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II FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES DE L'ESPRIT DU DROIT ROMAIN II FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES CRITIQUE DE LA THÉORIE, DE SAVIGNY PAB R. VON JHERING Professeur ordinaire de droit á Université de Goettingen TRADUIT ANE'L AUTORISATION DE L AUTEUR 0. DE MEULENAERE Conseiller à h Conr d'Appel de GAnd DEUXIÈME ÉDITION PARIS A. MARESCQ, Aîné, EDITEUR 20, RUE SOUFFLOT Au coin de la rue Victor-Cousin MDCCOLXXXII Il n'est point de monographie de droit romain qui ait rencontré à la fois, et à bon droit, je pense, autant d'approbation et d'opposition que celle de SAVIGNY sur la possession. Il lui reste la gloire impérissable et inattaquable d'avoir restauré, dans notre dogmatique du droit civil, l'esprit de la jurisprudence romaine, et quelle que soit en définitive la somme de ses résultats pratiques, ce mérite lui restera sans avoir souffert la plus légère atteinte. Mais l'aveu de ce mérite ne doit et ne peut point empêcher la science de soumettre les opinions de SAVIGNY. à un examen nouveau : l'anathème qu'a lancé PUCHTA contre tout nouveau doute, dans un moment de mauvaise humeur et de dépit causé par les flots toujours gonflés du torrent de la littérature possessoire, ne peut arrêter la critique; l'expérience l'a démontré et le démontre encore tous les jours. En effet l'œuvre de SAVIGNY , plus qu'aucune autre, provoque la critique, non point dans ses détails, mais dans ses bases mêmes et dans ses vues fondamentales : ce serait à mes yeux une preuve de l'agonie du sens et du jugement scientifiques, une preuve de décrépitude, si notre science se payait des énig- ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES mes non encore résolues qu'a fait naître la théorie de SAVIGNY. | sur la possession. Je me suis trouvé en contradiction avec cette théorie sur des points essentiels, dès le premier moment que je me suis formé ! un jugement scientifique indépendant. J'ai cru cependant ne pas devoir exprimer publiquement mon opinion sans m'être livré au préalable à de nombreuses recherches. J'ai pratiqué ces recherches * sur une large échelle, et sans vouloir prétendre qu'on y trouvera une garantie objective de la vérité, je puis du moins assurer que je n'ai subjectivement rien omis pour parve nir à l'atteindre. La première difficulté que je rencontrai dans la théorie possessoire de SAVIGNY concerne la question de Yani- mus domini, et déjà en 1846 j'ai exposé dans mes leçons le fond de l'opinion qui se trouve développée au chapitre UL Plusieurs autres points de divergence survinrent ensuite, particulière- J ment la doctrine du constitution possessorium, la question du fondement de la protection accordée à la possession, et de la nature juridique de la possession. Ces points feront l'objet d'études qui se succéderont dans l'ordre suivant : I I I. Fondement des interdite possessoires. II. Nature juridique de la possession. III. Uanimus domini. IV. Le constitutum possessorium ('). (') La première de ces études a seule paru. Elle est d'une importance j capitale pour la théorie de la possession, et le bon accueil qui a été fait à la première édition de notre traduction, publiée en 1875, nous a décidé à la reproduire, en la remettant, cette fois, dans son cadre naturel, comme Étude complémentaire de l'Esprit du droit Romain. (Note du tradl FO.XDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES I I APERÇU GENERAL Pourquoi la possession est-elle protégée ? Nul ne fait cette question pour la propriété, pourquoi donc l'agiter au sujet de la possession? Parce que la protection) /accordée à la possession a de prime abord quelque chose de {bizarre et de contradictoire. En effet, la protection de la pot-session comporte aussi la protection du brigand et dû voleur ; or, comment le droit, qui condamne le brigandage et le vol, peut-il en reconnaître et en protéger les fruits, dans la personne de leurs auteurs ? Cela n'est-il pas approuver et soutenir de l'une main, ce que de l'autre on rejette et poursuit? Lorsqu'une institution existe depuis des siècles, nul homme doué d'un jugement impartial ne peut se soustraire à la conviction qu'elle doit être basée sur des motifs impérieux, et en fait, la nécessité de protéger la possession n'a jamais été sérieusement contestée. Mais on est bien loin d'être unanime-mentd'accord sur ces motifs. H. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRE8 31 4 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES Quelques auteurs, particulièrement les anciens, évitent la question ; ils acceptent le fait accompli. Mais si jamais un fait eut besoin d'explication, c'est bien celui-ci. SAVIGNY l'a compris et ne s'est point soustrait à l'explication. Mais sa réponse, malgré l'approbation qu'elle a rencontrée d'abord, n'a pu se soutenir, et l'on a fait successivement une foule de tentatives pour résoudre la question d'une autre manière. J'en fais une à mon tour. La question n'est point, comme on pourrait le croire tout d'abord, du domaine exclusif de la philosophie du droit ou de la science de la législation. Elle a une importance dogmatique considérable, et j'espère démontrer plus loin que sa solution n'est pas seulement la première condition de l'exacte intelligence de la théorie possessoire toute entière, mais qu'elle conduit encore à des résultats pratiques d'une incontestable valeur. La circonstance que les solutions données jusqu'ici à cette question n'ont pour ainsi dire jamais été réunies en un aperçu général et soumises à une critique rigoureuse ('), m'oblige à me livrer à cette tâche. J'ai cherché à partager ces solutions en deux groupes, à l'imitation des théories du droit de punir: les théories absolues et les théories relatives. Les théories relatives de la possession cherchent le fondement de sa protection, non dans la possession elle-même, mais dans des considérations, des institutions et des préceptes juridiques étrangers à la possession; elle n'est pas protégée pour elle-même, mais seulement pour donner à d'autres la plénitude de leur droit; pour elle-même, la possession ne se conçoit pas. Les théories absolues, au contraire, définissent la possession en la considérant en elle-même et pour elle-même. La possession (') Il faut cependant faire une honorable exception pour RANDA. Der JJesitz nach ôsterr. Redite. Leipzig, 1865, § 8. ■ ÎI. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOEKES H ne doit pas sa protection et son importance à des considérations qui lui sont étrangères : c'est pour elle-même qu'elle prétend être reconnue juridiquement, et le droit ne peut lui refuser cette reconnaissance. Une de ces théories trouve le fondement juridique de la possession dans la volonté. La possession est la volonté en soi, le fait nu par lequel la volonté humaine se réalise sur les choses, et qui doit être reconnu et respecté par le droit, sans examiner s'il est utile ou dangereux; — c'est un droit primordial de la volonté d'être reconnue, aussi bien par le législateur in abstracto, que par le juge in concreto, toutes les fois qu'ils ont à s'occuper de la possession. En un mot, le possesseur peut réclamer reconnaissance et protection avec la même raison et le même droit que le propriétaire. A cette nécessité de la protection possessoire, basée sur le caractère éthique de la volonté, une autre théorie oppose la nécessité économique de la possession. La possession est économiquement aussi nécessaire que la propriété ; toutes deux ne sont autre chose que les formes juridiques, sous lesquelles se réalise la destination économique des choses pour les besoins de l'humanité. C'est d'après ces points de vue différents que je grouperai dans la suite les diverses opinions : j'avoue cependant qu'il est impossible d'y apporterla précision et la clarté qui distinguent les théories sur le droit de punir. Au surplus, la différence a été si peu accentuée jusqu'ici, que l'on trouve chez certains auteurs des échos des deux systèmes à la fois(*). Peut-être cet essai contribuera-t-il à jeter de la lumière, au moins sur ce point. (*) PUCHTA , Vermiachte Schriften p, 265. — THENDELENBURQ , Natur- recht auf dem Orunde der Ethik. 2" édit. Leipzig, 1868, § 95. GANB, v. plus bas. 6 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES 1. Théories relatives Les interdits possessoires n'ont point leur fondement dans la possession même, mais 1. Dans l'interdiction de la violence, a. SAVIGNY accentue particulièrement le motif de droit 'privé qui concerne le possesseur. (Le trouble possessoire est un délit contre le possesseur). b. RUDORFF au contraire insiste davantage sur le motif de \droit public qui concerne la société. (Le trouble possessoire est un attentat contre tordre juridique). 2. Dans le grand principe juridique que nul ne peut juri- diquement vaincre autrui, s'il n'a des motifs prépondérants d'un droit meilleur (THIBAUT). 3. Dans le privilège de Virréprochabilité, en vertu duquel on doit admettre, jusqu'à preuve du contraire, que le possesseur, qui peut avoir un droit à la possession, a en réalité ce droit (RODER); 4. Dans la propriété; la possession est protégée : a. Comme propriété probable (ou possible); c'est l'opinion ancienne. b. Comme propriété commençante (GANS). c. Comme complément nécessaire de la protection de la propriété; c'est mon opinion. H 2. Théories absolues La possession est protégée pour elle-même, car 1. Elle est la volonté matériellement incorporée (GANS, PDCHTA, BRUNS); 2. Elle « sert, comme la propriété, à la destination uni ver-1 » selle du patrimoine : à la satisfaction des besoins de l'huma-» nité par les .choses et par le libre pouvoir qui s'exerce sur » elles ■ son but est de conserver l'état de fait des choses » (STAHL). H. FONDEMENTS DES INTERDITS POSSESSOIRES 7 n. L'INTERDICTION DE LA VIOLENCE COMME FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES. L'opinion de SAVIGNY est si connue, que je crois à peine nécessaire de citer ses propres paroles (8) : « La possession ne constituant pas par elle-même un droit, » le trouble qu'on y apporte n'est pas, à la rigueur, un acte » contraire au droit; il ne peut le devenir que s'il viole à la » fois et la possession et un droit quelconque. Or c'est ce qui » arrive lorsque le trouble apporté à la possession est le fait » de la violence: toute violence, en effet, étant illégale, c'est » contre cette illégalité qu'est dirigé l'interdit. — Les interdits » possessoires supposent un acte, -qui par sa forme même, est » illégal. — Le possesseur a le droit d'exiger que personne » ne lui fasse violence. » « Il n'y a pas là violation d'un droit » subsistant par lui même, en dehors de la personne, mais » Y état de celle-ci se trouve modifié à son désavantage; et si » l'on veut réparer complètement et dans toutes ses conséquences » l'injustice résultant de l'acte de violence dont elle a étévic-» time, il est indispensable de rétablir ou de protéger l'état » de fait que cette violence avait entamé (*), » L'opinion de RUDORFF(B) ne s'écarte pas essentiellement de celle de SAVIGNY. Tandis que ce dernier reconnaît le droit à la protection dans la personne du possesseur, et soutient, pour me servir de ses propres termes (p. 45), que « des considérations du ressort du droit privé ont servi de base aux interdits possessoires », RUDORFF accentue le caractère public de (•■') SAVIGNÏ", Traité de la possession, § 2. Traduct. de H. Staedler. Brux., 1866, p. 11-12. («) Ibid. § 6, p. 38. («) Zeitschrift fUr Gesch. Rechtswissenschaft. VII p. 90 s. ■ g ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES la violence, comme « trouble apporté à la paix et à l'ordre publics», en rattachant la protection de la possession à l'in- terdiction de se faire justice à soi-même. Il est clair que ce dernier point de vue lui-même peut se concilier avec le droit privé du possesseur à être protégé, comme le prouve fort bien le Decretum Divi Marri. Mais d'autre part il se trouve trop restreint, lorsque l'on remarque que le trouble ou l'enlèvement violent de la possession n'a point toujours pour but de se faire justice à soi- même, sans parler des autres cas d'enlèvement illégal de la possession (clam, precario). Les doutes qui ont été élevés contre cette modification de l'opinion de SAVIGNY(6), semblent avoir induit l'auteur à la retirer tacitement (7), de sorte que nous pourrons nous borner dans la suite, à l'examen exclusif de l'idée de SAVIGNY. Cette idée paraît séduisante au premier abord.... lorsque l'on ignore ou perd de vue l'aspect qu'a pris la possession dans le droit romain. Elle aurait été de mise dans un traité de droit naturel (8), mais dans un ouvrage qui prétend exposer la théorie romaine de la possession, elle ne peut qu'exciter une profonde surprise, car elle est inconciliable avec cette théorie et s'y heurte de toutes parts à des contradictions. La tentative de réaliser législativement cette idée engendrerait un droit de possession qui n'aurait pas même la plus lointaine ressemblance (s) SAVÏGNÏ , 1. c. p. 44 s. (') Ibid., Appendice, p. 583. (') Et encore faudrait-il alors prouver d'abord, comme le demande BANDA loc. cit., que l'enlèvement violent de la possession est en soi un acte injuste. « En elle-même, remarque-t-il avec raison, la violence ne peut " paraître injuste qu'en tant qu'elle lèse un droit. En effet, là où aucun » droit n'est lésé, mais où il y a seulement changement d'un état de » fait, il ne peut être question d'effacer l'injustice de la violence et de » ses conséquences. » Je reviendrai plus loin (IV) sur cet argument. II. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES 9 avec la possession romaine. Je le prouverai en passant en revue les points principaux de la théorie romaine de la possession. i. Défaut de protection de la detentio alieno nomine. Si les interdits possessoires reposent sur l'idée d'une violation du droit commise contre la personne, on ne voit point pourquoi ils peuvent être refusés à celui qui possède alieno nomine. Qu'y a-t-il de commun entre l'injustice contre la personne et la manière dont celle-ci possède? L'ordre légal serait-il par hasard moins lésé par l'expulsion d'un fermier conventionnel que par celle d'un fermier héréditaire ? La violence reste violence, peu importe contre qui elle s'exerce. Une action qui, comme telle, c'est-à-dire indépendamment de la personne lésée, renferme en elle une injustice, ne peut tantôt être une injustice, tantôt ne l'être pas selon la diversité des hypothèses. Écoutons la réponse de SAVIGNY. « De deux choses l'une; » dit- il, (p. 40) » « ou ce détenteur est d'accord, ou il est en » opposition avec le véritable possesseur. Dans le premier cas, » il n'a pas besoin d'interdits, puisque ceux du possesseur lui » suffisent. Dans le second cas, s'il voulait invoquer les inter-» dits contre le gré»du possesseur, soit contre celui-ci même, » soit contre un tiers, il ne le pourrait pas, parce qu'en le fai-' » sant, il contreviendrait aux rapports obligatoires sur lesquels » se base sa détention, et qui couvrent complètement tous ses „ intérêts. » Je doute que cette argumentation convainque quelqu'un (9). SAVIGNY a perdu de vue sa propre idée des interdits possessoires. En effet, si ceux-ci sont des moyens de protection contre l'injustice exercée envers la personne, si le rapport possessoire n'a qu'une importance subordonnée, qui se réduit à l'élément de fait de la situation, alors on ne peut comprendre pourquoi le détenteur doit dépendre du possesseur pour être protégé contre une injustice qui lui est personnelle, (*) V, dans le mêmesens BANDA loc. cit. note 3. 10 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES à lui-même. Il est parfaitement indifférent « que les interdits » du second les protègent suffisamment tous les deux, et que » dès lors le détenteur n'en ait pas besoin (l0) », du moment que le trouble est dirigé non contre la possession mais contre la personne. La protection contre l'injustice du trouble n'est pas une question d'opportunité ou de nécessité, c'est une simple conséquence. C'est la personne lésée qui est protégée; si tous deux sont lésés, tous deux ont droit à la protection; si un seul est lésé, celui-là seul doit être protégé, donc le détenteur doit l'être dans tous les cas, car c'est lui qui est le premier et directement atteint par la violence. C'est ce qui arrive pour l'interdit quod vi aut clam; si Yopus vi aut clam factum lèse également l'intérêt du fermier et du bailleur, tous les deux ont l'interdit ("). Or si l'on réfléchit que cet interdit suppose un délit ('*), on verra facilement comment les jurisconsultes romains auraient dû décider, s'ils ayaient considéré les interdits posses-soires sous le même point de vue. Si les détenteurs n'ont pas besoin d'un moyen de protection indépendant, pourquoi le droit romain leur accorde-t-il l'ac*. furti et vibonorum raptorum(,s)9 Le même motif pour lequel, d'après l'opinion de SAVIGNY, il leur refusait les remèdes posses-soire8, devait aussi leur faire refuser ces deux actions. S'il ne l'a point fait, c'est que le droit romain ne s'est nullement dissimulé l'atteinte immédiate que ces délits portaient au droit du détenteur, ni la nécessité et l'importance de lui accorder contre eux une protection immédiate. Et ce n'est pas seulement la ('•) Cela même n'est pas toujours vrai, comme KANDA le remarque avec raison, par exemple en cas d'absence du possesseur. (") L. 12 quod vi (48, 24). (*') L. 3 i>v. ibid. facto duo DBMNQUENTIS. L. 1 § 2 WJI'IUAM comminisci. Aussi cet interdit appartient-il même au fils de famille. L. 9 de 0 et A. (44, 7)... injuriarum et quod vi aut clam, L. 13, § 2 quod vi. I (") L. 14 § 2, L. 85 de furt. (47, 2); L. 2 § 22 Vi bon. (47, 8.) II. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES 11 lésion personnelle qui est prise en considération dans ces deux actions, ainsi que dans Vintcrdictum quod vi aut clam; c'est l'intérêt réel, patrimonial du maintien du rapport possessoire qui y trouve son expression. Prœterea, dit la loi citée (14 § 2 de furt.), habent furti âctionem coloni, quamvis domini non sint,\ quia INTEREST EORUM; et clans la L. 2 § 22 vi bon. citée, la chose reçue en commodat, en gage, en location, est comprise dans notre patrimoine, en ce sens que sans être, de sa nature, une chose « in bonis », elle n'en est pas moins considérée comme se trouvant « ex bonis » c'est-à-dire « ut ex substantia mea res ablata esse proponatur... ut intersit mea eam non auferri. » C'est ainsi que le locataire obtient l'interdit de migrando, du chef de la rétention des choses inférées, même en ce qui concerne les choses qui lui ont été prêtées ou louées ou qui ont été déposées chez lui, et la pétition d'hérédité s'étend aussi à ces choses ('*). Lorsque le possesseur et le détenteur ne sont pas d'accord, dit SAVIGNY, ce dernier ne peut invoquer les interdits, parce-qu'il empiéterait sur les rapports obligatoires qui sont la base de sa détention. Mais en admettant même que l'exercice des interdits contienne de sa part un pareil empiétement vis-à-vis du possesseur, quelle importance cela a-t-il vis-à-vis de l'auteur du trouble ? Ce dernier n'est jugé que d'après la mesure de sa propre action, et il ne peut déduire un droit des rapports obligatoires qui existent entre le détenteur et le possesseur. S'il le pouvait jamais, ce serait bien particulièrement dans le cas d'expulsion d'un bailleur par le locataire, car dans ce cas la violation du rapport obligatoire est tout-à-fait indubitable et flagrante — et cependant le droit accorde sans difficulté les interdits au locataire devenu possesseur, (ls) et le tiers qui viendrait objecter, d'apx-ès SAVIGNY, les rapports obligatoires qui ('♦) L. 2 de migr. (43, 32). L. 19 pr, de lier. pet. (5, 3). ('*) L. 12 de vi (43,16). 12 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES ont existé entre le locataire et le bailleur, ne.serait pas écouté. En somme, on peut affirmer que la tentative faite par SAVIONY pour réfuter les objections qui peuvent être tirées contre sa théorie du défaut de protection du détenteur, est complètement manquée. C'est une étrange ironie du sort littéraire, dont on trouverait, du reste, une quantité de preuves chez SAVIONY lui même, malgré son grand génie, c'est disons-nous, une étrange ironie, que SAVIGNI, le restaurateur de la théorie romaine de la possession, ait pour l'élucider, énoncé une idée qui oppose à cette théorie une inconciliable contradiction, et qu'il ait en même temps combattu vivement une idée moderne qui s'est fait jour dans la sphère de la possession et qui contient la réalisation historique de son idée; nous voulons parler du summariissimùm et de Vactio spolii. Celui qui voit dans le trouble et l'enlèvement de la possession, une injustice contre la personne, devrait nécessairement applaudir à ces remèdes légaux, qui sont accordés à tout possesseur sans distinguer la qualification de sa possession, et les saluer avec joie comme la réalisation de son idée. — SAVIGNY les considère comme une aberration scientifique, comme un avortement! — Celui qui s'exprime ainsi, et qui lutte pour conserver la pureté du droit romain, doit combattre plus qu'aucun autre la proposition que les moyens de protection de la possession se résolvent en une protection de la personne. — Or cette proposition, SAVIONY ne l'a pas seulement énoncée, mais il l'a maintenue pendant un demi- siècle! 2. Défaut de protection de la possession des choses non suscep- tibles ou des personnes non capables de possession. a. Choses. Il ne peut être question de possession ni de protection de la possession des choses extra commercium. Pourquoi pas? A mon point de vue cette question pourra, je crois, être résolue d'une manière satisfaisante dans les pages suivantes. En effet, ces choses ne sont point susceptibles de propriété; or la possession n'est que l'extériorité de la pro- II. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIBES 13 priété, elle doit cesser là où celle-ci ne peut se concevoir. Mais en partant du point de vue de SAVIGNY, cette proposition ne peut recevoir aucune explication. Car, si la lésion de la possession n'acquiert d'importance juridique, que pour autant qu'elle renferme une injustice contre la personne, la qualité de la chose n'a aucune importance, peu importe qu'elle soit mobilière ou immobilière, susceptible ou non susceptible de propriété. Cela est tout aussi indifférent que de chercher si un meurtre a été commis près d'une maison ou d'une haie, sous un hêtre ou sous un chêne. Si l'idée de SAVIGNY était exacte, on devrait appliquer à la possession la décision que contient la L 13, § 7 de inj. (47,10) pour Vactio injuriarum, et qui fait complètement abstraction de la qualité juridique particulière de la chose. Que l'on m'empêche de faire usage de ma propre chose ou d'une res publica (in publicum lavare aut in cavea publica sedere, etc.) ou d'une res communis omnium (in mari piscari), peu importe, j'aurai dans tous les cas Vactio injuriarum. Que l'on ne dise pas : le possesseur d'une res extra commercium n'a point d'intérêt à la chose, ou il commet une injustice en la possédant, et l'injustice ne peut être protégée; la même chose peut se dire du voleur et du brigand (,6), et cependant on accorde les interdits possessoires à l'un et à l'autre. Au surplus, si même l'assertion était exacte pour les res sacrae et publicae, le raisonnement ne pourrait s'appliquer à toutes les res extracommercium. En effet, la res réligiosa se trouve avec celui auquel elle appartient {ad quem pertinet), dans un rapport analogue à la propriété; lui seul est autorisé à en user conformé- es Aussi leur refuse-t-on, lorsqu'on leur a volé la chose à eux-mêmes, Vactio furti (v. la L. 76, § 1 de furt. (47. 2)... si honesta ex cause- interest. V. aussi la L. 12, § 1 ibid, Nemo de improbitate sua consequitur actionem) et Vactio ad exhibendum (L. 3, § 11 ad exh. (10, 4). L'action en partage d'hérédité ne s'étend point à ce qui a été acquis « vel vi aut latrocinio aut aggressura » L. 4, § 2 fam. erc. (10, 2). 0 14 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES! ment à sa destination; il a, comme le possesseur, la faculté d'exclure tout autre; en un mot, il a à ce rapport un intérêt! juridiquement reconnu et protégé" (,7). En cas de trouble violent de ce rapport, on trouve certainement réunies les conditions qui d'après SAVIGNY, suffisent pour les interdits possessoires; pourtant on refuse ceux-ci à Payant-droit (i8), et on lui accorde I d'autres moyens de protection. Il en est de même du rapport entre le père et son fils. L'intérêt pour lui, et le tort de la partie adverse étaient-ils moindres lorsque l'on retenait son enfant que lorsqu'on retenait son esclave ? Cependant dans ce dernier cas, on lui accordait Yinter-dictum utrubi, un interdit possessoire, tandis que dans le premier il devait recourir à des interdits spéciaux (de liberis ecchibendis et ducendis). b. Personnes. Les esclaves et les fils de famille sont, comme on le sait, incapables de posséder, en droit romain". D'après SAVIGNY (p. 109) « cette proposition résulte évidemment de la » règle générale d'après laquelle le fils de famille ne peut avoir » de droits patrimoniaux quelconques. » Fort bien ! mais comment cette explication se concilie-t-elle avec l'idée de SAYIGNY que dans la possession ce n'est pas le patrimoine qui est protégé, mais la personne? S'il était vrai que les interdits possessoires naissent de l'idée du délit, il aurait été impossible de les refuser absolument au fils de famille, car il y aurait droit au même titre que d'après la L. 9 de 0 et A. (44. 7.) « Suo homine nullam actionem kabet NISI INJURIARUM et QTJOD yi AUT CLAM et depositil et commodati. » (") Les textes à l'appui sont dans mon Esprit du droit romain, t. IV, p. 344, on peut y joindre celui d'Orelli Corp. inscr. II n. 4358, signalé par BCOORT sur SAVIGNY I. cit. p.616, et dans lequel il est question de la tradition d'un monument funéraire {in vacuam possessionem... ire mit mittere). (") L. 30,§ldeposs. (41,2). • (") L, 49, § 1 de poss. (41,2). | H. FONDEMENT DES INTERDITS POS8E8SOIRES 15 ■ 3* Protection de la possession de ïinjustus on malae fidei possessor. Voici encore, à mon avis, une contradiction insoluble dans l'opinion de SAVIGNY. On refu.se au voleur et au brigand l'act. furti et Tact legis Aquiliae(%0)\ comment aurait-on pu leur accorder les interdits possessoires, si l'on avait vu dans ceux-ci des actions pour délits? Que l'on compare la manière dont s'expriment les jurisconsultes dans les L. 12 § 1 et L. 76 § 1 de furt. cit. « Furtio actio, dit la L. 12, malae fidei possessori non datur, quamvis interest ejus rem non subripi, quippe cum res periculi ejus sit, SED NEMO DE IMPBOBITATE SUA CONSEQUITUB ACTIONEM et ideo soli bonae fidei possessori, non etiam malae fidei furti actio datur » et la L. 76 § 1 : « nam licet intersit furis rem salvam esse, quia condictione tenetur, tamen cum eo is cujus interest furti habet actionem si HONESTA EX CAUSA DITEBEST ». Ici encore SAVIGNY nous met en face d'une énigme irrésolue et insoluble, et il n'a fait aucune tentative pour concilier avec son idée ces deux passages, dont il se sert lui-même dans un autre but, contre ses adversaires (p. 47). Si le propriétaire enlève clandestinement ou violemment la chose au malae fidei possessor, ou s'il la détruit, ce dernier n'a contre lui ni la condictio furtiva, parce qu'elle présume la propriété, ni l'act. furti, parce qu'elle présume un intérêt, ni Vact legis Aquiliae parce qu'elle présume un droit sur la chose, ou tout au moins la bonae fideipossessio; le propriétaire volé repoussera l'action ex delicto, en se prévalant simplement de sa propriété (*'). Si au contraire le malae fidei possessor se sert d'un interdit possessoire, ainsi qu'il peut le («) L. 12 § 1, L. 76 § 1 de furt. (47, 2.) L. 10, § 6, arg. L, 17 pr. ad leg. Aq. (9, 2). Mais on leur accorde les actions contractuelles p. ex. Vact. commodati L. 15, 16 Commod. (13, 6), Vact. depositi L. 31 Dep. (16, 3 . (*') Il repousserait de même Vact. depositi du voleur L. 31 § 1 Dep. (l6, 3) in fine. 16 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES faire aujourd'hui pour les meubles aussi bien que pour les j immeubles, depuis que Justinien a mis complètement sur la même ligne les interdits uti possidetis et utrubi, alors le défendeur ne sera pas admis à exciper de sa propriété, et la malae\ fidei posses,sio du demandeur ne sera agitée que pour autant que Cexceptio vitiosae possessionis soit fondée vis-à-vis de lui. Qui ne sent que la base d'appréciation est complètement différente dans les deux cas : dans le premier c'est le point de vue du délit qui domine, dans le second, il s'agit de tout autre chose. 4. Inexistence de la nature délictueuse dans tous les interdits possessoires. I On ne peut reconnaître l'existence de cette nature délictueuse que clans un seul interdit, dans l'interd. unde vi, on doit la nier dans tous les autres. SAVIGNY. veut la justifier pour l'interd. de precario en disant (p. 11) « qu'il est injuste en soi d'abuser de la I » bonne volonté d'autrui, tout comme il est injuste de recourir » à la violence pour s'emparer d'une chose. » Mais si cette assertation était exacte, on devrait aussi appeler actions de délit la condietîo ex mutuo, tact, commodati et Cad. praescriptis verbis qui peut avoir lieu du chef du precarium. L'interdit de precario peut, il est vrai, assumer une couleur délictueuse par le dol du précariste ("), tout comme la revendication (par le dolus praete- [ ritus du possesseur), mais cette simple possibilité ne convertit pas plus l'interdit que la revendication en une action de délit. En dehors de cette circonstance, il est dirigé au même titre, tant contre l'héritier que contre l'auteur ("). Dira-t-on que le refus de restituer renferme nécessairement \ («) Il en résulte que l'héritier du précariste ne répond ici, comme j partout, du délit de son auteur que jusqu'à concurrence de ce dont il s'est enrichi. L. 8, § 8 de prec. (48, 26). (»») L. 8, § 8 cit. hères ejus, qui precario rogavit, tenetur quemad-modum ipse. H. FONDEMENT DES INTEBDITS POS8ESSOIRES 17 un dolus? Nullement. Supposons par exemple que l'héritier ou le tuteur du précariste devenu fou, n'ait aucune connaissance du précaire, ou que le précariste lui-même ait appris dans l'in tervalle qu'il est propriétaire. Dans ce dernier cas, c'est à fort, bon droit qu'il refuse la restitution : « idcirco quia reeeptum est, rei suae precarium non esse(u) ». ™ Des deux interdits retinendae possessions, il en est un., I tinterd. utrubi, dans la forme qu'il avait avant Justinien, qui résiste à tous les efforts que l'on pourrait tenter pour le mettre en harmonie avec l'idée de SAVIGNY. On sait que cet interdit pouvait être dirigé non seulement contre celui qui avait immé- diatement soustrait la possession au demandeur, mais aussi contre tout tiers, même contre le bonne fideipossessor,-la seule condition était que le demandeur eût possédé plus longtemps que le défendeur dans l'année antérieure, à compter du moment de l'intentement de l'action. SAVIGNY, que je sache, ne s'est jamais attaché à concilier cet interdit avec son opinion; s'il l'avait essayé,il se serait convaincu de l'impossibilité de l'entreprise. Aux deux endroits où il aurait dû le faire (p. 11, 31),- il passe notre interdit sous silence. Lorsqu'il caractérise les interdicta retinendae possessions, il insiste sur la condition de la lésion violente de la possession, (p. 374), et il invoque, en ce qui concerne l'interd. utrubi, les mots « vim fieri veto » delà formule de la L. 1 p. utrubi (43, 31). Lorsqu'il traite spéciale- ment de ce dernier interdit, il ne trouve sur ce point « rien de spécial à signaler » (p. 388; ('•). Mais quel était le sens de («) L. 4, § 3ibid„ L. 45p. DeE. J. (50,17), L. 21 p. de usue. (41, 3), L. 31 § 1 Dep. (16, 3). La preuve de la propriété établit ipso jure le non fondement de l'interdit Y. mon Esprit du D. R., IV, p. 63. (»*) RUDOBFF lui-même, si versé dans la connaissance du système formu laire romain, et dont on aurait dû attendre, plus que de qui que ce fût, la démonstration de l'inadmissibilité de cet argument tiré de la formule, n'y trouve rien â redire; du moins, je ne trouve aucune observation de sa part à la suite du passage cité (p. 374 note 3). 2 18 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES ces mots : « vim fieri veto » ? Ce n'était évidemment pas qu'une] violence devait avoir eu lieu pour que quelqu'un pût intenter) l'interdit, mais bien que le défendeur ne pouvait opposer aucune violence au demandeur lorsque celui-ci voulait emporter la chose {quominus is eum ducat), La violence n'était pas plus' une condition de cet interdit qu'elle ne l'était pour les nombreux interdits non possessoires pourvus de la même formule. Autrement, le Préteur, au lieu de parler au futur, aurait dû parler au passé, comme par exemple dans l'interd. quod vi\ aut clam : quod — FAOTUM EST, ou dans l'interd. unde vi : uhde — DEJECISTI. Il me sera permis d'être bref quant à l'tn*. uti possidetis, en présence des études minutieuses auquelles il a donné lieu dans ces derniers temps (*8). Il n'est pas vrai « que la lésion violente » de la possession » soit une des conditions de cet interdit (SAVIGNY, p. 374). L'investigation du juge « num vis facta sit contra edictum Praetoris, » se réfère au temps après et non au temps avant l'octroi de l'interdit. Celui-ci pouvait être invoqué sans difficulté par les deux parties dans le cas d'une controverse possessoire ( controversia de possessione) toute pacifique et exempte de toute violence, par exemple, s'il s'agissait entre deux prétendants à une hérédité de savoir lequel avait le premier pris possession du fonds héréditaire ; et c'est précisément dans cet exemple qu'Ulpien (fr. 1. § 3 uti poss. 43,17) et Gaius (IV, 148) trouvent leur point de départ dans la discussion de cet interdit. D'après SAVIGNY, l'implorant aurait dû dans ce cas être repoussé. 5. Inutilité des interdits possessoires considérés comme actions de délits spéciales à côté de celles qui existent. S'il était vrai que le Préteur eût voulu, par les interdits pos- sessoires créer seulement une nouvelle espèce d'actions pour (**) V. surtout HERMANN WITTB, J)as Interdictum uti possidetis, Leipzig, 1863, et spécialement p. 40 as. |H. FONDEMENT DES INTERDITS POSSE880IBES 19 délits, ce serait vainement que l'on chercherait à justifier l'utilité de son innovation, car les actions existantes suffisaient amplement: pour le trouble à la possession, l'interdit quod vi aut clam et Y actio injuriarum (*'), pour la soustraction de la possession, Yact. furti, qui dans le droit ancien s'étendait même aux choses immobilières ("), et comprenait à la fois la soustraction clandestine et la soustraction violente ("), et aurait pu, au besoin, s'étendre même au précariste (ï0). Les condictiones tendant à la restitution de la possession. Ce n'est que dans ces derniers temps que BRUNS (") les a remises en lumière, et a observé (p. 416) qu'elles ne se » concilient pas avec la théorie de S AVION Y. » La possession y apparaît comme objet et base indépendante de l'action, en dehors de toute violence. Dès lors il est absolument impossible le soutenir que, dans l'idée des Romains, c'est la violence seule qui donne à la possession son importance juridique. Pour résumer tout ce qui précède en une seule proposition, a théorie de SAVIGNÏ attribue au Préteur la création d'actions >.x delicto : 1. Qui étaient parfaitement superflues à côté de celles déjà ntroduites par* le droit civil (n° 5) ; 2. Ces actions étaient refusées à ceux auxquels elles auraient lu être concédées, d'après les principes qui concernent les étions pour délits (n08 1 et 2); «7) v. des exemples du premier dans L. 7 § 5, 6, 9, 10, L. 9,11. etc. uod vi (48, 24); de la seconde dans L. 13, § 7 de inj. (47, 10) et Lulus S. B. V. 6 § 5. (*») GelliusXI, 18 §13. (») L. 1 vi bon (47, 8) Gains III, 209. ■ (30) Cf. Gell. loc. cit. avec L. 66 pr., 67 pr. de furt. (47, 2). ■ (**) J)as Recht des Besitzes im Mittelalter und in der Gegenwart. Tûbin-mf 1848, p. 27 as. 20 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES 3. D'autre part, elles étaient accordées à ceux auxquels elles auraient du être déniées, d'après les mêmes principes (n° 2) et enfin, ■', 4. à l'exception d'une seule, on ne peut y découvrir la plus légère trace d'un délit (n° 4). :• ni LES AUTRES THÉORIES RELATIVES I 1. Théorie de Thibaut <J Le point de départ de THIBAUT (59), dans sa théorie de la possession, n'est point le fait pur et simple, mais Y exercice des droits (") considéré comme une forme spéciale d'état de fait. Nous aurons, par la suite, occasion de montrer quel fécond emploi on peut faire de ce point de vue pour l'intelligence de la théorie de la possession. Seulement THIBAUT fonde la protection de la possession sur "une base très chancelante. « C'est, » dit cet auteur « un principe dominant et nécessaire » en raison, que nul ne peut vaincre juridiquement autrui, » s'il n'a des motifs prépondérants d'un droit meilleur; il en » résulte que cet état de choses, purement de fait en soi, devient » de la plus haute importance juridique, parce qu'il conduit à » cette règle que tout individu qui exerce de fait un droit, doit » être maintenu dans cet état de fait jusqu'à ce qu'un autre » ait démontré avoir un droit meilleur. » Mais si la possession est simplement un état de fait, pourquoi f») System des Pandektenrechts, 8e édit. § 208-204. — Dans son ouvrage sur la possession et l'usucapion. Jena 1802. § 2. il n'allègue aucun motif pour la protection de la possession. (*3) V. aussi dans ce sens HCFELAND. Ueber den eigenthUmlichen Oeist des RômUchen Redits. 2° partie lrf section, p. 5 88. p. 18 ss. H. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES 21 faut-il un droit prééminent pour y mettre fin? Un état de fait/ nait et passe sans que le droit y ait aucune part. C'est un fait/ que mon tilleul protège le voisin contre les rayons du soleil,! mais qui le protège si je veux abattre l'arbre? C'est un fait,] pour un marchand d'avoir une clientèle étendue, mais quel est le/ droit qui empêche un concurrent de la lui enlever? Si la circonstance que la possession renferme l'exercice d'un droit, n'est pas suffisante pour lui donner le caractère de rapport juridique, s'il faut au contraire la ranger, d'après THIBAUT, sur la même ligne que tous les autres états de fait, il faut admettre pour les uns et les autres la même loi et dire que leur naissance, leur existence et leur cessation ne sont que l'effet de la force physique. Vaincre, dans la sphère du droit, suppose certainement un droit prééminent, mais transporter cette idée sur le terrain du fait c'est oublier ce que l'on a dit de celui-ci. Mais admettons même que ce soit la prééminence du droit qui décide. Certes, le locataire expulsé par un tiers qui n'a aucun droit ni sur, ni à la chose, possède un droit meilleur que ce tiers, car son état defait repose au moins sur une concession obliga-j toire de la part du vrai propriétaire; pourquoi^donc n'est-il pas écouté, pourquoi lui refuse-t-on les interdits possessoires ? Il y a bien plus : si ce locataire soustrait à son tour la possession à l'expulseur ou à son héritier, pourquoi lui refuse-t-on absolument, dans le procès possessoire, la preuve d'un droit meilleur qu'il offre de faire ? Il en résulte que l'explication de THIBAUT, qui parait se tenir exclusivement sur le terrain du fait, envahit en même temps celui du droit, mais qu'elle ne répond ni sur celui-ci ni sur celui-là aux principes qui leur sont propres. Si la possession n'est réellement qu'un état de fait, elle ne peut tirer aucune protection juridique de ce que la force capable d'effacer un état de choses doit être plus énergique que celle qui le maintient; l'argumentation qui s'agite absolument dans la sphère physique ne peut que s'y maintenir quant à ses résultats. Si au contraire la possession est un droit, ce point de vue conduit 22 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES à donner à la protection possessoire une toute autre physionomie que celle que lui a donnée le droit romain. Le système spécial du droit romain pour la protection de la possession ne peut être compris par ce moyen. 2. L'opinion de Rôder (3J) Elle présente le même vice. Cet auteur asseoit le fondement des interdits possessoires sur le droit d'irréprochabilité qui s'exprime par la règle : Quilibet praesumitur justus {? — bonus) donec probetur contrarium. En vertu de ce droit « dont jouit |» tout possesseur, il faut admettre provisoirement, que tout » rapport extérieur dans lequel il se trouve vis-à-vis d'une » personne ou d'une chose, et qui peut avoir pour base et pour » cause un droit nécessaire à son exercice, ne subsiste aussi en » réalité qu'en vertu de ce droit, et que par conséquent ce » rapport n'est pas injuste. » L'application de ce droit primordial à la possession est forcée. Il ne s'agit point dans la possession, de l'irréprochabilité d'un rapport extérieur, mais bien de l'irréprochabilité d'une personne. Si la personne est irréprochable, le détenteur ne l'est pas moins que le possesseur juridique, et le non-possesseur pas moins que le possesseur. Le non-possesseur aurait le même droit que le possesseur, d'être personnellement cru, car cette prétention n'est nullement étayée sur le fait extérieur de la possession. Donc si la possession est appuyée sur une présomption de légitimité, il faut jque cette présomption soit justifiée d'une autre manière : celle tirée de la personne ne peut servir ici. Mais en fût-il autrement, — si le possesseur n'a qu'une présomption en sa faveur, pourquoi est-il défendu à l'adversaire de l'énerver par la preuve contraire? Que devient l'irréprochabilité, si l'adversaire établit que c'estl ■ (»*) Orundtûge des Naturrechts oder der Rechtsphilosophie. 2« édit. 2e section, p. 250. IH. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOHtES 23 lui-même qui est propriétaire et que le demandeur a volé la^ chose? Si dans la procédure possessoire on ne considère point la possession comme un rapport juridique indépendant, mais comme une preuve de l'existence d'un droit complètement différent, pourquoi ne s'élève-t-on pas jusqu'à ce droit lui-même et/ n'admet- on pas la preuve et la contre-preuve, en d'autres termes / pourquoi ne convertit-on point le possessoire en pétitoire ? L'idée de RODER peut suffire à expliquer pourquoi, dans la l procédure revendicatoire, le possesseur reste exempt de preuve | — bien que cette libération du défendeur du fardeau de la ! preuve, n'ait, comme on le sait, rien de commun avec la posses-j sion comme telle, car elle se représente dans toutes les actions( — mais cette idée ne peut certes pas expliquer le caractère particulier de la possession, c'est-à-dire l'exclusion de la question de droit dans le procès possessoire. Or c'est précisément là que se révèle le mérite de toute théorie sur la possession. Nous sommes partis de la supposition que RODER a pris pour base de sa théorie la notion scientifique habituelle ou romaine de la possession ; que celui qui dans un traité de philosophie du droit veut en établir une autre, le fasse, je ne conteste ce droit à personne, mais au moins qu'il dise alors pourquoi et comment il s'écarte du droit ronlain ; c'est ce que Rôder n'a point fait. Des trois opinions qui rattachent la protection de la possession à la propriété, l'une (la plus ancienne) l'asseoit sur 3. La probabilité de la propriété Cette opinion était autrefois fort répandue (3S). SAVHJNY lui a reconnu une certaine autorité dans la 3e, 4e et 5e édition de (**) SAVIGNY désigne comme un de ses derniers défenseurs HOFELAKD , 1. cit. p. 43, mais on ne l'y trouve pas clairement accentuée. T. aussi BARDA . 1. c. note 7. 24 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES son ouvrage (ïB), tandis qu'il la rejette dans la sixième. Dans la 7e, qui a été publiée après sa mort, on trouve une addition de lui (p. 512) d'après laquelle « cette présomption n'est pas préci- » sèment erronée en elle-même, puisque certes la majeure » partie des possesseurs ont effectivement droit à la possession; » il faut plutôt l'écarter à raison de la théorie toute spéciale du » droit romain en matière de possession. » Le défaut de cette opinion n'est point là où SAVIGNY le trouve : dans la circonstance que le droit romain ne reconnaît point pareille présomption — il ne s'agit pas ici d'un précepte juri- dique positif, mais d'une question législative, qui n'a pas été plus amplement développée dans le droit romain, et pour laquelle nous pouvons nous servir de toute expression, même inconnue aux Romains, pourvu qu'elle rende exactement la chose. Le /défaut réside en ce que le prétendu motif qu'on allègue aurait besoin lui-même d'être justifié. Supposons, en effet, que le législateur dise : Je veux présumer que le possesseur est proprié- taire : chacun lui demandera : Pourquoi voulez-vous présumer cela? Il est de règle que tout droit doit être démontré; quel est le motif qui oblige à s'en écarter exceptionnellement pour la propriété? Il ne suffit pas pour cela du fait statistique que dans la plupart des cas le possesseur est en même temps propriétaire, pas plus que la statistique de la mortalité ne peut établir la présomption qu'une certaine personne est morte à un certain (*•) § 2 à la fin : « Si on demande pourquoi a été introduite cette espèce » de protection contre la violence, c'est-à-dire pourqnoi l'expulsé doit » obtenir la restitution de la possession (peut-être tout-à-fait injuste) qu'il » a perdue, on peut dire avec certitude que cette protection repose sur la » présomption générale que le possesseur peut être aussi le propriétaire. » Sous ce rapport donc on peut considérer la possession comme une ombre » de la propriété, comme une propriété présumée, mais cela ne se réfère » qu'à la justification de l'instiiution juridique en général, et non au motif » juridi iue d'une possession concrète quelconque. » rt. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIBES 25 âge, ou qu'elle vit encore. Du reste, cette présomption devrait ) logiquement conduire au résultat d'accorder au précédent pos-/ sesseur, en vertu de la seule possession, une action in rem contre j les tiers (action pour protéger la possession antérieure); car J pourquoi la présomption une fois reconnue fondée, devrait-elle I être restreinte à un seul cas? Il en est tout-à-fait de même de la j présomption que nous avons rejetée plus haut, de la légalité ou J de la bonne foi personnelle du possesseur. Le véritable élément j de cette opinion réside dans l'idée, que dans la possession il s'agit d'une preuve spéciale et plus facile de la propriété — nommons la possession, dans ce sens, une propriété présomptive, provisoire ou, comme SAVIGNY,une ombre de la propriété — mais après avoir constaté ce fait, on n'a pas encore établi le fondement, ni affirmé le besoin, la nécessité de cette facilitation de preuve. Nous chercherons plus loin à l'établir nous-même. La nuance de l'opinion ci-dessus, d'après laquelle c'est la propriété possible qui est protégée dans la possession ("), si elle prétend par là indiquer le motif législatif de la protection possessoire, aggrave la difficulté, loin de la résoudre. L'écart entre la simple possibilité de la propriété et la protection de la possession est encore plus grand que celui qui a pour point de départ la probabilité. Pourquoi une simple possibilité devrait-elle être protégée, et où trouve-t-on ailleurs des exemples d'une protection pareille ? La seconde opinion qui tire la protection de la possession de la propriété est : (") On ne la rencontre nulle part scientifiquement développée, mais elle repose sur des expressions occasionnelles, sur des nuances linguistiques que je n'ai pas rassemblées. Il n'est pas question ici de la « possibilité juridique subjective » de POCHTA (Cours § 122), qui n'est que l'expression sous une autre forme, de son opinion, que nous examinerons plus loin. 26 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES 4. Vopinion de Gans ('•) : ce qui est protégé dans la possession c'est la propriété commençante Un des effets de la possession consiste notoirement dans l'usu-/ capion. Il est parfaitement exact que Y actio publiciana protège l dans la possession ad usucapionem la propriété commençante: JVIais aussi, comme nous l'avons déjà souvent remarqué (*•), seulement dans la possession ad usucapionem. La possession du malae fidei possessor, quelque longtemps qu'elle soit continuée ne conduit pas à la propriété, et cependant elle est protégée. Cette protection — et c'est précisément là la protection de la possession comme telle — ne peut donc être justifiée au point de vue qui nous occupe. Je devrais placer ici l'exposition de ma propre opinion, mais je préfère la reculer encore et examiner d'abord les théories absolues. VI I LES THÉORIES ABSOLUES I Les théories de la volonté A côté de l'opinion dont nous venons de parler, on trouve dans GANS une autre solution de notre question. La détention de la | chose, dit-il, considérée comme acte de la volonté du sujet, peut ou bien se trouver en harmonie avec la « volonté universelle, » c'est-à- dire avec la loi — et dans ce cas c'est la propriété, ou bien reposer seulement sur la « volonté particulière » — et dans ce cas c'est la possession, — et le motif pour lequel la volonté est (M) System des Rom. Civilrechts. Berlin, 1827, p. 201, 212. Veber die Qrundlage des Besitzes. Berlin, 1839. Voyez plus loin un autre système du même auteur. | (M) RCDOMT dans Zeitschrift fttr Gesch. R. W. VII, p. 98,99. Savigny 1. c. p. 42. i II. FONDEMENT DES INTERDTITS POSSESSOEBES 27 reconnue et protégée, même dans cette dernière direction, c'est que la volonté « en elle-même, est un élément substantiel qui » réclame protection; la volonté particulière de la personne, |» lorsqu'elle s'applique aux choses, est un droit, et doit être » traitée comme telle. » PUCHTA (40) adopta l'idée de GANS et la convertit en son opinion connue, que la possession est un droit de la personne même. D'après cet auteur, « la volonté d'une per-» sonne juridiquement capable, doit jusqu'à un certain point (?) » être reconnue en droit, même avant d'être établie juste, préci-» sèment parce que c'est la volonté d'une personne juridiquement » capable, et que dès lors il est possible qu'elle soit juste. Dans » la possession se trouve par conséquent protégée la possibilité » du droit, c'est-à-dire la capacité juridique; le droit de posses-» sion n'est qu'une espèce particulière de droit de la personna-» lité, le droit de la personnalité appliqué à la soumission » naturelle des choses. » A la différence de GANS et de PUCHTA, qui ne touchent la question du fondement de la protection accordée à la possession qu'à l'occasion de la nature juridique de la possession, BRUNS (*•) en fait l'objet d'un examen séparé. Mais, de prime abord, il place la question sur un terrain trop étroit en la limitant à la protection contre « la violence, le trouble violent, et la soustrac-« tion. » Il ne serait pas difficile, d'après lui, d'alléguer des considérations empiriques d'opportunité justifiant une pareille (<0) Dans sa monographie : Zu toelcher Klasse von Rechten gehôrt der Besitzt parue d'abord dans le Muséum Rhénan III, n° 17, et plus tard recueillie dans ses Vermischte Schriften, n° 14, (p. 255 ss.). Voyez aussi la monographie publiée, p. la 1" fois dans le même recueil au n° 15 : Ueber die Existent des Besitzrechts. Malgré la violente polémique qu'il avait ouverte contre GANS dans la première de ces dissertations, PUCHTA admet cependant, dans la seconde, p. 265, note a, que « GANS s'est exprimé dans le même sens. » (") Recht des Besitzes im Mittelalter, etc. TUBINGEN, 1848, § 58. 28 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES protection, mais « ce serait avancer de bien peu dans une « question où la science exige positivement une nécessité juri- « dique interne tirée de la nature même de la possession. » Des deux'facteurs de la possession, le pouvoir physique et la volonté, le premier, comme simple état de fait, ne renferme pas lel moindre fondement d'une protection juridique. Mais il en est autrement du second. « La volonté qui se réalise dans la pos- « session, bien qu'elle ne constitue aucun droit, et qu'elle existe » purement en fait, peut-être même en contradiction des plus » ouvertes avec tout droit, doit cependant être protégée à » raison de sa nature générale. — La volonté est en elle-même, » dans son essence, absolument libre et c'est précisément la » reconnaissance et la réalisation de cette liberté qui constitue » tout le système juridique. La contrainte et la violence exercées » contre la volonté sont donc, en général, par elles-mêmes, et » sans égard à sa légalité particulière, des injustices, contre » lesquelles la volonté doit être protégée. Ce n'est que lorsque » la volonté se met en opposition immédiate, directe, avec la » volonté universelle ou le droit (Résistance contre l'autorité de » l'État ou voie de fait contre un autre), qu'elle apparaît comme » volonté injuste, contre laquelle sont permises la contrainte et » la violence. — La possession n'est donc point un droit comme » la propriété, l'obligation, etc., mais un fait; seulement, ce » fait est protégé contre la violence parce qu'il est la manifes- » tation positive de la volonté, et en considération des droits » généraux de la volonté. Ce sont donc avant tout la personna- » lité et la liberté des hommes qui reçoivent dans la protection | » de la possession une pleine consécration juridique. • Plusieurs auteurs ont adhéré à cette opinion (*') ; il se peut (") Particulièrement RANDA loc. cit. et RUDORFF dans la dernière édition de la Possession de SAVIGNT, p. 589. WINDSCHEID Pandectea § 148, note 6. B H. FONDEMENT DES INTERDITS POS8ESSOIRE8 29 qu'elle présente un côté séduisant, mais elle est insoutenable à mon avis. Bien qu'elle diffère de l'opinion de SAVIGNY en ce qu'elle donne à la défense de la violence un motif interne : la volonté concrète incorporée dans la possession, tandis que SAVIGNY l'applique à la possession comme un postulat externe | de l'ordre juridique, elle se confond cependant en dernière ana- / lyse avec l'opinion de SAVIGNY ("), ainsi que celui-ci l'a remarqué lui-même, avec beaucoup de raison, en répondant à PDCHTA I (p. 43). « Moi aussi, dit-il, je base cette protection sur l'inviola- j » bîlité de la personne et sur lé rapport qui s'établit entre elle I » et la chose qu'elle s'est assujettie. » Je doute néanmoinssi le fait de transporter ainsi l'injustice de la violence de la sphère de l'ordre juridique dans celle de la volonté subjective, ne rend pas l'opinion de SAVIGNY plus fausse encore, plutôt qu'elle ne l'amé-I liore. En tous cas, il m'est bien plus aisé de concevoir la défense I de la violence au point de vue de l'ordre juridique objectif qu'au / point de vue de la volonté subjective. I On ne peut espérer résoudre une controverse sans au préalable! se mettre d'accord sur le point de vue que l'on veut adopter.! Cette observation est de la plus haute importance pour la question qui nous occupe, car on paraît loin de s'entendre sur le point de vue auquel il faut se placer. Tantôt c'est le droit romain 1 que l'on a en vue, tantôt c'est un droit idéal quelconque que l'on Raccommode selon les besoins du moment. C'est pourquoi je crois opportun de déclarer que toute la discussion qui va suivre est exclusivement fondée sur le droit romain. Si je réussis, comme je l'espère, à prouver que la théorie de mes adversaires ne peut se concilier avec le droit romain, ni avec sa doctrine spéciale sur la possession, ni avec ses autres doctrines et ses autres principes, il sera établi que cette théorie peut bien avoir une valeur philosophico-juridique ou législative — je passe cette (*') C'est ce que reconnaît aussi WINDSCHEID loc. cit. I 30 ÉTUDES COMPLÉMENTAIKES question sous silence, bien que je conteste même ce point, — mais elle ne pourra certainement aspirer à une valeur historique, à une autorité dogmatique en droit romain, et c'est là tout le but de ce travail. Je suis d'accord avec mes adversaires pour admettre que la |volonté est la vis agens de tout le droit privéJMais la loi fixe la mesure et les bornes dé la volonté : celle-ci ne devient un pouvoir juridique que lorsqu'elle se maintient dans les limites qui lui ont été assignées par la loi. Il n'est pas vrai de dire que même au-delà de ces limites, sans la protection du droit, et même en contradiction ouverte avec lui, elle puisse prétendre à l'efficacité ; le droit, pour la lui accorder, devrait se mettre en contradiction avec lui-même. C'est, à mes yeux, créer une pure énigme que de dire que le but du droit qui est « de garantir dans les limites du » possible la réalisation sans entraves (?) de la volonté indivi-» duelle », aurait pour conséquence « que la volonté traduite » en action doit être juridiquement protégée contre toute con-» trainte non légitime, même lorsqu'elle ne se trouve pas sur » le terrain du droit, mais seulement sur le terrain du fait. » (RANDA p. 86)("). Il faut distinguer la personnalité et le rapport constitué injustement. La première, malgré l'injustice commise, reste ce qu'elle est et ne perd rien de sa protection juridique; mais il n'en résulte nullement que la personnalité puisse, comme un saint miraculeux, ennoblir, guérir, épurer tout ce qui est mauvais, malade ou impur, et couvrir du manteau de (**) Cette thèse me paraît encore plus incompréhensible en présence de la sagacité avec laquelle l'auteur montre lui-même, dans la suite, la faiblesse de l'allégation de SAVIGNÏ, que la soustraction violente de la possession est par elle-même une injustice. V. plus haut note 8. Son prétendu droit de la volonté d'être protégée contre toute violence, même en cas d'injustice, n'est pas autre chose, en effet, que la répétition, sous une autre forme, de l'idée de SAVIQNÏ sur l'interdiction de la défense privée, la transformation d'un principe juridique objectif en un droit subjectif. n. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOBBES 31 sa propre protection juridique tous les rapports injustes dans1 lesquels sa volonté a pu s'incorporer. Ces rapports peuvent être parfaitement distincts d'elle; ils sont son ouvrage, mais ils ne sont point la personnalité elle-même ; on peut détruire l'œuvre sans atteindre l'ouvrier (45). « Mais, dit-on, le coup que l'on porte à l'œuvre est déjà par » lui-même une injustice ! » C'est précisément ce que je conteste. C'est là l'idée de SAVIGNY de l'injustice formelle renfermée dans toute lésion de la possession, idée qui, à mon avis, ne peut soutenir l'examen en droit romain. 'L'état peut toujours parvenir, et parvient en effet, à prohiber et à maintenir la violence dans de certaines limites, sans faire aucune exception en faveur de ceux qui ont été victimes du vol ou du brigandage, lorsqu'ils emploient la violence contre le voleur ou le brigand. Mais le motif qui détermine l'État, n'est pas la pensée que même le voleur et le brigand, ont, de par la liberté absolue de leur volonté, un droit irrécusable à être ^protégés dans la jouissance pacifique de leur rapine : c'est la .considération législative et politique que la défense privée est [une arme à double tranchant et qu'il vaut mieux que l'État lui-même tienne en main le glaive de la justice. Au point de vue du sujet, je ne puis, en ce qui me concerne, arriver à condamner la défense privée et l'histoire elle- même n'y est parvenue qu'après avoir traversé la phase de la subjectivité pure du droit. Quelle injustice subit le brigand si la victime lui soustrait la chose ravie, à la première occasion? La volonté, dit-on, est libre, toute contrainte est contraire à son essence. N'est-ce donc pas par contrainte que l'autorité publique enlève violemment la chose à celui qui n'y a pas droit ? Oui, mais dit-on, cela se ('*) C'est ainsi que la considération de la personnalité défend au créancier de maltraiter le débiteur fugitif, mais nullement de confisquer les choses qu'il peut saisir sur lui. L. 10 § 16 quae in fr. cred. (48. 8.) M ^1 _JÉTUDE3_00ML^ENTAIBES| fait avec les formes juridiques. Certes, mais le fait de la contrainte n'en subsiste pas moins; la volonté n'est donc pas si absolument sacrée et inviolable, ni la contrainte si absolument condamnable. - I La résistance de la volonté illégale contre le droit peut et doit être, le cas échéant, brisée par la violence externe; le moyen d'atteindre ce but est une pure question de forme, dont la solution convenable est bien un des problèmes les plus importants de l'administration de la justice, mais qui ne constitue pas à mes yeux, le droit du voleur et du brigand — pas plus que la conduite adroite du siège d'une place forte n'est un droit pour l'assiégé. Mais écoutons le droit romain sur cette question. Nous deman- dons : la défense privée et la violence sont-elles, d'une manière absolue, une injustice inconciliable avec l'idée de la liberté de la volonté telle qu'elle est réalisée dans le droit romain ? Cette question doit sans aucun doute être résolue négativement au point de vue du droit antique. Ce droit, bien loin de condamner et de poursuivre en principe la défense privée, y ivoyait au contraire une manifestation naturelle, une conséquence nécessaire de la liberté de la volonté, et il veillait seule-jment à ce qu'elle se maintint dans les justes bornes et s'exerçât [suivant les formes prescrites (*•). Mais le droit nouveau lui-même, sous l'influence de ces vues nationales antiques, accorde s la défense privée une étendue qui ne peut se concilier avec l'opinion que nous combattons. Le posMessor justus avait, jusqu'au temps de Justinien, le droit d'expulser violemment (pourvu que ce ne fût point à main Armée) Je possessor ityustus qui opposait de la résistance; de même, le bailleur, et en général le possesseur pouvait expulser | ^■^^^^^I^^^^BHH II. FONDEMENT DES INTERDITS POS8ESSOIBES 33 celui qui détenait en son nom("), et l'absent, celui qui durant son absence s'était emparé de la possession de son fonds. Comment concilier ces théories avec l'opinion que l'idée dirigeante de toute la théorie possessoire, est l'inviolabilité ou l'absolue liberté de la volonté. Il importe peu que les jurisconsultes romains,en faisant fléchir adroitement la notion de la possession, aient rattaché ces cas, en tout ou partie, à la notion de la défense privée: ce qui est décisif, c'est que toutes ces personnes ont en fait la chose en mains; leur volonté de se maintenir dans cet état, se manifeste clairement et de manière à ne plus permettre un doute, par la résistance qu'elles opposent. Elles subissent par conséquent cette injustice qui renferme prétendument une lésion absolue de la personnalité et contre laquelle le droit ne peut laisser personne sans défense : c'est-à-dire la violence. Et cependant elles sont obligées de la subir. On voit par là que le droit romain, loin d'appliquer à la doctrine de la possession le point de vue formel d'une injustice reposant uniquement sur la violence, se laisse guider par le point de vue matériel du rapport juridique qui existe entre les personnes. Le même acte de violence, selon qu'il est commis par des personnes ou contre des personnes différentes, est soumis à une appréciation complètement distincte, d'après les rapports réciproques de ces personnes. Ce que nous venons d'observer par rapport à la possession est vrai aussi pour les obligations. Si le point de vue que nous combattons était fondé, tout possesseur d'une chose d'autrui, lême le voleur et le brigand, devrait avoir, contre la soustraction ou le dommage, les actions de délit qui y correspondent. Est-ce le cas? Non! Vactio legis Aquiliae, la condictio furtiva, (") Cette dernière conséquence que j'ai toujours soutenue, vient d'être longuement développée par K. ZIEBARTH. Die realexecvtion und die obligation, Halle, 1836. p. 57 ss. 34 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES Yactio furti, Vactio tu* bonorum rnptorum sont refusées à toutes ces personnes, et en général à tout malae fidei possessor, et cela non-seulement contre le vrai propriétaire, mais même contre [ tout tiers (*•). Or, la question qui nous occupe se présentait aux jurisconsultes romains d'une manière bien plus nette pour ces actions que pour les interdits possessoires, car ici il faut décider ex professo la question relative au délit. Si c'est d'une manière absolue un délit que d'enlever violemment ou clandestinement une chose à autrui, ou de l'endommager et de la détruire, pourquoi ces personnes sont-elles privées des remèdes dont il s'agit ? Quelle contradiction évidente que celle où tombent nos adversaires! Les actions possessoires dont la nature délictueuse est pour le moins assez problématique, poursuivent comme délit un acte qui n'est point considéré comme tel dans les actions dont la nature délictueuse n'est l'objet d'aucun doute! Il en était de même de la contrainte, avant le Decretum Divi Marti; le débiteur contraint par son créancier n'avait point contre celui-ci une action de délit — l'injustice formelle contenue dans la violation de la libre volonté du débiteur n'était point prise /en considération, vis-à-vis du droit matériel du créancier (*9). De tout ce qui précède il devrait au moins résulter clairement / que ce n'est pas une idée romaine mais moderne que de donner / à la volonté illégale une position inattaquable, d'où elle ne peut être délogée qu'en forme juridique, et de prétendre que la volonté, même quand elle se trouve en contradiction avec les lois, peut par elle-même prétendre à être protégée. Il est donc impossible que cette idée puisse avoir servi de règle aux Komains dans leur conception de la possession. Pour mieux nous en convaincre, examinons cette conception elle-même. (") V. pour l'act. leg. Aq. L. 11 § 6.8. ad leg. Aq. (9. 2), pour les autres actions v. ci-dessus p. lô. (*) L- 12 § 2 quod met. (4. 2.). II. FONDEMENT DES INTERDITS POSSE8SOIRES 35 Si le rapport extérieur de la possession n'acquiert de l'impor- tance que par cette circonstance que la volonté s'incorpore en elle, et est lésée avec elle, si par conséquent les interdits posses-soires reposent sur l'idée de la lésion de la volonté, on peut se demander : 1. Comment ces interdits peuvent-ils être accordés dans un cas où l'on ne rencontre aucune lésion de la volonté et où il s'agit plutôt uniquement de l'existence ou de la non-existence de la possession ? Deux prétendants à une même hérédité, qui ont l'intention de se mettre en possession du fonds héréditaire, arrivent, par des] I chemins différents, au même moment, sur ce fonds; ils désirent savoir lequel d'entre eux a acquis la possession, si c'est un seul in solidum, ou tous les deux ensemble. Il ne peut être douteux qu'ils doivent débattre cette question au moyen de Vinterdit, uti possi- detis, car on ne les obligera certes pas à commettre des actes de violence afin de pouvoir constater une lésion de la volonté. Deux co-possesseurs sont en désaccord sur une réparation à faire, et ils désirent provoquer une décision judiciaire. D'après la L. 12 Comm. div. (10. 3) ils l'obtiendront au moyen de Vint, uti possidetis, sans qu'aucun acte de violence soit exigé. Uinterd. utrubi, avant Justinien, permettait de réclamer la possession même contre le tiers possesseur qui n'avait pas reçu la chose du demandeur, mais d'un tiers quelconque, peut-être même d'une manière parfaitement légale. L'idée d'un délit était aussi étrangère à cet interdit qu'à la reivindicatio. 2. Si c'est la volonté qui est protégée, et si la possession sej présente seulement comme manifestation de la volonté, pourquoi! exiger la condition de la possession lorsque la volonté est mani-j festée d'une autre manière ? Un chasseur poursuit une pièce de gibier, un autre la tue sous ses yeux : ici aussi pourquoi ne pas accorder une action contre le second pour avoir frustré la volonté du premier? Dans un local public, quelqu'un met un signe sur une chaise; I S ■ 36 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES un autre, qui l'a vu, s'empare de la chaise. La volonté de prendre £ette chaise pour lui était clairement manifestée par le premier : qui pourra songer dans ce cas à une action possessoire? Il importe peu, du reste, que la volonté ait pour but la détention permanente ou passagère de la chose. Si la volonté, par elle-même, mérite protection, elle doit être respectée dans l'un cas aussi bien que dans l'autre. 3. Que de choses incompréhensibles, ensuite, dans le sein même de la théorie possessoire? Pourquoi n'y a-t-il point de possession sur les choses qui n'en sont pas susceptibles, pourquoi pas d'action au fils de famille capable de vouloir, pourquoi pas de protection pour les possesseurs au nom d'autrui ? Dans tous ces cas, la volonté, comme telle, est incontestable, elle existe aussi bien que dans le cas du voleur et du brigand, et si pour ces derniers, la nature juridique de leur rapport avec la chose n'a aucune influence, à cause de la nature de la volonté, pourquoi en est-il autrement dans les cas susdits ? C'est à l'aide de pitoyables prétextes que l'on cherche à couvrir ou à sauver cette éclatante contradiction. Il n'est pas toujours vrai que le détenteur connaisse le motif qui exclut la possession juridique dans sa per- \ sonne. Un fils de famille qui, d'après une annonce digne de foi de la mort de son père, se considère comme père de famille, a indu- bitablement Yanimus possidendi; et cependant son interdit sera , repoussé si l'adversaire démontre que le père est encore en vie. Je connais le cas d'un marchand de bois qui avait la persuasion d'être propriétaire de la place où il déposait son bois depuis plusieurs années, tandis qu'il fut établi plus tard, qu'une partie \de cette place était locus publions. L'autorité communale l'invita a la débarrasser, et sur son refus, fit enlever le bois d'office. La flésion de Yanimus possidendi était indubitable, et cependant le /demandeur fut repoussé dans l'instance possessoire, par l'excep- Ition péremptoire de l'incapacitéde la chose. L'héritier qui ignore 'que son auteur n'était que fermier du fonds, doit s'en croire propriétaire, il a donc également Yanimus possidendi ou domini. I n. FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIBES 37 Mais à quoi bon, si le locataire établit le véritable état des choses? Mais en admettant même que le détenteur connaisse le motif qui exclut la possession juridique dans sa personne, je ne vois pas la conséquence qu'on peut en déduire, du moment que l'on n'a égard qu'à la volonté comme telle ? Pourquoi les personnes, qui, comme le fermier ou le locataire, ont un droit à la jouissance delà chose, droit relativement protégé et transmissible à leurs héritiers, ne pourraient-elles pas aspirer pour leur volonté dirigée vers cette jouissance, à la même reconnaissance et à la même protection que le précariste, toujours exposé à une révocation, que le créancier antichrésiste qui peut être éloigné à tout moment par une offre de paiement ou que l'usufruitier qui ne peut transmettre son droit à ses héritiers ? C'est une vaine subtilité que d'objecter qu'ils n'ont point la volonté de posséder. D'ordinaire ils n'ont pas la moindre notion de la différence qui existe entre la détention et la possession juridique, et leur volonté de posséder né se distingue en rien de celle des autres personnes indiquées plus haut. Mais dira-t-on, ils ne peuvent pas avoir cette volonté. Il résulterait de là que le motif pour lequel on leur refuse la possession, ne réside pas dans leur volonté mais dans les règles du droit; la possession leur fait défautj parce qu'ils n'ont pas la volonté, et pourquoi leur dénie-t-on la volonté? Parce que le droit ne leur accorde pas la possession ! j BRUNS (p. 494), allègue comme explication que « le commodat » et le louage ne donnent point de droit réel, ni par conséquent » de pouvoir immédiat sur la chose. » Mais je demanderai si le précariste a un droit réel ? Il n'a pas même le droit relatif que possède le fermier, le précaire peut lui être enlevé à tout instant. Et cependant il a la possession juridique! Je suppose un instant que le droit romain ne se soit jamais prononcé sur le rapport possessoire de ces deux personnes — quelqu'un se serait-il jamais avisé de le déduire de l'idée de la liberté et de l'inviolabilité de la volonté? 38 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES Le fermier n'a, en droit romain, aucun remède possessoire, et ce précepte était en vigueur, à Rome, à l'origine, même pour les fermiers des agri vectigales, jusqu'à ce qu'ils obtinssent, par l'édit du Préteur des remèdes pétitoires et possessoires. Une pareille innovation répondait-elle à leur volonté? Celle-ci était-elle si modifiée que le Préteur dût se croire obligé de les reconnaître comme possesseurs? On fera difficilement admettre que le fermier d'un ager vectigalis eût une autre volonté que tout autre fermier. Dans la réfutation qui précède, je n'ai compris que les défenseurs principaux de l'opinion que je combats, et l'on n'exigera certainement point que je fasse connaître toutes les variations et fluctuations avec lesquelles elle est reproduite par les auteurs récents (30). Je crois cependant devoir faire une exception pour WINDSCHEED, parce que cette idée a été tout autrement présentée par cet auteur. « Tout individu, dit-il, dans ses Pandectes /» (I p. 365) est égal à un autre dans l'État; nul ne doit s'élever S» au- dessus d'autrui, Toute volonté qui se réalise en fait dans la |» possession, a, comme telle et abstraction faite de la justice de I» son objet, une valeur égale à celle de toute autre volonté I» isolée qui voudrait s'assujettir la chose; si une autre volonté 1» isolée veut se réaliser vis-à-vis d'elle, elle peut en appeler à la » décision des organes de l'ordre juridique établis par l'État. » Mais où réside le motif déterminant de ce recours, si toute volonté a exactement la même valeur qu'une autre? De fait, dans ce cas comme dans tous les autres où la volonté cherche à l'emporter sur la volonté, et la force sur la force, c'est la prépondérance de la force qui décide. Que l'on n'objecte pas que le précédent possesseur peut faire valoir qu'il a déjà exercé sa force, et que le résultat doit en être respecté. Cela serait vrai si (so) Quant à l'opinion de LENZ. Bas Recht des Besitzes- und seine grund- lagen, 1860, voyez WINDSCHEID Pandectes, § 150, n° 1. IL FONDEMENT DES INTERDITS POSSESSOIRES 39 ce possesseur avait le droit de son côté dans l'acte de l'appro- priation ; sinon, si par exemple le brigand qui se voit enlever la chose par un autre brigand plus fort, se réclame seulement de sa possession, c'est-à-dire du fait de l'emploi de sa force, son adver- saire pourra lui opposer exactement le même argument ; le fait plaide pour lui. Si l'on asseoit la possession uniquement sur la volonté de fait, si on la délie ainsi de tout rapport avec le droit, elle n'est rien d'autre qu'une prime offerte à la force, à la puissance prépondérante, et c'est en vain que l'on s'efforce au moyen de règles empruntées au droit, comme par ex. in pari causa eonditio possidentis melior est, d'écarter l'inévitable conséquence que la force prime la force. Avec le secours de la simple volonté de fait il est impossible de constituer la possession. La volonté qui se met en opposition avec le droit ne peut prétendre à être protégée, et si le droit a été amené à lui accorder protection par rapport à la possession, il faut en chercher la raison non dans la volonté même, mais ailleurs. LES OPINIONS ABSOLUES (SUITE) 2. La théorie de Stahl Au dire de STAHL (bl), la possession porte en elle-même son importance juridique. STAHL exprime donc une opinion absolue. « La possession, aussi bien que la propriété, sert à la destina-» tion générale du patrimoine : à la satisfaction des besoins » humains au moyen des choses. Il convient dès lors, de lui » accorder aussi une protection juridique, différente toutefois » de celle de la propriété, c'est-à-dire non point une garantie » de la chose même, garantie dirigée par conséquent contre toute (") Die Philosophie des Reclus. 2 vol. sect. I. p. 364 s. 2° édit. 40 ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES » personne qui détient la chose, mais seulement une garantie » de Vétat de fait, dirigée seulement contre celui qui fait cesser I,. » cet état (au moyen d'une action positive c'est-à-dire d'un délit). , » — L'intention du possesseur est de conserver Y état de fait des\ » choses. L'institution de la possession n'est qu'un règlement » provisoire ou subsidiaire du même rapport, dont le règlement » véritable et définitif est l'institution de la propriété. C'est » pourquoi la possession doit être dans un rapport constant avec » la propriété. » Le fondement de la protection accordée à la possession repose ainsi, dans l'idée de STAHL, sur l'intérêt économique que présente pour le commerce, même la simple détention. Cet intérêt est, je le reconnais, tout-à-fait incontestable pour ce qui concerne I' le possesseur en particulier ; pour l'emploi économique qu'il veut faire et qu'il fait de la chose, il importe fort peu qu'il y soit M autorisé ou non ; si la chose lui est soustraite, il est économique- ment lésé. Mais ce point de vue de l'intérêt économique pur n'est pas décisif pour le droit. A cet intérêt doit se joindre encore un motif qui autorise le possesseur à vouloir être juridiquement protégé. Là où manque ce motif, le droit refuse sa protection, et l'intérêt reste un simple intérêt de fait; là où il existe, le droit accorde sa protection et élève ainsi le simple intérêt au rang de droit. Relativement au rapport de la personne avec la chose, le droit romain rattache cette protection à la notion de la propriété, | c'est-à-dire à la preuve des conditions qui sont déterminées dans la théorie sur les modes d'acquisition
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