 %), et mieux encore à domicile (83 %). De quoi tordre le cou à l’idée que la fameuse organisation décloisonnée du travail favoriserait la commu- nication, la créativité et le travail en commun. » L’objectif, de toute façon, est ailleurs : « éco- nomiser sur les coûts immobiliers et parvenir à 10, voire 8 m2 par personne, alors que 15 à 20 m2 étaient la norme il n’y a pas si longtemps. (…) D’après le même sondage, 53 % des salariés (et 63 % des cadres) ne se font pas d’illusions et s’attendent à ce que la superficie allouée à chacun d’eux diminue à l’avenir. » Que les salariés reprochent-ils concrètement à l’open space ? Claire Gatinois énumère, à la suite d’un autre sondage allant dans le même sens, le 3 novembre 2014 : outre « un senti- ment de déclassement » exprimé par des « cadres intermédiaires » « attachés aux signes statutaires », « les nuisances sonores, qui per- turbent 52 % des salariés, l’aménagement de l’espace (un problème pour 39 % des Français et 56 % des salariés en open space) et même l’air qu’ils respirent (32 %) ». Pratiquées année après année, les enquêtes ne cesseront de mettre en évidence le rejet de l’open space par des Français qui plébiscitent au contraire le « télétravail, depuis sa maison, (…) lié à l’idée de bien-être, indique le directeur du départe- ment opinion d’OpinionWay, interrogé le 27 novembre 2015 par Isabelle Rey-Lefebvre, à condition de ne le pratiquer que deux jours par semaine »… Texte Agnès GAUTHERON LE 8 MAI 1971, LA PREMIÈRE FOIS QUE “LE MONDE” A ÉCRIT L A S E M A I N E La mode se paie le luxe de la solidarité. PRODUCTION À L’ARRÊT, VENTES EN CHUTE LIBRE, NOUVELLES COLLECTIONS AU PLACARD… COMME LA PLUPART DES SECTEURS, LE LUXE EST LOURDEMENT IMPACTÉ PAR LA PANDÉMIE. APRÈS UN MOMENT DE DÉNI, LES GRANDES MAISONS SE SONT MISES EN ORDRE DE BATAILLE, PROPOSANT LEUR CARNET DE CHÈQUES MAIS AUSSI LEUR SAVOIR-FAIRE AUX HÔPITAUX. FABRICATION DE GEL HYDROALCOOLIQUE, CONFECTION DE MASQUES, FINANCEMENT D’IMPRIMANTES 3D : UNE CONTRIBUTION INÉDITE QUI PERMET À UN MILIEU SOUVENT BROCARDÉ DE COMMUNIQUER SUR SON UTILITÉ SOCIALE. Texte Elvire VON BARDELEBEN et Caroline ROUSSEAU— Illustrations Isabella COTIER LE MAGAZINE 21 LES LUMIÈRES DU PALAIS DE L’ÉLYSÉE le font ressembler ce soir-là à un phare dans la nuit. Rassurant, il semble indiquer le cap. Le 24 février, Emmanuel et Brigitte Macron reçoivent la mode à dîner pour célébrer la création en présence du couturier Jean Paul Gaultier, de la rédactrice en chef de Vogue US, Anna Wintour, de la top-modèle Naomi Campbell… et de 200 invités. Au menu, des mets fins servis dans de la porcelaine de Sèvres, sur fond d’or- chestre. Sous les lustres rutilants de la salle de réception, pas l’ombre d’un flacon de gel hydroalcoolique. Quand arrive le café, servi debout, on quitte la table pour un selfie avec le président et son épouse. Il a l’air fatigué mais sourit, elle n’a pas fait de discours mais rayonne. On se dit que les gens postillonnent peut-être un peu trop près du chef de l’État… Quarante-huit heures plus tôt, l’Italie déclarait 2 morts du Covid-19 et la Lombardie, d’où arrivait une partie des convives en direct de la Fashion Week de Milan, 88 cas de contamination au coronavirus. Mais pendant celle de Paris, qui doit se terminer le 3 mars, la vie glamour suit son cours. Les principaux défilés rassemblent plusieurs milliers de personnes serrées surdes bancs. On claque des bises à qui mieux mieux, on boit des cocktails dans les soirées, la bouche collée à l’oreille de son interlocuteur (volume sonore oblige). Des masques sont distribués chez Paco Rabanne ou Dries Van Noten, mais peu d’invités les portent et certainement pas les dirigeants de marques, au premier rang. À la sortie du dernier show, seuls deux défilés auront été annulés : agnès b. et A.P.C.. Quelques jours plus tard, le 12 mars, Frédéric Arnault – quatrième enfant de Bernard – lance en fanfare, à New York, la nouvelle génération de montres connectées Tag Heuer, dont il est le directeur stratégique. « On peut dire maintenant qu’on a joué avec le feu, nous confirme sous couvert d’anonymat un membre du comité exécutif d’un autre grand nom du luxe. Il aurait suffi d’un cas. On a eu du bol. » DÈS janvier, les manageurs français ont pourtant suivi de près l’évolution de la situation chinoise. LVMH, implanté en Chine depuis les années 1990, y compte 22 000 collabora- teurs, Kering plus de 10 000. Depuis vingt ans au moins, la région fait figure d’eldorado pour Vuitton, Dior, Chanel, Hermès, Gucci & Co. Le fleuron du chic à la française et à l’italienne y ouvre à tour de bras d’immenses boutiques dans les beaux quartiers de Pékin ou de Shanghaï mais aussi dans les malls climatisés de villes dont aucun Occidental ne sait épeler le nom. Ils nouent des partenariats commerciaux et industriels juteux et font les yeux doux à une clientèle chinoise qui raffole des produits griffés. À tel point que la sino-dépendance du luxe commence à faire débat au sein même des maisons. Obsédé qu’il est par l’Asie, on aurait pu penser que le secteur serait plus clair- voyant que d’autres. Mais non. Cette épidémie qui n’a pas encore de nom ne fait pas vraiment peur. Elle semble ne sévir que sur un autre continent, et très localement : dans les confins du confi- nement de Wuhan, décrété le 23 janvier. L’arrivée potentielle du virus sur notre sol monte si peu au cerveau des puissants, politiques comme économiques, que le luxe n’hésite pas à soutenir son allié commercial chinois dans l’épreuve qu’il tra- verse. Fin janvier, Kering fait don de plus de 1 million d’euros à la Croix-Rouge de la province du Hubei, LVMH offre 2 millions d’euros à la Croix-Rouge chinoise. Trois semaines plus tard, LVMH récidive avec une contribution financière à l’envoi de fret médical organisé par la France pour les hôpitaux du Hubei. Un Airbus A380 décolle de l’aéroport Charles-de-Gaulle avec à son bord 17 tonnes de maté- riel médical, dont des masques… On ignore encore qu’ils devien- dront bientôt une denrée rare. Nous sommes le 19 février et les grandes maisons pas plus que le reste des Français n’envisagent le confinement. Pourtant, la tour- nure dramatique que prennent les événements en Italie, où sont installés beaucoup de fournisseurs et de sites de production, commence à inquiéter. Comme si le virus jouait à la bataille navale avec l’industrie de la mode. Les clients, magasins et fabri- cants asiatiques, puis le nord de l’Italie (Lombardie, Émilie- Romagne, Vénétie) d’où sortent leurs beaux lainages et souliers en cuir : touché coulé. Il n’empêche, l’annonce, le 16 mars, par Emmanuel Macron du confinement de la France fait l’effet d’une bombe. Du jour au len- demain, les patrons du luxe hexagonal se retrouvent à organiser la fermeture de leurs usines, de leurs boutiques, à gérer leurs employés et fournisseurs désœuvrés, à tailler dans les budgets, à reporter les défilés sine die. Dans l’Oise, foyer majeur de la propa- gation du virus en France, les écoles ont fermé dès le lundi 9 mars, mais le travail continue. À Beauvais, les salariés de l’usine de par- fums de Givenchy (LVMH), inquiets pour leur santé et leur emploi, envisagent rapidement de créer du gel hydroalcoolique : ils ont de l’eau, de l’alcool et de la glycérine. Les dirigeants de Givenchy, Dior et Guerlain se réunissent avec les équipes de LVMH Recherche pour mettre au point une formule. Jusque-là, le gel ne pouvait être produit que par l’industrie pharma- ceutique. Mais tout s’accélère. Marc-Antoine Jamet, secrétaire géné- ral de LVMH, est proche du directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch : sans être de la même promotion, les deux hommes ont fait l’ENA à la fin des années 1980, ils se connaissent bien. Hirsch lui apprend que, dans les soixante-douze heures, l’AP-HP n’aura plus de gel hydroalcoolique. Vendredi 13 mars, le ministère de la transition écologique autorise les entreprises de parfums et cosmétiques à produire le précieux liquide. Samedi 14, Bernard Arnault donne son accord pour lancer la production en interne. Dimanche 15, l’AP-HP valide la formule soumise par LVMH. Le lundi 16, dès 5 heures du matin, les usines de parfums de Givenchy à Beauvais, de Dior à Saint-Jean-de-Braye et de Guerlain à Chartres s’activent avec quelques centaines de volontaires par site. Elles fonctionnent alors avec les moyens du bord, en détournant les bouteilles de savon liquide Dior, des tubes de sérums Givenchy ou de crèmes Guerlain. Malgré l’improvisation, la première semaine se déroule mieux que prévu : l’AP-HP avait annoncé un besoin de 12 tonnes hebdomadaires, 20 tonnes sont livrées gracieusement. Le retentis- sement est mondial : Anna Wintour envoie un message personnel aux usines pour les féliciter… Cette histoire de gel hydroalcoolique, c’est un peu l’acte I d’une participation inédite, car concrète, des géants du luxe au bien commun. Pour une fois, leurs grands patrons ne se limitent pas à signer un chèque pour endiguer une catas- trophe. Ils mettent la main à la pâte. Mais il faut aller vite et, tant qu’à faire, dégainer le premier. Car, même transposée sur le terrain sanitaire, la rivalité qui meut ces entreprises concurrentes a la peau dure. Or, mi-mars, la fabrication de gel permet d’être plus agile que celle, très complexe, des masques. « Oui, on peut y voir un concours d’ego. Mais, honnête- ment, pour une fois que cela sert quelque chose de plus grand que nous », réagit Cédric Charbit, directeur général de Balenciaga, qui, tout comme Saint Laurent chez Kering, lance très rapidement sur la base du volontariat ses salariés sur le prototypage et la confection de masques, tout en formant des gens capables de veil- ler sur site au respect des gestes barrière. Grand, noble, respon- sable, certes, mais aussi aux antipodes de ce qui sort d’habitude des ateliers de confection. On parle ici non pas d’un plissé soleil en soie aubergine rebrodée de sequins pour l’été… mais de dispo- sitifs médicaux qui exigent alors une homologation de la Direction générale de l’armement. D’ailleurs, LVMH, qui souhaite fournir des masques aux hôpitaux français, abandonne d’abord l’idée d’en produire et fait plutôt jouer son réseau en Chine. Mettre la main sur des lots n’est pas une mince affaire : aux portes des usines, plusieurs États et entreprises font monter les enchères. Le 20 mars, le leader du luxe parvient à décro- cher une offre pour l’État français de 40 millions de masques livrables en un mois, à condition de régler un acompte dans l’heure. Le groupe débloque aussitôt 5 millions d’euros et assure le transport. Le 29 mars, un avion d’Air France chargé de plusieurs millions de masques se pose à Roissy, accueilli par des gendarmes armés jusqu’aux dents… Parallèlement, Kering achemine 3 millions de masques chirurgicaux qu’il s’est aussi procurés en Chine. Pendant que les poids lourds s’agitent d’un bout à l’autre du monde, Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établisse- ment de l’AP-HP et chef du service néphrologie pédiatrique de Necker, qui s’est fait connaître du grand public en dénonçant verte- ment la tenue du premier tour des élections municipales, discute avec son ex-femme, Anne Vincent-Salomon. Cette médecin patholo- giste à l’Institut Curie a une amie dans le monde de la mode et tous deux imaginent que le secteur pourrait fabriquer des masques. Contactés, Louis
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