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DES BREVETS D'INVENTION DES MARQUES DE FABRIQUE ET DE COMMERCE ET D U NOM COMMERCIAL DÉS BREVETS D'1NVÉTION DES MARQUES DE FABRIQUE & DE COMMERCE JET DU NOM COMMERCIAL CONSIDÉRÉS AU POINT DE VUE INTERNATIONAL PAR Albert AUGER AVOCAT A LA COUR D'APPEL DE P ARIS DO CTEUR EN DR OIT PARIS L. LAROSE & FORCEL Libraires- Editeurs 22, RUE SOUFFLOT, 22 1882 Se la protection internationale des inventions brevetées, des marques de fabrique on de commerce et du nom commercial. INTRODUCTION GÉNÉRALE Nous nous proposons d'examiner dans cette étude quelles sont les règles qui régissent les rapports internationaux au point de vue dela propriété industrielle.— Cette propriété comprend les brevets d'invention, les dessins et modèles de fabrique, les marques de fabrique ou de commerce et le nom commercial : telles sont au moins les seules matières réglées par des lois spéciales. Nous laisserons de côté ce qui concerne les dessins et modèles, restreignant notre étude «aux deux autres grandes branches de la propriété industrielle : brevets d'un côté, marques et nom de l'autre-— C'est une étude qui, on peut le dire, est à l'ordre du jour : à peu près partout aujourd'hui où la question présente un 1 2 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE intérêt sérieux, partout où l'industrie est prospère et floris- sante, partout, les lois protègent ces intérêts, éminemment dignes de l'attention et de la protection du législateur, a On finipar comprendre que cette propriété était, après tout, aussi respectable que la propriété des choses physiques et que l'industrie moderne, avec ses mille découvertes, réclamait des dispositions législatives nouvelles protégeant des inté- rêts nouveaux : aujourd'hui les lois sur la matière forment une partie nouvelle et importante du droit. Un point curieux particulièrement à étudier, c'est, ce qui concerne les rela- tions internationales, et c'est, comme nous l'avons dit, celui que nous nous proposons d'aborder. Là, en effet, les difficul- tés abondent, parce que dans les relations de peuple à peuple les obstacles sont plus difficiles à franchir que quand il s'agit de citoyens d'un même État : il manque en effet ce qu'il faudrait, un législateur,fit pourtant, pourquoi circonscrire la propriété industrielle au pays où elle a pris naissance, aujourd'hui surtout que la rapidité des échanges a atteint de si prodigieux développements ; pourquoi la protection va-t-elle s'arrêter à la frontière ? Est-ce que l'intérêt com- mun des peuples n'est pas de s'entendre et, à défaut de loi commune, de conclure des traités assurant partout une ré- pression énergique contre des entreprises parfaitement assi- milables à des vols ordinaires. Hâtons-nous d'ajouter que telle est aujourd'hui la situation: à peu près partout, le com- merce international est protégé et les droits de chacun sont respectés : c'est un résultat dont il faut se féliciter, pas tant peut-être que certaines personnes le font, croyant, sans doute, que rien n'est plus à faire, mais enfin on est arrivé à un résultat déjà excellent, et une trop grande activité règne DES INVENTIONS BREVETÉES 3 en ce moment dans les esprits pour que de nouveaux et importants progrès ne soient pas encore bientôt accom-plis. Des conférences, des congrès se sont réunis à plusieurs reprises pour étudier, élucider les principales questions re-latives à ces matières, et dans ces congrès composés à la fois de fabricants, de commerçants et de jurisconsultes, on a pu fonder pour ainsi dire les bases d'une législation nou-velle, préparer la voie aux différents législateurs, en leur montrant dans quel sens ils devaient diriger leurs communs efforts. A l'Exposition de Vienne, en 1873, eut lieu un con-grès spécial des brevets d'invention (1) ; et, en 1878, lors de l'Exposition internationale qui eut lieu à Paris, un congrès se réunit encore pour étudier les principales questions rela-tives à toutes les branches de la propriété industrielle. Un compte rendu de ce congrès a été publié auquel nous renver-rons souvent, non pas évidemment comme à un texte légis-latif, mais comme à un ouvrage résumant fidèlement l'opi-nion des intéressés sur les questions que nous aurons à exa- miner. La plupart des points d'ailleurs y ont été l'objet d'une discussion longue, savante et approfondie et nous ne pou-vons mieux faire que de nous en inspirer. Ajoutons de plus que tout récemment, le 4 novembre 1880, une conférence of-ficielle s'est réunie pour se rendre compte de la situation res-pective des nations représentées au point de vue de la pro-priété industrielle, et jeter les bases d'un futur traité inter- national. Cette idée d'un traité entre les nations commer- (1) Voir le compte rendu du congrès do Vienne, par M. Lyou-Caen. Pataille, année 1873, page 370. 4 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE çanles, protégeant à tous les points de vue la propriété in- dustrielle, semble aujourd'hui accueillie favorablement par l'opinion. On verra au surplus dans le cours de notre étude, à combien de besoins divers répondrait la conclusion de ces traités, établissant une sorte d'union. L'idée d'union inter- nationale a fait des progrès et n'est plus considérée comme utopique : à la conférence de 1880, cette idée fut adoptée formellement par l'Autriche, la Hongrie, la Belgique, le Bré- sil, la France, l'Italie, le Portugal, la Suède, la Norvège, le Venezuela, et, sauf des restrictions de pure forme, par les l'ays-Bas, la Russie et l'Uruguay. Celte conférence au sur- plus, faisait remarquer M. Tirard, ministre de l'Agriculture et du Commerce, ne se proposait pas ainsi de préparer en une seule fois un traité international complet sur la proprié- ét industrielle. Un comprenait trop bien les difficultés que pourrait présenter l'unification immédiate des législa- tions de chacun des États contractants; selon J'exprcs- sion du président de la conférence, M. Bozérian, on n'écri- vait pour ainsi dire que la préface « d'un livre qui va s'ou- vrir et qui ne sera fermé peut-être qu'après de longues années. » Il est permis d'espérer, nous le répétons, que le mouve- ment au lieu de diminuer s'accentuera et que bientôt, com- me le disait le délégué de la Suisse, M. Kern, « une protec- tion internationale de la propriété industrielle viendra con- tribuer à faciliter dans l'intérêt de tous les pays, les rela- tions commerciales. » Quoi qu'il en soit, en attendant beaucoup de l'avenir, il importe de se rendre un compte exact de la situation ac- tuelle, au point de vue pratique d'abord, au point de vue DES INVENTIONS BREVETÉES 5 théorique ensuite, afin de pouvoir préciser les réformes ré-clamées par le commerce. Mais avant d'entrer dans cette étude, il est peut-être bon d'émettre une opinion sur une question à peu près morte il y a quelque temps et ressuscite aujourd'hui ; nous voulons parler de l'utilité ou de la non-utilité des brevets d'inven-tion, certains auteurs la niant, en contestant même la légi-timité. En ce qui concerne en effet les marques de fabrique ou de commerce, le nom commercial, on peut faire sans doute, on a fait et nous ferons quelques critiques de dé-tail ; mais personne n'a pu «'élever contre l'excellence même des lois protectrices de ces branches de la propriété industrielle. Le fabricant appose sa marque ou son nom sur ses produits ; c'est un droit pour ainsi dire absolument inat-taquable et auquel on ne s'est pas attaqué. Au contraire, on a contesté l'utilité des brevets d'invention, et comme dans le courant de cette étude nous nous montrerons les champions ardents d'une protection internationale sérieuse des brevets d'invention, ainsi que, d'ailleurs, des autres branchesde la propriété industrielle, il importe de réfuter les arguments qu'on donne pour attaquer les brevets : nous ferons celte réfutation courte, parce qu'elle trouverait tout aussi bien sa place dans l'introduction d'une étude générale sur les bre-vets d'invention ; mais nous voulons au moins réfuter les principaux arguments parce qu'enfin, avant de s'occuper de la protection internationale des brevets, des inventeurs, avant de réclamer pour eux des droits plus étendus, de solliciter des différents législateurs des lois réellement ap- plicables en pratique et non plus seulement des lois assu-rant une protection quelque peu théorique, il-. est bon de 6 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE montrer combien est sacré le droit de l'inventeur, combien il est digne de la protection des lois ; et si nous ne défendons pas les droits du propriétaire de marque ou du nom, c'est par cette excellente raison qu'on ne les attaque pas. C'est seulement quand nous serons convaincus do l'excellence, do la nécessité de règles protégeant toutes les branches de la propriété industrielle sans exception que nous entrerons dans l'étude que nous nous proposons de faire : Examen de la situation actuelle au point de vue international, ses vices ; examen des remèdes à y apporter. C'est surtout M. Michel Chevalier, qui dans ces dernières années a attaqué le principe même des brevets d'invention (Les Brevets d'invention examinés dans leurs rapports avec le principe de ta liberté du travail et avec le principe de l'égalité des citoyens, Paris, 1878) ; cet auteur et d'autres encore sont allés jusqu'à dire que c'était un outrage à la liberté et à l'industrie, que tous les amis du progrès industriel et so-cial doivent unir leurs efforts pour délivrer l'industrie d'en-traves, restes surannés du passé. — Et cependant tout le monde admet bien que l'inventeur rend un service à la so-ciété, ne fût-ce qu'en divulguant son invention qu'après tout il pourrait garder pour lui. Ceci, admis, il semble bien na-turel que l'inventeur a droit à une récompense quelconque de la société. S'il a droit à une récompense comment l'arbi-trer, peut-on savoir a priori si la découverte est d'une im-portance capitale, secondaire ou nulle ? Le meilleur moyen de le récompenser c'est de lui accorder le droit? exclusif d'exploiter seul pendant quelque temps son invention : si elle est importante au point de vue pratique, il pourra réaliser ainsi des bénéfices considérables dans un temps DES INVENTIONS BREVETÉES 7 donné, aucun concurrent ne pouvant venir le frustrer de son invention. M. Michel Chevalier admet qu'on donne soit des distinctions honorifiques, soit même des allocations pécuniaires : c'est une solution qui pour nous n'en est pas une, ne voyant pas, ainsi que nous le disions plus haut, sur quelles bases on pourra se fonder pour arbitrer cette allo-cation. Telle invention sers superbement récompensée, et, en fait, sera de peu d'importance, telle autre, capitale, bou-leversant peut- être une branche de l'industrie, passera ina-perçue. Il ne faudrait s'arrêter à cette solution que si vrai-ment le système des brevets d'invention présentait des in- convénients intolérables et inadmissibles.—Or, à notre avis, c'est abuser des mots que de considérer les brevets d'in-vention comme méconnaissant la liberté du travail et le principe d'égalité: comme le fait remarquer M. Pouillet dans la préface de son traité : Les brevets d'invention : « La liberté en quoi est-elle blessée? L'industrie possédait-elle cette in-vention avant que son auteur ne lui en fit part. N'était-elle pas à cet égard dans une ignorance absolue? L'empêche-t- on de jouir de tout ce qu'elle possédait auparavant. Lui enlève-t-on un seul des biens qui lui appartenaient ? Res-treint-on son domaine d'hier ? Non, son champ n'est pas même amoindri. » C'est vraiment une singulière manière de répondre que de dire, qu'en accordant ainsi un monopole au breveté, on restreint le champ d'industrie pour l'avenir, un autre ayant pu, comme lui, trouver ce qu il a trouvé. Sans doute, il y a une part de vérité dans ce fait, sans doute quand la science en est arrivée à un point donné sur une partie quelconque, il est des inventions qu'on attend, qui sont dans l'air, si on DE LA PROTECTION INTERNATIONALE nous passe l'expression, mais enfin, encore est-il qu'on peut les attendre longtemps, les inventions étant aussi, sinon plus souvent, le résultat du hasard que de recherches calculées. Dans ces conditions, ne doit-on pas récompenser l'inventeur, celui qui, seul, en définitive, a lait faire cepas à la science, a l'industrie. Sans doule il a pris quelque chose de son in-vention, la plus grande partie même de son invention, dans l'ensemble dos connaissances humaines qui sont le patri-moine commun de la société, mais encore est-il qu'il a trou-vé quelque chose d'inconnu jusqu'alors qui doit lui donner, a notre avis, non pas un droit de propriété perpétuelle, parce que précisément il Faut tenir compte de cette idée qu'il est redevable des données de sa découverte a la science an- térieure, mais au moins une protection temporaire. — Au surplus qu'on remarque bien ceci : le brevet n'est guère que e prix au moyen duquel la société achète la divulgation du secret, Si l'inventeur, dont quelquefois l'invention est très simple, mais à laquelle d'après le mot de Christophe Colomb, il fallait penser, sait, qu'aussitôt la divulgation Faite, une nuée de concurrents vont venir lui prendre le fruit de sa dé-couverte, quo fera-t-il? Une chose bien simple, il gardera pour lui le secret. Et s'il meurt sans avoir eu le temps de le com-muniquer à quelqu'un, ce sera un secret de fabrique perdu, comme il y en a eu tant sous l'ancien régime. On s'étonne de voir. M. Michel Chevalier oublier, sans aucun doute, cette observation à notre sens capitale, lorsqu'il dit : « D'ailleurs, c'est une affirmation sans fondement que de prétendre qu'il n'y a de rémunération possible pour une dé-couverte industrielle qu'au moyen d'un brevet à la faveur duquel l'inventeur se fait payer une prime par quiconque DES INVENTIONS BREVETÉES 9 veut l'utiliser. On peut citer des découvertes pour lesquelles il n'a point été pris de brevet, et qui n'en ont pas moins été très profitables à ceux qui en étaient les auteurs. Dans cer-tains cas, on gardait son secret pour soi,'et on en recueil-lait le fruit, quelquefois très largement. C'est ce qui est arrivé pour l'outremer artificiel, couleur bleue très riche. Il y a aussi une couleur verte très belle dont l'inventeur s'est réservé le monopole, au lieu de l'ébruiter par un brevet, et qui est fabriquée par une maison de Lyon ! » — Qui ne voit qu'en agissant ainsi mille causes peuvent amener la perto de l'invention déjà faite, ce serait un motif suffisant pour faire admettre les brevets d'invention. Sans doute le nombre rapidement croissant des brevets présente des inconvénients sérieux; sans doute un certain nombre de fabricants peu scrupuleux et désireux, pour employer le mot propre, de se faire une réclame, prennent des brevets pour de prétendues inventions sans aucune im-portance théorique, sans aucune utilité pratique, dans le seul but d'intimider leurs concurrents, quelquefois de les vexer, de les ruiner par des procès absurdes, dans le but surtout d'en imposer au public avec ce mot brevet qui. quoi qu'on fasse, pour les personnes non prévenues, semble être toujours une garantie plus ou moins officielle du mérite de l'invention, d'autant plus que l'obligation où sont les brevetés d'adjoindre au mot brevet : « Sans garantie du gou-vernement « est éludée en pratique, ces mots étant remplacés comme dit M. Michel Chevalier, par un hiéroglyphe S. G. D. G. ; sans doute, la loi de 1844 est imparfaiteà bien des points de vue, notamment en ce qui concerne les effets de la chose jugée, mais cette observation, quelqu'exacte 10 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE qu'elle puisse être, ne peut aller contre le principe même des brevets, puisqu'il suffirait de remanier la loi. Quoi qu'il en soit, dans tous les cas, de ces diverses cri- tiques apportées quelquefois très justement à l'institution des brevets, nous persistons à croire que les avantages remportent sur les inconvénients, et, au surplus, en laissant de côté, dans cette défense des brevets, les raisons qui s'y appliquent plus directement, ne peut-on pas dire, comme le fait M. Pouillet (Introduction à son Traité des brevets d'in- vention) que cette institution a encore le mérite de per- mettre la lutte au petit fabricant contre les grandes mai- sons qui aujourd'hui l'écrasent. Avec le brevet, le petit fabricant est sûr de pouvoir, pendant quinze ans, gérer seul son industrie aveo le perfectionnement nouveau qu'il a trouvé; dans ce cas la grande maison ne pourra plus avoir recours a son arme ordinaire : la vente à perte pendant un certain temps afin de tuer la concurrence ; il faudra, bon gré mal gré, qu'elle la subisse et quelquefois l'importance de ce résultat sera considérable. — M. Michel Chevalier insiste sur les vexations auquelles peut donner lieu le brevet, il compare l'institution des brevets au système protectionniste, soutenant qu'ils partent de la môme doctrine et se révèlent par les mômes abus. A ce point de vue économique encore nous n'admettons pas le raisonnement du savant profes- seur; sans insister sur les mérites ou désavantages de la prohibition ou de la protection, nous croyons qu'il n'est pas contraire à une saine notion des choses économiques de créer ce privilège au profit de l'inventeur. Sans doute, nous l'avons déjà dit plus haut, on invoque la liberté qu'on pré- tend outragée par l'institution de ce privilège, mais il est DES INVENTIONS BREVETÉES 11 trop facile de déclarer que la liberté est violée si on ne le prouve pas, et nous persistons à penser que la preuve n'est pas faite. — Au surplus, ce qui tend à prouver que les abus ne se révèlent pas d'une manière bien choquante dans la pratique, c'est qu'aujourd'hui, á peu près partout, une législation très complète sur les brevets d'invention s'est formée, la Suisse elle-même, si longtemps rebelle à cette idée, a fini par comprendre que cette institution seule garantissait l'industrie et la faisait prospérer, et on peut espérer que celle lacune dans la législation sera comblée prochainement, bien qu'il faille pour cela modifier la Constitution. Sans doute les conventions diplomatiques sur ce point sont tellement rares qu'on n'en peut guère citer qu'une (Allemagne, Autriche-Hongrie), cela tient non pas à l'inutilité de ces conventions, mais au moins à ceci, qu'elles ne sont pas indispensables. Parlout en effet, on admet que les étrangers peuvent jouir des bénéfices de la loi nationale et, d'autre part, un brevet pris dans un pays no peut produire ses effets dans un autre pays, c'est une idée reçue, il faudra donc prendre un autre brevet dans tous les pays où l'on réclamera la protection ; on ne peut donc tirer aucun argument de cette pénurie de conventions diploma-tiques. — L'institution des brevets n'est plus guère, au surplus, contestée. Et maintènant que nous avons montré l'excellence du droit du breveté, nous allons nous attacher uniquement á la questio internationale, laquelle serait, au surplus, intéres-sante à étudier dans tous les cas, vu son incontestable utilité pratique. DES BREVETS D'INVENTION Notions générales sur la loi française. Avant d'entrer dans l'examen des questions internatio-nales, il est nécessaire, non pas de faire un commentaire détaillé de la loi française, mais de rappeler au moins les principes généraux, de faire un résumé aussi succinct que possible de ses principales dispositions. — Sans donner des notions historiques qui nous égareraient, disons que la loi actuelle est une loi du 5 juillet 1854 ({) remplaçant une loi de 1791 qui présentait quelques dispositions regret-tables dont nous aurons à nous occuper par la suite et qui nécessitèrent son abrogation. — En laissant de côté les articles 27, 28 et 29 sur lesquels nous nous proposons de nous étendre plus particulièrement, on peut ainsi résumer la loi française : Les brevets sont accordés pour toute invention ayant un caractére industriel, sauf quelques exceptions limitative-ment désignées dans l'article 3 (compositions pharmaceuti- 1) Déclarée applicable aux colonies (arrêté du 21 octobre 1848). 14 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE ques ou remèdes de toute espèce, plans ou combinaisons de crédit ou de finance). La durée est de 5, 10 ou 15 ans, et la taxe est de 500, 1,000 ou 1,500 francs se payant par annuités de 100 francs sous peine de déchéance. La deman- de est faite par l'inventeur au secrétariat général de la pré- fecture, cette demande contient les pièces nécessaires exi- gées par les articles 6 et 7 de la loi (durée que le demandeur entend assigner à son brevet, titre renfermant la désigna- tion sommaire et précise de l'objet de l'invention, etc.). Les pièces sont envoyées par les préfets au ministre du Com- merce: les brevets (art. H), —c'est un principe fondamental de notre loi, — sont délivrés sans examen préalable et aux risques et périls du demandeur. L'arrêté du ministre remis au demandeur, constate purement et simplement la régula- rité de la demande. Un système de publicité est organisé afin de porter les délivrances de brevets a la connaissance du public. La loi, dans sa section III, autorise les brevetés ou Leurs ayants droit à prendre des certificats d'addition pendant la durée des brevets : il y a même une laveur pour le breveté et ses ayants droit qui peuvent seuls pendant un an prendre un brevet nouveau pour un changement, per- fectionement ou addition à l'invention qui fait l'objet du brevet primitif. Les articles 20 et suivants organisent la cession des bre- vets : la cession doit être passée par devant notaire, et après le paiement intégral de toutes les taxes, même des taxes à échoir. Un système de publicité est également organisé pour porter à la connaissance du public les mutations interve- nues sur chaque brevet. On communique d'ailleurs égale- DES INVENTIONS BREVETÉES 15 ment et l'on publie les descriptions et dessins des brevets, afin d'éviter que des brevets soient pris pour des inventions qui ne sont plus nouvelles. Les descriptions (art. 28) et dessins resteront jusqu'à l'expiration du brevet au minis-tère ou ils sont communiqués à tout requérant et sans frais. On les publie après le paiement de la deuxième annuité, et le recueil des descriptions est déposé au ministère et au secrétariat général de la préfecture, enfin, à l'expiration des brevets, les originaux sont déposés au Conservatoire des Arts-et-Métiers. La loi s'occupe ensuite des nullités et déchéances des brevets d'invention; dans le cours de cette étude, nous aurons à revenir sur les causes de déchéances qui pré- sentent un intérêt considérable au point de vue internatio-nal. Bornons-nous à dire ici, qu'il y a déchéance (art. 32 de la loi de 1844 modifiée par la loi du 31 mai 1856), quand l'annuité n'a pas été payée, en cas de défaut d'exploitation dans les deux ans, ou d'interruption d'exploitation pendant le même temps, en dernier lieu, au cas d'introductioâ en France par le breveté d'objets similaires à ceux que lui garantit son brevet et fabriqués à l'étranger. Nous croyons inutile d'insister sur les causes de nullité ; le brevet est nul quand l'invention n'est pas nouvelle, etc. (voir l'art. 30 de la oi). Les actions en nullité ou déchéance, intentéespar toute personne y ayant intérêt, sont portées devant le tri-bunal civil, et au lieu d'avoir force de chose jugée inter partes seulement, le jugement produit ses effets erga omnes, si le ministère public s'est porté partie principale ou inter-venante. Le dernier titre de la loi s'occupe de la contrefa-çon des inventions brevetées; c'est un délit passible 16 DE LA PROT. INTERN. DES INVENTIONS BREVETÉES d'amende, et en cas de récidive d'emprisonnement : il va de soi que c'est le tribunal correctionnel qui prononce ces peines : ce tribunal peut d'ailleurs connaître des exceptions qui seraient tirées par le prévenu soit de la nullité ou de la déchéance du brevet, soit de questions relatives à la pro- priété du dit brevet. 11 est admis que le jugement du tribu- nal correctionnel sur ces exceptions n'a autorité de chose jugée qu'en ce qui concerne l'affaire actuellement pendante devant lui. Afin de faciliter la découverte de la contrefaçon, on permet au breveté, qui soupçonne un contrefacteur, de faire saisir les objets prétendus contrefaits, et ces objets, la contrefaçon reconnue, sont confisqués au profit du breveté, sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, s'il y a lieu. Voilà le résumé, bien incomplet assurément, de la loi française sur la matière, mais il nous était possible de nous étendre sur ces dispositions sous peine d'être entraîné bien trop loin et de sortir de la question que nous nous propo- sons d'étudier, à savoir les droits des étrangers. DROIT INTERNATIONAL La loi de 1844, consacre à cette matière trois articles : les art. 27, 28 et 29 : ART. 27. — Les étrangers pourront obtenir en France des brevets d'invention. ART. 28. — Les formalités et conditions déterminées par la présente loi seront applicables aux brevets demandés ou délivrés en exécution de l'article précédent. ART. 29. — L'auteur d'une invention ou découverte déjà brevetée â l'étranger pourrra obtenir un brevet en France. Mais la durée de ce brevet ne pourra excéder celle des brevets antérieurement pris à l'étranger. Disons tout d'abord que dans cette matière, qui n'est pas sans présenter des difficultés théoriques et pratiques assez grandes, nous ne nous bornerons pas à étudier unique-ment les règles qui ne visent que les étrangers ; il existe, comme on le verra, certaines dispositions de nos lois qui, s'appliquant à tous les brevetés sans exception, français ou non, sont particulièrement intéressantes à étudier au point de vue international, notamment les règles sur la nullité pour dé- faut de nouveauté, la déchéance pour introduction, etc., etc. Nous les étudierons à leur place, précisément parce qu'elles rentrent absolument dans notre sujet, apportant, comme 2 18 DE LA. PR0T. INTERN. DES INVENTIONS BREVETÉES on le verra, des restrictions considérables au droit des étrangers. Cette remarque faite, tel est le plan que nous nous pro- posons de suivre. CHAPITRE I. — Principes de la loi française sur le droit des étrangers en France. CHAPITRE II. — Examen des restrictions apportées en fait à leur droit (Règles sur la nouveauté de l'invention, l'obli-gation d'exploitations). CHAPITRE III. — Examen du droit du breveté, considéré au point de vue de la durée. CHAPITRE IV. — Des règles concernant l'introduction en France d'objets similaires à ceux que garantit le brevet et fabriqués en pays étrangers. CHAPITRE V. — Du droit qu'ont les inventeurs brevetés en France, de se faire breveter ensuite à l'étranger. CHAPITRE VI. — Règles spéciales aux expositions. CHAPITRE PREMIER PRINCIPES DE LA LOI FRANÇAISE SUR LES DROITS DES-ÉTRANGERS EN FRANCE Notro article 27 pose un principe large et tout à fait libéral : les étrangers peuvent obtenir des brevets d'inven-tion en France ; on n'exige ni réciprocité diplomatique ni réciprocité légale. On a compris, ce fut dit dans l'exposé des motifs de la Chambre des pairs relatif à cette loi, qu'aucun obstacle ne s'oppose à ce que l'étranger obtienne en France un brevet d'invention : le pays, a-t-on dit, doit encourage-ment et protection à ceux qui, apportant des éléments de travail, viennent l'enrichir des fruits de leurs découvertes. L'intention du législateur fut constatée une fois de plus par la circulaire du ministre du Commerce aux préfets, cir- culaire postérieure de quelques mois à-la loi : « Les dispositions de la loi s'appliquent indistinctement à tous les inventeurs français et étrangers : la loi ne fait aucune différence entre les uns et les autres, et il était digne de la France de donner l'exemple du respect pour les droits des inventeurs, sans distinction de nationalité ». La loi de 1844, admet sur ce point une disposition différente de celle de la loi de 1791 : d'après celte dernière loi en effet, il était permis aux Français d'importer un brevet de l'étranger en France, et d'obtenir un brevet d'importation, alors qu'ils 20 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE n'étaient pas les inventeurs. On avait ainsi des brevets d'importation à côté dos brevets d'invention. C'était là une des malheureuses dispositions de la loi de 1791 : accorder un monopole au Français qui introduisait en France une invention brevetée à l'étranger, c'était favoriser une industrie peu digne de l'attention et de la protection du législateur, laquelle industrie consistait à être aux aguets de toutes les inventions faites à l'étranger et à les introduire le premier en France. Le service rendu à l'industrie françaiso était presque nul, puisqu'il était facile, vu l'état des rapports avec les différents pays d'Europe, de connaître ces inven lions en France sans accorder pour cela une protection à des gens dont le mérite était nul. La loi de 1844, abroge cette disposition de la loi de 1791 : c'est l'inventeur lui- même breveté à l'étranger qui peut demander en France un nouveau brevet. Lors de la discussion à la Chambre des députés (Séance du lundi 15 avril 1844), on admit sans dis- cussion que les étrangers non encore brevetés à l'étranger, pourraient se faire breveter en France en remplissant les conditions imposées aux Français, mais la disposition de l'article 27, d'après laquelle le breveté a l'étranger pourrait se faire breveter en France fut vivement discutée. Certaines personnes approuvant pleinement l'abolition des brevets d'importation établis par la loi de 1791, ne s'expliquaient pas comment on accordait à des étrangers un droit qu'on refu-sait à des Français. « Voilà un étranger, disait-on, qui, dans son pays, a obte- nu un brevet, il l'importe en France, il acquiert ainsi un mo- nopole qu'on refuse à un Français. On empêche un Français d'aller surprendre son industrie à l'étranger, ou du moins DES INVENTIONS BREVETÉES 21 s'il l'importe en France, on ne lui accorde pas de brevet. Pourquoi établir une différence entre l'étranger et le Fran-çais, pourquoi traiter le Français plus mal que l'étranger, pourquoi conférer un brevet d'importation a l'étranger, quand on le supprime pour le Français. » D'autres personnes ajoutaient dans le même sens qu'il n'y avait pas besoin d'exciter les étrangers par la faveur d'un brevet, que les in-ventions faites dans les autres pays seraient toujours con-nues au fur et a mesure qu'elles y naîtraient. On répondait à ces critiques, d'abord à un point de vue général, c'est qu'il est d'ordre public d'exciter et d'encoura-ger le génie inventif partout ou il peut se produire. Il n'est pas absolument sûr d'ailleurs que les découvertes faites à l'étranger soient ainsi connues en France si l'inventeur a in-térêt à cacher sa découverte, sachant qu'il n'en recueillera aucun bénéfice légitime. Enfin, il n'y a dans la loi aucune espèce de faveur accordée aux étrangers au détrimentdes Français. Ce n'est pas tout étranger qui est autorisé à prendre un brevet en France, mais l'inventeur seul ou ses ayants cause : celui-là a le mérite de l'invention, et le bre-vet est la juste récompense, de ses efforts et de son intelli- gence ; ce n'est pas, comme pour l'importateur français, le prix de la course et la rémunération du voyage, comme le taisait remarquer très justement Philippe Dupin. Dans un autre système qui eut aussi ses défenseurs, on admettait bien que l'inventeur déjà breveté à l'étranger pouvait se faire breveter en France, mais sous condition de réciprocité. L'auteur d'une invention ou d'une découverte déjà brevetée à l'étranger pourra obtenir un brevet en France s'il appartient à un pays où les Français Jouissent du 22 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE même droit. Le rapporteur combattit énergiquement cette proposition : il soutint, et l'expérience lui donna raison, qu'il fallait donner l'exemple aux autres nations, exemple qui tôt ou tard serait suivi ; il rappela que les Chambres de la Res- tauration, lors de la discussion de la loi du 14 juillet 1819 relative aux successions, avaient repoussé le principe de la réciprocité, et que cette mesure n'avait eu que d'heureux résultats. On finit par admettre le droit absolu des étran- gers sans condition de réciprocité. On doit approuver pleinement cette disposition de la loi de 1844, disposition éminemment juste, et qui, les faits l'ont prouvé, n'a nui absolument en rien au progrès et au développement de l'industrie française. La plupart des législations ont d'ailleurs admis une règle analogue : les inventeurs étran- gers peuvent prendre à peu près partout des brevets d'in- vention sans que les lois locales leur imposent aucune con- dition, autre du moins que des conditions de pure forme. On peut citer dans ce sens la loi italienne du 30 octobre 1859, la loi allemande du 25 mai 1877 (art. 12) qui exige seulement la constitution d'un mandataire si l'inventeur n'habite pas l'Allemagne, la loi suédoise (ordonnance royale du 19 août 1856, article 16, 3°) et la loi autrichienne du 15 août 1852 qui sont à peu près conçues dans les mêmes termes. Dans un autre ordre d'idées, certaines législations (Italie, Autriche), exigent une expédition officielle du brevet pris à l'étranger : certaines autres (Angleterre, États-Unis) exigent de celui qui demande un brevet le serment qu'il se croit réellement l'inventeur. Toutes ces législations, on le voit, sont à peu près analogues à la loi française et con- sacrent toutes ce principe fondamental que l'inventeur seul, DES INVENTIONS BREVETÉES 23 peut prendre un brevet à l'étranger. Deux legislations importantes font cependant exception ; la loi espagnole du 30 juillet 1878 et la loi russe : toutes deux elles admettent des brevets d'importation proprement dits, dans le sens de la loi française de 1791 : la loi espagnole donne á l'importa-teur un brevet de cinq ans et la loi russe un de six ans : ce sont deux malheureuses exceptions expliquées peut-être par l'état de l'industrie et du commerce dans les deux pays, mais qui devront un jour ou l'autre disparaître. Les inventeurs brevetés à l'étranger qui veulent se faire breveter en France, ont à accomplir les formalités exigées des Français, les mêmes règles leur étant applicables : on peut dire sans inexactitude qu'ils sont assimilés aux Fran-çais sauf une exception de peu d'importance. Le président du tribunal civil ne peut autoriser un étranger à pratiquer une saisie afin de prouver des faits de contrefaçon sans exiger de lui une caution : s'il s'agit d'un breveté français la caution est facultative. En laissant de côté cette disposition assurément secondaire, il y a assimilation entre les brevets accordés à des étrangers et les brevets accordés à. des Français. Toutes les conditions exigées par les art. 1, 2 et 3 de la loi de 1844, les causes de nullité et de déchéance, établies par les articles 30, 31 et suivants leur sont applica-bles, et il est fort important de faire cette remarque, cette disposition apportant une restriction énorme aux droits des étrangers, les supprimant quelquefois absolument. Deux de ces dispositions surtout sont particulièrement nuisibles aux étrangers, nous voulons parler de l'obligation de nou- veauté de l'invention, et de l'obligation d'exploiter dans les deux ans. Nous allons les examiner, dire un mot des moyens 24 DE LA PROT. INTERN. DES INVENTIONS BREVETÉES qui ont été proposés pour remédier à cet état de choses, et il résultera de celte étude la preuve certaine que les droits des étrangers, admirablement protégés en théorie, le sont fort peu dans la pratique. CHAPITRE II EXAMEN DES RESTRICTIONS APPORTEES EN FAIT AUX DROITS DES ETRANGERS (REGLES SUR LA NOUVEAUTE DE L'INVENTION, L'ORLIGATION D'EXPLOITATION). I. — Fin de non-recevoir opposé à l'étranger tirée du défaut de nouveauté de son invention. Un principe fondamental de la loi française, c'est que l'invention doit être nouvelle pour être brevetable, et une invention n'est plus nouvelle lorsqu'elle a été pu- bliée, décrite, et, enfin, cette formule peut résumer le tout, lorsqu'on échange du brevet qu'il reçoit de la so- ciété l'inventeur ne lui découvre aucun secret, puisque le secret est connu déjà. Gela posé, on voit immédiatement á quel obstacle va se heurter l'étranger qui, ayant obtenu un brevet dans son pays, veut ensuite en prendre un en France, dans le cas où la loi étrangère exige, comme la loi de 1844, une description détaillée de l'invention. L'inven-tion, ayant perdu par cela même son caractère de nouveauté, ne sera plue susceptible d'être brevetée et si, en fait, un brevet a eté obtenu, il sera entaché de nullité. On comprend dès lors combien la question du remède à apporter à cet état de choses est importante à étudier et pourquoi diverses solutions ont été proposées. Au Congrès de la Propriété in- 26 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE dustrielle, en 1878, on proposa pour obvier a cet inconvé-nient capital d'autoriser des déclarations simultanées chez les différents consuls. Celui qui demande un brevet en France, par exemple, en faisant les déclarations voulues à l'autorité compétente, pourra se transporter successivement, s'il le juge à propos, dans les différents consulats, et décla-rant qu'il a fait une demande de brevet à telle préfecture, demander acte de sa déclaration. Cette proposition fut vo-tée par le Congrès, et il est incontestable qu'elle présente un grand intérêt pratique et est fort simple. On a objecté qu'elle entraînerait des frais : il suffît, en réponse à cette objection, de faire remarquer que, dans tous les cas, cette demande ne sera jamais obligatoire et que, dans ces conditions, on ne voit pas de raison pour ne pas donner une protection aussi légitime que naturelle à ceux qui voudront bien faire la dé-pense. Dans le système du Congrès, ainsi qu'on le voit, par la déclaration aux consulats étrangers, on prend date, ce qui ne dispense nullement de l'obligation d'obtenir posté-rieurement un brevet dans les formes exigées par la loi du pays où on demande protection : le seul avantage, mais, il résout toute la difficulté, o'est qu'on ne pourra plus être écarté par la fin de non-recevoir, tirée du défaut de nou-veauté (1). L'intérêt de la question est tellement évident que bien avant le Congrès de 1878 on s'était efforcé de résoudre la question : la loi belge du 24 mai 1854 qui admet comme la (1) La Conférence de 1880 a également proposé une solution à cette question : on accorderait un délai à celui qui aurait fait le dépôt d'une demande de brevet dans l'un des États formant l'Union (Voir la discussion, dans la troisième séance. Lundi, 8 novembre 1880). DES INVENTIONS BREVETEES27 loi française le défaut de nouveauté comme cause de nullité fait cependant une exception (art. 24, c). ART. 24. — Le brevet sera déclaré nul par les tribunaux pour les causes suivantes : a .... b.... c. — Lorsqu'il sera prouvé que la spécification complète et les dessins exacts de l'objet breveté ont été produits an-térieurement a la date du dépôt dans un ouvrage ou recueil imprimé et publié, A moins que pour ce qui concerne les brevets d'importation, cette publioation ne soit exclusive-ment le fait d'une prescription légale. On voit la restriction contenue dans ces derniers mots du dernier paragraphe de l'article : c'est une excellente dispo-sition. Lors de la discussion de la loi allemande de 1877, le gou-vernement avait proposé « que les descriptions publiées officiellement à l'étranger ne seraient assimilées aux impri-més publiés, que trois mois après leur publication. L'ex-posé des motifs du projet justifiait sans peine cette dispo-sition, en faisant remarquer que le demandeur de brevet sprait forcé de suivre un ordre dans ses demandes, en com-mençant par les pays où la publication ne se fait pas, ou se fait tardivement, pour finir parles pays où la publication est immédiate. Plusieurs amendements destinés à remédier à quelques imperfections de cette disposition avaient été pro-posés ; mais la disposition elle-même fut rejetée par le Reichstag, sur la proposition de M. Lasker, qui faisait re-marquer que si on admettait la disposition du projet, on enlèverait tout intérêt aux nations étrangères à faire des 28 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE traités dans ce sens avec l'Allemagne : selon lui, il fallait recourir uniquement à la voie diplomatique. On peut ratta- cher à cela une disposition du traité de Commerce entre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, signé à Berlin, le 16 sep tembre 1878, qui, répondant au vœu de M. Lasker, établit par voie diplomatique le délai de trois mois que le gouver-nement allemand avait voulu faire passer dans la loi (i). On peut hésiter entre ces trois mainères de sortir d'une difficulté assez embarassante, mais il est de toute nécessité qu'à défaut de loi, comme en Belgique, les gouvernements prennent la voie diplomatique, car il est vraiment scanda-eux de voir un inventeur déchu de toute protection à l'étranger pour avoir suivi à la lettre les dispositions impé-ratives de sa loi nationale. En absence de lois et de traités, vu l'importance considé-rable de la question, la jurisprudence a essayé de tirer les inventeurs d'embarras. On a cherché à distinguer deux sortes de publicités : il y a, a-t-on dit, deux hypothèses : L'invention a pu être portée à la connaissance du public, et, deuxième hypothèse, l'invention a été en fait portée à la connaissance du public. Cette seconde publicité seule ferait perdre à l'invention le caractère de nouveauté. Cette juris-prudence qui est de tout point inadmissible a été admise par plusieurs arrêts, notamment un arrêt de la Cour de Paris du 1er décembre 1863, et un arrêt de rejet du 8 mars 1865. Il s'agissait d'une demande de patente en Angleterre et du ,(1) Voira ce sujet le texte de la loi allemande avec notes explica- tives de M. Lyon-Caen. — Annuaire de la Société de Législation com-parée, 1878, pp. 106 et suivantes. DES INVENTIONS BREVETÉES 29 dépôt des pièces nécessaires opéré cinq jours avant la demande en France : on décida que le défaut de nouveauté ne pouvait pas être invoqué s'il n'était pas établi qu'en fait certaines personnes avaient eu connaissance du brevet, attendu, disait le jugement de 1re instance, « que, s'il est « établi que la demande de la patenle en Angleterre porte « la date du 25 septembre, et que le môme brevet pris en « France porte celle du 1er octobre suivant, il résulte des « documents de la cause que le dépôt qui a été fait dans ce « court intervalle entre les mains des autorités anglaises, « par suite d'une prescription légale, ne peut constituer une « publicité appartenant à tout le monde; « Attendu qu'il n'est pas établi qu'en fait, une comMuni-« cation quelconque du brevet qui fait l'objet de la contes-« tation ait été donnée à qui que ce soit, etc. ; Et la Cour ajoutait : « En ce qui louche la divulgation, considérant que la « demande d'une patente en Angleterre et le dépôt des « pièces n'ont pas fait perdre à l'invention son caractère de « nouveauté, qu'on ne saurait induire de cette prétendue « divulgation une publicité suffisante pour l'exécution du « procédé breveté,' etc. » La jurisprudence cependant semble plutôt fixée dans le sens contraire, et, sans vouloir nous étendre trop longue-ment sur ce point, nous citerons un jugement du 26 janvier 1839, de Lille (tribunal correctionnel), qui réfute d'une manière absolue les raisons mises en avant par cette juris-prudence plus équitable que juridique. « Attendu, dit le jugement, qu'il n'y a pas à distinguer entre une publicité légale et une publicité effective. » 30 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE La Cour d'appel confirma le jugement, et la Cour de cassation rejeta le pourvoi contre l'arrêt. Il nous semble qu'il suffit pour montrer à quel point la jurisprudence contraire à ce dernier arrêt est inadmissible, d'indiquer les innombrables embarras pratiques où on sera conduit. En cette matière des brevets d'invention où les procès déjà abondent, que sera-ce quand il s'agira de rechercher s'il y a eu ou non une publicité de fait ! N'est-il pas évident qu'en bien des circonstances, il sera impossible de prononcer en oonnaissance de cause ? D'ailleurs, ce qui achève de montrer à quel point cette jurisprudence est antijuridique, c'est que les rédacteurs de la loi savaient bien que le droit qu'ils accordaient aux étrangers serait le plus souvent lettre morte, et cependant la Chambre passa outre. Il suffit de rappeler les paroles significatives pro- noncées à ce sujet par le rapporteur Philippe Dupin. Cette question, capitale, on le voit, au point de vue inter- national, se présente à propos de l'application des lois étrangères. Mais toutes les législations ne s'accordent pas relativement à la question de savoir quels sont les faits de publicité qui sont destructifs de la nouveauté. La loi française, nous venons de le voir, ne distingue pas, ne considère ni le pays où les faits de publicité se sont ac- complis, ni la nature de ces faits. Certaines législations admettent bien que l'impression de la description de l'ou- vrage constitue une publicité suffisante pour être une cause de non brevetabilité, en quelque lieu que cette impression ait été faite, mais distinguent au contraire en ce qui concerne la publicité résultant de l'application : l'application de l'invention pour être destructive de la nouveauté doit DES INVENTIONS BREVETÉES 31 avoir été faite dans le pays (loi allemande art. 4, loi belge art. 24, loi des États-Unis d'Amérique art. 6). 11 y a même certaines législations (loi des Indes) qui exigent pour que l'invention soit non brevetable que la description par voie d'impression ait eu lieu dans le pays même. D'autres questions se présentent à ce sujet dont l'étude nous mène-rait trop loin : l'usage public de l'invention fait-il perdre seul le droit de demander un brevet, ou faut-il en dire au-tant de l'usage secret? Dans le sens de la première solution on peut citer la loi allemande, et la loi anglaise dans le sens de la deuxième : pour toutes ces questions et d'autres analogues, il faut se reporter au texte même des lois étran-gères. Quoi qu'il en soit, on peut voir confirmée ici l'opinion que nous émettions plus baut à savoir que 1e droit des brevetés est singulièrement diminué par cette condition de nouveauté de l'invention plus ou moins rigoureusement, mais toujourssérieusement exigée : en fait on apporte ainsi des entraves a l'exercice du droit, et il est à souhaiter, comme nous le disions, que les législations internes ou, à défaut, des conventions diplomatiques viennent remédier à cet état de choses. II. — Déchéance prononcée contre l'étranger pour défaut d'exploitation dans les délais de la loi. La loi de 1844, semblable en cela, ainsi que nous le ver-rons, à la majorité des lois étrangères, dans l'intérêt de l'industrie nationale, exige l'exploitation en France : c'est encore là une prescription qui apporte une certaine gêne 32 DU LA PROTECTION INTERATIONNIALE dans les relations internationales. Trop souvent en effet, l'inventeur ne pourra pas, pour des causes souvent indé- pendantes de sa volonté, exploiter son invention partout où il voudrait : trop souvent la misère, par exemple, les événements politiques, des crises commerciales, bien d'au- tres causes encore, viendront l'entraver dans son industrie, l'empêcher de commencer l'exploitation ou de la continuer. Mais hâtons-nous d'ajouter qu'ici les inconvénients sont beaucoup moins grands qu' ence qui concerne la nouveauté : les tribunaux ont en effet un pouvoir discrétionnaire pour prononcer ou ne pas prononeer la déchéance suivant que le breveté a ou n'a pas d'excuses suffisantes. Lors de la guerre de 1870-1871. on prorogea môme de six mois (décret du 25 janvier 1872), le délai ordinaire de deux ans, et, en règle, on peut dire que la jurisprudence se montre très large dans l'admission des excuses. Nous n'avons pas à entrer ici dans l'examen des excuses qui ont été ou n'ont pas. été admises par les tribunaux : c'est là avant tout une question de fait, citons seulement entre autres un arrêt de la Cour de Caen du 27 juin 1866 (Annales de la Propriété industrie lie, 1867, 290) : « Considérant, dit l'arrêt, qu'il est constant que L. a construit depuis la délivrance de son brevet un certain nombre de métiers perfectionnés d'après son système, et que la crise cotonnière qui est survenue explique le peu de développement qu'a eu son exploita-tion. » La jurisprudence est d'ailleurs formelle sur ce point. et par conséquent les étrangers ne se verront frappés de déchéance que si vraiment ils sont inexcusables : cette dis- position de notre loi est donc bonne et doit être maintenue. On a cependant critiqué cette disposition de la loi française DES INVENTIONS BREVETÉES 33 au Congrès de la Propriété industrielle, M. de Rosas (Au-triche) a fait observer qu'il lui semblait impossible de réaliser une loi de ce genre, qu'il ne croyait pas qu'on pût constater la non-exploitation ou l'insuffisance d'exploitation. De deux choses l'une, en effet, ajoutait un autre membre du Congrès, ou bien l'administration est chargée de vérifier s'il y a exploitation ou non, ou bien, et c'est le cas de la France, les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire, et alors, dans les deux cas, commissions administratives et tribunaux se montrent tellement indulgents dans l'apprécia-tion des faits que l'obligation inscrite dans la loi est à peu près lettre morte. Le même orateur faisait observer que dans les pays où pareille obligation n'existe pas, l'industrie n'en a pas moins pris un essor considérable et le nombre des brevets n'en a pas été diminué. Quoi qu'il en soit de la force de ces raisons, nous persis-tons à croire qu'il est impossible de sacrifier l'intérêt public pour protéger uniquement le breveté. 11 a un monopole, qu'au moins il fasse profiter le public de sa découverte, le tout, bien entendu, sous la réserve expresse que les tribu-naux auront un large pouvoir d'appréciation pour l'admis-sion des excuses présentées par les inventeurs. C'est, après un assez long débat, celte proposition qui fut adoptée par le Congrès de 1878, après une épreuve douteuse. La même idée fut admise lors de la Conférence de 1880, L'obligation d'exploiter se retrouve, d'ailleurs, dans la plupart des législations étrangères : on ne peut guère citer que l'Angleterre (1) (loi générale du 1er juillet 1852) et les (1) La loi canadienne de 1872 est moins libérale que celle de la 3 34 DE LA PROT. INTERN. DES INVENTIONS BREVTEÉES États-Unis (loidu 8 juillet 1870 modifiée en 1874) qui n'aient pas une règle analogue. L'obligation existe dans la loi autri-chienne, dans la loi belge (art. 23), la loi allemande (art. 11, 1°) exige une exploitation suffisante, dans certains pays même, l'obligation est plus stricte : d'après la loi espagnole (art. 38), le breveté doit lui- môme faire la preuve de son exploitation par devant le directoire du Conservatoire des Arts et dans un délai de deux ans établir qu'il a mis en exploi-tation son invention et que le pays a ainsi été doté d'une industrie nouvelle. La loi suédoise (art. 10, 2° et 3°) est encore plus rigoureuse; la preuve de l'exploitation doit être faite tous les ans par le breveté lui-même. En Russie, enfin, l'exploitation doit avoir lieu dans le premier quart du temps pour lequel est demandé le brevet et le breveté doi indiquer le lieu d'exploitation. métropole : il y a obligation d'exploitation au Canada dans les deux ans, sauf les cas de force majeure. CHAPITRE III EXAMEN DU DROIT DU BREVETÉ CONSIDÉRÉ AU POINT DE VUE DE LA DURÉE Nous avons ainsi fini d'examiner les deux obstacles réels apportés au développement des brevets pris au sujet d'in-ventions déjà brevetées à l'étranger. En laissant de côté maintenant cette partie de la question, en supposant qu'un inventeur a rempli les conditions nécessaires, nous allons étudier la portée et l'étendue de son droit. L'art. 29 de la loi du 8 juillet 1844 décide que ces brevets n'auront pas de vie propre ; ils n'auront pas un délai tou-jours le même comme les brevets obtenus en France ; ils prendront fin avec le brevet étranger qui les a précédés un inventeur anglais a pris une patente d'abord en Angleterre, où la durée maximum est de quatorze ans, ou bien un Russe a pris un brevet en Russie, où la durée maximum est de dix ans, il ne pourront pas jouir en France de la protection accordée par la loi française dont le maximum est de quinze ans. La conséquence de ceci est qu'au lieu d'avoir une durée invariable de cinq, dix, quinze ans comme les brevets des inventeurs français, les brevets des inventeurs brevetés à l'étranger pourront avoir toutes les durées infé-rieures à quinze ans admises par les lois étrangères. Cette disposition de la loi française qu'on retrouve souvent dans les autres législations, soulève dans la pratique d'assez 36 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE grandes difficultés que nous allons avoir à examiner, et môme en laissant de côté ces difficultés, on peut dire har- diment qu'au point de vue théorique elle ne se justifie pas. On a dit, lors de la discussion de la loi, qu'il est impossible dans un pays qu'une invention soit l'objet d'un monopole, alors que dans les autres États elle est déjà tombée dans le domaine public. Ce raisonnement, on l'a fait observer bien dos fois, ne porte pas : en effet, si l'inventeur avait com-mencé par prendre un brevet en France, qui l'eût forcé d'en prendre un ensuite à l'étranger? Si le raisonnement qu'on a proposé pour établir et soutenir la solidarité des brevets français et étrangers, était exact, il conduirait tout droit les inventeurs à se faire breveter partout ou à ne réclamer de brevet nulle part. En 1878, au Congrès de la Propriété in- dustrielle, un vœu fut émis dans le sens de la suppression de cette solidarité. « Les droits résultant des brevets demandés dans les « pays contractants doivent être indépendants les uns des « autres, et non pas solidaires en quelque mesure que ce « soit ». Si le principe admis par la loi françaiseest contestable, à combien plus forte raison est-il critiquable quand il est la cause de difficultés insurmontables et journalières. Et d'abord on voit bien quelle sera la durée du brevet quand un seul aura été pris à l'étranger : c'est l'espèce pré-vue, on peut dire la seule prévue par le législateur; mais on n'a pas prévu le cas où deux brevets auraient été pris dans deux pays étrangers avant la demande en France. De quelle législation faudra-t-il s'occuper pour fixer la durée du brevet en supposant bien entendu, autrement la ques- DES INVENTIONS BREVETÉES 37 lion ne présenterait aucun intérêt, que les deux législations étrangères n'admettent pas le même délai pour la protec-tion des brevets ? On ne voit pas en droit de bonne raison de choisir, a priori, l'une plutôt que l'autre, et il est certain que la question est délicate. Dans une première opinion fort raisonnable et fort équitable, on admet que, dans ce cas, la raison juridique de décider manquant, il faut adop-ter la solution qui protège le plus le droit des inventeurs» autrement, il faut s'occuper exclusivement de la loi qui donne la protection lu plus longue aux inventeurs. Cette ma-nière de voir serait évidemment la meilleure au point de vue législatif, mais à défaut de texte, nous sommes forcés d'admettre la solution opposée qui résulte jusqu'à l'évi-dence de l'esprit de la loi. Le but de l'art. 29 est en effet d'empêcber que les brevets, tombés dans le domaine pu-blic à l'étranger, jouissent de la protection française, et nous avons eu déjà à critiquer cette manière de voir, mais sous peine de refaire la loi, il est impossible de ne pas ad-mettre que dès que l'invention brevetée dans deux pays étrangers tombe dans le domaine public, d'après une de ces lois étrangères, elle y tombe anssi en France : c'est mauvais en législation, et un texte formel aurait dû trancher la question : le texte existe dans quelques législations : la loi belge et la loi italienne admettent que dans ce cas, il faut s'occuper uniquement de la loi accordant la protection la plus longue : chose assez curieuse, la loi des États-Unis a un texte formel en sens contraire : on doit considérer uni-quement la loi assurant la protection la plus courte ; une dif-ficulté s'est même élevée sur ce point. Le Patent-Office a décidé (règle 91) qu'un inventeur dont l'invention était déjà 38 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE protégée à l'étranger par un ou plusieurs breveta devait fournir lui-même tous les renseignements nécessaires, afin que par l'examen comparatif des brevets étrangers, on pût fixer d'une manière certaine la fin du brevet. Cette préten-tion du Patent-Office ne fut pas admise sans difficultés ; on lui contestait le droit, cela fut dit, de demander au breveté des armes contre lui-même ; on ajoutait que c'était faire une distinction aujourd'hui repoussée par les mœurs entre les nationaux et les étrangers. Le Patent-Office finit par triom-pher : il répondait notamment à la dernière objection que nous avons indiquée qu'elle ne portait pas, puisque cette disposition devait s'appliquer et aux nationaux et aux étran-gers ; il n'en est pas moins vrai que le premier argument reste, et il dut être pris en considération. Dans l'application de la loi française, une autre difficulté se présente, difficulté dont la solution a un grand intérêt pratique. Dans quel cas s'appliquera exactement cet art. 29. Le cas le plus simple et à coup sûr celui qui s'est présenté le premier à la pensée du législateur est celui où le brovel étranger arrive au terme normal de sa durée. Dans ce cas-là, pas de difficulté, mais que faut-il décider au cas où le brevet étranger est frappé de déchéance, par exemple pour défaut do paiement de la taxe. Paudra-t-il dire que, même dans ce cas, le brevet français prend fin en même temps que le brevet étranger. La Cour de cassation admet ce système. Un arrêt du 14 janvier 1864 (Journal du Pa-lais, 1864, 727) pose le principe. « Attendu qu'étant admis que l'art. 29 ne puise sa raison d'être que dans la considération que la France ne doit pas rester sous l'empire du monopole, alors que Fin- DES INVENTIONS BREVETÉES 39 dustrie est devenue libre à l'étranger, il faut nécessaire- ment conclure de cette volonté formelle du législateur que l'extinction du brevet étranger pour quelque cause qu'elle survienne doit emporter celle du brevet français, puisque que le résultat qu'il s'est proposé ne pourrait être atteint si par un motif quelconque celui délivré en France conti-nuait d'exister après l'expiration du brevet étranger. « Attendu que soit donc que le brevet périsse légalement ou accidentellement, il y a dans l'un et l'autre cas même raison pour prononcer l'annulation du second brevet. — Casse, etc. » Nous avons cité ces considérants de l'arrêt de Cassation parce qu'ils résument bien la question et les motifs que l'on invoque dans le sens de l'opinion admise par la Cour. Nous nous rangeons d'ailleurs du côté de cette opinion toujours pour la même raison : il est contraire à l'intention du législateur de 1844 de continuer de protéger en France une invention tombée dans le domaine public à l'étranger. Ce n'est pas à dire pour cela que cette manière d'entendre l'art. 29 n'ait point des inconvénients pratiques sérieux. Il arrivera qu'un inventeur ayant pris des brevets en plusieurs pays étrangers et n'exploitant par exemple qu'en France à peu près exclusivement, verra son brevet français annulé parce que, tantôt pour défaut de paiement de la taxe, tantôt pour défaut d'exploitation, l'annulation aura été prononcée en pays étranger. Ce résultat qui restreindra forcément sa production en France, puisqu'il sera obligé de produire à l'étranger, est contraire évidemment au vœu de la loi qui a mis le défaut d'exploitation en France parmi les causes de déchéance. Il arrivera que l'inventeur qui a pris deux bre- 40 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE vets, l'un à l'étranger et l'autre en France, et a cédé son brevet français, pourra très simplement préjudicier à son cessionnaire en faisant tomber le brevet, objet de la cession : il lui suffira de se mettre dans un des cas de déchéance prévus par la loi étrangère. Il y aura enfin une dernière conséquence fâcheuse, c'est qu'un contrefacteur, assigné devant les tribunaux français, soutiendra qu'il n'y a pas délit, le brevet étant tombé dans le domaine public en vertu de la loi étrangère, et on donnera ainsi un développe- ment tout nouveau à une chose mauvaise en elle-même, l'obligation pour les magistrats d'un pays d'appliquer des lois étrangères. Malgré la gravité incontestable de ces motifs qui suffisent et au delà pour demander uu remanie- ment législatif, au point de vue de l'interprétation du texte il semble impossible d'admettre l'opinion contraire à l'arrêt de 1864. Dans le rapport fait a la Chambre des pairs par M. de Barthélemy, ou voit formellement dit : « Qu'on a voulu que le brevet, pris en France par un étranger, pût recevoir dans sa durée une restriction dans le cas où l'étranger serait déjà breveté dans un pays autre que la France, et que, par conséquent, la durée du brevet pris en France ne pût dans aucun cas excéder la durée du brevet antérieurement pris dans un autre pays. » Et d'ailleurs ce qui prouve bien que telle était l'intention évi- dente du législateur, c'est que si on consulte les commentaires sur la matière faits peu de temps après la promulgation de la loi, la question est résolue dans ce sens sans même qu'il y ait doute. « Le brevet pris en France cesserait d'exister si celui qui a d'abord été pris à l'étranger pour le même objet DES INVENTIONS BREVETÉES 41 venait à y être frappé de nullité ou de déchéance » Dalloz, Alphabétique, verbo Brevets d'invention,nº 241). La majorité des auteurs semble cependant contraire à cette opinion et M. Bozérian (Journal du Droit international ■privé, 1877, 217) déclare que la question ne ferait pas de doute, sans la haute autorité de la Cour de cassation. En dehors des motifs généraux qu'on peut invoquer, il fait remarquer que l'article 29 ne parle et ne pouvait parler que de la durée normale puisqu'il s'occupait de la prise du bre-vet et non des causes de déchéance qui pourraient l'atteindre ultérieurement. Il invoque les précédents législatifs, et fait remarquer que l'article 29 n'a été fait que pour faire revivre la disposition du décret du 31 décembre 1791, attribuant au brevet d'importation une durée égale au brevet étranger : Dans cette législation, abrogée momentanément en 1810, ajoute M. Bozérian, on n'a jamais songé à faire dépendre l'existence de l'un de ces brevets de celle de l'autre. — Ces considérations ne peuvent aller contre l'intention du législa-teur qui parait certaine : que le brevet étranger disparaisse normalement ou non, le brevet français doit tomber. Disons d'un mot que dans certaines législations, un texte formel résout la question : la loi anglaise déclare l'invention tombée dans le domaine public, quelle que soit la cause qui ait fait tomber le brevet. D'autre part la jurisprudence belge admet le système contraire à la loi anglaise et à la jurispru-dence française. Faut-il admettre la même solution au cas où le brevet est frappé de nullité? A la différence do la déchéance, la déclaration de la nul- 42 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE lité a comme on sait, on effet rétroactif, et on peut faire le raisonnement suivant : le brevet étranger est censé n'avoir jamais existé puisqu'il est annulé rétroactivement, donc nous ne sommes plus en présence d'un brevetditd'importation, mais en présence d'un brevet pris en France sans qu'un autre ait été pris à l'étranger, nous sommes en présence de l'article 27 et non de l'article 29 : la conséquence se tire toutt seule : le brevet pris en France ne tombera pas en même temps que le brevet frappé de nullité à l'étranger. On arri-verait alors logiquement à lui donner la durée ordinaire des brevets français, soit quinze ans comme maximum : ce serait là un résultat mauvais qu'on n'admet pas générale-ment; le publio, en effet, qui connaissait la durée maximum du brevet telle qu'elle était fixée par la loi étrangère, serait induit en erreur par cette prolongation de délai que rien ne peut lui faire connaître. On admet donc, et nous leus fal-lions à l'opinion générale que les brevets dits d'in portation ne tombent pas quand les brevets étrangers sont frappés de nullité, mais que leur durée ne peul dépasser en France celle qui avait été primitivement fixée. On ne voit pas d'ail-leurs que la question ait une importance pratique considé-rable ; sans doute elle peut se présenter, et il serait facile d'en donner la preuve, mais la controverse est moins importante qu'en ce qui concerne la déchéance : aussi les auteurs, en général, la passent sous silence : un seul, à notre connaissance, dans un passage déjà cité admet que la nul-lité prononcée à l'étranger fait tomber le brevet en France (Dalloz, Alphabétique, vide supra). Il nous reste deux questions de peu d'importance pour finir notre étude sur ce point. DES INVENTIONS BREVETÉES 43 Un inventeur demande un brevet à l'étranger, et avant de l'avoir obtenu, en demande un en France. Y aura-t-il so-lidarité entre les brevets, autrement dit, faudra-t-il s'atta-cher strictement au texte qui parle exclusivement de brevets obtenus en pays étranger ou bien faut-il assimiler aux bre-vets obtenus les brevets seulement demandés ? C'est évi-demment cotte dernière opinion qu'il faut admettre, puis-qu'autrement la disposition del'art. 29, serait lettre morte, tant il serait facile d'y échapper. On a soulevé également une question qui semble, celle-là, purement théorique et de nature à ne se présenter ja-mais. On suppose un inventeur qui après avoir pris un brevet à l'étranger en demande un en France, le brevet étranger étant déjà expiré : Quid de la durée du brevet ? La ques-tion, comme nous le disions, n'est pas de nature à se pré-senter souvont, en effet, s'il est déjà difficile aux étrangers de se faire breveter en France pendant la durée du brevet, parce qu'on leur oppose le défaut de nouveauté, à combien plus forte raison la même difficulté se présentera-t-elle après un temps toujours relativement long. La publication offi-cielle de l'invention est en effet toujours ordonnée, et l'obten- tion d'un brevet valable serait difficile. Au cas où l'espèce se présenterait, il ne faut pas hésiter à dire qu'un brevet ordinaire pourrait être pris en France, puisqu'il n'en existe plus à l'étranger. La loi anglaise dit formellement que dans ce cas, le brevet serait nul. Disons d'un mot, qu'il peut se faire qu'un individu bre-veté à l'étranger, prenne un brevet en France sans avertir de ce fait l'autorité compétente française dans le but d'être 44 DE LA PROTECTION INTERNATIONA LE protégé pendant la durée maximum du brevet français. Il va sans dire que ceux qui ont intérêt à Taire proclamer que le brevet est expiré, n'auront qu'à prouver l'existence an- térieure d'un brevet étranger lequel est expiré, ou a été frappé de déchéance, qu'en conséquence il y a lieu d'appli- quer lºart. 20 : cela ne semble pas pouvoir faire difficulté. Telles sont les principales questions qui se présentent, quand un étranger déjà protégé dans son pays réclama la protection de la loi française. Qu'arriverait-il si un Français commençait par se faire breveter à l'étranger, faudrait-il lui appliquer lºart. 29 ? Et d'abord, il faut dire que la question n'est pas sans présenter un intérêt pratique sérieux : sans doute le Français résidant en France commencera par se faire breveter en France, cela est d'évidence ; mais on peut très bien supposer des Français exploitant des établisse- ments importants à l'étranger et ayant un intérêt évident se faire protéger sur place : les Français pourront-ils en-suite se faire breveter en France et comment ? Lors de la discussion à la Chambre des députée, un membre de la Chambre demanda qu'on rédigeât ainsi 1ºart. 29 : Art. 29. — L'auteur français ou étranger d'une invention ou découverte déjà brevetée à l'étranger pourra obtenir un brevet en France. Le rapporteur répondit que c'était inutile et maintint ta rédaction : on faisait pourtant remarquer que 1 º art. 29 étant compris dans un litre dont la rubrique Hait : Du droit des étrangers, la jurisprudence pourrait refuser d'étendre cela aux Français, on passa outra, et l'adjonction réclamée ne fat pas volée comme inutile et superflue. Il est fort imper- DES INVENTIONS BREVETÉES 43 tant de rappeler ce passage de la discussion : l'expérience a donné raison à ceux qui réclamaient un texte formel, et des questions se sont posées relativement à l'application de l'article. Il ne semble pas d'abord que l'on puisse soutenir d'une façon sérieuse que le Français ne pourra d'aucune manière se faire breveter en France, mais la question déli-cate est de savoir si l'article 29 lui est applicable, c'est-à-dire si le brevet qu'il prendra en France, tombera avec le brevet pris à l'étranger ou en sera indépendant. La Cour de cas- sation admet (arrêt de Cassation. Chambre Crim., 44 jan-vier 1861. Sirey, 1864, 1,200, que lºart. 29 s'applique aussi bien aux Français qu'aux étrangers, « attendu, dit l'arrêt, que s'il est vrai que cet article figure au titre III de la loi intitulée : Du droit des étrangers, on ne saurait inférer de sa situation sous cette rubrique, qu'il ne soit applicable qu'au seul cas de l'étranger prenant en France un brevet pour une découverteou invention déjà brevetée à l'étranger, qu'il résulte au contraire, tant du texte que de la nature môme de cette disposition, qu'elle régit aussi bien les régnicoles que les étrangers. » Et l'arrêt fait en outre remarquer que la loi ne parle pas des brevetés étrangers, mais des brevetés à l'étranger. On pourrait cependant soutenir l'opinion contraire, d'abord en se fondant sur la rubrique du titre qui est formelle, et surtout sur certaines paroles prononcées lors de la discus-sion de la loi, qu'il serait téméraire de présenter comme concluantes, mais qui cependant ne doivent pas être négli-gées. Il est bien vrai que le rapporteur a déclaré que l'ad-jonction réclamée à l'art. 29 était inutile, mais pourquoi? « Le principe général, a-l-il dit, posé au commencement 46 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE de la loi, veut que tout Français puisse être breveté pour toutes inventions ou découvertes nouvelles dont il est l'au-teur en quoi qu'elles consistent. Le Français est sous la tu-telle de ce principe général, qu'il soit breveté ou non en pays étranger. Pour qu'il en fût autrement, il faudrait une pro-hibition qui n'existe pas. Il était donc inutile de le com-prendre dans l'art. 29. Cet article a été fait pour l'étranger seulement, il est donc bien placé sous le litre qui traitait du droit des étrangers ». Nous avons cité en entier cette réponse du rapporteur, parce qu'elle est importante ; on pourrait peut-être conclure de ces paroles que dans son intention, l'inventeur français, quoique déjà breveté à l'étranger, peut avoir en France, un brevet indépendant du brevet étranger, durant quinze ans en un mot, l'art. 29 ne le visant pas. Nous admettons cependant la doctrine de la Cour de cassation par cette raison surtout que le Français qui va d'abord porter son invention à l'étranger n'est pas favorable : il ne doit pas se plaindre, lui qui a agi en étranger, qu'en le traite comme tel ; et d'ailleurs cette opinion seule cadre bien avec la préoccupation constante du législateur de ne pas laisser sous l'empire du monopole en France des industries déjà libres à l'étranger (1). Cette solidarité, nous l'avons déjà vu, est critiquée et n'a (I) Une difficulté très curieuse s'est présentée récemment à l'occa- sion de ce principe de la solidarité des brevets. D'après la législa- tion anglaise, avant d'obtenir un brevet définitif, il faut faire une demande de protection provisoire de six mois, en accompagnant cette demande d'une spécification complète ou provisoire de l'in- vention au choix de l'inventeur lui-même dont les droits et la pro- tection varient pendant les six mois suivant qu'il a pris le premier DES INVENTIONS BREVETÉES 47 pas les avantages qu'on lui supposait devoir avoir : la loi ou le second parti. Dans les deux cas d'ailleurs, il lui faut pour obtenir une patente publier un avis au journal officiel (notice to proceed) indiquant qu'il veut en obtenir une. Après l'accomplisse-ment des formalités exigées par la loi, Pattoraey général donne un ordre ou warrant pour faire sceller les lettres patentes. Ceci posé, voici ce qui arriva. M. P. avait obtenu en France un brevet le 6 septembre 1871 ; mais auparavant il avait déposé en Angleterre une demande de patente accompagnée de spécification provisoire le 17 mars 1871, et n'avait pas rempli dans les six mois les formalités exigées par la loi anglaise pour la délivrance d'une patente. Il poursuivit en France les contrefacteurs qui soutinrent que son brevet jetait tombé dans le domaine.public le (7 septembre 1871, six mois après la demande de protection provisoire en Angleterre, prétention qui restreignait singulièrement son droit puisque son brevet franc lis datait du 6 septembre seulement. La prétention des contrefacteurs consistait donc à dire que la spécification provisoire eu Angleterre était l'équivalent d'un brevet dont la déchéance par suite dudéfaul d'accomplissement des formalités dans les six mois, entraine la déchéance en France. La question est très délicate. Dans un premier système, on soutient que la spécification pro-visoire équivaut au brevet. On argumente de ce fait que, les six mois de la protection provisoire comptent dans les 14 ans du brevet (durée de la loi anglaise) ; donc la protection provisoire fait partie intégrante du brevet : c'est le brevet lui- même considéré dans ses six premiers mois, et qui sera restreint à cette durée, si les forma-lités exigées par la loi ne sont pas accomplies. On fait remarquer en outre que la protection provisoire ressemble au brevet par bien d'autres côtés-La protection provisoire empêche, par exemple, qu'on puisse op-poser plus tard à l'inventeur le défaut de nouveauté : on argumente enfin des idées générales de la loi française de 1844, et on conclut que le dépôt de la spécification provisoire, notamment équivalant au moins à la demande d'un brevet, l'art. 29 est applicable. On répond, dans une autre opinion, qu'on ne peut pas plus com-prendre une patente existant en Angleterre sans l'obtention du grand sceau, qu'un brevet en France sans l'arrêt ministériel : donc la protection provisoire ne fait pas partie du brevet. En cas de spécification provisoire (c'était l'espèce), on peut ajouter que la pro-tection accordée pendant les six mois ne donne pas le droit essentiel du brevet, celui d'agir en contrefaçon : elle n'assure même pas la priorité d'une manière absolue. La question est fort délicate et dans l'espèce que nous indiquions 48 DE LA PROT. INTERN. DES INVENTIONS BREVETÉES allemande qui la rejette a réalisé ainsi un incontestable progrès. plus haut elle a été diversement résolue par le tribunal et par la Cour : nous admettons que la protection provisoire ne doit pas être assimilée au brevet, partant que les brevets obtenus en pays étranger ne tombent pas avec elle, quand les formalités pour obte-nir une patente en Angleterre ne sont pas remplies dans les six mois. Le motif qui nous décide surtout, c'est qu'entre la patente et la spécification provisoire, il y a une différence de fond, une diffé-rence capitale; la protection provisoire se métamorphose en brevet lors de l'obtention du grand sceau ; mais auparavant c'est un état de chose, un fait que ne vise pas la loi française de 1844. Nous critiquons donc l'arrêt de la Cour de Paris qui avait admis l'opinion contraire (Sirey, 1880, 2, 33); c'est cependant cette dernière opinion qui a été admise encore par la Chambre civile de la Cour de cassation (arrêt du 18 juin 1881, Sirey, 1881, page 409). Sans revenir sur la question de droit elle- même évidemment soutenue et combattue par les mêmes raisons, il importe de faire remarquer que l'arrêt de la Cour de cassation est critiquable à un autre point de vue : la Cour considérait en effet qu'elle n'avait pas à examiner l'arrêt de la Cour de Paris en tant qu'il assimilait la personne qui a déposé une spécification provisoire en Angleterre à un breveté, la décision des juges du fait étant souveraine. — On fait remarquer contrairement à la doctrine de l'arrêt, que s'il est vrai qu'en règle générale les juges du fait statuent souverainement sur les lois étrangères invoquées devant eux, il n'en est plus de même, et la Cour de cassation devient compétente lorsque, sans que l'observa-tion de la loi étrangère soit prescrite expressément par la loi française, il y a un lien tel établi entre ces deux lois qu'on applique mal la loi française en interprétant mal la loi étrangère : c'est bien précisément notre espèce: les brevets français dans un cas unique ont une durée qui dépend des législations étrangères : pour que l'art. 29 s'applique, il faut qu'il y ait eu délivrance du brevet a l'étranger, autrement on fait retour au droit commun. Dans les conditions du pourvoi on soutenait qu'il y avait
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