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rhs_0151-4105_1974_num_27_4_1105

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Revue d'histoire des sciences
A propos d'un livre sur Pierre Fermat
Jean Itard
Abstract
SUMMARY. — A propos of a recent work on Fermat by M. S. Mahoney, the author, after giving several details about the works
of 16th and 17th century mathematicians (Clavius and Albert Girard in particular), stresses Fermaťs « adégalité » and the
different meanings Fermat gives to that term. He then shows the fundamental use made by Fermat in the calculus of
infinitesimals of the concept of « affinité », long before Euler introduced that word into mathematics. Finally, he clears up several
questions relating especially, to « Cavalieri's principle. »
Résumé
RÉSUMÉ. — A propos d'un ouvrage récent de M. S. Mahoney sur Fermat, l'auteur, après avoir donné quelques précisions sur
les œuvres de mathématiciens des XVIe et XVIIe siècles (en particulier Clavius et Albert Girard), insiste sur « l'adégalité » de
Fermat et les diverses significations que celui-ci lui donne. Il montre ensuite l'usage fondamental qu'il fait en calcul infinitésimal
de l'affinité, bien avant qu'Euler n'ait introduit ce vocable en géométrie. Il soulève enfin quelques questions relatives, en
particulier, au « principe de Cavalieri ».
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Itard Jean. A propos d'un livre sur Pierre Fermat. In: Revue d'histoire des sciences, tome 27, n°4, 1974. pp. 335-346;
doi : https://doi.org/10.3406/rhs.1974.1105
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https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1974_num_27_4_1105
REV. HIST. SCI. 
1974-XXVH/4 
A propos d'un livre sur Pierre Fermat 
RÉSUMÉ. — A propos d'un ouvrage récent de M. S. Mahoney sur Fermat, l'auteur, après avoir donné quelques précisions sur les œuvres de mathématiciens des xvie et xvne siècles (en particulier Clavius et Albert Girard), insiste sur « Padégalité » de Fermat et les diverses significations que celui-ci lui donne. Il montre ensuite l'usage fondamental qu'il fait en calcul infinitésimal de l'affinité, bien avant qu'Euler n'ait introduit ce vocable en géométrie. Il soulève enfin quelques questions relatives, en particulier, au « principe de Cavalieri ». 
SUMMARY. — A propos of a recent work on Fermat by M. S. Mahoney, the 
author, after giving several details about the works of 16th and 17th century 
mathematicians (Clavius and Albert Girard in particular), stresses Fermaťs « adégalité » 
and the different meanings Fermat gives to that term. He then shows the fundamental 
use made by Fermat in the calculus of infinitesimals of the concept of « affinité », long 
before Euler introduced that word into mathematics. Finally, he clears up several 
questions relating especially, to « CavalierVs principle. » 
M. Michael Sean Mahoney, professeur associé de l'Université de 
Princeton, a fait paraître en 1973, un ouvrage sur Pierre Fermat (1). 
Ce travail appelle un certain nombre de remarques. Il sera 
d'ailleurs le prétexte à quelques considérations générales que je 
me permettrai de faire sur l'histoire des mathématiques dans la 
première moitié du xvne siècle. 
Disons tout de suite, pour ne pas avoir à y revenir que, si la 
partie purement mathématique de l'ouvrage mérite quelque 
attention, tout ce qui concerne les études du milieu scientifique et social 
est très sujet à caution. Trop souvent l'auteur se contente d'à-peu- 
près quand il ne commet pas d'erreurs manifestes. Ce qu'il écrit 
sur les carrières d'hommes comme Viète, Beaugrand ou Carcavi 
confine souvent à la caricature. Dans ces conditions il devient 
impossible d'étudier les influences des précurseurs ou des 
contemporains sur l'œuvre de Pierre Fermat et une grande partie du travail 
de M. Mahoney se trouve perdue. 
(1) The Mathematical Career of Pierre de Fermat (1601-1665), Princeton, New 
Jersey, Princeton University Press, 1973, 13x23,5 cm, xiv + 413 p., $ 20. 
336 REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES 
Aussi nous contenterons-nous de remarques concernant les 
seules pages non ou peu contestables de son ouvrage. La 
classification des écoles mathématiques du xvie siècle (p. 2 et suiv.), 
entre la tradition classique d'une part, et les cossistes « allemands 
ou italiens » de l'autre, me paraît trop tranchée et assez 
artificielle. 
Elle exclut d'ailleurs de la tradition cossiste les mathématiciens 
français, cependant les plus aptes a priori à exercer une influence 
sur Viète, Descartes et Fermat. Citons sans insister Jean Borrel, 
dit Buteon, Guillaume Gosselin et Jacques Peletier. S'ils sont des 
algébristes, ils sont tous, à des titres divers, des humanistes, et 
parmi eux Gosselin est assez versé dans la tradition diophantienne. 
Quant à Jacques Peletier, ami du maire de Bordeaux, Montaigne, 
ses disputes avec le P. Clavius sur l'angle de contingence sont restées 
célèbres. 
Aucun de ces Français n'est cité par l'auteur qui rappelle par 
cinq fois VAlgebra du susdit Clavius. Signalons donc que Г Algebra 
est l'œuvre tardive (1608) d'un professeur ne visant à aucune 
originalité et que son influence est somme toute assez faible. Cet 
ouvrage de 384 pages expose l'état de l'algèbre, non à la fin du 
xvie siècle, mais plutôt en son milieu. Seul un passage situé à la 
page 49 fait quelque allusion aux travaux d'actualité. Clavius y 
déclare que pour les équations du troisième degré (langage actuel) 
on ne connaît pas de méthode certaine de résolution, bien que Cardan 
et Tartaglia aient résolu quelques cas particuliers. Bombelli a cru 
résoudre plusieurs équations de ce type, mais ses raisons sont 
obscures. Viète a déclaré avoir une règle générale de résolution. 
Quant à lui, Clavius, il s'en tiendra aux équations du second degré 
et à celles qui s'y ramènent (2). 
(2) « Quando... exponentes non servant Arithmeticam proportionalitatem... ut in 
aequatio foret inter 1 Ш", & 4z + 16, ubi exponentes sunt 3, 2, 0, vel inter 1 #", & 10 Ж 
+ 24, ubi exponentes sunt 3.1.0 nondum est inventa ars, qua hujusmodi radices certô 
eruantur ; quamvis Cardanus & Nicolaus Tartalea in quibusdam exemplis singularibus 
invenerint aestimationem unius radicis. Raphael autem Bombellus ex quibusdam 
etiam aequationibus ejusmodi, & alijs nonnullis putat se invenisse, quo pacto eruendae 
sint radices. Franciscus quoque Vieta dicitur demonstrasse regulam generálem pro 
ejusmodi radicibus extrahendis : quam quia videre hactenus non licuit, & rationes 
Bombelli obscurae valde sunt, atque aequationis ejusmodi, in quibus nimirum plures 
numeri cossici quam duo aequantur uni numero cossico (qualis est V. g. aequatio inter 
lf + 3z + 7 Ж, & 34) numero fere inflnitae existunt, pariunturque, ipso teste non 
paucas exceptiones, contenti erimus in hac nostra Algebra ijs, quae facilem, certam, 
J. ITARD. — • A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 337 
Son Algebra est donc délibérément un traité élémentaire, sans 
aucune ambition scientifique, et qui n'apporte aucun éclairage sur 
la science qui se fait. Il se refuse absolument à sortir des sentiers 
battus. Il ne saurait donc servir de modèle ni au jeune Descartes, 
ni au jeune Fermat, ni à aucun autre. On peut d'ailleurs comparer 
le travail de Clavius au « Sommaire de l'Algèbre » que, depuis 1615, 
Denis Henrion a souvent annexé à ses éditions d'Euclide. Ces 
éditions sont simplement des traductions françaises des Eléments 
obtenues à partir du latin de Clavius. Sans suivre ici le Père Jésuite, 
Henrion présente dans ce sommaire, un état de l'Algèbre figé et 
obsolète. 
h' Algebra de Clavius est cependant une excellente introduction 
à l'analyse diophantienne élémentaire et a pu, à ce titre, rendre de 
bons services dans la formation première de jeunes mathématiciens. 
On ne saurait en dire plus. 
Dans sa recherche des origines de la pensée mathématique de 
Fermat, recherche à certains égards bien difficile, M. Mahoneysemble avoir fabriqué de toutes pièces un rôle de mentor dont il 
investit Jean de Beaugrand. Il eut été préférable de regarder de 
plus près certains disciples de Viète dont l'œuvre est suffisamment 
connue pour être plus sérieusement analysée. Arrêtons-nous 
simplement à Albert Girard (1595 ?-1632). Ce mathématicien lorrain qui 
a travaillé aux Pays-Bas est d'ailleurs ignoré de Fermat. On ne 
peut donc parler d'influence directe des deux auteurs l'un sur l'autre, 
mais la comparaison de leurs travaux révèle l'existence d'un milieu 
commun, d'un climat, qui imprègne leurs travaux. Peu prolixe, 
Girard ne nous a laissé que quelques écrits, rédigés dans un style 
des plus concis. Mais dans sa Trigonométrie de 1626 il parle des 
« Porismes d'Euclide, qui sont perdus, lesquels j'espère de mettre 
bien tost en lumière, les ayant restitués il y a quelques années 
en ça ». Il promet aussi, toujours en 1626, de faire voir des études 
inspirées par Pappus : « Lieux plans et solides, inclinaisons, 
déterminaisons et autres traitez de l'Analytique selon mon petit 
pouvoir. » C'est une partie importante du programme que s'était fixé 
Fermat. 
En 1629, dans YInvention nouvelle en Valgebre Girard donne 
atque exploratam habent scientiam id est, explicabimus tantummodo extractiones 
radicum ex numeris cossicis prions generis quando nimirum unus numerus cossicus 
duobus aequatur, exponentesque servant proportionalibus arithmeticam... » 
T. XXVII. — 1974 22 
338 revue d'histoire des sciences 
effectivement des exemples des « déterminaisons » qu'il promettait 
trois ans plus tôt. Il sait en effet former notre discriminant des 
équations x3 = px + q, x3 = px2 + q, x* = px3 + q (notations 
modernes) (3). 
Ainsi les préoccupations de Girard sont très proches de celles 
de Fermat en géométrie ancienne, en algèbre, en analyse diophan- 
tienne et même en théorie des nombres. 
Le champ des préoccupations du Toulousain est cependant un 
peu plus étroit que celui de Girard puisqu'il n'englobe pas la 
trigonométrie et les calculs approchés : un légiste est moins soucieux de 
ces choses qu'un ingénieur militaire. Mais on voit bien la parenté 
des deux formations dans le sillage de Viète. 
Stevin avait traduit en français, du latin de Xylander, les quatre 
premiers livres des Arithmétiques de Diophante. En 1625 Girard leur 
ajoute les livres V et VI, traduits cette fois de Bachet de Méziriac. 
C'est ainsi qu'il fait apparaître une expression dont Fermat, 
qui l'a prise lui aussi à Bachet, étendra singulièrement le sens. 
« Nous traduisons, écrit Girard, adegalité ce que Diophante appelle 
7саркгот7)та, ensuivant les interprètes, ce n'est pas à dire égalité, mais un 
extreme approchement de quelque chose. » 
Rectifions au passage une erreur sans aucune gravité commise 
par M. S. Mahoney et qu'il emprunte au Diophantus of Alexandria 
de Sir Thomas L. Heath (1" éd., 1885 ; 2e éd., 1910). 
(3) Invention nouvelle, folio Dz recto : 
« quand 1 3 esgale à 1 — 0 
determinaison : il faut icy que le cube du 1/3 du nombre des 1 ne soit moindre au quarré 
de la moitié du 0, autrement l'équation est absurde et inepte. » 
folio D recto : « limiter et déterminer les équations ». 
folio D2 recto : « Reigle pour résoudre l'équation des 1 3 esgale à 1 + 0 lorsque le 
cube du tiers du nombre de 1 est majeur au quarré de la moitié des 0 par l'aide des 
tables de Sinus ». 
folio D3 verso : « déterminaison manifeste ». 
folio F3 recto : « II y a de la déterminaison aux équations... » 
« Soit 1 2 esgale à 6 1 — 10 (impossible d'estre esgal) 
« Soit 1 3 esgale à 12 1 — 18 (impossible d'estre esgal) 
« Soit 1 3 esgale à 12 2 — 257 (ce qui n'est possible d'estre esgal. » 
F3 verso : « Soit 1 4 esgale à 12 3 — 2189 (aussi inepte). » 
(Nous indiquons par un caractère gras des nombres, nos exposants, que Girard 
entoure d'un cercle.) 
J. ITARD. — • A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 339 
Les expressions 7rapicrÓTy]<;, 7тарк70гг)тос аусо-рг) sont indiquées par 
Heath comme se trouvant dans V9, dans Vu et dans V14, éditions 
modernes, c'est-à-dire, dans l'édition de Bachet, dans V12, V14 
et V17. 
En fait dans V12 les expressions citées n'apparaissent nullement, 
ni leurs traductions latines. On trouve simplement, p. 300 « proximè 
accédât ». La méthode appelée dans les questions 14 et 17, adégalité 
figure ainsi dans la question 12, mais non l'expression elle-même. 
M. S. Mahoney a donc tort d'écrire p. 316, mais la faute est bien 
vénielle, 
« It is (in the modern edition) Proposition V, 9, the problem from which 
Fermat borrowed the term « adequality ». 
En s'efforçant d'expliciter et de différencier les divers sens de 
l'expression chez Fermat il me semble que notre auteur a manqué 
une remarque qui, au point de vue mathématique, est très 
importante. Lorsque l'on compare deux grandeurs de même espèce on 
peut le faire soit en étudiant leur différence, soit leur rapport. On 
pourra les considérer comme voisines si l'on trouve leur différence 
voisine de zéro, ou leur rapport voisin de 1 . Si les grandeurs sont assez 
éloignées de zéro les deux méthodes sont équivalentes. Il n'en est 
pas de même si elles sont voisines de zéro. Or, dans sa pièce De 
aequationum localium transmutatione et emendatione (Œuvres, I, 
p. 255 sq.), Fermat écrit (p. 257) : 
« Juxta methodum Archimedeam, parallelogrammum rectilineum sub 
GE in GH, quadrilineo mixto GHIE adaequetur ut loquitur Diophantus, 
aut fere aequetur. » 
En la circonstance, GE est un segment rectiligne d'une asymptote 
à une hyperbole générale de Fermat (xm yn = am + n), lequel segment 
devra tendre vers zéro dans la suite du raisonnement. GH et El, 
qui lui sont perpendiculaires sont des ordonnées de l'hyperbole. 
H et I sont évidemment sur la courbe. Le parallélogramme GE 
X GH et le quadrilatère mixtiligne GHIE, dont le côté courbe HI 
appartient à l'hyperbole sont déclarés par Fermat « adégaux ». 
Cela ne peut signifier que leur différence soit proche de zéro 
puisqu'il en est de même de ces deux surfaces et que leur adégalité 
serait alors une banalité inutilisable. On ne peut donner qu'une 
seule signification à cette adégalité : leur rapport est très proche de 
1. Dans ce passage tardif (aux environs de 1660), Fermat donne 
340 revue d'histoire des sciences 
ainsi au concept le sens d'infiniment petits équivalents, pour 
utiliser un langage leibnizien. 
Mais, dans le même texte (précisément à la p. 258), le même 
mot « adégal » reprend un sens plus habituel (si l'on peut dire). 
Il signifie alors une égalité à la limite de deux surfaces de valeurs 
finies non nulles. 
On voit combien un vocabulaire encore incertain rend difficile 
la lecture de ces premiers balbutiements du calcul infinitésimal. 
Mais il me semble indubitable que Fermat a tout au moins pressenti 
le fait que la différentielle de l'aire comprise entre une courbe, 
l'axe des abscisses et une ordonnée est y dx. 
Le mathématicien toulousain a pu ainsi trouver, 
paradoxalement chez Diophante, un mot pour exprimer — maladroitement — 
un concept du calcul infinitésimal. 
Il a été moins heureux pour un autre concept, aussi fondamental, 
qu'il a profondément senti et fort bien utilisé, mais qu'il a été 
incapable de désigner d'un mot. C'est celui pour lequel Euler 
forgera l'expression d'affinité. Pour deux courbes semblables, les 
axes étant semblablement placés, l'on passe de l'une à l'autre en 
multipliant tant les abscisses que les ordonnées par un même 
coefficient. Pour passer au contraire d'une courbe à une courbe 
qui lui soit « affine » on multiplie les abscisses par un coefficient et 
les ordonnées par un autre. Ainsi s'exprime à peu près Euler dans 
son Introdudio in analysin infinitorum, livre second, chapitre XVIII ; 
De similitudine & Affinitate Linearum curvarum (1748). 
Notre langage a encore changé depuis Euler, et nous parlons 
plutôt de propriétés linéaires, que de propriétés affines, mais 
depuis 1748 nous disposons d'une expression pour préciser notre 
pensée. Fermat n'avait rien, oupresque rien, pour dire que la 
construction d'une tangente, par exemple, était un problème non 
pas métrique, mais affine et que l'orthogonalité des axes de 
coordonnées n'avait aucune importance en la matière. C'est pourtant 
ce qui le placera au-dessus de Descartes dans ce problème des 
tangentes. C'est aussi ce que soulignera Beaugrand dans un pamphlet 
contre ce dernier. M. S. Mahoney ne souffle mot de tout cela. C'est 
regrettable. 
J'ai dit qu'en l'occurrence Fermat ne disposait d'aucun 
vocabulaire, ou presque, pour exprimer sa pensée, pourtant très ferme. 
Ses écrits sont toujours très concis, ce qui rend difficile certaines 
affirmations. Toutefois il est possible que lorsqu'il emploie le mot 
J. ITARD. A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 341 
diamètre au lieu du mot axe, il veuille faire allusion à un système 
d'axes obliques pour parler une langue plus moderne que la sienne. 
La distinction remonte aux coniques d'Apollonius. 
C'est Jean de Beaugrand dans son pamphlet anonyme « De la 
manière de Trouver les tangentes des lignes courbes par l'algèbre 
et des imperfections de celle du S. des G. » (Œuvres de Fermat, 
supplément, Paris, 1922, p. 102-113, plus particulièrement p. 108), 
qui a mis en évidence cette supériorité de la méthode de Fermat sur 
celle de Descartes. Suivant son habitude, Beaugrand se garde de 
citer le premier en la matière. Son écrit est certainement postérieur 
à septembre 1638. Il est évidemment antérieur à son décès, survenu 
fin 1640. 
Aux alentours de 1660 Fermat, dans ses propositions à Lalou- 
vère (Œuvres de Fermat, I, p. 190-210) fait usage d'affinités pour 
transformer par exemple une cycloïde en d'autres courbes. Il sait 
que ces affinités transforment les tangentes à la cycloïde en 
tangentes aux courbes transformées et il trouve les rectifications de 
celles-ci. 
C'est surtout dans des questions de calcul intégral (évaluations 
d'aires ou de volumes, détermination de centres de gravité) que 
Fermat fera un usage fécond de l'affinité. Il sera toutefois en la 
circonstance si concis, si peu enclin à s'expliquer, qu'il deviendra 
presque incompréhensible. 
Dans la pièce « centrum gravitatis parabolici conoidis, ex eadem 
methodo » (Œuvres, I, p. 136-139, trad, franc., Œuvres, III, p. 124- 
126). Il procède comme suit. 
Soit une parabole générale y : y0 = xm : x™. (générale au 
premier sens que donnera Fermat à cette expression. Un peu plus 
tard, mais avant 1644 il généralisera encore : yn : yfi = xm : xfî). 
Cette parabole est tracée dans le quadrant des coordonnées 
positives (langage actuel) mais est complétée par une branche 
symétrique de la précédente par rapport à l'axe des abscisses. En faisant 
tourner la figure autour de cet axe on obtient un paraboloide de 
révolution. On limite la courbe par une ordonnée, ou le 
paraboloide par un plan orthogonal à l'axe. Cela étant, Fermat déclare 
que le barycentre de la figure divise l'axe dans un rapport 
indépendant de l'ordonnée ou du plan de section. Il ajoute que le 
raisonnement d'Archimède pour la parabole ordinaire pourrait en effet 
se généraliser. 
Dans une lettre du 15 juin 1638 (Corr. Mersenne, VII, p. 284- 
342 revue d'histoire des sciences 
286 ou Œuvres de Fermat, supplément p. 84-86) la méthode est 
fondée par son auteur sur quatre moyens qu'il explicite ainsi, pour 
la parabole ordinaire : 
1° Dans les segments découpés par les ordonnées les barycentres 
sont semblablement placés. 
2° Ces mêmes segments ont relativement aux triangles de même 
base et de même hauteur le même rapport, bien que ce rapport 
puisse être inconnu. 
3° Le barycentre d'une figure convexe est intérieur à la figure. 
4° Les distances des barycentres de deux portions de la figure 
au barycentre du tout sont inversement proportionnelles à leurs 
surfaces. 
En fait, dans la pièce citée ci-dessus, Fermat utilise le point 2 
et le point 1 non seulement pour la parabole ordinaire, mais pour 
toutes ses paraboles disons presque générales, et lorsqu'il découvrit 
ses paraboles générales (citées par lui pour la première fois à une 
date assez incertaine que l'on ne peut guère situer qu'entre 1642 
et 1644 (cf. Corr. Mersenne, XI, p. 55-60) il était à même de leur 
appliquer sa méthode. 
Remarquons toutefois que, pour placer les barycentres, Fermat 
utilise une méthode différentielle qui n'est pas généralisable à 
toutes les figures dont il signale l'étude, contrairement à ce qu'il 
écrit à la fin du « Centrum gravitatis parabolici » (Œuvres, I, p. 139). 
Voici, pour que nous soyons clairs, une interprétation de sa méthode. 
Soit une parabole y : y0 = xm : x™. Une affinité permet 
d'appliquer la courbe sur elle-même. Celle de rapports xx : x0 pour l'axe 
des x, et x™ : x% pour l'axe des y fait correspondre au point x, y 
de la courbe le point — - , ^j- . Si x ^ x0 le premier point étant sur 
Xq Xq 
le segment de parabole ayant pour origine le sommet et pour 
extrémité le point (x0, y0), le second point est sur le segment de 
même origine dont l'extrémité est le point (хг, yx). 
En utilisant les propriétés affines des paraboles on en déduit 
que l'aire du segment est proportionnelle à celle du rectangle 
хоУо = #(T + 1» et que son barycentre divise l'axe dans un rapport 
qui ne dépend que de l'exposant m. 
Pour exploiter cette dernière observation, Fermat utilise ses 
techniques de differentiation. 
Prenons x = xQ et x + e = xx . 
Les barycentres des deux segments ont pour abscisses "kx et 
J. ITARD. — A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 343 
X(x + e). Les propositions d'Archimède montrent que le segment 
de la parabole compris entre l'ordonnée x, et l'ordonnée x + e a 
une abscisse « adégale » à ж puisque comprise entre x et x + e. 
Les aires sont proportionnelles à xm + 1 et (x + e)m + 1. L'équilibre 
autour du barycentre général donne : 
\exxm + 1 = [(x + e)m+1 — xm + 1]{l—\)x 
d'où lxm + 1 = (m + 1)(1 — X)xm + l 
ou 
m + 1 
1-Х m 
.Dans le cas du paraboloide de révolution, qu'il considère dans 
la pièce « de centro gravitatis », il y a peu à modifier dans ce schéma. 
Les sections circulaires du paraboloide sont proportionnelles à y2, 
donc à x puisque dans la parabole génératrice y2 : yl = x : ж0. 
On prendra donc m = 1, et le rapport cherché sera 2/1. Mais 
Fermat ajoute (traduction française) : 
« Je n'ai pas le temps d'indiquer, par exemple, comment on cherchera 
les centres de gravité dans notre conoïde de révolution autour de l'ordonnée 
(nostro conoide parabolico circa applicatam axi converso) ; qu'il suffise 
de dire que dans ce conoïde, le centre de gravité divise l'axe en deux 
segments qui sont dans le rapport 11/5. 
Cette phrase est sujette à plusieurs remarques. La première 
allusion de Fermat à son conoïde se trouve dans sa lettre à Etienne 
Pascal et Roberval du 23 août 1636 (Œuvres, II, p. 55) : 
« Soit une parabole AB de sommet A si l'on fait tourner la figure DAB 
autour de la droite DA [axe des x] prise comme axe fixe, on engendrera 
le conoïde parabolique d'Archimède, dont le volume est à celui du cône 
de même base et de même somme dans le rapport de 3 à 2. Mais si l'on fait 
tourner la même figure DAB autour de la droite DB prise comme axe, 
on engendre un conoïde d'un nouveau genre ; on demande de trouver le 
rapport de son volume à celui du cône de même base et de même sommet, 
question qui n'est pas sans difficulté. 
« J'ai démontré que ce rapport est celui de 8 à 5 ; j'ai également trouvé 
le centre de gravité du même conoïde » (traduction de Paul Tannery, 
Œuvres de Fermai, III, p. 286). 
Le 11 octobre 1636 Roberval demande si le barycentre ne divise 
pas l'axe de rotation dans le rapport de 11 à 4 [Œuvres de Fermai, 
t. II, p. 82). Le 4 novembre de la même année Fermat répond que 
le rapport est de 11 à 5. 
Roberval va approfondir cette étude pour arriver à la conclusion, 
344 revue d'histoire des sciences 
qu'il donnera dans une lettre à Mersenne pour Torricelli, rédigée 
vers juillet 1643 (Corr. Mersenne, XII, p. 254) : pour le « fuseau 
parabolique » déduitde la parabole x : x0 = yn : y% le rapport 
cherché est ^ — — =. Le nom de « fuseau parabolique », ignoré de in -\- i 
Fermat, fut forgé par Kepler (Stereometria doliorum, 1615). On le 
retrouve chez Cavalieri (Exercitatio quaria, 1647, prop. XXIV, 
p. 281-282) et chez Torricelli (Lettre à Magiotti du 5 janvier 1641 
(Opere, t. III, p. 43-45). Mais la question n'est pas là. En 1636 
Fermat sait placer le barycentre de ce solide. Or sa recherche ne 
dépend pas de la méthode différentielle exposée ci-dessus. Des 
considérations d'affinité permettent certes d'affirmer que le rapport dans 
lequel il divise l'axe est indépendant de la hauteur de cet axe, 
mais sa détermination précise ne peut pas se déterminer comme 
pour les « conoïdes d'Archimède ». 
On est donc conduit à conclure que pour la détermination des 
volumes et des barycentres Fermat disposait d'une autre méthode, 
moins sophistiquée et faisant intervenir des intégrales définies. Elle 
devait être très analogue à celle dont Descartes a donné les résultats 
dans sa lettre à Mersenne du 13 juillet 1638 (Corr. Mersenne, 
t. VII, p. 342-344). 
Nos déductions paraissent corroborées par une phrase de la 
lettre que Fermat a écrite à Roberval le 22 septembre 1636 (Œuvres, 
II, p. 74). Il vient de donner les résultats de calculs sur les volumes 
des segments de son conoïde, et il ajoute : « Pour la démonstration, 
outre les aides que j'ai tirées de ma méthode, je me suis servi des 
cylindres inscrits et circonscrits. » Les calculs, qui concernent des 
intégrations de polynômes, relèvent d'une part de l'algèbre 
littérale, d'autre part d'intégrations à la manière d'Archimède. C'est 
ce que paraît vouloir dire Fermat dans sa petite phrase. En ce cas 
« ma méthode » se rapporte au calcul littéral, « les cylindres inscrits 
et circonscrits » aux techniques archimédiennes. 
Il semble qu'il faille se représenter les travaux de Fermat sur 
les quadratures, les cubatures et la détermination des barycentres 
comme il suit : il a d'abord utilisé les méthodes archimédiennes, 
fécondées et généralisées par le calcul littéral de Viète. Très 
rapidement, vers 1635-1636, il imagine sa méthode différentielle de 
détermination des barycentres des segments de paraboles et des 
conoïdes. Quant à son procédé logarithmique d'intégration, qu'il 
expose vers 1660 dans son écrit « De aequationum localium trans- 
J. ITARD. A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 345 
mutatione et emendatione » (Œuvres I, p. 255-285) dont nous avons 
parlé ci-dessus, il reste très difficile à dater. Une étude très serrée 
de la question serait nécessaire, et reste à faire. 
Avant de terminer cet article, je voudrais faire deux remarques. 
La première est relative au « principe de Cavalieri ». 
Ce principe célèbre est énoncé par Cavalieri dans sa Geometria 
indivisibilibus continuorum... de 1635 (livr. VII, prop. 1). Pour 
l'exprimer dans un langage plus actuel disons que deux fonctions 
ayant la même dérivée ne diffèrent que d'une constante. Cela est 
dit par Cavalieri bien entendu, d'une façon purement géométrique. 
Dans une lettre à Mersenne du 27 juillet 1638 (Corr. Mersenne, 
VII, p. 410-411, 1. 176 à 190), lettre relative à l'aire de la cycloïde, 
Descartes s'exprime comme suit : 
« Ce qui prouve que l'espace... est égal au demi-cercle..., pour ceux qui 
sçavent que généralement, lorsque deux figures ont mesme baze et mesme 
hauteur, et que toutes les lignes droites, parallèles à leurs bazes, qui 
s'inscrivent en l'une, sont égales à celles qui s'inscrivent en l'autre à 
pareilles distances, elles contiennent autant d'espace l'une que l'autre. 
Mais pource que c'est un Théorème qui ne seroit peut-estre pas avoué de 
tous, je poursuis en cete sorte. » Suit une démonstration par exhaustion. 
Le principe de Cavalieri est ici énoncé avec beaucoup plus de 
clarté que par son inventeur. Autant qu'il me paraisse la Geometria 
de Cavalieri était alors fort peu connue des géomètres français. 
L'était-elle davantage en Hollande d'où Descartes écrivait sa 
lettre ? La première allusion à Cavalieri dans la correspondance 
Descartes-Mersenne est postérieure à la lettre citée. Elle est du 
15 novembre 1638 {Corr. Mersenne, VIII, p. 200) : 
« La proposition de Bonaventure, Geometre Italien, que vous avez 
pris la peine de transcrire en l'une de vos lettres, ne contient rien du tout 
de nouveau. » 
La question que je soulève est donc la suivante : D'autres 
géomètres que Cavalieri ont-ils énoncé le même principe ? Si oui, 
quand et où ? Si non à partir de quand l'ouvrage de Cavalieri 
a-t-il été connu aux Pays-Bas ? Descartes déclare ne l'avoir 
parcouru superficiellement, que bien après 1638. Faut-il lui faire 
confiance ? 
Ma deuxième remarque concerne la découverte de la géométrie 
analytique. Il est de bon ton de déclarer que Fermat est avec 
Descartes, et indépendamment de lui, son codécouvreur. Je ne 
346 REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES 
m'inscris pas en faux contre cette affirmation. Mais je voudrais 
qu'on l'atténue. Certes les deux mathématiciens sont l'un comme 
l'autre très versés, et de bonne heure, dans l'algèbre littérale. Disons 
même qu'ils sont, vers les années trente, à peu près les seuls capables 
de jongler avec les techniques nouvelles. Mais si Ad locos pianos et 
solidos isagoge se date de 1636 ce n'est qu'une esquisse, en rien 
comparable à la Géométrie de Descartes qui va bientôt paraître. 
Le court écrit de Fermat ne sera connu que d'un nombre très 
restreint de correspondants. Il ne fut d'ailleurs imprimé que dans 
les Varia de 1679 et ce n'est qu'à partir de cette date qu'il fut 
connu du grand public. 
La gloire de Fermat est assez grande pour qu'on reconnaisse 
en la circonstance la prééminence de l'œuvre de Descartes. 
Arrêtons ici cette étude où systématiquement nous n'avons pas 
abordé certains aspects de l'œuvre du géomètre de Toulouse, 
singulièrement en théorie des nombres (*). 
Jean Itard. 
(*) Nous venons de faire plusieurs fois allusion à l'œuvre de Viète. Rappelons les 
travaux de M. Jean Grisard, et citons sa conférence du Palais de la Découverte, 
3 octobre 1970 « La vie de François Viète et quelques aspects de son œuvre », et sa thèse 
de troisième cycle, soutenue le 26 janvier 1970, « François Viète ». Un exemplaire en est 
déposé au Centre Alexandre Koyré. 
J. I. 
	Informations
	Informations sur Jean Itard
	Cet article est cité par :
	Eberhard Knobloch. Sur la vie et l'œuvre de Christophore Clavius (1538-1612), Revue d'histoire des sciences, 1988, vol. 41, n° 3, pp. 331-356.
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