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Communications
Gastro-nomie et gastro-anomie
Claude Fischler
Citer ce document / Cite this document :
Fischler Claude. Gastro-nomie et gastro-anomie. In: Communications, 31, 1979. La nourriture. Pour une anthropologie
bioculturelle de l'alimentation. pp. 189-210;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.1979.1477
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1477
Fichier pdf généré le 10/05/2018
https://www.persee.fr
https://www.persee.fr/collection/comm
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1477
https://www.persee.fr/authority/158749
https://doi.org/10.3406/comm.1979.1477
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1477
Claude Fischlei 
Gastronomie et gastro-anomie* 
Sagesse du corps et crise bioculturelle 
de l'alimentation moderne 
Considérons l'appétit actuel de l'Occident industrialisé : quoique 
suralimentés, les pays développés ne sont pas rassasiés. Mais la suralimentation 
contemporaine d'une partie du monde revêt des aspects inédits. Elle n'est 
due en effet ni à des « orgies alimentaires » semblables à celles de l'homme- 
chasseur au retour d'une campagne fructueuse, ni à ces festins dionysiaques 
tels qu'en connaissent, en de grandes occasions, la plupart des sociétés 
agricoles et au cours desquels on absorbe des quantités proprement 
extraordinaires de viande, de graisse, d'alcool. Bien au contraire : dans nos 
sociétés, et seulement dans les nôtres, il semble que ce genre d'excès 
alimentaires festifs soit en voie de disparition ou de régression. Qui, de nos 
jours, fait encore de ces banquets rustiques du xixe siècle, ou même de ces 
repas bourgeois de la même époque, où l'on ingurgitait d'un coup plusieurs 
milliers de calories (Aron, 1973)? Nous n'avons guère l'occasion d'éprouver 
les bornes extrêmes de notre satiété. Mais tous ou presque, dès l'enfance, 
nous picorons quotidiennement friandises ou amuse-gueule divers, nous 
nous livrons au pillage nocturne des réfrigérateurs ; nous nous abandonnons 
plus ou moins frénétiquement, plus ou moins distraitement aux caprices 
d'une oralité qui ne cesse d'être alimentaire que pour devenir alcoolique 
ou tabagique. Dans l'univers urbain s'est développée une « psychopatho- 
logie de l'alimentation quotidienne » (cf. Aimez, supra) souvent caractérisée, 
précisément, par des dérèglements de l'appétit, des poussées boulimiques, 
des grignotages anxieux ou compulsifs, etc. La faim ne nous tenaille plus, 
elle nous titille ; en ce sens, nous ne vivons nullement l'âge de « la grande 
bouffe », mais celui du grand picorage. 
Mais si l'appétit rabelaisien, le désir banqueteur et commensal nous ont 
quittés, nos appétits d'oiseaux bien nourris suffisent à faire peser une 
menace sur notre santé. Des maladies (ou des troubles pathogènes) ont 
surgi, liées directement ou indirectement à un solde excédentaire, même 
minime, de notre balance énergétique (nous absorbons plus de calories 
que nous n'en brûlons); ou à un déséquilibre qualitatif de notre régime 
* Une grande partie du contenu de cet article a été tirée du compte rendu de fin 
d'étude d'une recherche financée par la Délégation générale à la recherche scientifique 
et technique, action concertée « socio-écologie », décision d'aide n° 77 7 0553. 
Le titre a été inspiré par Massimo Piattelli-Palmarini. 
189 
Claude Fischler 
(excès de graisses saturées, de sucres d'absorption rapide) : obésité, 
maladies cardio-vasculaires et athéromatose, etc. Dans les pays occidentaux, 
selon les médecins, jusqu'à 30 % de la population peuvent souffrir d'un 
excès de poids ou de franche obésité. 
On en est donc réduit à l'abstinence alimentaire, c'est-à-dire à la diète : 
il faut en somme réapprendre volontairement à vivre avec la faim, en la 
domptant, en la trompant. On va aujourd'hui jusqu'à consommer 
massivement des drogues coupe-faim, des substituts et des ersatz alimentaires, 
sans calories, destinés à la faire taire sans nourrir : rappel paradoxal et 
dérisoire de ces pratiques des peuples affamés, qui se lestent l'estomac 
pour imposer silence à la souffrance. 
SAGESSE DU CORPS, FOLIE DE LA CULTURE? 
Surgit ainsi la question critique : celle des rapports, dans l'alimentation 
humaine, du bon et du sain, c'est-à-dire du plaisir et des « besoins ». 
Or, les physiologistes nous assurent que, précisément, le plaisir joue 
« un rôle physiologique » (voir par exemple Cabanac, 1971). Toutes sortes 
d'indices semblent montrer par ailleurs que des mécanismes de régulation 
de l'alimentation, d'une haute sophistication et d'une grande précision, 
sont bien présents chez l'homme. Nous savons en effet qu'il existe, selon 
la formule de Cannon (1932), une «sagesse du corps», c'est-à-dire un ensemble 
de « processus physiologiques coordonnés complexes qui maintiennent les 
états stationnaires (steady states) dans l'organisme ». Nous savons qu'il 
existe des mécanismes de faim-satiété, fondés sur des signaux internes ou 
psycho-sensoriels rétroactifs et qui, à travers la quantité et la fréquence de 
notre prise alimentaire, maintiennent la composition de l'organisme et ses 
stocks énergétiques (Le Magnen, 1976; Rozin, 1976). Nous savons encore 
qu'il existe des mécanismes de « faims spécifiques » qui, dans certaines 
situations et /ou chez certains individus, tendent à compenser tel ou tel 
déficit nutritionnel particulier ou à maintenir l'équilibre (par exemple : 
faim spécifique de sel chez les addisoniens; cf. Rozin, 1976). 
Dès les années vingt, Clara Davis, dans une série d'expériences célèbres, 
avait semblé montrer que le jeune enfant « sait » ajuster son alimentation 
à ses besoins. Des enfants à peine sevrés avaient été soumis à un régime de 
« self-service » (cafeteria diet) pendant plusieurs mois. On leur présentait 
un plateau contenant une vingtaine de plats différents, parmi lesquels ils 
pouvaient choisir librement et en quantités illimitées. Les enfants passaient 
par des cycles : ils manifestaient des préférences très marquées, 
n'absorbant parfois pendant plusieurs jours que tel ou tel aliment. Mais ces 
variations étaient toujours équilibrées, compensées par d'autres, à plus long 
terme, si bien que, dans l'ensemble, les choix effectués étaient conformes 
à l'équilibre nutritionnel (Davis, 1928; 1935; 1939) \ 
On se trouve donc devant une situation paradoxale : s'il existe 
effectivement, en matière alimentaire, une « sagesse du corps » perfectionnée, 
1. Notons cependant ce détail important : il ne figurait sur ces plateaux aucune 
substance de saveur sucrée autre que des fruits. 
190 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
comment expliquer alors que, de plus en plus fréquemment, l'homme mange 
plus qu'il ne lui est nécessaire, et autrement que ne l'exigerait sa bonne 
santé? 
Tout se passe comme si, dans la liberté que lui confère l'abondance 
nouvelle, homo sapiens poursuivait le plaisir sans plus se soucier des contraintes 
physiologiques, « oubliait » en somme le principe de réalité biologique en 
court-circuitant les signaux de satiété; tout se passe comme si, dans nos 
sociétés, la prolifération des « signaux externes » (Nisbett et Schaechter) 
qui sollicitent sans cesse notre appétit était devenue telle que les signaux 
internes de satiété et de repletion ne puissent plus se faire entendre. 
P. Aimez, dans ce même volume (supra), rappelle que les données 
disponibles semblent indiquer que la sensation de faim serait en quelque sorte 
« première », que la satiété résulterait donc d'une inhibition de cette « 
pulsion ». Si cela est vrai, ce qu'il faut expliquer, dès lors, c'est moins l'appel 
lancinant et hors de saison de la faim que le silence ou la faiblesse des 
signaux inhibiteurs. 
Le type d'explication qui surgit spontanément, le plus souvent, est bien 
illustré par cette formule du physiologiste L. Beidler (1975) : « Les patterns 
culturels ont submergé la capacité qu'avait l'homme d'équilibrer son 
alimentation de la manière la plus bénéfique pour sa santé et sa longévité. » 
En d'autres termes : la culture dérèglevol. 6, New York, Academic Press. 
Sahlins (M.), 1972, Stone Age Economics, Chicago, Aldine. 
Sdrobici (D.), 1972, « Le comportement alimentaire contemporain en tant que 
facteur de sélection naturelle », Cahiers de nutrition et de diététique, VII, 1. 
Siccardi (A. G.) et Ananthakrishnan (R.), 1972, « Human variability and its 
possible adaptive significance », ronéotypé, centre Royaumont pour une science 
de l'Homme, International Biological Program, Paris. 
Tannahill (R.), 1974, Food in History, New York, Stein and Day. 
Tiger (L.) et Fox (R.), 1971, The Imperial Animal, New York, Dell. 
Tiger (L.), 1978, « Live people in the machine age », The New York Times, 
dimanche 14 mai. 
Van Lawick-Goodall (J.), 1971, Les chimpanzés et Moi. Paris, Presses de la Cité, 
« J'ai lu ». 
	Informations
	Informations sur Claude Fischler
	Cet article cite :
	André Béjin. Crises des valeurs, crises des mesures, Communications, 1976, vol. 25, n° 1, pp. 39-72.
	Pagination
	189
	190
	191
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	206
	207
	208
	209
	210
	Plan
	Sagesse du corps, folie de la culture? 
	Homo sapiens dans l'âge industriel. 
	L'omnivore chasseur. 
	La révolution /régression néolithique. 
	La modernité alimentaire. 
	Le festin empoisonné. 
	La crise des rythmes alimentaires : l'empire du snack. 
	Commensalisme et alimentation vagabonde. 
	Gastro-nomie et gastro-anomie. 
	Vers de nouvelles gastronomies?ou pervertit la nature; la « sagesse 
du corps » est trompée par la « folie de la culture ». Dans ce type d'explication 
qu'on pourrait dire néorousseauiste, le « dérèglement » alimentaire résulte 
d'une sorte de processus de lente sédimentation, la « culture » recouvrant 
lentement la « nature », ensevelissant peu à peu les derniers résidus 
archaïques. 
Or, ce que l'analyse semble montrer (infra), c'est que, si des 
changements socioculturels récents ont à l'évidence leur part dans le phénomène, 
ce n'est pas l'évolution culturelle en soi qui contribue à perturber les 
mécanismes régulateurs, mais bien plutôt la crise de la culture que traversent 
les pays développés, [et notamment la désagrégation ou la 
déstructuration des systèmes normatifs et des contrôles sociaux qui régissaient 
traditionnellement les pratiques et les représentations alimentaires (au sens 
étymologique : les gastro-nomies). Une crise multidimensionnelle du système 
alimentaire se dessine, avec ses aspects biologiques, écologiques, 
psychologiques, sociologiques, et cette crise s'inscrit dans une crise de civilisation. 
En second lieu, on le verra également, cette crise de l'alimentation 
moderne, loin de reposer sur un « oubli », une fossilisation du biologique 
sous les sédimentations culturelles, passe souvent, au contraire, par un 
retour soudain, une échappée « sauvage » de certains mécanismes 
fondamentaux, activés ou réactivés par les développements les plus récents de la 
modernité. 
Ici surgissent deux vastes questions encore sans réponse précise. En 
premier lieu, celle des rapports entre évolution biologique et évolution 
culturelle. Dans les systèmes alimentaires, la culture injecte-t-elle du 
« bruit » ou de l'information, du désordre ou de l'ordre, et à quelles 
conditions? Les données dont on dispose sont contradictoires, et les positions 
sont tranchées. 
Divers travaux d'anthropologie moderne nous fournissent des exemples 
de plus en plus nombreux d'une hypothétique « sagesse des cultures » 
191 
Claude Fischler 
qui pourraient reposer sur des processus évolutifs de type sélectif : certaines 
pratiques alimentaires ou culinaires correspondraient selon toute 
apparence à une « fonctionnalité » inconsciente, d'ordre physiologique ou 
écologique (cf. Katz, supra, Katz et al. ,1974). 
L'anthropologie écologique, de son côté, peut sans doute éclairer certains 
aspects des pratiques alimentaires en les analysant en termes d'ajustement 
aux contraintes de l'écosystème, de stratégies (conscientes) ou de processus 
(inconscients) d'adaptation. D'autres courants, en particulier le si 
controversé « matérialisme culturel » (cf. notamment : Harris, 1977; Ross, 1978) 
voient dans la culture une sorte de superstructure, l'infrastructure étant 
constituée par la « maximisation » du rapport coût/bénéfice économique et 
écologique qu'impliquent les pratiques et les représentations culturelles. 
Ainsi par exemple — en schématisant sinon en caricaturant l'analyse de 
Harris — le caractère sacré de la vache en Inde permettrait en fait aux 
masses de paysans pauvres d'élever les bœufs dont elles ont besoin pour le 
travail des champs : si en effet la consommation de viande était autorisée, 
la tentation serait trop grande de détruire les réserves de bétail. 
Pourtant, dans la plupart des cas, il semble que l'on n'arrive à trouver 
dans les systèmes de normes ou de représentations qu'une cohérence 
interne, sui generis, des structures dont on voit mal comment les relier 
au biologique, sinon par l'intermédiaire de l'organisation du système 
nerveux central et de ses implications cognitives. Comme le rappelle ici même 
Mary Douglas (supra), si nous considérons que le renard n'est pas 
comestible, ce n'est pas parce qu'il présente un danger physiologique, mais 
beaucoup plus probablement en raison de la place que nous lui donnons dans 
l'ordre global que notre culture assigne à l'univers, dans la taxonomie des 
espèces que nous établissons pour déterminer le pur et l'impur, le 
comestible et l'incomestible. Or, les structuralistes ont beau jeu de faire valoir 
que cette taxonomie n'a apparemment guère de rapports avec celle que, 
pour son compte, la science établit. Et de fait, les cas de pratiques et de 
représentations alimentaires dont l'effet est nutritionnellement néfaste 
ou même catastrophique sont innombrables, comme le rappelle de Garine 
(supra) en illustrant ce qu'il nomme « l'arbitraire culturel ». 
Il reste qu'on voit mal comment cet arbitraire culturel pourrait 
totalement échapper aux contraintes biologiques : il paraît raisonnable de penser 
qu'un groupe humain ne pourrait survivre à long terme ni se reproduire 
semblable à lui-même si les catégories, les normes et les représentations 
alimentaires qu'il imposait à ses membres outrepassaient radicalement les 
capacités d'ajustement humaines et les contraintes de l'écosystème. 
Certes, l'ajustabilité biologique de l'homme semble souvent se révéler* 
plus grande qu'on ne le pense habituellement, et la malléabilité culturelle 
bien moindre. Ainsi, le fait que l'homme subsiste dans des conditions 
écologiques extrêmes n'est pas toujours explicable exclusivement par des 
phénomènes d'ajustement culturel, par exemple des innovations 
technologiques. On connaît maintenant des exemples dans lesquels il faut admettre 
qu'il doit sa survie à ce que Cavalli-Sforza appelle la plasticité génotypique, 
c'est-à-dire « la propension d'un trait génotypique à être affecté par une 
pression environnementale dans son expression phénotypique » (Siccardi 
et Ananthakrishnan, 1972). C'est peut-être ce type de plasticité qui explique 
que certains groupes humains présentent une alimentation déficiente, 
192 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
du moins à s'en tenir aux « standards nutritionnels » définis par les 
nutritionnistes et les organisations internationales, mais se portent pourtant 
fort bien (cf. de Garine, supra). Symétriquement, certains traits culturels 
présentent une permanence étonnante : ainsi, les Yakoutes, après avoir 
été chassés des steppes de la région du lac Baikal, ont continué à grands 
frais à élever des chevaux pourtant devenus inutiles (Forde, cité par 
Barrau, 1974). 
Malgré tout, on peut sans doute assez légitimement s'attendre, dans une 
société humaine présentant des pratiques culturelles dysfonctionnelles, 
biologiquement ou écologiquement néfastes, à trouver à l'œuvre des 
processus correctifs, des ajustements conscients ou inconscients, des 
innovations ou des rééquilibrations. 
Une seconde question suit : en admettant que, dans le système 
alimentaire, il y ait effectivement du « bruit » culturel et que ce bruit soit capable 
de désorganiser la machinerie biologique, les dispositifs homéostatiques 
internes, il reste à se demander par quels processus, par quelles médiations. 
Si en effet, dans l'exemple qui nous occupe, le bilan nutritif est si 
précisément régulé, si la repletion des réserves rétroagit sur le comportement 
alimentaire en freinant ou inhibant l'appétit, comment les représentations 
agissent-elles sur ce système biologique, comment peuvent-elles le dérégler? 
Dans l'état actuel des connaissances, il semble que nous n'ayons guère 
d'indications sur la nature possible de ce missing link (cf. Piattelli-Palma- 
rini, supra). 
HOMO SAPIENS DANS L'AGE INDUSTRIEL. 
En fait, pour comprendre pourquoi et comment les dispositifs 
biologiques sont de plus en plus fréquemment défaillants à empêcher l'homme 
des civilisations « gavées » de manger trop et mal, peut-être faut-il admettre 
simplement que ces dispositifs sont plus efficaces et plus précis pour corriger 
une déficience, faire face à un manque, que pour refréner un excès ; que les 
possibilités de learning, d'apprentissage, sont plus grandes en matière 
d'autostimulation qu'en matière « d'auto-inhibition ». Peut-être l'homme 
est-il biologiquement mieux préparé à affronter activement l'insécurité 
alimentaire que passivement l'abondance uniforme, à faire face à des 
fluctuationsconstantes des ressources qu'à une pléthore sans à-coups. Le passé 
phylogénétique semble en témoigner. 
Pendant plus de 99 % du temps qui s'est écoulé depuis son apparition, 
homo sapiens a vécu de la chasse et de la cueillette (Lee et DeVore, 1968). 
Il n'est donc pas déraisonnable de penser qu'un bon nombre de traits 
phylogénétiques fondamentaux ont pu être sélectionnés au cours de cette 
période de l'évolution humaine, en fonction de certains types 
d'écosystèmes, de certains modes d'interaction avec l'écosystème. C'est sans doute 
le cas, notamment, d'une partie de ce qui, dans la biologie humaine, a 
trait à la fonction alimentaire. Il y aurait donc correspondance, 
ajustement, congruence, entre ces caractères phylogénétiques et un certain 
type d'écosystème : celui dans lequel s'est opérée la sélection des traits 
considérés, et que Bowlby (1969) nomme environment of adaptedness. 
193 
Claude Fischler 
Or, si nous sommes aujourd'hui encore très largement tributaires de ce 
passé phylogénétique, nous vivons désormais dans des écosystèmes qui 
n'ont plus qu'un lointain rapport avec cet environment of adaptedness. Homo 
sapiensy du néolithique à la révolution industrielle, a biologiquement peu 
changé; mais, sur le plan culturel, et surtout sur celui des rapports de 
l'homme avec l'écosystème, c'est à un véritable bouleversement que l'on a 
assisté. On peut donc légitimement se poser la question de savoir si le monde 
qu'a créé l'homme moderne est toujours compatible avec la « nature 
humaine » (Tiger, 1978). Si en effet, de manière soudaine (à l'échelle du 
temps évolutif s'entend), les fondements mêmes de Y adaptedness (« adapti- 
tude »?) entre l'homme biologique et la sphère éco-culturelle sont remis en 
cause, remplacés par un autre type de relation, on peut se demander si 
ce changement ne risque pas d'excéder les capacités d'ajustement de 
l'organisme. En d'autres termes : la plasticité du génome métabolique 
n'est-elle pas de plus en plus sursollicitée? L'environnement changeant très 
rapidement, le degré à* adaptedness change, lui aussi, considérablement. 
Certains traits, sélectionnés sous l'effet de certaines pressions, pourraient 
en quelque sorte « changer de signe » sous d'autres types de contraintes. 
Ainsi, pour certains nutritionnistes, la propension à l'obésité, ce fléau 
des sociétés industrielles-urbaines d'afïluence, pourrait résulter de la 
transformation d'un avantage sélectif en handicap. Une partie des obèses 
peuvent en effet être considérés comme des individus dont le métabolisme 
présente la particularité d'être spécialement économe en énergie, et d'être 
capable de stocker des calories sous forme de graisse de manière plus 
efficace que celui d'autres individus. Inversement, certains « maigres » 
longilignes seraient des « gaspilleurs d'énergie », dans la mesure où ils 
brûlent leurs calories au lieu de les stocker (Payne, comm. pers. ; cf. aussi 
Apfelbaum et Lepoutre, 1978). Les premiers, en situation « sauvage », 
auraient bénéficié d'un avantage considérable : pouvoir disposer de leurs 
réserves de graisse pour faire face plus aisément aux périodes de « vaches 
maigres ». En situation d'abondance permanente, au contraire, l'avantage 
se muerait en handicap : les réserves s'accumuleraient, sans jamais être 
totalement utilisées, conduisant ainsi à l'obésité effective. 
Un second exemple de ce « changement de signe » nous est fourni par 
la consommation du sucre et des substances de saveur sucrée (j'ai traité 
par ailleurs plus complètement de cette question : 1978). 
L'appétit spécifique pour la saveur sucrée semble bien être un trait à 
forte composante innée. Il est en tout cas présent dans de nombreuses 
espèces autres que homo sapiens et on peut imaginer qu'il a pu être 
sélectionné dans un environnement où, les sucres d'absorption rapide étant 
relativement rares, les aliments de saveur sucrée constituaient une source 
avantageuse de calories rapidement mobilisables. La saveur sucrée est un 
« signal de calories inné » (Le Magnen) et le seuil de satiété est plus élevé 
pour les aliments sucrés que pour les autres, probablement parce qu'il 
participe d'un sous-système spécialisé de régulation purement calorique 
(quantitative) (Rozin, 1976). Ceci est sans doute illustré par le fait que, 
dans de nombreuses cultures, on consomme les aliments sucrés à la fin du 
repas : même rassasié, on éprouve en effet encore un appétit pour le sucre 
(Le Magnen, comm. pers.). 
L'attrait du sucre est tel qu'il est lié étroitement à des processus histo- 
194 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
riques majeurs : dès le xvie siècle, date à laquelle s'est constitué le couple 
quasi indissociable canne à sucre/esclavage, à l'extension des territoires 
colonisés correspond une extension des cultures sucrières et de l'esclavage 
(Deer, 1950; Aykroyd, 1967, Tannahill, 1974). 
Dans les sociétés agricoles, où l'alimentation se structure autour d'un 
staple food, un aliment de base en général riche en hydrates de carbone 
(céréales, tubercules, légumineuses), les substances sucrées sont restées 
relativement rares, hautement valorisées, et leur consommation a été 
soumise à des contrôles culturels précis et stricts. 
Or, depuis moins de deux cents ans, et avec une forte accélération dans 
la période la plus récente, le sucre est devenu surabondant. Depuis 1900, 
la consommation mondiale a décuplé. La conjonction de « l'appel » du 
sucre et de surdéterminations économico-socio-culturelles (Fischler, 1978 et 
infra) aboutit à un désajustement, une rupture de la congruence entre, d'une 
part, l'appétence pour le sucre et, de l'autre, les capacités métaboliques, 
de plus en plus sursollicitées 1. Ce phénomène concourt sans doute de 
manière non négligeable à l'ensemble ou à une partie des pathologies dites 
« de civilisation » liées à la nutrition : l'excès de sucre, représentant un 
apport calorique important et d'absorption rapide au regard de la faible 
dépense énergétique du citadin sédentaire, concourt à la prise de poids 
excessive et à l'obésité, elle-même facteur de risque ou d'aggravation dans 
l'étiologie des maladies cardio-vasculaires, du diabète, de l'hypertension. 
Par ailleurs, l'excès de sucre est directement responsable de l'extension 
considérable de la carie dentaire. 
Nous sommes donc en présence d'une sorte de paradoxe critique de 
l'évolution bioculturelle : une a demande » biologique sélectionnée à un 
stade ancien de la phylogenèse a joué un rôle moteur, selon toute 
apparence, dans certains développements économico-socio-historiques qui 
tendaient à la satisfaire. Mais ces développements ont pris une telle ampleur 
que le dispositif biologique menace désormais ce qu'il protégeait. L'appétit 
biologique de sucre et la disponibilité illimitée de ce produit font en quelque 
sorte masse critique : de sorte que tous les contrôles socioculturels qui 
pouvaient concourir à régler la consommation, déjà très affaiblis par la 
civilisation moderne (on reviendra plus loin sur ce point en détail), se 
désintègrent, accélérant ainsi la réaction en chaîne. 
L OMNIVORE CHASSEUR. 
Le sucre joue un rôle important dans le « dérèglement » alimentaire 
contemporain. Mais peut-on extrapoler les phénomènes que nous avons 
tenté d'analyser à l'ensemble de l'alimentation ou à d'autres de ses aspects? 
1. Le psychologue Donald Campbell (1977) donne une interprétation identique du 
phénomène : « Le goût humain inné pour les sucreries a cessé d'être adaptatif pour 
devenir, aujourd'hui, inadapté »; de sorte que, en matière de douceurs, nous sommes 
soumis à c une tentation innée du péché ». 
195 
Claude Fischler 
" Selon Sdrobici (1972), « le drame biologique de l'homme », c'est que le 
message génétique « limite ses capacités métaboliques mais laisse libre 
(son) choix alimentaire ». En suivant la même ligne de raisonnement, 
on doit voir que, avant de devenir « drame biologique », cette 
caractéristique a bien pu longtemps constituer une bénédiction. 
Cette liberté(relative) du choix, c'est en effet celle de l'omnivore que 
le primate ancestral est devenu \ se faisant prédateur et chasseur, 
abandonnant le végétarisme, et ouvrant du même coup la voie à des formes 
d'organisation sociale plus perfectionnées et plus coopératives (Tiger et 
Fox, 1971). 
Cet ancêtre de l'homme a pu dès lors faire face à une gamme de 
situations écologiques quasi illimitée. Le fait d'être omnivore impliquait en 
effet une latitude considérable au prix d'une contrainte minimale. La 
contrainte, c'est celle de la variété : l'homme omnivore ne peut tirer tous 
les nutriments dont il a absolument besoin pour survivre (vitamines, acides 
aminés essentiels, etc.) que d'un éventail de nourritures assez large (Gaulin, 
supra). La latitude, c'est précisément celle du choix, dont l'étendue 
autorise une capacité d'adaptation considérable aux fluctuations des 
ressources alimentaires. 
Lié à ce couple contrainte /latitude, on trouve le « paradoxe de 
l'omnivore » (cf. Rozin, 1976). L'omnivore est constamment tiraillé entre deux 
tendances contradictoires : d'une part il doit innover, expérimenter des 
substances alimentaires nouvelles (néophilie), précisément pour satisfaire 
à ses besoins métaboliques variés et s'ajuster aux changements écologiques. 
Or, cela l'expose d'autre part à des risques (la toxicité éventuelle d'aliments 
inconnus) : il lui faut donc en même temps être capable de surmonter ou 
de contourner ces risques, donc de se méfier des aliments inconnus 
(néophobie), d'apprendre à éviter ou à rejeter les toxiques. De ce tiraillement 
constant entre désir d'innovation et peur de la nouveauté dérive une anxiété 
sans doute consubstantielle à l'état d'omnivore. Nous verrons plus loin 
que, paradoxalement, cette anxiété fondamentale est réactivée paroxysti- 
quement par la modernité alimentaire. 
Chasseur-collecteur, l'homme semble pouvoir généralement assez bien 
satisfaire à la contrainte de variété. D'une part, la cueillette semble lui 
permettre de récolter un éventail d'aliments probablement plus variés 
et plus abondants qu'on ne l'a longtemps cru (Gaulin, supra; Lee et De 
Vore, 1968; Sahlins, 1972) : fruits et baies, mais aussi larves et petits 
animaux, puis légumes, tubercules, éventuellement graminées sauvages, etc. 
D'autre part, la chasse lui apporte plus ou moins irrégulièrement des 
ressources supplémentaires en protéines. Mais la consommation du gros gibier 
pose le problème vital de la corruption des aliments : à moins de disposer 
de techniques de conservation perfectionnées (séchage, fumage, salage, 
etc.), il faut bien se résoudre à choisir entre manger le plus possible sur-le- 
1. En fait, le primate préhominien mange probablement de la viande avant de 
chasser, comme le chimpanzé actuel qui, sans être chasseur, est loin d'être exclusivement 
végétarien : il est par exemple courant de voir deux mâles se disputer une petite proie 
(rongeurs, oiseaux, petits animaux, etc.) (Wrangham, comm. pers.; cf. aussi Van Lawick- 
Goodall, 1971). 
196 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
champ ou laisser pourrir les restes. De là, selon Lorenz (1969), les a orgies » 
carnées au cours desquelles on emmagasine la plus grande quantité possible 
de protéines : il y aurait en somme un avantage sélectif à la gloutonnerie. 
A défaut d'établir des stocks, le mangeur archaïque pourrait constituer des 
réserves internes, au moins symboliques. 
LA RÉVOLUTION /RÉGRESSION NÉOLITHIQUE. 
L'apparition de l'agriculture, il y a une dizaine de milliers d'années, 
augmente sans doute la quantité globale des ressources alimentaires; elle 
accroît également les possibilités de stockage (grain et bétail). Mais elle 
tend probablement aussi, comme le rappelle Gaulin (supra), à rétrécir 
l'éventail qualitatif des aliments consommés et à introduire dans 
l'alimentation humaine une monotonie croissante. D'autre part, le système 
alimentaire reposant sur la production agricole présente une fragilité accrue, au 
moins dans les terroirs pauvres, du fait du processus de spécialisation 
croissante. Cette « lente marche spécialisatrice du progrès agricole, dont 
(...) les débuts se situent au Néolithique dans le saltus du croissant fertile » 
(Barrau, 1974) fait de plus en plus reposer l'alimentation, en effet, sur un 
produit de base (staple), en général riche en hydrates de carbone : céréales 
sous forme de bouillie, de crêpe, de galette, de pain; pomme de terre ou 
tubercules diverses ; vesces, etc. Ce staple, qui est aussi la culture de base, 
est agrémenté plus ou moins fréquemment, plus ou moins abondamment 
selon les circonstances par une viande dominante issue de l'élevage. 
L'opposition staple /aliments de complément ou d'agrément (viande en particulier) 
se retrouve dans la distinction traditionnelle en Chine entre fan (la graine, 
c'est-à-dire le riz, considéré comme « ce qui nourrit ») et ts'ai (légumes et 
viande agrémentant le fan, en somme la part du plaisir) (Chang, 1977). 
Dès lors, toute crise de la production du staple a des conséquences 
catastrophiques : la dénutrition pure et simple de populations entières, la 
famine. Plus fréquemment, ce sont les « compléments » du staple qui 
viennent à manquer : c'est alors la malnutrition qualitative qui se répand, la 
contrainte de variété n'étant pas respectée (déficits vitaminiques, protéiques 
ou d'acides aminés essentiels, avec le cortège des maladies qu'ils 
entraînent). De sorte que les sociétés agricoles, tout en réduisant partiellement la 
fluctuation des ressources ou, tout au moins, l'irrégularité des cycles 
alimentaires, ont introduit le risque de crises aux conséquences 
catastrophiques. 
En ce sens — celui d'un rétrécissement de l'éventail alimentaire, d'une 
relative perte de complexité due à la spécialisation progressive et donc 
d'une fragilité accrue du système agro-alimentaire — on peut peut-être 
effectivement dire que la révolution néolithique représente par certains 
aspects une régression. 
Toutefois, comme on l'a vu, le processus de spécialisation est lent. Et 
dans les sociétés agricoles qui subsistent en Occident jusqu'à une date très 
récente, l'alimentation s'inscrit dans le cadre d1 'écosystèmes domestiques 
diversifiés (Barrau, 1974; Harris, 1969), du moins dans la plupart des cas : 
197 
Claude Fischler 
polyculture, parcelles de petite dimension, diversité des espèces et des 
variétés cultivées, production domestique de l'essentiel ou d'une grande 
partie des denrées consommées ; à l'exception toutefois de certains produits 
qui ont déjà valeur d'échange et dont le système de production et de 
distribution fonctionne à l'échelle interrégionale ou même internationale 
assez tôt : c'est le cas, bien entendu, des épices, mais aussi du sucre (dont 
le statut, jusqu'à la « révolution douce » du xixe siècle, se distingue peu de 
celui de3 épices) et, dans une certaine mesure, du sel. Ce sont donc ces 
denrées, venues de l'extérieur qui, à la lettre, viennent épicer quelque peu 
la monotonie de la nourriture, lui donner un peu de sel. 
Car les pratiques alimentaires ainsi liées à la production locale restent 
étroitement contraintes, se caractérisent par une grande rigidité, une grande 
répétitivité, qui ne sont guère tempérées que par deux autres éléments. 
En premier lieu, dans l'écosystème domestique diversifié, sont disponibles 
de multiples sous-variétés des espèces consommées, ce qui a pour effet 
de varier assez subtilement les saveurs (Barrau, 1978, et comm. pers.). Mais 
surtout, ce qui vient tempérer cette monotonie, c'est le régime de 
l'alternance, le caractère cyclique très marqué de l'alimentation. Les cycles 
tiennent à la fois à des contraintes écologiques et culturelles : saisons de 
production, phases de pénurie et d'abondance, périodes de travaux intenses 
et de repos relatif; célébration des rituels liés aux grands travaux agricoles, 
fêtes et jeûnes religieux, festivités diverses, etc. L'ordinaire est donc 
jalonné de ruptures, restrictives (jeûnes, a maigre ») ou festives, à l'occasiondesquelles on s'enivre littéralement de mets riches et rares, en particulier, 
comme chez les chasseurs de retour d'une fructueuse campagne, la viande 
grasse, mais aussi l'alcool. 
Les contraintes socioculturelles sont puissantes et complexes : les 
grammaires culinaires, les principes d'association et d'exclusion entre tel et tel 
aliment, les prescriptions et les interdictions traditionnelles et /ou 
religieuses, les rites de la table et de la cuisine structurent l'alimentation 
quotidienne. L'usage des aliments, l'ordre, la composition et l'heure des repas 
sont précisément codifiés. Un certain nombre de « marqueurs » gustatifs 
affirment l'identité alimentaire, scellent très vigoureusement 
l'appartenance culinaire au terroir local, en particulier l'usage exclusif d'une graisse 
de cuisson spécifique : les historiens ont montré la grande stabilité et la 
rigidité de ce qu'ils ont nommé les « fonds de cuisine » : huile d'olive dans 
le Midi méditerranéen, saindoux ou beurre dans l'Ouest, etc. (Febvre, 
1938). 
La contrainte de variété et la latitude de choix, le paradoxe anxiogène 
(mais protecteur et sans doute créateur) néophilie /néophobie, tout cela 
nous renvoie à une constante : l'histoire alimentaire du phylum humain 
est marquée, non par la pénurie permanente, mais par la fluctuation 
qualitative et quantitative des ressources, par Y alternance des périodes « grasses » 
et « maigres », mais aussi des espèces consommées, par le caractère cyclique, 
plus ou moins irrégulier, de l'alimentation (saisons et précipitations, 
changements climatiques, hasards et aléas de la chasse et incertitudes de 
l'agriculture, catastrophes naturelles ou guerrières, etc.). C'est cette périodicité 
fluctuante, cette insécurité radicale qui constituent V environment of adapted- 
ness de l'alimentation humaine. 
Or, en quelques décennies, la révolution industrielle, la spécialisation 
193 
Gastro-nomie et gastro-anomîe 
et les rendements croissants de la production agricole, le développement 
hypertrophique des villes, vont créer une modernité alimentaire qui va 
bouleverser ou même renverser le rapport de l'homme avec sa nourriture. 
Jadis régnaient l'insécurité de l'approvisionnement et la stabilité des 
usages. La modernité alimentaire apporte la pléthore, l'afflux continu 
et comme intarissable des nourritures; mais aussi le changement accéléré 
et la crise des usages de la cuisine et de la table. Avec la modernité 
alimentaire surgit la crise moderne du régime. 
LA MODERNITÉ ALIMENTAIRE. 
A l'âge industriel, la modernisation de l'agriculture (qui passe par une 
spécialisation croissante), puis l'industrialisation agro-alimentaire ont 
éliminé, dans les pays riches, le « spectre de la famine ». L'homme occidental 
a de plus en plus, et de plus en plus librement, pu satisfaire ses désirs 
alimentaires : partout, dans le monde développé, la consommation des aliments 
« d'exception » a augmenté considérablement, alors que celle des 
nourritures « de nécessité » (Claudian et Serville) baissait : les consommations de 
viande, de sucre, de corps gras, de laitages, de fruits frais ont été, en 
particulier depuis la Seconde Guerre mondiale, en hausse dans la plupart des 
pays occidentaux, au contraire de celles de céréales (pain), de légumes secs, 
etc. Comme nombre d'auteurs l'ont souvent fait remarquer, ce n'est plus 
le pain que l'on gagne à la sueur de son front, mais le bifteck. 
Le temps et le travail jadis indispensables à la préparation de la 
nourriture se sont considérablement réduits : les nouvelles techniques de 
conservation, l'extension et le perfectionnement de l'industrie agro-alimentaire 
ont réussi à conjurer définitivement le péril immémorial de corruption 
biologique des aliments (conserves, surgélation, pasteurisation, 
lyophilisation, conditionnements nouveaux de toutes sortes) et tendent de plus en 
plus à transférer vers l'usine les tâches qui s'effectuaient autrefois à la 
cuisine. La distribution moderne, utilisant pleinement les transports les 
plus rapides, permet la consommation des nourritures les plus diverses 
sans aucune restriction d'origine, de saison, de climat : on peut manger toute 
l'année ou presque des fraises (d'Israël ou de Californie), des haricots verts 
(d'Afrique du Sud ou du Sénégal) ; l'avocat ou les fruits exotiques figurent 
de plus en plus couramment sur les tables européennes. 
Ainsi, en l'espace de quelques décennies, une partie de l'humanité s'est 
trouvée comblée de tous les bienfaits alimentaires que son ancêtre 
paléolithique aurait pu rêver : et, de fait, c'est un véritable rêve alimentaire 
de chasseur-collecteur que nous réalisons quotidiennement sans même y 
prendre garde : viande à tous les repas, fruits et légumes à volonté et toute 
gannée, graisses et sucreries variées, etc. Nous avons aboli l'alternance 
ilras-maigre : le gras est devenu notre pain quotidien. Dans la société urbaine, 
nous avons même aboli l'alternance elle-même : selon une formule utilisée 
par Edgar Morin dans un autre contexte, nous avons remplacé l'alternance 
par l'alternative et, pour la première fois, nous avons oublié notre sentiment 
d'nsécurité alimentaire. 
199 
Claude Fischler 
Mais dans cette liberté et cette sécurité nouvelles, il y a aussi les germes 
d'une angoisse et d'une insécurité nouvelles. 
Les anciens écosystèmes domestiques diversifiés ont laissé la place à 
d'autres, hyperspécialisés ou « hyperhomogénéisés » (Barrau). On pourrait 
même, à l'extrême, soutenir que les écosystèmes domestiques en tant que 
tels ont pratiquement disparu : les paysages agricoles modernes sont 
constitués de vastes champs mono-variétaux qui sont en quelque sorte 
l'aboutissement ultime du processus de spécialisation entamé au Néolithique. Les 
terroirs s'inscrivent donc désormais dans le cadre de vastes systèmes de 
production agro-alimentaire, d'échelle internationale, et non plus dans 
celui de sous-systèmes locaux ou régionaux. Ceci implique que la situation 
antérieure, sur le plan alimentaire, est en somme inversée : l'essentiel de 
l'alimentation provient maintenant, comme jadis les épices, de l'extérieur, 
dans le cadre d'un système de production et de distribution beaucoup 
plus large. 
Cette situation a pour effet d'élargir (au moins potentiellement) le 
répertoire alimentaire, de relâcher considérablement la répétitivité alimentaire. 
Mais elle provoque également une homogénéisation des aliments : les 
produits qu'on trouve désormais dans les supermarchés sont de plus en 
plus fréquemment les mêmes d'une région à l'autre, sinon d'un continent 
à l'autre. La variété intraspécifique des aliments végétaux se rétrécit : 
l'ethnobotaniste Jacques Barrau rapporte que, en France, là où étaient 
répertoriées au xixe siècle 88 variétés de melons, on n'en trouve plus 
guère que 5; que, en 1853, les frères Audibert, pépiniéristes provençaux, 
offraient à la vente 28 variétés de figues, alors qu'on n'en trouve plus guère 
couramment que 2 ou 3 (Barrau, 1978 et comm. pers.). 
Avec l'évolution de la production et de la distribution agro-alimentaires, 
nous perdons progressivement tout contact avec le cycle productif de 
nos aliments. Une partie de plus en plus grande de la chaîne des opérations 
qui conduisent les produits du sol à notre table nous échappe. Nous 
perdons à vrai dire souvent toute notion même de leur origine réelle, des 
procédés et des techniques utilisés pour leur production, leur expédition, 
leur traitement : la société agro-industrielle et la ville ont fait de nous des 
« consommateurs purs ». On commence dès lors à entrevoir comment et 
pourquoi, alors que, dans la situation traditionnelle, l'aliment venu de 
l'extérieur était recherché et apprécié c'est, de nos jours, de plus en plus 
fréquemment celui qui provient du « terroir » local qui fait l'objet d'une 
valorisation considérable. 
LE FESTIN EMPOISONNE. 
Prise de conscience, crise de confiance : ainsi, découvre-t-on, les 
progrès technologiques et industriels vont de pair avec, soitune baisse (réelle 
ou imaginaire, réelle et imaginaire) des qualités gustatives des aliments, 
soit une standardisation-homogénéisation des produits, soit encore la 
disparition, la raréfaction, le remplacement par des substituts industriels 
des produits artisanaux (fromages, charcuteries, pain, etc.). 
200 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
Le souci d'hygiène et de pureté a longtemps pris des formes 
obsessionnelles, comme le montre notamment la consommation massive, en 
particulier à partir des années soixante, des signes de la pureté : la couleur 
blanche (pain blanc, sucre blanc, veau blanc, décor blanc des magasins 
d'alimentation modernes, des cuisines-laboratoires, blouses blanches du 
personnel dans les supermarchés, etc.) ; l'usage extensif de la cellophane, 
des conditionnements en matière plastique. La généralisation des procédés 
de conservation et d'hygiène, l'obsession bactériologique, en stérilisant 
l'aliment, ont comme stérilisé ses saveurs; les emballages plastiques et la 
cellophane l'ont installé dans un no man's land aseptisé, qui le coupe encore 
davantage à la fois de ses origines et de son consommateur. 
Choc en retour : à l'obsession de pureté biologique, voici que succède 
une obsession de pureté chimique. On découvre en effet avec angoisse que 
le progrès alimentaire, dans le moment même où il élevait des protections 
contre les dangers immémoriaux — la pénurie et la corruption des aliments 
— soulevait obscurément des périls nouveaux. Les nourritures sous 
cellophane, entassées dans les bacs frigorifiques des supermarchés, ou alignées 
sur les rayonnages infinis, sont de plus en plus, à nos yeux, des objets 
inconnus, chargés selon toute probabilité de poisons mystérieux. Des objets 
comme réduits à leur apparence, ou pis : des leurres. Car, découvrons-nous, 
le beau et le bon ne se confondent pas, ne se confondent plus; les fruits 
somptueux que nous croquons sont imprégnés de pesticides, enduits de 
silicones, et de plus insipides. Voici que les aliments les plus familiers, les 
plus quotidiens se révèlent trompeurs : nous découvrons que les biftecks 
hachés ne contiennent pas de viande ou peu s'en faut; que les vins sont 
« coupés », chaptalisés, soufrés; que les fruits sont a traités ». On nous 
apprend l'existence « d'additifs » mystérieux : conservateurs, colorants, 
« agents de texture », de « sapidité », etc. En fait, la technologie alimentaire 
parvient aujourd'hui à manipuler et contrôler à sa guise tous les caractères 
sur lesquels se fondait notre reconnaissance des aliments : forme et 
apparence, texture, couleur, odeur, goût. S'appuyant sur ce pouvoir, elle en use et 
en abuse pour stimuler la consommation. 
L'usage fait du sucre dans l'industrie alimentaire moderne est 
particulièrement éclairant à cet égard. 
Les travaux des psychophysiologistes ont montré, on l'a vu, que l'attrait 
de la saveur sucrée est largement inné : si l'on présente à un nouveau- 
né deux solutions, l'une sucrée, l'autre non, il boira plus volontiers la 
première et il en consommera d'autant plus que la solution sera plus 
concentrée. Bien plus : il acceptera des solutions de saveur amère ou acide 
(à des concentrations même très fortes, inacceptables pour un adulte) 
pourvu que l'on y ajoute du sucre. Ainsi, la saveur sucrée apparaît comme 
une sorte de signal d'acceptabilité, et un signal qui tend à accroître la quantité 
ingérée (Desor, Mailer et Andrews, 1975; Mailer et Desor, 1974; Desor, 
Mailer et Turner, 1973). 
Dans la période récente, l'augmentation massive de la consommation 
de sucre dans les pays occidentaux a porté presque exclusivement sur le 
sucre dit « invisible », c'est-à-dire celui qui est introduit dans les aliments 
préparés par l'industrie. Ainsi, certains produits qui, à en croire nos 
catégories culturelles, relèvent du salé et non du sucré, contiennent pourtant 
des quantités importantes de sucre. Dans la composition du ketchup de 
201 
Claude Fischler 
la marque Heinz, il compte pour 27 %"(Que choisir? décembre 1978). On 
en trouve aussi bien dans les mayonnaises ou les saucissons industriels. Il 
est clair que ce sucre est destiné à faire manger davantage : introduit dans 
des aliments classés « salés », le signal sucré n'est plus guère perçu que 
subliminalement, de sorte que la mécanique biologique s'enclenche sans que 
les censures sociales soient alertées, sans que les codes et les normes 
culturels soient apparemment atteints, alors qu'ils sont transgressés en 
profondeur, à travers, dans ce cas, l'opposition-incompatibilité radicale 
entre sucré et salé. 
Le mangeur moderne, à la lettre, ne sait plus ce qu'il mange. Ses repères 
et ses critères les plus fondamentaux sont brouillés, trompés, contournés. 
Sa conscience croissante des manipulations qui s'exercent sur les comestibles 
a érodé sa confiance : voici qu'il goûte les aliments les plus usuels avec 
l'anxiété, la réticence inquiète qu'il manifesterait devant une cuisine 
inconnue. Il est comme saisi par le vieux fantasme de « l'incorporation 
du mauvais objet », comme repris par une « néophobie » qui s'exercerait 
à l'encontre même de la nourriture la plus familière. Entre le mangeur- 
consommateur et ses aliments, il n'y a plus aucun lien d'appartenance 
commune, ne serait-ce que celui qui rattache mangeur et mangé à une même 
niche écologique ou un même territoire. L'aliment, à proprement parler, 
est devenu un objet sans histoire connue, un artefact flottant dans un 
vide quasi sidéral, entre passé et avenir, à la fois menaçant et fascinant. 
Ainsi, la technologie alimentaire, appuyée par les forces conjuguées 
du marketing et de la publicité, parvient à court-circuiter les cadres culturels 
de la nourriture, les grammaires culinaires, pour titiller ce qu'il y a de plus 
fondamental dans le mangeur, dans la biologie du choix alimentaire. Mais 
si les codes, les règles, les normes qui encadrent culturellement le 
manger sont si facilement trompés ou subvertis, c'est sans doute parce qu'ils 
sont déjà fragilisés, fissurés, brouillés. 
Aux clivages sociaux correspondaient traditionnellement des clivages 
alimentaires, des codages symboliques des nourritures. Par exemple, à 
l'enfant (et à la femme, cet « éternel enfant ») : lait, miel, douceurs; à 
l'homme : viandes rouges viriles, alcools puissants. Ainsi, entre autres 
rites de passage sanctionnant l'accès au monde adulte, figurait notamment 
la renonciation aux sucreries, c'est-à-dire aux douceurs de l'enfance et 
du maternage. Il fallait passer de la dépendance à l'indépendance, passer 
par un second sevrage. Mais voici que, précisément, tous les clivages sont 
fortement ébranlés. Les rôles sociaux sont remis en cause; les images 
traditionnelles de la virilité, de la féminité, mais aussi de l'enfance et de 
l'adolescence se brouillent. Dès lors, dans le bel emboîtement entre « grilles sociales » 
et catégories alimentaires, des craquements se font entendre : tout le 
système du a codage » des aliments est soumis à des tiraillements. Ainsi, si 
l'on s'en tenait aux références traditionnelles, il faudrait dire que 
l'alimentation masculine se « dévirilise », que l'alimentation adulte « s'infantilise » 
et /ou se « féminise ». Il y a un flottement général, une crise des codes et des 
représentations alimentaires, qui traduit une crise plus générale de la 
culture et de la civilisation, et qui laisse place à une crise bioculturelle de 
l'alimentation. 
202 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
LA CRISE DES RYTHMES ALIMENTAIRES : L'EMPIRE DU SNACK. 
Jadis, la journée laborieuse était rythmée par les rituels alimentaires 
collectifs : casse-croûte, déjeuner, dîner familial, etc. Aujourd'hui, c'est 
de plus en plus l'alimentation qui est soumise aux contraintes du travail : 
avec la journée continue, les pauses minutées, une sorte de taylorisme 
alimentaire se généralise de l'usine au bureau. 
L'alimentation familiale subit directement les conséquences de cette 
emprise croissante de l'univers laborieux. Les rituels commensauxs'effritent, l'alimentation s'individualise. Le mangeur moderne est un mangeur 
solitaire. D'autant plus solitaire que ces contraintes nouvelles de la 
modernité alimentaire sont à double face : elles autorisent en même temps une 
liberté nouvelle, individualiste, transgressive, en un sens régressive, une 
liberté dont elles apparaissent à la fois comme la cause réelle et l'alibi 
principal. 
Les contenus collectifs et commensaux de l'alimentation se dessèchent 
et se désagrègent en effet dans la restauration et la consommation 
fonctionnelles, industrialisées, massifiées : cantines, fast-food, self-service, etc. Mais, 
en même temps, cet univers de la nourriture moderne incarne la liberté de 
manger hors des contraintes et des règles de la sociabilité alimentaire, 
hors des contraintes chronologiques, des horaires familiers, hors des 
contraintes rituelles. Il incarne la satisfaction d'une gourmandise enfantine 
(sinon infantile) où la friandise triomphe au détriment du repas 
(hamburgers, sandwiches à étages, glaces monumentales), où l'élément fétichisé 
l'emporte sur le tout organisé. 
Phénomène capital : le repas, c'est-à-dire la forme hautement socialisée 
et codifiée de l'acte alimentaire, tend de plus en plus à régresser ou à être 
concurrencé dans les patterns alimentaires par un type d'alimentation 
fondé sur ce que l'on nomme en anglais snack (le français, peut-être par 
répugnance, n'a à ma connaissance pas d'équivalent), c'est-à-dire un mode 
d'alimentation fractionné, fondé sur des prises multiples, un grignotage 
constant, qui échappe par conséquent aux contraintes et aux contrôles 
socioculturels traditionnels. 
C'est ainsi que des travaux américains nous montrent que le repas 
composé et commensal est pratiquement en voie de disparition aux Etats- 
Unis. Dans des familles des couches moyennes citadines, il arrive que l'on 
ne se trouve réunis autour de la table du dîner familial que deux ou trois 
fois par semaine et le repas ne dure guère alors plus de vingt minutes. Les 
mêmes travaux nous montrent que la moyenne du nombre des prises 
alimentaires (food contacts) dans la journée est d'une vingtaine et que, 
dès lors, le rythme supposé des trois repas quotidiens n'est plus qu'une 
survivance (Fine, cité par Hess, 1977). Des phénomènes peut-être du même 
ordre, quoique d'une échelle moindre, sont d'ores et déjà observables en 
Europe : des travaux en cours aux Pays-Bas montreraient une_ moyenne 
quotidienne de food contacts de moitié inférieure à celle des États-Unis 
(Jorritsma, comm. pers.). Plus généralement, il n'est que d'observer 
l'expansion du marché des friandises (sucrées et salées), c'est-à-dire des 
203 
Claude Fischler 
aliments destinés au « grignotage » (chips, crackers, sucreries, bonbons, 
a candy-bars », chewing-gum, biscuits et pâtisseries industriels, etc.) 
pour constater l'ampleur du phénomène : le repas commensal recule 
devant une alimentation de bric et de broc, un picorage plus ou moins 
compulsif, les plats uniques qui constituent à eux seuls un digest du repas 
(sandwich, croque-monsieur, pizza, crêpe, salade composée, hamburger 
et hot-dog) \ 
Ainsi, la nourriture moderne se place d'elle-même hors cadre. Elle 
s'évade des contraintes syntaxiques du repas composé, échappe aux 
contrôles sociaux en évoluant (ou en régressant) du syntagmatique au 
paradigmatique. Au cours de ce processus, tout à la fois, elle retombe 
dans la sphère presque exclusive de l'individu et se massifie : la 
communication et la communion alimentaires font place au plaisir solitaire de masse. 
COMMENSALISME ET ALIMENTATION VAGABONDE. 
L'opposition entre le repas structuré et le snack correspond à des 
catégories du comportement alimentaire connues en éthologie. Bilz (1971) 
distingue en effet deux grands types de ce comportement, respectivement 
nommés commensalism et vagabond feeding. Parmi les primates, les 
prédateurs sociaux mangent en groupe, selon un ordre bien établi, obéissant 
à une hiérarchie (les individus dominants prennent les meilleurs morceaux 
ou se servent les premiers); les quantités absorbées sont importantes, 
et un long intervalle sépare ces véritables repas : c'est le commensalism. 
Les babouins, lorsqu'ils se trouvent captifs d'un enclos, adoptent ce type 
de comportement. En liberté, en revanche, ils inclinent plutôt vers le 
vagabond feeding : ils se nourrissent alors de manière solitaire, à intervalles 
irréguliers, moins espacés, par petites quantités, au hasard de leur errance. 
Or, des espèces phylogénétiquement plus anciennes (tupaïa), qui 
représentent aujourd'hui des ancêtres survivants communs à l'ensemble des 
primates supérieurs y compris l'homme, ne manifestent que le comportement 
vagabond, même en captivité. Selon Bilz, les deux types de comportement 
sont reconnaissables chez l'homme. 
Nous pouvons donc maintenant nommer le phénomène que nous avons 
tenté de caractériser dans les sociétés humaines les plus développées : 
il y a une tendance prépondérante au vagabond feeding, soit un type de 
comportement alimentaire phylogénétiquement plus archaïque que le 
commensalisme, un comportement de collecteur végétarien plus que de 
chasseur. Si ceci est vrai, il faut y voir la confirmation que le 
développement même de la civilisation moderne urbaine-industrielle suscite un retour 
à l'archaïque, une sorte de « régression phylogénétique ». Et de fait, comme 
on l'a vu, une tendance dominante de la modernité alimentaire tend à 
réveiller le comportement d'errance vagabonde : ainsi le supermarché 
est sans doute un lieu réservé par destination à un collecteur vagabond 
1. Ce bric-à-brac alimentaire porte aux États-Unis le nom dejunk food. 
204 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
qui, au gré de sa marche, « cueille » mille trouvailles sur les rayonnages. 
Car la stratégie commerciale moderne ne repose plus seulement sur la 
séduction ou l'intimidation opérée par le vendeur, plus seulement sur le 
« tapage publicitaire », mais sur un silence soigneusement orchestré, sur la 
discrétion ouatée dont on entoure le tête-à-tête du consommateur avec 
les objets, c'est-à-dire avec lui-même. 
Mais il y a plus. Bilz estime en outre que le comportement vagabond, 
« individualiste », a une « valeur de survie » dans des conditions de pénurie 
alimentaire. Il rapproche ce comportement de celui des malades atteintes 
d'anorexie mentale (ce sont presque exclusivement les jeunes filles qui sont 
atteintes d* anorexia nervosa) : l'anorexique évite toujours les repas 
commensaux, surtout en présence des parents, mange en cachette, grignote tout 
en se livrant à d'autres activités. Bilz voit donc là une régression au 
comportement vagabond d'adaptation à la famine. Si on le suit, ainsi que 
Demaret (1977) qui, prolongeant les hypothèses de Bilz, tente d'expliquer 
dans la même optique la prédominance féminine de l'anorexie mentale, 
peut-être faut-il admettre que la civilisation de pléthore est aussi, en ce 
sens, une civilisation anorexique. Si les effets du développement et de la 
crise de la civilisation moderne sur l'alimentation comportent bien une 
désagrégation du commensalisme, favorisent bien une montée ou une 
remontée paradoxale du vagabond feeding; si ce mode d'alimentation 
correspond bien à un pattern éthologique « efficace » dans des conditions de 
famine (ce qui reste bien entendu à démontrer), c'est-à-dire tendant à 
maximiser le rendement calorique; alors on peut imaginer que ce type de 
comportement, transposé d'une situation de pénurie ou d'insécurité à 
une situation d'abondance uniforme, entraîne des perturbations nutri- 
tionnelles profondes. 
Mais en tout état de cause, quel que soit le fondement de telles 
spéculations, il est clair que la crise du commensalisme dans la situation moderne, 
qu'on l'analyse en termes éthologiques {patterns comportementaux inscrits 
dans le phylum), en termes socio-anthropologiques (crise des contrôles 
socioculturels), ou en termes d'interactions entre ces dimensions, joue un 
rôle dans le dérèglementde l'alimentation et dans l'étiologie d'un certain 
nombre de « maladies de civilisation » liées à la nutrition. Ainsi, par 
exemple, les effets cariogènes du sucre sont sérieusement aggravés, selon les 
dentistes, lorsque les sucreries sont consommées sous forme de snack, 
hors des repas (FTC, 1978). La crise du commensalisme a donc au moins 
un effet avéré : dans certaines circonstances, elle aggrave les pathologies 
qu'elle a (probablement) contribué à déterminer. 
GASTRO-NOMIE ET GASTRO-ANOMIE. 
Ainsi, avons-nous dit, l'abondance moderne entraîne à la fois une liberté 
et une insécurité nouvelles : voici en effet que le régime alimentaire devient 
l'objet d'une décision individuelle. Jusque-là, le choix s'imposait comme de 
lui-même, dicté qu'il était par les ressources, par le groupe, la tradition, 
les rituels et les représentations; voici qu'il revient en boomerang pour 
205 
Claude Fischler 
peser désormais comme une charge sur Y individu qui, à la lettre, a maintenant 
l'embarras du choix. 
Or, cet individu, atomisé par la civilisation moderne, c'est-à-dire réduit 
à l'état d'une particule de la société de masse, coupé de plus en plus des 
liens familiaux, sociaux, culturels traditionnels, ne dispose plus guère 
de repères pour opérer ce choix. Le nouveau mangeur-consommateur, 
avons-nous vu, ne sait plus comment reconnaître le comestible du non- 
comestible, de sorte qu'il finit par ne plus guère se reconnaître lui-même. 
Les aliments que nous incorporons nous incorporent à leur tour au monde, 
nous situent dans l'univers : identifiant mal les aliments qu'il absorbe, 
le mangeur a de plus en plus de doutes sur sa propre identité. 
La crise * des critères du choix, des codes et des valeurs, de la 
symbolique alimentaires, la désagrégation du commensalisme, tout cela nous 
ramène à cette notion cardinale de la sociologie durkheimienne : l'anomie. 
Le système nomologique et les « taxonomies » alimentaires qui 
gouvernaient les choix ainsi émiettés ou relâchés, l'individu-mangeur se trouve 
livré à lui-même. C'est en ce sens que l'on peut dire que, au cœur de la 
crise du régime, on passe de la gastro-nomie à la gastro-anomie. 
C'est dans la brèche de l'anomie que prolifèrent les pressions multiples 
et contradictoires qui s'exercent sur le mangeur moderne : publicité, 
mass médias, suggestions et prescriptions diverses, et surtout, de plus en 
plus, avertissements médicaux. La « liberté » anomique est aussi un 
tiraillement anxieux, et cette anxiété surdétermine à son tour les conduites 
alimentaires aberrantes. 
VERS DE NOUVELLES GASTRONOMIES? 
Les gastro-nomies en crise, il faut en inventer de nouvelles. Dans la 
brèche ouverte par la crise du régime alimentaire, commencent à grouiller 
en un véritable mouvement brownien contre-courants diététiques et 
esthético-culinaires, chapelles et sectarismes alimentaires, croyances ou 
errances individuelles et collectives, échappées contradictoires vers l'avenir 
et le passé, prescriptions et mises en garde médicales, etc. 
Le plus frappant est sans doute que, dans les mass médias et l'édition, 
fleurissent simultanément les recettes de cuisine et les régimes 
amaigrissants. Des pans entiers de la société se mettent au régime, ou se remettent 
aux fourneaux, ou aux deux à la fois : art culinaire et diététique cherchent 
à se réconcilier. 
Dans les couches « pilotes » de la société urbaine, en opposition à l'emprise 
desséchante de la modernité alimentaire dominante, on voit la cuisine 
redevenir un élément central à la fois de l'art de vivre et du savoir-vivre. 
1. On consultera avec profit le numéro de Communications sur La Crise, (n° 25, 
1976), en particulier l'article d'André Béjin : « Crise des valeurs, crise des mesures », 
p. 39-72. 
206 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
La grande cuisine, celle des chefs, est élevée à nouveau au rang des beaux- 
arts. Les cuisiniers sont sacrés stars et leurs créations, comme celles des 
grands couturiers, s'étalent sur papier glacé, s'exportent d'un bout de la 
planète à l'autre, sont reprises, imitées ou caricaturées par les industriels 
ou les artisans du nouveau prêt-à-porter culinaire, vulgarisées sous forme 
de patrons-recettes par les magazines et les livres de cuisine. Une nouvelle 
esthétique culinaire se répand. Son credo est de rétablir la « vérité des 
produits » : le cuisinier, désormais, sera un maïeuticien de la nourriture, 
celui qui, socratiquement, fera accoucher les mets de leur vérité naturelle ; 
il rompra ainsi avec le « chef » ancienne manière, grand prêtre de 
l'accommodement, sorcier de l'artefact, qui assurait le triomphe de la Culture 
sur la Nature (Fischler, 1979). 
La contre-culture elle-même (ou sa postérité), les héritiers vieillissants 
de mai 68, les pionniers et les pionnières du néo-régionalisme, de l'écolo- 
gisme et du néo-féminisme, longtemps anorexiques ou indifférents, 
redécouvrent la nourriture (« la bouffe ») comme fondement de l'identité 
corporelle, culturelle, comme refuge de « la fête », de la communion 
commensale. 
Les sectarismes alimentaires se développent ou se réveillent, se syn- 
crétisent parfois : végétarisme, végétalisme, macrobiotique, jeûne, etc. 
Mais la société moderne a laïcisé la diète ascétique et voici que, à l'heure 
de la crise du régime, prolifèrent les régimes. Les diètes multiples 
proposées par les mass médias et l'édition ont sans doute, pour une large part, 
vocation incantatoire et fantasmatique, tout comme, d'ailleurs, les subtiles 
recettes de cuisine que l'on collectionne sans jamais les réaliser. Mais il 
arrive que l'on passe à l'acte : l'alternance gras /maigre se rétablit alors 
d'elle-même, car le propre des régimes modernes, c'est d'être provisoires. 
Le régime constitue sans doute la tentative la plus claire pour rétablir 
un ordre et une grammaire dans l'alimentation, en imposant une norme 
consentie, en donnant un sens transgressif à l'écart. 
Mais surtout, la prolifération contemporaine des diètes amaigrissantes, 
de même d'ailleurs que le changement de signe des valeurs de l'esthétique 
culinaire (légèreté, dépouillement, naturel, etc.) nous renvoient à la question 
des rééquilibrations, des régulations, des ajustements culturels. 
En premier lieu, on voit se mettre en œuvre des stratégies délibérées, 
puisque volontaristes : comme dans d'autres domaines, l'Etat et la Science, 
incarnée ici comme souvent par la médecine, tendent de plus en plus 
à affirmer leur compétence et leur emprise sur les conduites alimentaires. 
Non que le fait, pour les médecins, d'indiquer où sont les besoins et les 
dangers, d'édicter interdits et prescriptions, soit une nouveauté : le régime, 
précisément, est une thérapeutique fondamentale et, de temps très ancien, 
d'étroites relations se sont maintenues entre esthétique culinaire et 
diététique, entre aliment et médicament. 
Mais les prescriptions alimentaires de la médecine moderne sont d'ordre 
prophylactique et non plus seulement thérapeutique; elles sont à usage 
collectif et non plus seulement individuel; elles passent par les médias 
et non plus seulement par la consultation privée, par les politiques 
étatiques de prévention et non plus seulement par la clinique. C'est de plus 
en plus l'Etat, en effet, qui tend à imposer l'application des règles 
alimentaires ordonnées par les médecins, inaugurant ainsi l'ère de la prescription 
207 
Claude Fischler 
alimentaire de masse, dictant en somme nos menus sur ordonnance et par 
ordonnances ministérielles. 
Une vulgate médicale alimentaire se forme et se répand, constituée 
par le produit diffus de la médecine nutritionniste savante filtré par la 
médecine de ville, la conscience diététique commune et les mass média. 
Mais on ne peut soutenir que ce phénomène soit assez puissant pour induire 
à lui seul les changements que l'on note dans la sensibilité alimentaire 
contemporaine, avec tous leurs aspects imaginaires, mythologiques et . 
fantasmatiques. Or, n'est-il pas frappant de constater que l'effet netde ce 
que l'on peut appeler la contre-tendance esthétique et diététique est plutôt 
rééquilibrateur? C'est le cas par exemple de ce phénomène mystérieux 
que constitue, à l'époque contemporaine, la prévalence croissante, parmi 
les images corporelles idéales, de la minceur, prévalence d'autant plus 
accentuée que l'on s'élève dans la hiérarchie sociale (cf. Apfelbaum et 
Lepoutre, 1978). Il est clair que, objectivement, la dominance du modèle 
de minceur dans une société de pléthore est plus favorable que ne le serait 
celle du modèle inverse — pourtant répandu dans d'autres cultures. 
Peut-on pour autant parler de processus d'ajustement? 
Une analyse anthropo-socio-historique des modèles corporels montrerait 
sans doute qu'il a toujours existé une profonde ambivalence des 
représentations du gros corps et que, en ce sens, la réprobation à l'encontre de 
l'obésité n'est pas aussi récente qu'il y paraît d'abord (cf. Nahoum, supra). 
Certes, à une époque aussi proche que le xixe siècle, la corpulence se 
nomme encore embonpoint (il faudrait dire aujourd'hui pour refléter 
l'esprit du temps « malenpoint ») ; elle signifie santé, prospérité, honorabilité. 
Mais il existe aussi, même sans doute dans les sociétés archaïques, une 
image maligne du gros : l'obèse, c'est aussi celui qui mange plus que sa 
part. Il y a un obèse cannibale, mangeur de chair fraîche, seigneur (sai- 
gneur?) carnivore, qu'incarne complètement le mythe de l'ogre à la Gilles 
de Rais et que réincarne en partie, dans les mythologies modernes, la 
caricature du patron capitaliste, cet obèse en haut-de-forme, engraissé 
du sang et de la sueur des classes laborieuses. L'obèse, probablement dans 
toutes les sociétés, est condamné à redistribuer le trop perçu, à restituer 
la graisse capitalisée, sous forme de force physique mise au service de la 
communauté, d'entrain joyeux, ou de toute autre manière (Paillard, 
comm. pers.). Symétriquement, la minceur, ou la maigreur, fut jadis signe 
de misère ou de consomption, mais aussi de pureté ascétique, sinon de 
sainteté. 
S'il existe bien, anthropologiquement, une ambivalence fondamentale 
et toujours latente des images corporelles, on peut imaginer que, sous l'effet 
de telle ou telle pression ou contrainte éco-culturelle, l'une ou l'autre 
face de la représentation se trouve plus ou moins accentuée, modelée, 
remodelée. Mais une telle proposition, une fois de plus, pose plus de 
questions qu'elle n'en résout. 
Le propre d'une situation de crise, c'est que les processus de 
déstructuration peuvent être accompagnés de, et déterminer en retour des 
restructurations, des contre-courants, des émergences. La crise du régime alimentaire 
donnera peut-être lieu à des émergences qui infléchiront durablement les 
représentations et les pratiques, qui permettront de réhabiliter, de définir 
ou redéfinir des cadres et des normes gastro-nomiques. Peut-être ces dyna- 
208 
Gastro-nomie et gastro-anomie 
miques sont-elles déjà lancées. Mais comment savoir si la nouvelle tendance 
qui se dégagerait alors pourrait parvenir à réconcilier le « bon » et le 
« sain », l'art culinaire et la nutrition, le plaisir et la nécessité? 
Claude Fischler 
Centre national de la recherche scientifique, Paris. 
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